Douce plume acariâtre

             MONSIEUR  D. GLINGUE.

 

     Quand on a le un nom de famille aussi invraisemblable que celui qui pose sur le rayon de la franche rigolade tous les dénommés Glingué, il est une tristesse supplémentaire, celle d'avoir un prénom commençant par D. Pas ici!

       Quand en plus le prénom en question est Dimosthenis, tous les droits auraient pu être permis pour avoir une nette envie de meurtre familial. Précision, de double parricide. Une seule chose avait pu compenser ce que, depuis maintes générations, beaucoup ont qualifié comme une incommensurable disgrâce: un physique très particulier chez ces gens-là  mais rarement critiquable à moins de vouloir y laisser quelques dents.  Les muscles de Dimos, ainsi était diminuer l'individu, forçaient le respect car des malchanceux eurent l'occasion de voir qu'il savait s'en servir. Peu s'y frottèrent de nouveau.

       Les méchants jeux de mots n'allèrent pas loin à l'école, que ce soit de la part des garçons de la petite école que des instituteurs qui s'y succédèrent. Quand Dimos ne cassait pas une ou deux figures par respect à un certain âge, c'est papa qui s'en chargeait. Qu'on se le dise, encore de nos jours, les Glingué sont des gens fort respectés. Et pas seulement du fait de leurs gabarits hors norme, leur poids dans l'économie étant indispensable à la vie de bien des très lointaines familles.  C'est bien simple, ici tout leur appartient, du plus petit grain de sable sur l'une des plages, jusqu'à l'air qu'on y respire. L'île entière pourrait s'appeler Glingué. En souvenir d'un passé antédiluvien sur une planète à des années lumière d'ici, le fondateur de la colonie a appelé cette bande de terre perdue au milieu d'un vaste océan, Alcatraz.

      Avec un climat idéal toute l'année, ce qui pourrait-être un coin de paradis ressemble au pire des enfers. En beaucoup plus lucratif pout la famille dirigeante. L'exploitation du plus grand pénitencier privé de la galaxie est devenue si rentable que la dernière génération de cette famille forte en nom et en muscles est dorénavant la  cinquième grande fortune de tous les univers. Donnadieu surveille son filon, l'œil fixé sur les images satellite de surveillance de son nid d'aigle bâti au plus haut des deux cent quarante mille kilomètres carrés de la colonie.

      Depuis Dimosthenis dont la statue trône au centre géographique exact de l'île, tous les descendants mâles ont vu leurs prénoms commencer par la lette D. D comme démerde. D comme dis-moi comment tu fais! L'héritier de la couronne ne faillit pas à la règle; imbu de ses dix-huit ans, Deuterius songe déjà à son futur enfant. Dieudonné! Que cela est beau! Mieux encore si les deux dernières syllabes sont ôtées…Il a quitté la seule école de l'île dont il était l'unique élève. Depuis bientôt cent ans que les bleus n'ont plus le droit de venir avec femmes et enfants, y compris les professeurs qui furent chargés de  l'éducation même de la famille dirigeante.

      Trois couleurs sur l'île. Le blanc des possédants, le bleu des employés et le rouge des prisonniers. A l'exception des blancs, personne ne sort d'ici. Seuls les condamnés à perpétuité ont le droit à vivre sur l'infernal paradis d'Alcatraz. Quant au personnel, aucune rétribution ne lui est accordée, du moins sur l'île. En fonction du rang, les payes son versées aux familles respectives sur les planètes d'origines, dans les différentes galaxies.

     Bienvenue sur Alcatraz, il n'y a pas de retour. Les navettes amenant les prisonniers repartent toujours à vide. Qui a dit un jour "Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme" ? La colonie pénitentiaire en est l'exemple même. Deuterius viens de négocier un contrat supplémentaire avec la plus part des gouvernements, celui des exécutions capitales. Autrefois les condamnés croupissaient dans des prisons plus ou moins confortables avant de recevoir leur dernier châtiment. Selon les pays la peine était infligée de différente forme. On pendait, électrocutait, injectait, garrotait, fusillait, décapitait, lapidait, écartelait, noyait, rouait, court-bouillonnait, sciait de long, empalait, brulait, gazait, empoisonnait et autres "aits" délicieux, fort heureusement passés désormais aux oubliettes. Aujourd'hui c'est la trempette. Juste un petit bain terminal…dans une piscine spéciale emplie d'un subtil mélange d'acide chlorhydrique et d'acide sulfurique. Une eau dite régale qui dissout instantanément les condamnés.

     Pour alléger la souffrance  de ces derniers et surtout donner un meilleur gout à la mixture de la trempette, Deuterius a eu la géniale idée d'y additionner quelques zestes de citron et de la cannelle. Ingrédients vite disparus mais laissant, vous le devinez, une plus grande joie lors du dernier plongeon.

       Assurant ainsi à toutes les sociétés désireuses de se débarrasser d'encombrants personnages et sans aucune trace par la suite, la facturation des exécutions ne manque pas de sel.  La planète Suisse-Îles-Caïman-Luxembourg-Lichtenstein va bientôt devoir aménager l'un de ses satellites pour y entreposer le coffre-fort des Glingué…ya bon Bananio!

       Autrefois, une éternité un quart dans le passé du subjonctif recompilatoire, on disait d'un objet, vieux ou usé, qu'il était déglingué. Quand cela s'adressait à une personne avec en plus un index vrillant une tempe, c'était vouloir montrer un peu de folie chez elle. Aujourd'hui, quand un juge abat son petit marteau avec la sanction " D. Glingué", l'horreur absolue s'affiche dans le regard du condamné. Filer sur Alcatraz est l'abomination. Jamais de mémoire d'hommes et de surhommes, quelqu'un ou quelqu'une  a pu s'en échapper. Quant aux travaux forcés que ce bagne propose…

      Dés sa prime installation sur l'île, Dimosthenis Glingué a signé, avec le Diable, le contrat de construction du dernier des enfers. Les condamnés participent allégrement  à l'assemblage gigantesque du lieu où ils passeront  toutes leurs prochaines vies après leur prochaine mort. Ca c'est ce que pensent les gouvernants, les politiciens ou religieux qui les ont déportés, ils les ont voués aux flammes éternelles. Portant, aucuns d'entre eux ne mérite un tel châtiment.

       Mais qui sont ces odieux relégués aux pires des travaux, aux supplices les plus douloureux et humiliants? Croyez-vous que ce soient les criminels, les assassins, les voleurs et violeurs. Les faux-monnayeurs ou les pourvoyeurs de drogues en tout genre? Les faiseurs d'embrouilles ou d'arnaques?

               Que nenni, simplement les penseurs.

      La pensée depuis toujours est dangereuse. Quand elle collabore avec l'accroissement d'une richesse, elle est acceptable. Quand elle participe à l'entretien culturel elle reste acceptable. Quand elle définit des possibilités de progrès pour la science, elle reste encore acceptable. Quand elle s'occupe du confort matériel, elle reste toujours acceptable. Mais quand elle prétend à la libération de l'homme au détriment de la société…Innnnnnacceptable! Alcatraz! D Glingué! Pourrir dans la construction en briques réfractaires du dernier des enfers. Pour que les vilains bandits, ceux qui ont violé, tué, et bien d'autres délits patentés puissent après la trempette rôtir plusieurs éternités dans les flammes.

      Demain monsieur, demain madame, avec une puce injectées sous votre calotte crânienne, votre pensée sera lue…évitez  la construction de votre propre enfer.

     Ce court pamphlet pourra un jour être imprimé. J'en laisserai volontiers traîner un exemplaire sur le trottoir d'une rue fort passante. Plusieurs possibilités.

      Passer à côté et ne pas s'en préoccuper serait signe de peu de curiosité. Le lire et en rire à profusion me plairait bien. Le lire puis le jeter dans la prochaine poubelle en se toctoquant la tempe de l'index serait preuve que j'ai raison. Au moins sur ma folie, celle qui s'affiche à travers de ce texte qui n'a ni queue ni tête.

                                     Exactement mon contraire.

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