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Douce plume acariâtre

ET VIVE LES REVOLUTIONS

Conte pour les grands petits nenfants.

 

 

Si nos savants-cosinus possèdent la raison en tout, du moins aux dires de ce qu’ils pensent avoir prouvé, notre cher Univers aurait quelques années déjà à son actif. Quinze milliards parait-il. Venu d’une masse compacte, ridiculement petite, et d’un poids tellement colossal qu’elle en aurait explosée, créant ainsi ce merveilleux ensemble de constellations perpétuellement en mouvement. Notre belle Terre, par la parole de religieux prétentieux, fut longuement située précisément au centre de toute une Création devenue Divine. Comment cela pouvait-il être différant ? La simple observation du Soleil, de la Lune et de tous les autres astres se repositionnant immuablement à la même hauteur dans notre ciel (lui aussi divin), prouvait que ces érudits imbécils détenaient la vérité.

 

Haaaa, ces belles paroles ecclésiastiques !

 

« Ce qui nous vient d’en-haut, nous l’avons traduit pour vous mes chers frères et mes pauvres sœurs. Vous pouvez ainsi l’écouter de notre bouche avec les Saints Évangiles lus de nos yeux. Ce qui provient des entrailles de la Terre, à part l’or les diamants dont vous ne voyez pas même la couleur car nous nous en occupons, forme un infâme amalgame diabolique ! Matière transformée par la chaleur de flammes éternelles où vous irez rôtir  si vous vous refusez de nous écouter»

 

 

Premier épisode.

 

Venant du futur, parachuté sur Terre en tant que simple ver de terre mangeant devant et caguant derrière, un beau et long lombric des années 1780 et larges mèches, posa un jour une question embarrassante.

-Mais mon dieu, d’où venait donc cette fameuse masse initiale ?

Ce minus invertébré pensa également, car il avait appris à lire, puis à écrire, que ces fumeux savants mentaient probablement. Il tint ce raisonnement pas si bêbête qu’il n’y paraît :

 

« Nos érudits ont affirmé de bien belles choses, absolument improuvables pour le pékinus-ordinarius qui toujours n’a eu d’autre choix que dire banco.. Problème : Les vraies vérités d’antan ont été infirmées avant-hier. Les vraies vérités d’avant-hier… encore infirmées hier ! Les vraies vérités d’hier, complètement décriées, passent aujourd’hui à la poubelle !

Alors, que vont devenir demain nos éternelles vraies vérités ? Il va falloir creuser de nouvelles décharges pour enterrer ces évidents excès d’imbécilités »

 

Attention misérable lombric, ton langage devient révolutionnaire !

 

Mais notre humble et inlassable remueur de Terre, connaissant son travail indispensable à la fertilisation des sols, se foutait éperdument des menaces. C’était grâce à Gutenberg qu’il avait pu apprendre à lire, donc à raisonner, n’en déplaise aux religieux de tout poil. Les mensonges éhontés qu’« on » voulait lui faire gober, petit à petit devinrent indigestes. Des vraies vérités, de fort mauvaise haleine et d’un goût révulsif, qu’il fallait lui aussi démentir.

Détenteur de la véritable vraie vérité, notre ver de Terre, de terre, se décida pour monter à la surface ! Bien sûr qu’il allait prêcher la bonne parole à son tour. Chance ce jour-là que le soleil fut caché sinon…

 

Un gentil passereau passa et donna grand merci à l’univers pour le délicieux repas procuré !

 

Interaction ? Hologramme ? Magie divine ? Sortilège diabolique ? Mémoire de l’eau ? Le petit oiseau hérita de tout le savoir fantastique de la proie qu’il venait d’ingérer ! Et continua bien malgré lui un raisonnement poussant la gente volatile vers l’inacceptation des vérités scientifiques.

Le printemps venait. Cette passereaute, car elle était du genre féminin, bien intentionnée, séduite par le nid douillet qu’un mâle lui proposa, se donna avec passion dans des ébats amoureux et trois beaux œufs furent pondus. Le savoir paraissait assuré pour l’avenir car dans le jaune, ou dans le blanc, par « on » ne sait quel extraordinaire phénomène, la question toute bébête du ver de terre se transmit…

 

Maîtresse coucoute (bien de chez nous hein, pas suisse du tout !), chassa tout ce beau monde ; jeta les œufs en terre sans majuscule où ils se brisèrent, puis déposa sa propre progéniture encore non éclose. Laissant bientôt une tâche ardue aux pauvres passereaux pour gaver un petit qui prit des proportions gigantesques. Et monsieur qui ne manqua point de dire à madame :

-Tu vois où ça nous a amené ton fameux et fumeux savoir penser ! 

 

La connaissance universelle avait-elle rompu sa marche inéluctable vers l’avant ? Les tristes répétitions de vraies vérités pour une éternité laisseraient-elles l’humanité dans l’obscurité quantique de l’ignorance ?

 

Sur un des œufs brisés au sol, après qu’il eut plu, un champignon poussa.

 

-Wouaoooo ! Se dit ce dernier en développant son beau chapeau.

-Il me semble que je sais déjà lire. Comme il serait bon qu’un dictionnaire soit à ma portée !

Mais les choses de la vie parfois montrent des désagréments. Notre sympathique végétal sans fleur et sans chlorophylle n’eut point le temps de méditer sur l’étrangeté de sa situation. Un champignon capable de raisonner , comestible de surcroît, était une première. Qui allait se révéler de très courte durée.

 

Un sanglier fureteur, truffe au ras d’un sol aux délicieuses effluves, boulotta le rond et beau bon bolet. Et une fois de plus, messieurs les scientifiques en auraient hoqueté seulement de le supposer, le miracle se produisit. Ne vous en déplaise aussi, le porc soi-disant sauvage pensa !

 

« Tout est interactif, le vol d’un papillon peut provoquer l’érection d’un mammouth laineux ou la colère de tous les membres du Soviet Suprême. En chaque atome de ce champignon si délicieux que je viens de bouffer, la connaissance universelle se marque de forme indélébile. Cela se définit d’une belle parole,, hologramme. Et je m’en vais de ce pas déféquer avec grand plaisir dans une marre cachée au fin fond du bois »

-Nous n’irons plus zau bois, les lauriers sont coupés

La belle que voilà ira les ramasser…

Tout guilleret, en chantant la tête dans les nuages, notre futur double cuisseau passa par inadvertance devant le fusil d’un chasseur…

 

Le sanglier transmetteur de vraies vérités d’après demain, n’aura pas le temps de découvrir l’originalité de cette ronde infantile. Peu en effet savent que sous des paroles naïves se cache un pamphlet expliquant l’interdiction de certains bordels aux alentours de la capitale française. Passée à la broche, tournée longuement pour devenir à point, sa chair allait délecter la confrérie des vendeurs de sornettes...

Des politiciens locaux avaient en effet organisé une journée de chasse, suivie quelques jours plus tard (car il faut que la viande se repose) de force ripailles avec abondantes chutes et cascades de vins. Les chutes de reins quant à elles, devaient suivre encore un peu pour certains invités privilégiés. Hors il s’avéra qu’un cousin du roi participa au festin et à ses suites très particulières… Précisément ce beau Monsieur de la Haute mangea un conséquent morceau de panse, son plat préféré confiait-il souvent, délice curieusement parfumé cette fois-là des senteurs d’un bolet !

-Quel nectar!

L’ignare venait d’ingérer le venin de la révolution mais ne s’en rendit pas compte immédiatement.

Le lendemain il se réveilla, une blonde salace sur son flanc droit et une brume fort coquine couchée tête-bêche sur sa droite. Cette dernière s’évertuait d’une bouche avide en un lieu que la décence interdit ici de décrire. Bref, la divine bouffarde fut non point royale mais digne de se voir mentionner comme exceptionnelle. Aussi gloutonne que belle, cette dame d’agréables proportions se trouva bientôt transformée. Une subite folie la fit danser la Carmagnole, et , pensant de forme rare, elle contacta d’autres filles de joie pour marcher sur Versailles. Ce que lui avait donné un lointain cousin de devait rien représenter par rapport à ce qu’un roi pouvait lui rapporter.

-Nous voulons du pain ! Nous voulons du pain ! Nous vou…

Interaction ? Hologramme ? Magie divine ? Sortilège diabolique ? Mémoire de l’eau ? Un ver de terre récemment disparu par mort subite aurait pu expliquer l’étrange phénomène ; oui, mais d’autres raisons, beaucoup plus sordides étaient intervenues.

Monsieur le cousin du roi parlait dans son sommeil !

Ce qu’il conta ainsi à une dame aux lauriers non coupés1 et aux oreilles attentives était son rêve de devenir calife à la place du calife. Le brave et bedonnant Louis XVI devait donc chuter par la révolution afin qu’il prit sa place . Le meilleur moyen de déclencher ce mouvement qui allait poser son divin cul sur le trône, serait de payer une partie de la populace pour marcher sur le château de Versailles en prétextant la famine endémique du peuple (comme si ces pourceaux méritaient mieux !).

Et c’est pour cette raison que Dame péripatéticienne ayant écouté ces involontaires confessions nocturnes, avait réuni maintes amies exerçant le semblable office de soulagement glandulaire. Son seul objectif n’était que de se faire payer grassement pour cette marche mais… elle remporta une victoire consécutive à la trouille du monarque et ramena ce dernier à Paris.

Elle recontacta donc le cousin.

-Mon bon prince, vous avez pu voir tout ce que j’ai fait pour vous. Profitez donc de la situation et la belle France vous appartient ! N’oubliez point ma petite allocation, une bourse pleine d’écus sera suffisante. Pour le moment bien sûr car je reste à votre disposition.

Un peu d’or pour la possession d’un pays entier ?

Le contrat fut signé sur un grand lit qui traînait par là. L’ignare venait de hisser la lame de l’échafaud qui allait le raccourcir deux ans, huit mois et un jour plus tard. La belle brume assistera à cette cérémonie enchanteresse en vociférant, criant si fort « Et vive la révolution ! » qu’un sein sauta hors de son corsage. Petit détail qui inspira plus tard un peintre fameux… Le père d’Eugène Delacroix assistait lui aussi à la décapitation de Louis XVI et conta l’anecdote coquine à son fils quand ce dernier eut l’âge de l’écouter.

 

Formidable évènement qui fit pisser (voir davantage) de peur toute la noblesse européenne dans des culottes de soie.

 

Tout cela aura servi au moins à l’avancement de la condition du schmilblick humain car plus de deux cents ans plus tard, monsieur le Conte de Pétaouchnock, arrêté par un sergent des CRSSSS lors d’un simple contrôle routier, se verra gratifié d’un salut réglementaire, petit doigt sur la couture du pantalon, accompagné de bredouillantes excuses pour avoir fait perdre un temps précieux. Et qu’encore cinq minutes plus tard, un livreur de pizzas sera légèrement sodomisé par une matraque malencontreusement manipulée par ce même galonné.

Pitain kong, vive les révolutions !

 

Deuxième épisode.

 

Le moujik était si crasseux que les poux disparaissaient sous une couche épaisse et malodorante. Tout comme un certain Jean Valjean qu’il ne connaissait pas, la faim autrefois l’avait poussé vers le vol ; les galères d’eaux douces l’auraient volontiers embarqué. Chance, il n’en fut rien, seulement vingt coups de Chat à sept queues2 avec, entre chaque presque insupportable douleur, un leitmotiv revenant en boucle dans la tête. Vengeance, vengeance, vengeance.

Un poux lettré, arrière arrière petit-fils à la puissance dix d’un pou révolutionnaire français ayant fréquenté un crâne peu chevelu; la noble perruque qui le dissimulait chuta lors d’une décapitation en mars 1792. Un pou lettré donc, fiché dans son oreille droite se mit à lui parler.

-Tu sais mon ami, il me semble que l’on te ment. Tu n’en as pas ras le bol de recevoir le fouet ? Dieu a bien dit que la vérité était dans le vin, il n’a rien dit pour les écritures n’est ce pas ? Je t’aime trop pour te quitter et je sais que tu sera capable de porter la bonne parole.

Ancien quartier-maître débarqué du cuirassier Potemkine pour ivrognerie répétitive, notre peu reluisant et puant personnage décida de reprendre bel aspect, de se laver (à l’exception de son oreille droite si bonne conseillère), de contacter ses compagnons de misère de la flotte tsariste et de fomenter une révolution.

-Foi de moi, Alexandre Alexandrovich Bolchevikof, le monde entier s’en rappellera ! Tan-pis si j’y ai laissé ma barbe, je sais que j’irai loin. Est-ce ma faute si mon nom de famille signifie majoritaire3? Certes non, mais quelle beauté pour désigner un parti politique.

Merci mon pou !

A l’époque déjà les prémices d’un vive mécontentement soufflaient de Mourmansk où il traînait encore ses guêtres jusqu’à Vladivostok là-bas dans le grand-est. L’entrée de la Grrrrande RRRRussie dans la fameuse boucherie dite 14/18 puis une suite de défaites cuisantes n’allait pas remonter le moral du moujik. Mais, confiant en son pou intérieur, il marcha sur Moscou et fit connaissance de nombreux excités en tout genre qui, comme lui, rêvaient d’en découdre avec les Romanov. A la première manifestation, alors qu’il s’enfuyait par derrière sur la pointe des pieds, deux cosaques sabre au poing l’arrêtèrent.

-Je vais encore déguster du Chat à sept queues !

Pas cette fois ! Tabassé et moitié mort, il allait voyager comme il se l’était promis.

Déporté en Sibérie.

Pour y casser des cailloux destinés à la future autoroute dont l’inauguration était prévue pour l’an 2038. Dans le grand froid, il se lia d’amitié avec un certain Trotsky, un habitué des déportations, pas un pouilleux comme lui car ces charmantes petites bêbêtes avaient réélu domicile sur sa carcasse, mais un gars de la haute ! Un gars qui savait parler et qui nécessitait un garde du corps. Vu le gabarit impressionnant de l’ancien marin, nul besoin d’aller plus loin !

A Moscou les vents tournaient en tout sens, ordre fut donné un jour de libérer Lev Davidovich Bronstein, vrai nom du sieur Trotsky ; collé dans l’ombre de ce dernier, Alexandre Alexandrovich allait bientôt devenir un érudit de la révolution en marche. LREM ? Non ! Pas encore ! Et quel honneur d’entendre son nom en permanence. L’avenir immédiat souriait à Alexandre Alexandrovich ; il était bien loin de se douter qu’un long chemin s’ouvrait encore devant lui.

Bolchevik, bolchevik, bolchevik scandait la foule ! Cette multitude devenait culte, alors finit les affirmations d’antan, les mensonges de la religion passaient enfin aux oubliettes. Le pou intérieur de l’oreille droite du garde du corps exultait.

L’ex simple moujik osa une demande timide à son patron.

-Camarade, me voici pourvu d’un travail qui me permettra d’économiser quelque argent, voir d’acheter une modeste doma4 et d’y faire venir une plantureuse brune connue dans un bordel de Mourmansk.

Seriez vous d’accord pour que j’aille de ce pas chercher cette belle ?

Il se fit vertement rabrouer :

-Rêve de capitaliste ! Attention !

Capitaliste ! Mot fatal au relent de Sibérie, qui posa un formidable bémol sur la note révolution. Le pou, écœuré, s’en alla. Il fonda une famille nombreuse et… Interaction ? Hologramme ? Magie divine ? Sortilège diabolique ? Mémoire de l’eau ? Sa descendance fut capable de raisonner ! Quant au veau-vache-cochon-couvée  capitaliste souhaité par Alexandre Alexandrovich Bolchevikof, il disparut sur le même chantier d’autoroute, lors de la deuxième et dernière déportation de l’ex garde du corps du fameux Trotski.

L’ancien quartier maître du Potemkine mourut à la tâche, complètement gelé, à l’instant précis où son ex beau parleur de patron fit connaissance, de forme intime, avec un pic à glace du côté de Mexico.

Gelé, glace ? Interaction ? Hologramme ? Magie divine ? Sortilège diabolique ? Mémoire de l’eau ? On a beau avoir des idées révolutionnaires il faut quand même savoir se taire face à plus fort que soi.

 

Et de nos beaux jours paisibles, de Mourmansk à Vladivostok, en cette belle époque de l’an de grâce 2022, des petits gars qui ne demandaient rien, sont enrôlés pour partir dans les tranchées face aux Ukrainiens. Aucun de ces soldats russes qui ne soit pas parasité (dans l’oreille droite), par un insecte piqueur répétant sans arrêt :

-Pitaing kong de Révolution d’Octobre !

Pour en arriver là !

On te ment encore moujik! On t’emmène une fois de plus à la boucherie !

 

Troisième épisode

 

Tchine, tchine et patatchine,

j’aime la Chine et son chapeau chinois,

la méli la méla, ponpon la méli

j’aime la Chine et son chapeau chinois.

Vive Mao !

 

Marcher, marcher encore et toujours avec cette sympathique chanson presque comme unique nourriture. La Longue Marche laissait une multitude de corps derrière elle.

-Les corbeau au moins auront de quoi bouffer se disait Moa Sze Gunt !

-Communiste, il y a sept mois je ne connaissais pas ce mot, et face à un fusil, on m’a forcé à le répéter jour et nuit sinon la balle sortait. Je suis désormais un communiste qui vient de perdre quinze kilos en marchant. Avec ce même put… de fusil à porter et une cinquantaine de cartouches.

Je vais être obligé de boulotter ma mascotte. Si d’autres se rendent compte de ce que j’ai dans la poche, ils me feront la peau pour la manger à ma place. Le prix de la souris est en hausse dans les temps de disette.

Ne t’inquiète pas Mikey, je te promet de ne pas te faire passer à la casserole.

 

Mikey, arrière, arrière petite-fille à la puissance inconnue d’un minuscule rongeur ayant copieusement festoyé après des agapes d’une bandes de marchants de sornettes, profiteurs d’un régime royal français. Surtout déclencheurs d’un mouvement révolutionnaire sans pareil dans une lointain pays dont Moa Sze Gunt ignorait même l’existence.

Interaction ? Hologramme ? Magie divine ? Sortilège diabolique ? Mémoire de l’eau ? Cette petite souris chinoise était capable de parler! Enfin, pas tout à fait. Transmettre sa pensée serait plus proche de la réalité. Ses ondes cérébrales envoyaient de fréquents messages à son maître mais cet idiot ne comprenait rien. Alors comment faire ? Elle eut une idée !

-Mets ta main dans la poche où tu me gardes. Pour te prouver que ce que tu penses parfois viens de moi, je te mordillerai le pouce trois fois de suite.

Stupeur de Moa qui retira vivement sa main. Homme simple dominé par la peur du surnaturel, notre marcheur écouta depuis ce jour-là un autre discours que les blablablas indigestes donnés par les officiers, chefs de la longue chenille fuyant les troupes de Tchang Kaï-Chek.

-Mon cher Moa, perds du terrain petit à petit, fais ta propre révolution en ne croyant pas aux discours ; on te ment, on te trompe, on ne veut que t’exploiter. Il y a presque un an que tu te pousses en avant comme une bête. Vous étiez trois cents mille à la scission de ton fumeux Parti Communiste Chinois, après des tours, des contours et des tours de cons émaillés de moult batailles vous avez commencé cette maudite marche à quatre-vingt-six mille, vous êtes trente mille rachitiques survivant aujourd’hui et tu veux continuer ?

Mais enfin, ouvre donc les yeux mon ami !

Les conseils de Mikey firent prendre du poids et des forces à un communiste de moins en moins convaincu. En queue de peloton on mangeait plus décemment. Mieux valait ne pas savoir d’où venait la viande et pour cela, éviter de regarder les cadavres mutilés qui jonchaient les bords de l’interminable route. Les officiers ne disaient rien car ils se réservaient les meilleurs morceaux.

Heureux, se retenant de siffloter l’homme fut distrait et chuta sur une bosse du terrain. Grosse entorse ! Personne pour le panser, personne pour le plaindre, personne pour le secourir, le porter sur un brancard inexistant. Il pleura quand la fin de la colonne le dépassa.

Ne survit que grâce à l’abondance de chairs plus très fraîches. Cinq jours avant d’entendre une autre voie que celle de Mikey.

-Celui-là est vivant !

L’avant garde des troupes de l’autre bande communiste, celle dite nationaliste, venait de le faire prisonnier. Sa dernière heure venue il se montra courageux, affirmant avoir combattu non pas par idéal mais par contrainte, il se dit prêt à mourir. Un officier politique qui laissaient ses grandes oreilles traîner par-là, s’intéressa à un Moa malheureux, mauvais soldat de Mao.

-Qu’on le soigne ! Ce gars va rejoindre nos rangs, cette fois il combattra réellement pour la vraie Chine, avec plaisir j’en suis certain !

-Merci petite souris !

-Pardon ?

-Ne vous méprenez point mon capitaine, mes rêves de ce petit animal, m’ont poussé à m’écarter de ceux que vous poursuivez. Et je suis vivant ! Je n’ai fait que de remercier le ciel en vous parlant ainsi !

En Chine les rêves sont sacrés. Un tel homme pouvait devenir fort utile. Il devait rester dans l’entourage de l’officier. Au cours des mois qui suivirent Moa Sze Gunt devint sous-officier, repris son poids d’avant l’incorporation forcée face à un fusil et n’eut plus qu’un pistolet à porter, additionné seulement de vingt cartouches.

Et personne n’avait encore découvert le secret de Mikey.

Combats, courtes victoires, petites défaites, la guerre civile sous foi de révolution va laisser douze millions de gentils chinois sur le carreau.

Le bedonnant lieutenant après une retraite bien méritée s’éteindra à Nankin capitale de Taïwan en 2001, Né à Wuhan en 1915 il aura survécu à une hécatombe révolutionnaire et conté mainte fois son épopée à ses enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants.

Mikey, soigneusement embaumée, transmet encore, bien que plus rarement, des messages que toute la famille écoute avec grande attention. Le dernier en date en ce beau jour de 2022 stupéfie tout le monde :

-Les continentaux vont nous envahir. Cette putain de révolution communiste n’a produit que des robots et écrasé toute liberté.

Et si vous comptez sur les Amerloques, vous vous foutez le doigt dans l’œil !

 

Langage vraiment peu châtié mais vérité affolante.

 

 

Quatrième épisode.

 

Coupeur de cane à sucre. Fils et petits-fils de coupeur. En guenilles tous les jours avec de faibles protections contre les tiges coupées, tranchantes comme des rasoirs, contre les insectes qui pullulent, contre les serpents dont la morsure douloureuse, parfois mortelle renvoie à la maison sans paye pour le temps perdu, José ne dit rien, jamais, il coupe. Chaque jour à l’exception du dimanche. Le matin pour la messe et l’après midi pour la famille. Bien que parfois, pour une pièce de monnaie supplémentaire, ce moment là aussi le voit couper, couper, couper. Heureusement que le bon rhum aide le beau monde des ouvrier agricole ; vendu à prix dérisoire dans le seul commerce de la zone, détenu par la Company, il coule à flot en maintenant le moral par abrutissement.

Les « yankees » payent mal. Ils exportent un sucre de qualité et font des profits pharamineux alors que les gars se tuent à la tâche.

 

Tout va venir d’une araignée.

 

La puta de Company accordant généreusement vingt minutes de repos vers midi, pour que ces braves coupeurs puissent s’emplir la panse, José posa son séant sur une chaise rudimentaire qu’il avait fabriqué avec des restes de canne. Chauffés et tressés ils supportaient aisément son poids. Et qu’on se le dise, cet homme-là dépasse les quatre-vingts kilos… ce qui lui valait un profond respect.

Alors que le brave coupeur se baissait pour attraper sa bouteille de rhum, une araignée passa à un pas devant lui. La machette toujours prête allait frapper avec son habituelle précision lorsqu’une voix lui parvint :

-Non ! Arrête ! Je suis une araignée magique ! Je peux t’aider à sortir de ta triste condition !

-Ce n’est pas possible, le soir seulement je suis un peu bourré.

-Écoute-moi, prends-moi dans ta poche.

L’ignare ne comprit rien et l’arachnide fut proprement coupé en deux !

-Non mais !

Après la trop courte pause le terrible travail repris. José était énervé par cette bestiole soi-disant pensante. Il se coupa, hélas ce n’était pas la première fois, légèrement sur l’avant-bras gauche. A part une douleur qu’il connaissait déjà, entra en lui quelque chose de nouveau, il n’avait pas essuyé sa lame après le meurtre de l’insecte. Interaction ? Hologramme ? Magie divine ? Sortilège diabolique ? Mémoire de l’eau ? Ce qui avait transmis la connaissance était une longue chaîne de ce que la plus part des humains nomme coïncidences. Nombreux maillons entre un très lointain ver de terre, de Terre de France et un inculte Cubain, coupeur de canne à sucre.

Inculte le José  Escudero? Ho ! Hé ! Il avait suivi ses études primaires, les seules sinon obligatoires mais au moins recommandées, et aussi le catéchisme. Hors les deux se contredisaient. Du premier côté, une théorie du Bing Bang à peine effleurée et de l’autre, un morceau de glaise manié par un grand barbu longuement rabâché. A n’y rien comprendre ! Et de toute façon cela ne changerait rien au maniement de la machette. Après cette accidentelle coupure, enfin une ouverture de l’esprit, une possibilité d’avenir heureux et prospère aperçue à l’horizon :

-Il me semble que l’on me ment. Ras le bol de ces discours de religieux, de ces yankees exploiteurs, des soi-disant savants qui ne savent en fait que dire des trucs incompréhensibles ; un certain Fidel, non loin d’ici, doit détenir la véritable vraie vérité. Pas pour rien que sa tête est mise à prix par le régime de corrompu  de Fulgencio Batista et de ces maudits Amerloques !

Le lendemain au matin José Escudero ne se présenta pas à la coupe. Celui qui parti le chercher dans la misérable maison surpeuplée où il vivait, revint en disant :

-Et un castriste de plus. Un !

Après plusieurs jours de marche dans le nord-est de l’île, en se cachant souvent pour ne pas se faire attraper (car les gouvernementaux tiraient d’abord et questionnaient de manière fort brutale ensuite), au détour d’un chemin serpentant dans des collines où les bananeraie prédominaient, une voie forte et claire lui intima un ordre sec.

-Alto amigo !

Mains levées vers le ciel et grand sourire, les yeux envahis de bonheur José répondit :

-Merci l’araignée et excuse-moi!

-Pardon ?

-Donne moi une cigarette et je t’explique.

Le castriste était bon garçon et consentit à la demande sans lâcher le nouveau venu en terre révolutionnaire de la ligne de mire de son fusil. Et si c’était un espion ? Miguel Cazaldo de peu en eut un fou rire ; il accompagna José vers l’officier politique qui conclue rapidement qu’un semblable prétexte pour rejoindre les rangs rebelles était une première, impossible d’avoir été inventée. Le lieutenant barbu fit quérir une casquette militaire à longue visière pour couvrir le crâne d’un individu décidément hors du commun. En plus une recrue de cette stature, véritable force de la nature, allait forcément se battre avec rage.

Sa barbe poussa et fort heureusement que les castriste avaient de bons savons soviétiques car les poux n’y pullulaient pas, enfin pas trop. Ces insectes indésirables avaient débarqué sur Cuba avec les caisses d’armes en provenance de Tchécoslovaquie, de Yougoslavie et parfois de l’Égypte. Vieux rebus de la dernière guerre mondiale dont on se débarrassait et qui voyaient ainsi la possibilité d’une nouvelle vie en distribuant la mort.

Des poux russes ? Interaction ? Hologramme ? Magie divine ? Sortilège diabolique ? Mémoire de l’eau ? Certains d’entre eux étaient spécialistes pour se nicher dans les oreilles droites !

Un regain de révolution porta enfin Fidel Castro vers la victoire. Sous les ovations d’une populace enthousiaste, il entra à la Havane le 8 janvier 1959 alors que Batista s’enfuyait dans le dernier avion en partance, avec son pantalon entre les dents et, en main, deux valises qui laissaient échapper des dollars.

 

Parmi les premières mesures prises par Castro en janvier 1959, la suspension des expulsions des locataires obtiendra une grande popularité auprès de la population urbaine.Plus tard, la même année il proclama une réduction de moitié du prix de tous les loyers. En mai est confiée au Che Guevara une réforme agraire. Promulguée immédiatement, elle interdira totalement les grandes propriétés terriennes en limitant la taille des terres privée à 400 hectares au maximum et à 27 hectares au minimum. Les paysans cubains pouvaient enfin vivre hors de l’esclavage yankee.

Un ex coupeur de canne à sucre exulta. Vive la révolution !

Sous les ordres d’Ernesto Che Guevara il allait accomplir une macabre tâche, la chasse aux traîtres, aux collaborateurs trop zélés du serveur inconditionnel des Yankees qui eux aussi avaient quitté Cuba la queue entre les jambes. Travail d’assassin obtenu grâce au rétablissement de la peine de mort. Pour pouvoir tenir un rythme infernal et sans pitié, le José se remit à boire. Devint incontrôlable puis rendu aux champs de canne à sucre. Retour à la case départ.

Son acharnement au travail lui valut une médaille du même nom et sa modeste maison d’autrefois devint sa propriété. Quel bonheur la révolution communiste ! Autour de lui bientôt des rumeurs circulèrent. Il n’existait sur l’île plus qu’un seul parti politique autorisé, et l’«on » raconta que tous ceux qui manifestaient un autre intérêt idéologique disparaissaient. Des « ils » venaient chercher ces dangereux contre-révolutionnaires et puis, ffff, volatilisés. José avait fait partie de ces ils.

Il redoubla dans son rhum effaceur de mémoire.

Un beau jour un pou russe rejoignit son oreille droite.

-Mais enfin, tu vois où tu en es ? Réveille-toi voyons !

-Merci mon bon pou, j’ai déjà donné.

-Non, fais ta révolution personnelle, celle qui va te libérer de la merde infâme qui s’installe sur ton si beau pays. Ton Fidel te ment, lui aussi devient un dictateur, à quoi sert de manger si on ne peut plus penser ?

-D’accord mais comment ?

-Fuis Cuba. Il ya sur la côte nord-ouest des gens mécontents comme toi qui embarquent sur des bateaux en direction de la Floride,

-Mais enfin, j’ai combattu ces salopards et je devrais les rejoindre?

Sale pou, tu es un révolutionnaire capitaliste.

Pourtant une étincelle venait d’allumer une mèche. Il se rappela la belle vie des yankees sur l’île et supposa qu’une terre de miracle devait exister sous chacun de leurs pas. Rebelote, Sans prévenir qui que ce soit, José reprit la route en se cachant de nouveau. Des bruits couraient sur le traitement infligé aux fugueurs du paradis communiste. Du déjà connu, déjà vécu.

Après maintes péripéties il embarqua enfin sur une barcasse, accompagné de quatorze autres prétendants à la liberté. Seulement 160 kilomètres, 90 milles marins pour atteindre l’objectif. Plein nord. Un moteur et une boussole, le tour ne devait représenter qu’une broutille. C’était sans compter sur le courant du détroit de Floride. Chaud, venant du golfe du Mexique, ce dernier déporta l’embarcation vers l’est, vers les Bermudes et son triangle maudit.

Après quatre heures de navigation nocturnes le moteur se mit à tousser, puis s’arrêta. La pompe de cale qu’il entraînait ne fonctionna bien évidemment plus. Il fallut écoper. Surchargée, alourdie par l’eau qui l’envahissait, la grosse barque pourrie se dirigea vers un cimetière naturel, les fonds marins l’attendaient. Personne à bord n’avait supposé un seul instant que leur départ fut toléré, qu’« on » s’en félicitait même.

-Bon débarras, ils n’iront pas loin ! Avait dit l’officier Miguel Cazaldo en regardant une barcasse s’éloigner vers le  large, les yeux collés sur de puissants prismatiques équipés d’un système de vision nocturne.

 

Il y eut le premier cri !

-Requin !

Le coupeur de canne à sucre José Escudero eut la chance de figurer, le premier parmi les quinze, en temps que repas d’un magnifique squale. Une infinie douleur le parcouru de la tête aux cuisses car plus bas tout avait disparu.

Sa dernière pensée fut :

-Putain de révolution communiste !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1Les feuilles de lauriers au-dessus des portes des maisons dites closes marquaient la particularité de l’immeuble. Remplacées plus tard par de petites lanternes rouges.

2Fouet aux sept lanières dont les bouts s’adornaient de morceaux de plomb.

3Bolchevik signifie effectivement majoritaire en Russe.

4Maison

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