Douce plume acariâtre

                   La moissonneuse-batteuse lie aussi les mains dans le dos des prisonniers. Elle vient de faire une excellente récolte dans la vallée de l’Ebre. Là où les républicains, pour la première fois, ont repris quelques terres que le gentil général Franco avait précédemment annexées à grands coups de caramels mous.

                Les bataillons rebelles venus du Maroc ont eu l’idée sotte et grenue de gaver leurs gourmandises d’un haschich à la concentration redoutable. Alors, ceux du gouvernement légal, qu’ils soient socialos, cocos, anars, internationaux volontaires ou seulement simples quidams appelés en une mobilisation guerrière, ont mangé. Mangé bon bon, pardon bonbon. Depuis le début de cette abomination nommée guerre civile, si tenté qu’une civilité y fut une seul instant tentée, ceux qui croyaient combattre du bon côté de la civilisation n’avaient guère mangé à leur faim. L’un d’eux (qui allait devenir mon honorable papa) s’accommoda fort bien mais trop souvent des figues de barbarie. Parfois aussi d’un bon gros rat des champs non encore rendu immangeable par l’utilisation intensive d’un quelconque pesticide. 

              Comme piquants, il aurait préféré des fils de fer barbelés pour défendre ses positions. Las, la république n’en avait pas fournis ! Mais cette fois pour le moins quelque chose  fonctionne bien. Enfin les fusils  7,62 ont des balles du même calibre. Peu de temps auparavant il lui a fallu lancer des cailloux face aux canons et aux mortiers car les munitions n’étaient pas les bonnes.

            Pas con mon père. En 1936, après dix minutes de combat il avait déjà compris la défaite !

           Attention, celle qui conduit la moissonneuse-batteuse-lieuse n’aime pas les prisonniers. Sa faux devenue insuffisante, elle avance en ricanant ; sa machine  par miracle devient aussi semeuse de tombes. Mais cela n’est pas grave, personne n’ira en enfer car au cul des franquistes, une deuxième armée ensoutanée est chargée de distribuer des coups de goupillons récupérateurs d’âmes perdues.

            Une bombe, venue de plusieurs kilomètres sans doute, explose à vingt pas de mon futur papa.

            Dans l’entonnoir provoqué par un précédant boum, l’homme s’est planqué en se disant que « jamais deux au même endroit ». Une couverture venue d’on ne sait où lui choit sur le dos et le protège d’une multitude de gravas. Sourd, aveugle, il se croit mort. Fort heureusement pour maman qui l’attend angoissée en France et pour moi, pas même en pensée dans ses génitales, il ne l’est pas.

            Le son revient, en se tortillant un peu la lumière aussi. Quelques reptations vers le bord de son trou pas encore transformé en tombe et il la voit…

             La moissonneuse n’est plus lieuse. Celle décharnée qui la mène ne veut être que batteuse. Au nord, les copains ont lancé une contre-attaque et le redoutable appareil se voit encerclé. Bernardo aime la belle mécanique, il s’avance à découvert pour observer cet assemblage moteur bruyant et fumant, de poulies aux moyeux graissés, aux engrenages biens huilé et aux roues lattées fauchant tout sur  leur passage. Il avance droit comme un i majuscule face à la mort….qui en hoquète et s’arrête.

             Ce n’est pas ton jour ami Bernardo et tu ne vas pas savoir que les républicains dont tu fais partie gagneront cette bataille (la seule)…avant de reculer et de tout perdre. Les ordres insensés et contradictoires vont te rappeler pour aller combattre sur un autre front. Ces putains de nationalistes percent toutes les lignes étriquées de la République. Encore plusieurs mois avec des avions souvent allemands largueurs de grosses prunes empoisonnées qui vont te survoler. Un André Malraux que tu ne connais pas,  essayera à un contre dix donc en vain, de te protéger. Et tu vas marcher, encore et toujours provoquer la conductrice de la moissonneuse qui semble maintenant ne pas te voir. Ils tombent tous autour de toi et ce n’est que près d’un Madrid déjà fasciste que tu vas déclarer forfait. Cette fois-ci, c’est du carrément plus de munition !

              Un chiffon agité qui paraît blanc,  les deux bras implorant haut levés un ciel qui s’est refusé à la clémence, te voilà prisonnier. Et tu vas encore manger bon bon, pardon bonbon !  Tu vas manger ta défaite prévue, avoir faim dans un camp de travailleurs forcés puis dans un autre dont presque personne ne revient, suivi de deux ans de….devinez quoi…service militaire obligatoire !

               Le Franco n’aime pas ceux qui ont eu l’audace de lui résister. Pas grave, jusqu’à sa mort en 1975, le brave général toujours restera  magnanime, ses goupillonneurs-extrême-oncteurs lèveront aussi le bras pour un signe de la croix. Nul ne saura jamais combien exactement sa copine de la moissonneuse-faucheuse-lieuse, ayant repris sa simple faux,  a expédiés de prisonniers dans un monde meilleur. Puis il y a eu les franc-maçons, les soupçonnés d’idées gauchisantes et bien d’autres refusant une franche allégeance à Franco

                  Environ 400 000 ! Les  exécutions massives ne se sont arrêtées qu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. Après elles restèrent individuelles, mais  toujours nombreuses.

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             Mon bon papa est parti de sa bonne mort avec un âge respectable de quatre-vingt-sept ans. Pourquoi a-t-il fallut que mon épouse et moi-même nous installions à quelques pas de ce beau fleuve  Ebre ? Aucune idée ! Surement et simplement car notre destinée nous y a conduit. Me voici confronté avec mes 71 balais à un autre conflit possible.

              Oui les Catalans ont de sérieuses raisons d’en vouloir à Madrid. Oui ce furent les derniers à résister au fascisme, à l’ami du fou moustachu hurleur allemand. Oui ceux qui aujourd’hui dirigent ce pays merveilleux qu’est l’Espagne sont des adorateurs de Franco et à peine ils s’en cachent. Et oui encore, les Catalans pour eux restent des semeurs de merde qui doivent être brimés jusqu’à la fin des temps

           Mais, papa… pour que la Catalogne soit indépendante, faut-il revivre tout ca ???????????               

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