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Douce plume acariâtre

Je me jette à l'eau

JE ME JETTE A L'EAU

Texte déposé en registre de propriété intellectuelle. 

  Ecrit pour un concours de la médiathèque Borris Vian '(pardon de ne pas me rappeller de quelle ville) certains mots sont imposés. Vous les trouverez en carractères gras dans le texte.

Ces messieurs dames n'en ayant pas voulu, je l'ai remis dans ma culote mais vous en fais profiter

 

 

                                  JE ME JETTE A L'EAU

    Depuis combien de temps suis-je sur ce chemin? Attendez…Plus de soixante six ans  si mes gentils géniteurs ne m'ont pas menti. Et je marche toujours. D'un bon pas. Le plus étrange est que, quelque soit la direction que je suive, c'est vers le même endroit que je me dirige. En avant! En avant me susurre à l'oreille la voix inaudible de mon fil conducteur.

En suivant mon long fleuve tranquille, là je mens un peu car il fut parfois agité voir tempétueux (mais ces moments passés ne sont plus présents dans ma  mémoire), je n'ai finalement jamais changé de cap. Et pourtant.

Des murs infranchissables m'ont barré la route et voulaient envahir mon champ de vision…ils furent contournés et les méchantes dificultés passées, elles aussi sont parties dans les oubliettes. Suis-je un individu normal? C'est à vous d'en juger mais il me semble que non. Connaissez-vous beaucoup d'hommes nés avec des chausses aux pieds? Chaussons pour bébés plutôt qui s'agrandirent au fur et à mesure que mon corps tout entier s'étirait vers le haut. Ils sont devenus aujourd'hui des chaussures  de marche cousues dans d'excellentes peaux, confortables et solides, faites pour avaler la terre du chemin ou le goudron de l'asphalte. Ces pompes comme certains les appellent parfois font aujourd'hui la taille 43, normal pour donner une bonne stabilité à mon mètre quatre-vingts.

Connaissez-vous  beaucoup d'hommes nés avec un sac? Tout comme la tortue qui voit sa maison-carapace s'agrandir avec elle, je suis venu au monde avec une poche de chargement semblable à celle d'un kangourou. Ne pas me confondre nez en moins avec ce batracien de la Laponie saharienne. Ma poche à moi, belle forme de parler, est dans mon dos. Partie intégrante de mon pittoresque personnage.

Je pense en marchant. Je pense donc je suis. Il doit y avoir une exception à cette règle cartésienne. Pour moi, bipède-marcheur, qui avance y compris quand il retourne en arrière, ce serait mieux de dire "je suis donc je pense"

Une foule marche en permanence à mes côtés. Que dis-je, une multitude. Mais ceux qui la constituent demeurent invisibles. Quand je regarde autour de moi je ne vois que le soleil qui verdoie et l'herbe qui poudroie. Comment l'inverse? Vous prétendez voir à ma place? Je marche donc je suis. Je suis sorti, avec de la douleur pour elle, du ventre de la mère et j'ai aussitôt poussé mon premier hurlement. Dans ma tête, l'incompréhension de ne pas pouvoir marcher, de ne pas user immédiatement mes chaussons et de laisser mon sac sur le dos sans charge m'a déjà fait rager.

 Né fou de la marche en avant, je suis désormais certain à mon âge où la raison pourtant devrait enfin se manifester, que cette démence particulière ne me quittera jamais. La mort elle-même ne me l'ôtera point.

Des haltes sur le chemin?

Bien sûr! Mais mon immobilisme, forcé par une quelconque raison majeure, ne m'empêcha pas d'avancer.

J'avance la tête dans les nuages. Une visibilité nulle n'allant guère plus loin que ma main tendue devant moi, ne m'a jamais arrêté. Un engin hypersophistiqué, une sorte de radar personnel que j'ai parfois appelé pifomètre, a pris le relais et compensé la cécité due à la hauteur et à la masse cotonneuse qui m'enrobait. "Pifomètre"…et si c'était tout autre chose? En tout cas, cette espèce rare de radar ne m'a jamais flashé pour excès de vitesse! Il devrait au contraire se préoccuper par ma lenteur…

…car depuis que je marche je n'ai guère avancé.

Des kilomètres ou des milles selon votre approche culturelle et votre échelle préférée, la bête née avec des chaussures et son sac sur le dos, elle en a pourtant parcourus pour leur pesant de cacahouètes. Née folle, elle vous affirme aujourd'hui que la distance n'existe pas! Son petit doigt lui a dit et…il ne se trompe jamais.

Tous ceux qui marchent à mes côtés peuvent confirmer. Pour preuve, ils sont là mais ils sont très loin. Alors, vibrent-ils dans mon présent quand bien même auraient-ils vécu dans mon passé? Et pourquoi pas dans mon futur? Tout naturellement mon horizon s'éloigne quand je prétends l'approcher. Pourtant,  avec chaque jour qui passe, je sais que le temps pour l'atteindre se fait plus court.

Où est la distance?                                       

         Je ne peux poser mon sac, ne vous ai-je pas raconté qu'il est la peau de mon dos? Mes haltes sont imaginaires, elles correspondent à une utopique nécessité de m'arrêter; sans fin la folie du chemin me reprend.

          La vallée de mon long fleuve vient de s'élargir. Il fait horriblement chaud. Allez grand marcheur devant l'Eternel, un petit plouf rafraîchissant sera le bien venu. Une plage de sable fin, qui descend vers l'eau en une douce pente, vient à point nommé pour satisfaire à mon désir bien légitime de baignade. Zut, la place est occupée!

Ce n'est pas une petite crevette qui se  lézarde au soleil, mais un grrrrand crocodile malien… Le bruit de mes pas silencieux fait ouvrir ses froids quinquets.

En observant mieux la gentille bestiole, je constate qu'elle doit être rassasiée. En effet, juste à son flanc gauche bien gonflé, est posée une botte. Droite et dressée, bout rond vers le fleuve et ouverture se dirigeant vers le haut comme un fervent implorant l'aide du ciel. Impeccablement lustrée, le soleil s'y reflète en un éclat qui évite mon œil de très peu. Ouf, j'ai eu chaud! Objet de cuir inattendu en ce lieu, qui me fait penser à un vase. Piquant détail, les fleurs y sont remplacées par deux os incomplets, broyés à bonne hauteur, qui doivent s'appeler respectivement tibia et péroné. Un peu d'écarlate laisse supposer que de la chair y adhérait un jour.

Comme pour confirmer mon impression, alors que civilement je salue le cétacé d'un banal Bonjour, comment allez-vous? Il me répond d'un "Beurps", bon vent qui me décoiffe. Assez proche du rot d'un mal éduqué, j'en suis choqué. L'animal, irrespectueux de ma présence, expulse avec cette incongruité un casque à pointe de ses redoutables mâchoires. Vu le modèle réglementaire de cette pièce d'uniforme, je comprends illico que mon cousin germain est passé avant moi dans la région. Lui, médecin militaire sous les ordres de Bismarck dans la bataille de Trafalgar, aura terminé son chemin d'une bien curieuse manière. Et oui, s'il n'y a qu'une manière de naître, l'au-revoir revêt une multitude  de parures. Mon horrible soupçon est fondé, une deuxième éructation libère un stéthoscope, géniale invention du docteur Laennec.

Je ne me sens pas l'âme d'un toubib et décide de le laisser sur le sable, d'ailleurs comment pourrai-je bien utiliser l'ustensile…une de ses branches manque à la pelle. Il me semble que j'ai oublié mon maillot de bain dans ma termitière. Bof, personne en vue qui puisse juger de mon corps. Né avec tous les vices de forme que vous connaissez maintenant, au bout d'un demi-siècle de remue-méninges et aussi de maints complexes, j'ai finit par m'accepter. Tel quel! En évitant cependant de trop me regarder en ce miroir et de lui demander si j'étais le plus beau. Depuis tout petit mes parents m'ont enseigné que c'était Blanc Manteau.

Tiens, j'ai faim! Avez-vous une pomme?

Si un quelconque observateur me matte de loin, mes plumes masqueront la bouteille ventrale du trop  bien manger qui a fait prendre dernièrement trois bonnes tailles à la ceinture de mon pantalon.

Alors? Je me jette à l'eau?

Pour celui qui voulait passer inaperçu et s'était mis  complètement à plume, l'affaire se complique! Une bonne partie de tous ceux qui, invisibles, m'accompagnent dans ma marche se matérialise soudainement. Sans se préoccuper de ma totale nudité, ils s'alignent pieds dans l'eau de mon fleuve et autant de crocodiles  de carnaval se positionnent à leur droite.

Mais enfin! Pourrais-je me baigner tranquille?  Je me jette à l'eau oui ou non?

         Cette eau, loin de la pureté d'une source  de montagne de friandises à la vanille (mes préférées), reste fraîche et va me purifier. Je voudrai en profiter pour me débarrasser de la couche de toutes les crasses que l'on m'a faites sur le chemin.  Un élément essentiel me manque, le savon.

Comme mes très lointains ancêtres du prénéolycatholitique jurassien, c'est tout simplement avec de l'eau et du sable que je vais relustrer mes plumes. Pas de risque de noyade, toute ma vie on m'a traité de drôle d'oiseau et, que je sache, ils savent tous nager. Ne vous inquiétez pas outre mesure pour moi, en plus j'ai pied…avec chaussure incorporée.

Chacun des alignés prend son crocodile venu de la proche lagune vénitienne et commence à le faire tournoyer,  de plus en plus, vite au raz du faible courant.

 

 Clinc! L'étincelle! Je comprends enfin le pourquoi du comment de cette scène ubuesque du bord de Seine.

 

C'est en effet, aujourd'hui, le grand concours international de ricochets crocodiliens. Le vainqueur de cette curieuse manifestation sportive recevra en prix l'opportunité exceptionnelle de visiter les ateliers de confection de monsieur Hermès. Mon bouffeur de cousin germain, se croyant un malin du Mali, a voulu s'alourdir avant le lancé. Je trouve qu'il est doublement idiot. S'il avait gardé le casque…hop, huit cent trente grammes de plus. Et les sacs à dos de monsieur Hermès, de ceux qu'il convient d'offrir à sa douce compagne pour un voyage de noces, sont aujourd'hui très bien imités en peaux usées de zigoto. Celle du croco du Nil bleu ne vaut donc plus un clou à la bourse de Babel oued. Quant à celle du Mali de moindre qualité…on en parle plus.

 Récapitucons avant d'en finir avec cette histoire à la lon.  Je suis sorti de mon fleuve tranquille avec une crevette dans ton maillot. De la bouteille  sur le dos du crocodile a jailli une source. Une eau fraiche et pure dans laquelle je me jette est l'élément nécessaire pour qu'enfin je retrouve mes esprits. Sans savon.

Non, cette petite histoire  folle de la trompette ne se déroule pas à Venise, ni dans sa lagune. Ma douce plume acariâtre, ne se fatiguera jamais de raconter les histoires rocambolesques de pieds nés avec des chaussures aujourd'hui un peu usées.

 Comptons bien, servi deux fois dans l'ordre s'il vous plait mais il en manque un….

 Boris, mon ami Vian, j'ai la curieuse impression qu'un sinistre con a, en ce premier avril, mélangé je ne sais quel bizarre ingrédient avec mon tabac bleu.

 

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