Douce plume acariâtre

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AVERTISSEMENT

Ce roman est un ouvrage purement fictif, mais le lecteur trouvera en lui les noms de

personnages du monde entier ayant réellement existé. Qu’ils soient civils, militaires,

religieux ou politiques, certains d’ entre eux d’ ailleurs vivent encore.

Leurs faits et gestes, relatés par la presse internationale on été également publiés dans

maints ouvrages historiques, écrits pour la plupart avec une conscience et une rigueur

professionnelle.

Il n’est pas dans mes propos de juger ces hommes et femmes de quel que bord

qu’ils fussent ou soient encore. Ces personnalités ont pris des décisions qui influencèrent l’

Histoire et j’espère ne pas m’être trompé dans la lecture des divers documents qui m’ ont

aidé à écrire ce roman .

Par contre et en grandes majorité, les protagonistes sont totalement inventés et la

trame elle même de cette fiction n’est née que de l’affabulation de mon esprit, parfois

dérangé , qui humblement ne veut que vous délivrer un message d’amour.

Détail : La guerre du Golfe de 1991 est évoquée en fin de livre. Sur ce thème, bien

des hypothèses ont été soulevées par les analystes politiques quand à la motivation

Irakienne pour envahir le Kuweit. L’explication ici donnée des évènements, n’engage que

moi ; partiellement imaginaire, elle me paraît plausible mais surtout possède la grande vertu

de s’intégrer parfaitement à la vie fictive que vous allez découvrir, celle d’un certain

MOKTAR

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LIVRE PREMIER.

L E    S O U R I R E   D E     L A P AL E S T I N E.

Chapitre 1 HAÏFA

Son bébé soigneusement emmitouflé et bien maintenu par une longue

écharpe nouée sur son épaule, une jeune femme marche rapidement dans une petite ruelle qui

monte en serpentant du port de Haïfa vers le centre de la vieille ville. En se retournant elle

peut voir les silhouettes des navires de guerre anglais au mouillage dans la baie, à quelques

encablures du rivage. Ils paraissent immobiles et pourtant la mer moutonne de reflets

argentés et une légère houle vient du large.

Le froid est vif en ce début de novembre et la forte brise humidifie l’air en le rendant

encore plus piquant. Ce vent irrégulier traîne avec lui tous les bruits du port : moteurs

des barques de pêcheurs qui pétaradent allégrement, cris des dockers, grincements des grues

et incessants va- et-vient des camions qui accèdent aux quais de déchargement par une côte

assez pentue. Ce souffle apporte aussi cette incomparable odeur typique de la Méditerranée

où se mêlent les relents du poisson, ceux des myriades d’épices dans les étales des

marchands du petit souk et enfin , celui du lavandin qui abonde dans le pays.

Rachel Lerner, ce matin, a sous-estimé cette basse température qui l’agresse et s’est

insuffisamment habillée pour sortir ; son enfant de trois mois, lui au moins, est bien au

chaud et dort du sommeil du juste, bercé par les pas réguliers de sa mère.

Il faut cependant faire attention aux irrégularités du sol car la chaussée ne semble

pas avoir été entretenue depuis bien des lustres et il est réellement difficile de ne pas

trébucher.

Jamais la jeune juive n’a, avant son arrivée en août 1946, imaginé que la terre

biblique promise à ceux de son sang, ce lieu mythique, pays saint également des chrétiens et

des musulmans, que cette providentielle Palestine donc, puisse être soumise à un si rude

climat. Le Moyen-Orient n’est certes, et de loin, aussi rigoureux que sa Pologne natale mais,

tellement idéalisé, elle le croyait toujours tempéré, voir carrément comme un paradis

verdoyant.

-Dieu, quelle erreur !

. Tout cet été, malgré une grande chaleur accompagnée bien sûr de sa presque

accoutumée sécheresse, la venue de nombreux immigrants ne s’était pas freinée.

Ils arrivaient en masse, presque tous les jours parfois. Débarquant de vieux rafiots

comme celui rebaptisé EXODUS qui, avec 4500 ‘’ illégaux ‘’ juifs à bord fut arraisonné par

ces maudits Britishs.

Totalement dépassés messieurs les Anglais par les incohérences de la politique

londonienne ; en fomentant premièrement le sionisme et intentant à présent, sans grande

efficacité, d’interdire les innombrables candidats à l’immigration. Dans un incroyable périple,

ceux de l’Exodus, partis de Sète, sont interceptés à vingt milles nautiques de leur but

mythique, alors qu’ils étaient escortés depuis le départ parla flotte de sa Gracieuse Majesté.

Transbordés manu militari sur trois grandes cages flottantes dénommées bateaux-prisons pour

être réexpédiés sur la France ; celle-ci, voulant faire oublier ses péchés vichyssois en

acceptant de les recevoir.

Stupeur, à Sète les juifs refusent de quitter leurs geôles, ils ne consentent qu’aux

évacuations sanitaires indispensables. Les dernières informations rapportent qu’ils ont été

finalement débarqués à …Hambourg et comble de l’ironie macabre, ces 4500 malheureux,

dont la plus grande part sont femmes enfants et vieillards seraient parqués aujourd’hui non

loin d’un sinistre camp.

Camp, au seul fait de penser une fois de plus à ce mot, le froid se fait plus vif encore et

la femme est parcourue d’un frisson. Jamais au grand jamais Rachel ne pourra oublier. Des

images épouvantables dansent devant ses yeux et réveillent une fois de plus la douleur et les

larmes.

Rachel pleure, abondement : Auschwitz, huit mois et quatre jours avant d’être libérée

par les soldats de l ’Armée Rouge progressant rapidement vers l’ouest, direction Berlin,

abasourdis par l’inconcevable horreur qu’ils découvraient. Près de deux cent cinquante jours

d’une captivité dont chacune des heures passée a value son pesant d’éternité.

Rachel pleure. Dans ses larmes se chevauchent et se brouillent bien des visions.

Le visage de son père, mort en combattant les troupes des SS dans le ghetto de

Varsovie ; il était l’un des bras droits de Morderaï Anielovich, l’instigateur de l’insurrection,

et le sourire aussi de son grand père maternel, Moshé, en mémoire duquel elle a prénommé

son bébé. C’était un homme valeureux qui l’un des premiers, adhéra au BUND, l’Union

Générale des ouvriers juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie. Ces deux visages si chers

son coeur se superposent à d’horribles entassements de cadavres squelettiques et aux

misérables sourires des rescapés conscients du miracle de leur survie.

Rachel pleure.

Qu’est devenu le père de son enfant ? Isaac Granowsky était officier de marine. Un

lieutenant mécanicien certainement fort compétant : grâce à son habilité dans la salle des

machines (et aussi il est vrai, avec l’aide de force bidons d’huile) un vieux bateau vinassier

avait réussi l’exploit de rallier Mostaganem, près de Oran, à une plage distante de quelques

milles nautiques à peine de Gaza.

Deux cent soixante personnes de tout âge s’y étaient entassées avec juste quelques

vivres nécessaires pour une incertaine traversée. La carcasse du bateau achève maintenant de

se désintégrer sous les incessants et infatigables coups de boutoirs d’une mer indifférente ;

épave oubliée qui ne sert plus que d’amer aux rares pêcheurs qui chalutent dans les parages.

A Tel-Aviv, ils s’étaient connus puis tout de suite aimés, d’une passion brève, ardente,

presque brutale. Désir, désir charnel avec probablement aussi une obscure et inconsciente né

cécité de continuité. Et…. Moshé est arrivé.

Rachel pleure.

Son bel officier de marine s’est rapidement éclipsé pour rentrer dans les rangs de la

Haganah, armée non encore officielle du futur état d’Israël, ignorant qu’il était devenu papa

par contumace. Les combattants clandestins juifs, placés sous les ordres de Menahem Beguir,

ont rompu la trêve avec les Anglais, réfutant la tutelle du territoire par ces derniers. Dés

1944 ils attaquent, mais plus intensément depuis la fin de la guerre mondiale. Sans cesse ils

harcèlent les troupes toujours plus nombreuses envoyées par Londres. L’économie

Britannique avec, à plusieurs milliers de kilomètres à l’est l’Inde qui s’est libérée, s’épuise et

le moral des hommes est au plus bas. L’embryon de l’armée juive est redoutablement bien

organisé en commandos de mieux en mieux équipés comme ceux de l’IRGOUN, du

STERN, une forme de lutte appelée guérilla et où les résistants sont dénommés terroristes.

Une farouche volonté d’indépendance les anime.

Le futur d’Israël, cette tout petite chose, si menue, si fragile et toujours souriante,

probablement se révèlent là les gênes de son grand-père dont il a aussi les traits, le bébé donc

se réveille et réclame aussitôt, à grands cris, le sein maternel.

- Moshé, mon tout beau, mon sourire, mon grand amour, il y a, à deux pas

sur la place, quelques bancs. Nous en choisirons un, bien à l’abri du vent et tu pourras te

rassasier goulûment !

Rachel ne pleure plus. Le bonheur indicible que lui procure la tétée lui fait hâter encore

plus le pas et ses larmes sont séchées comme par enchantement.

Sur la placette, dissimulée de la vue de Rachel, une autochenille anglaise vire

doucement en couinant sur ses patins métalliques. Le caporal chef Harfort du 11° Régiment

de Cavalerie de sa Gracieuse Majesté, revient tout juste d’une permission accordée après onze

mois ininterrompus de campagne. Les rumeurs parlent de rentrer au pays, d’abandonner enfin

cette maudite Palestine.

Tout son corps d’armée a quitté l ‘ Inde en 1945 dés l’indépendance de la Perle de la

Couronne et, après deux années passées dans les sables Irakiens il s’est vu confier le contrôle

d’une frange de terre bordant la Méditerranée et allant du Liban au nord jusqu’à la frontière

Egyptienne au sud.

Ce jeune mais déjà expérimenté soldat, bientôt promu sous-officier, est nerveux. Les

canons jumelés de sa mitrailleuse 12,7 balayent lentement de la ligne de mire le coté sombre

de la place.

L’attaque vient du soleil. Débouchant d’une ruelle étroite telle un boyau, un groupe de

quatre hommes légers et vifs surgit promptement. La roquette, dans un jet de flammes, jaillit

d’un tube porté sur l’épaule de l’un des membres du commando. Le vieux half-track GMC

rescapé des ultimes assauts sur la forteresse du III° Reich, explose touché de plein fouet en

son flanc gauche.

Harfort ne coudra jamais les gallons de sergent sur ses manches et son index, bloqué sur

la détente de son arme, libère des balles d’un demi-pouce qui s’éparpillent sur les façades,

dans le fracas des détonations.

De proches renforts arrivent déjà ; rapidement ils prennent position autour de la carcasse

flamboyante puis se retirent craignant l’explosion d’autres munitions .Le commando du Stern,

quant à lui s’est volatilisé dans le labyrinthe des petites maisons blanchies à la chaux, toutes

semblables les unes au autres. Quelques secondes auront suffit, la mission est accomplie et les

terroristes, comme à l’accoutumé sont insaisissables.

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Le hasard du chemin mène ce jour là Armed sur les pas de Rachel. Cet adolescent de

quatorze ans, cadet d’une famille servant en la demeure d’un check bédouin, notable

palestinien de très vieille souche, est chargé de quelques courses lorsqu’il croise une jeune

femme portant un bébé. Il va la suivre à courte distance en admirant le gracieux balancement

de ses hanches.

-Par Allah, qu’elle est belle !

Juive bien sûr, sa mise l’a différencie indiscutablement d’une arabe, mais ce corps

féminin a vraiment de bien belles formes. L’esprit coquin de tout homme, déjà présent chez

l’adolescent, le fait sourire provoquant quelques pensées disons….un peu polissonnes.

A la première explosion, Armed s’aplatit sur le sol dur et froid, se meurtrissant les côtes

et il s’immobilise la tête entre les bras, en un geste réflexe bien que dérisoire de protection,

retenant presque son souffle, tremblant de peur.

Moins d’une minute de fusillade (a-t-on la notion du temps dans ces moments là ?) et

c’est le silence. Le vagissement d’un bébé puis la certitude que tout est bien terminé font

relever notre jeune Palestinien.

-Par Allah, même dans la mort cette femme est restée belle !

Le nourrisson pleure maintenant plus fort, un flot de sang l’a maculé d’écarlate mais il

est indemne et se tortille au coté de sa mère immobile qui gît, yeux grands ouverts, les traits

détendus marquant plus l’incompréhension que la douleur.

Nul ne saura jamais si la balle meurtrière de Rachel, après un malheureux ricochet était

anglaise ou sioniste et Armed ne se pose pas la question ; sans même réfléchir le voilà qui se

saisit délicatement du petit braillard et court vers le domaine, rasant les murs, sans se

retourner. La demeure est, dit-on, de toute la Palestine, celle qui abrite l’homme le plus sage

qui puisse exister, béni soit mille fois son nom : le check Abdelkader Raj Sayhoum, que son

père a l’honneur de servir avec dévotion. Le Sage saura bien que faire du petit rescapé.

Les magnifiques lauriers blancs et roses qui bordent les allées et entourent le bâtiment

principal, où loge le Vénérable, ont donné leurs noms à l’ensemble de la propriété. La tribu,

nomade à l’origine, s’est sédentarisée sur ces terres fertiles descendant en pente douce du

sommet du mont Carmel vers la Méditerranée. Le père de l’actuel chef a vendu en 1910

plusieurs milliers d’hectares et la transaction s’étant réglée cash et en or, elle a fait des Raj

Sayhoum des gents riches .Ils possèdent également quelques autres terres près de Hébron,

ville des Patriarches Juifs, au sud du Liban et enfin à Akko. (Saint Jean d’Acre).

-Fils, oh mon fils, tu es devenu complètement fou ? Je t’envoie commander

du poisson sur le port et tu me ramènes un bébé !

Mohamed Muhair est anéanti par l’inconscience de son cadet. Il redoute surtout une

possible remontrance du vénérable chef bédouin mais cependant, confiant dans la grande

sagesse de ce dernier, il se rassure quelque peu. Le maître n’est-il pas fort respecté ? Ne vient5

t-on pas de très loin souvent, pour le consulter ? Simples conseils ou apaisement d’un litige,

interminables conciliabules précédents la plus part des mariages, le doyen des Lauriers résout

tous les problèmes : il saura que faire pour donner bonne suite à cette situation si inattendue.

Laïla, l’une des jeunes soeurs de Mohamed, allaite son deuxième enfant, une petite fille

joufflue qui sans cesse réclame pitance. Sans prétendre à une quelconque explication la voilà

qui lave, qui lange et bientôt la petite Jasmina ne se montre pas jalouse de partager le sein

maternel avec le nouveau venu. Et Moshé ne paraît guère, lui non plus, remarquer qu’il puisse

exister une différence entre le lait de Rachel et celui que lui propose, si généreusement, Laïla

maintenant.

Le nourrisson, bien propre et enfin rassasié s’endort immédiatement, tranquille,

retrouvant son si beau et si particulier sourire, indifférant aux mouvements désordonnés de sa

toute récente soeur de lait qui, elle, ne cesse de brailler à ses cotés.

Ainsi parle le Vénérable Abdelkader Raj Sayhoum :

- Allah est sur cette enfant. Il l’a protégé des balles, lui a procuré un toit

ainsi qu’une mère pour le nourrir. Grande est sa sagesse, à nous désormais avec nos faibles

moyens d’aider à ce que sa volonté soit faite.

Puis parlant plus bas….

-De toute notre demeure, personne ne doit, du moins pour l’instant,

connaître l’origine juive de ce bébé. Que l’on fasse courir le bruit que c’est un petit

Palestinien abandonné, cela c’est déjà produit heureusement peu fréquemment. Seuls seront

détenteurs de ce qui doit rester un secret Mohamed et son fils Armed. J’en parlerai à mon fils

aîné Antar, qui ce soir revient d’Akko, ainsi qu’à Fawzi mon fidèle intendant ; quant à Laïla,

c’est la seule femme du domaine qui ne dira rien si nous lui demandons. Elle est déjà, fait

bien rare pour son sexe, si peu volubile.

Dès demain matin, Fawzi, qui parle fort bien Anglais ira trouver l’autorité de tutelle.

Peut-être ces Britanniques se prenant pour la perfection, feront-ils l’effort de retrouver la

famille de l’enfant ; nous questionnerons nous aussi, discrètement, en quête d’informations

dans le voisinage.

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L’Union Jack, la brise apaisée, pend tristement sur sa hampe, il culmine un vieux

bâtiment cependant mieux entretenu que ceux qui l’entourent. Les murs ont été récemment

blanchis et les grilles du minuscule parc devançant la porte principale sont bien peintes, bien

que d’un vert incertain et de mauvais goût. La garde permanente établit une relève toutes les

deux heures. Au dessus de l’entrée une pancarte indique en trois langues, Anglais, Arabe,

Hébreu : AFFAIRE S CIVILES ; pas un seul juif n’a franchi ce seuil depuis presque trois ans

déjà.

La sentinelle, paradoxe pour cet endroit, est étonnée de voir un civil l’aborder. Ce

petit arabe, presque tout rond, ne semble pas avoir d’âge mais l’intelligence qui s’en émane

compense sa faible stature et sa corpulence. En questionnant le visiteur sur le motif de sa

venue, le garde appelle son caporal qui fouille succinctement l’ arabe et passe ‘’ la poêle à

frire ‘’( détecteur de métal) sur ses vêtements , puis convaincu que le visiteur n’a aucune

arme dissimulée sur lui, il l’ introduit dans l’ édifice après avoir franchi un dédale de fil de

fer barbelés et de sacs de sable empilés en quinconce.

-Un arabe qui vient me parler d’un bébé ? Faites patienter un moment et ne le

lâchez pas des yeux.

Le lieutenant Harry Braddoock, comme la plus grande part des militaires anglais

présents en Palestine, lui aussi vient des Indes où, d’ ailleurs, il n’a guère brillé que par son

arrogance. Sa curiosité éméchée l’empêche cependant de laisser poireauter trop longtemp

ce petit bonhomme tout rond qui attend maintenant dans le couloir, debout et visiblement

mal à l’aise. Il le reçoit, stick à la main, lorgnon à l’ oeil, devant un bureau sans doute briqué

inlassablement et sentant trop fort l’encaustique

Etonné par l’aisance de son vis à vis dans la langue de Shakespeare, que bien entendu

il considère comme la plus belle du monde, l’officier écoute le court récit de l’envoyé

d’Abdelkader Raj Sayhoum, ce dernier nom, par sa notoriété, l’incitant à un minimum de

respect.

La réponse est sèche néanmoins, presque pleine d’animosité, à la hauteur du

personnage.

- Cher monsieur (le cher, passant visiblement avec difficulté entre ses lèvres

pincées) comment diable voulez- vous que nous retrouvions la famille de cette femme ? Nous

n’avons d’ ailleurs pas pu l’identifier et son corps, faute d’avoir été levé par un proche, sera

inhumé dès demain matin ; nous ne pouvons décemment garder un cadavre plus longtemps !

Quand au bébé, allez donc trouver ces maudits juifs. Ils seront sans doute heureux de

récupérer un potentiel futur terroriste ; mon ordonnance va vous communiquer l’adresse du

YISHOUV qui, entre autre, nous le soupçonnons de n’être qu’un nid d’espions, s’occupe du

recensement des immigrants.

Vous pouvez disposer !

Fawzi, incrédule, qui n’a pas même été convié à s’asseoir, dissimule pourtant

sa contrariété et se retire poliment en remerciant le lieutenant d’une petite courbette. Monsieur

le responsable des affaires civiles n’estime pas même nécessaire de mentionner la visite sur

une main courante au jour dit et, bien sur, personne ne vient réclamer la dépouille de Rachel ;

le médecin militaire qui rapidement examine le cadavre, le fait d’une façon si sommaire, qu’il

ne remarque pas un numéro tatoué sur son avant bras droit, marque caractéristique et

odieusement infamante des Nazis. Pourquoi se compliquer l’existence : il y a tant d’autres

chats à fouetter en ce moment…

En fait Rachel Lerner n’était que de passage chez un vieux couple, l’une des ces

familles juives vivant depuis des temps immémoriaux en Palestine et ne l’ayant jamais

quittée, toujours en harmonie avec leur voisinage arabe. Ces vielles gens proposant leur

modeste logis, en plein centre de la petite ville, aux immigrants en transit, gîte assuré pour

quelques jours, quelques semaines tout au plus. Plusieurs dizaines de personnes se sont déjà

succédées dans ce petit relais où la disparition n’a suscité aucune inquiétude, la jeune femme

n’ayant laissé derrière elle que quelques vêtements usagés.

Tous les mouvements : allés et venues, dates et noms sont pourtant soigneusement

annotés sur un petit carnet à la reliure de cuir noir ; écriture à la plume, en Araméen, la langue

du Christ il y a deux mille ans de cela et qui, presque tombée en désuétude, est encore parlée

par de rares familles autochtones.

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Aux Lauriers, une fois n’est pas coutume, le vénérable Abdelkader se montre

contrarié par l’échec de la mission confiée à Fawzi en se demandant s’il n’aurait pas du se

déplacer personnellement. Bénéficiant, dans une région où se prépare une guerre inévitable du

respect des futurs belligérants, le noble bédouin ne se voit pas pour autant jouer de sa

notoriété en contactant les Juifs au sujet du bébé. Il le faudrait pourtant, il le faudrait mais…

également renoncer à ce cadeau du ciel, à ce sourire exceptionnel ; une raison profonde mais

incompréhensible l’en empêche. Homme de grande spiritualité, le bédouin va encre une fois

écouter son coeur et non une plus profonde analyse ; jamais, de toute sa vie, il n’aura

l’opportunité de regretter sa décision

Pour procurer à ce petit être un avenir radieux, aucune terre alentour n’est mieux

indiquée que les Lauriers ; il existe ici un nomanslands, havre de paix assuré pour longtemps,

l’endroit idéal pour protéger quiconque.

Ici même, sous son propre toit, une émissaire de Ben Gourions, madame Golda

Meier, s’est entretenue avec le roi Abdulhah de Cisjordanie en novembre de l’année passée.

Les pourparlers prévoyaient de délimiter une frontière entre deux pays bien différents, voisins

et vivants dans la paix et le respect mutuel, Israël et la Palestine.

Les conseils du maître de maison et son calme sont appréciés et le domaine reste

auréolé d’un grand prestige. A l’issue des entretiens, Abdelkader n’est pas dupe, il devine les

intentions secrètes soigneusement dissimulées par d’apaisantes promesses des deux

protagonistes…

D’un coté Abdulhah n’est pas Palestinien, il n’a reçu son trône que par une

compensation miséricordieuse des Anglais. Chassé d’Arabie Saoudite où il était souverain

d’un immense territoire ; il s’était vu attribuer ce minuscule pays crée de toutes pièces, d’un

coup de baguette magique, sorti du fameux chapeau de monsieur le Chancelier Winston

Churchill alors que celui-ci parlementait et divisait le monde avec ses alliés au Caire.

Le frère d’ Abdulhah , Faysal est alors assis à la tête de l’ Irak ; plus faible, plus

malléable il va se laisser dépouiller par les Britanniques qui aussitôt pompent le riche sous-sol

faisant jaillir l’or noir à des prix de revient extrêmement bas, en ne reversant que de

misérables royalties uniquement à quelques hauts dignitaires et en laissant les populations à

leurs comptes de misère. Une nouvelle forme d’exploitation de l’homme vient de naître : le

néo-colonialisme.

Une nouvelle forme de grande injustice aussi, préparant un beau bouillon de culture

pour encore plus de terrorisme. L’avenir nous le prouvera…

Abdulhah est jaloux de son frère, sa seule véritable intention est d’occuper

militairement la partie de la Palestine non acquise aux juifs, de l’annexer purement et

simplement, agrandissant ainsi la minuscule Cisjordanie sans ressource et surtout, surtout et

vital, en lui ouvrant une voie d’accès à la Méditerranée, chemin maritime indispensable pour

un futur développement économique.

Du coté sioniste c’est un autre faux discours.

Ben Gourions prône officiellement la création de deux états indépendants, thèse

qu’il soutient dans ses rares contacts avec les Anglais, mais en réalité il ne veut qu’un seul

état : Israël ; Un seul état à tout prix. Un seul état y compris au prix d’une guerre interminable.

Sion ne comprend pas, en ce moment crucial, que même en gagnant un conflit armé il

n’obtiendra pas obligatoirement une paix durable. Une victoire qui conduit à cent ans de

guerre est une défaite devant la vie.

Quant aux Arabes non Palestiniens, il n’en est pas un qui soit disposé à laisser un cm²

de son territoire pour quiconque, quelle que soit sa provenance

Le check Abdelkader n’est pas politicien ; sans prendre parti, conscient des

mensonges des deux principaux antagonistes, il entrevoit le futur avec une grande lucidité. Le

vénérable bédouin sait, il en est sur, qu’un jour très proche flottera l’Etoile de David sur toute

la Palestine. Cela se fera inexorablement avec forces larmes et beaucoup de sang versé mais

l’emblème juif va vaincre et s’étendre. Des réunions sionistes secrètement organisées dans le

monde entier mais surtout aux Etats Unis d’ Amérique ont consciencieusement tout préparé.

Peut-être, sous la pression de quelques autres grandes nations, les Palestiniens pourront-ils

garder un petit lopin de terre ?

De toute façon cela ne sera que l’aboutissement logique d’un vieux proverbe : la force

de l’unité toujours vaincra les rangs de la désunion.

Le vénérable sage ne se rebelle pas contre le destin. Sa grande foi intérieure clame

l’acceptation comme principe, il ne voit là qu’une épreuve supplémentaire imposée par Alla

le Tout Puissant. Le sourire d’un bébé n’est pas arrivé par hasard sous le toit de sa famille ;

l’homme qu’il deviendra, ne sera jamais le rouage d’un mécanisme guerrier bien lubrifié, bien

entretenu par les grandes puissances d’un monde décidément incompréhensible.

En pleurant le noble vieil homme s’attendrit devant le si beau sourire d’un petit être

qui dort et décide d’en faire un homme.

Il sera Homme, ni musulman, ni juif ni palestinien ni israélien, Homme : frère de

l’humanité sans haine et sans conflit. Une forte détermination aboutira certainement à

l’accomplissement d’une tâche qui sera rude.

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Aziz, le jardinier, époux de Laïla accepte d’être père une nouvelle fois. Il va, sa vie

entière, ignorer la véritable origine de son dernier fils. Ici, personne n’a connu Moshé mais

tous désormais vont se pâmer devant Moktar Djad Hasma. Une fête est donnée en l’honneur

du nouveau venu dans la famille mais…. point trop de réjouissances car les bruits des

préparatifs d’un imminent conflit sont trop évidents pour être réellement oubliés.

La situation est désespérée, virant immanquablement à l’affrontement, les tambours

guerriers tous les jours battent plus fort et quelques mois plus tard, avec l’appui peu discret

des Anglais qui misent sur une rapide défaite des sionistes, une forte colonne blindée de la

légion arabe, commandée par Abdulhah Tell, roule vers le Sud en direction de Jérusalem ;

objectif : prendre la ville en une opération éclair.

Dans un petit avion, une femme s’envole de la ville trois fois sainte et se précipite à

Haïfa. Se faisant rapidement confectionner une robe arabe elle se présente ainsi vêtue aux

Lauriers devant le vieux monarque Abdulhah de Cisjordanie. Une toute dernière fois et (on

ne le saura jamais de façon formelle) fort probablement de sa propre initiative Golda Meier

essaye d’éviter le bain de sang qui se prépare. Les arabes poussés ouvertement par le Forring

Office de Londres refusent tout compromis si, immédiatement n’est pas déclaré la création

officielle d’un état palestinien indépendant et dans une zone revendiquée par les Juifs bien

entendu.

La mort dans l’âme l’émissaire juive serre une dernière fois la main du monarque et

celle d’Abdelkader en pleurant de chagrin et d’impuissance.

Le 12 mai 1948 les troupes arabes, bien encadrées par de nombreux officiers

britanniques, se croyant supérieures en nombre et munies d’armes ultramodernes, attaquent

l’un des premiers Kibboutz créé par les colons juifs. Depuis plus d’une semaine déjà, un peu

partout, de sérieux accrochages ont laissé leurs lots de victimes.

Cette fois, il ne s’agit plus d’actes de terrorisme, d’actions commandos mais d’un

véritable face à face de deux armées régulières. Cette attaque des premiers bastions juifs sur

le chemin de Jérusalem ne fait pas peur ; au contraire elle va stimuler les sionistes près à tout

désormais.

Les sionistes qui résistent puis contre-attaquent, et ils iront jusqu’à la victoire, la

reddition de l’adversaire. Grande est la stupeur du monde entier à l’annonce solennelle de la

création, le 14 mai d’un nouvel état sur l’échiquier international : Israël est né. L’Union

Soviétique va s’empresser de le reconnaître, jouissant du grand plaisir de nuire à ce qui reste

de l’Empire Britannique.

En une seule déclaration de Ben Gourions, plusieurs centaines de milliers d’hommes,

femmes et enfants, Palestiniens de toujours, se retrouvent instantanément étrangers sur ce

qui n’est plus leur territoire.

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. La ville de Haïfa est éloignée du centre des combats et ne souffre pas de leurs

violences. Il a été donné dans les deux camps, désormais farouches ennemis, des ordres

formels d’épargner le domaine des Lauriers et les terres de la tribu des Raj Sayhoum. Le

sourire de la Palestine va faire ses premiers pas dans un vase clos non encore contaminé par

la haine. Il provoque la joie de tous ceux qui l’approchent et très vite il devient le centre

même de la maisonnée, comme une irradiante source d’énergie bienfaisante et paraissant

inépuisable.

Le visiteur dont les pas foulent la belle terre des Lauriers est plongé dans un monde

harmonieux, paraissant indifférent aux terribles évènements qui l’entourent. L’éducation des

enfants de la maison est considérée comme primordiale. Il n’y a pas de serviteurs, de valets ni

de domestiques ; tous sont ‘’ de la famille ‘’ et dès l’âge de quatre ans, filles et garçons, sont

déjà initiés à la lecture et à l’écriture de l’Arabe. Le Coran sert de base mais il n’apparaît pas

en forme dogmatique, avec lui on enseigne la tolérance et l’amour de son prochain.

L’art n’est pas dédaigné et tous, enfants ou adultes, s’ils le désirent, apprennent la

musique, la peinture ou la poésie. Tous, sans distinction ni de rang ni de sexe sont invités à la

connaissance sous toutes ses formes. Il n’est pas rare d’écouter, échappés des fenêtres des

appartements du maître des lieux, la musique d’un crissant gramophone où alternent

indifféremment les rares chansons arabes déjà gravées en 78 tours , quelques Blues

américains et les airs de Bel Canto dont raffole Abdelkader.Le check aime l’ Italie, pour sa

culture, pour les réalisations grandioses de l’empire romain, mais surtout pour son chant ; il

peut rivaliser de compétence avec le plus assidu des spectateurs de la Scala de Milan : Verdi,

Rossini et bien d’autres n’ont pas de secrets pour lui. Hélas aucun de ses proches ne partagent

cette passion et les quelques juifs avec lesquels il discutait autrefois, ne se présentent plus au

seuil du domaine.

Dès son plus jeune âge Moktar se montre exceptionnel, il est nettement différent des

autres enfants de la maisonnée. Bien sûr il aime jouer, courir avec les autres bambins mais

surtout, il est curieux : paraissant n’avoir qu’un but, apprendre, connaître, découvrir. Une

seule explication lui est nécessaire, tant sa mémoire est grande, et à quatre ans il parle déjà

fort bien Arabe bien sur, mais possède un riche vocabulaire Anglais et quelques bonnes

notions d’Hébreu.

Sa facilité pour étudier, son incroyable capacité d’apprentissage de la vie est telle

que le check décide de faire venir l’Italie une gouvernante. Si lui, patriarche des Raj Sayhoum

ne parle qu’une langue, il désire que Moktar, ce petit garçon qu’il couve du regard, accède à

d’avantage encore de connaissances linguistiques. Il devine pour lui un futur glorieux, hors du

commun. Monsieur Verdi n’est sans doute pas étranger au choix du Vénérable en ce mois

d’août 1953.

Et c’est ainsi qu’un peu aventurière, passionnée des contes des mille et une nuits,

bravant les conseils amicaux et familiaux, n’ayant peur de rien, Gina débarque un jour aux

Lauriers, une simple petite valise à la main. Il lui a fallu huit jours de péripéties, passer par la

Yougoslavie, la Grèce, Chypre et enfin le Liban pour venir de Turin sa ville natale. Son

obstination est venue à bout de sa très mauvaise première impression sur le Moyen-Orient,

lorsqu’elle a transité par Beyrouth.

Gina Valera est immédiatement conquise par les Lauriers et elle le sera aussi vite par

ceux qui y demeurent. Quand a Moktar, elle a pour cet enfant un véritable coup de foudre et,

bientôt, dans les jardins, elle le poursuivra en criant :

-Mio belle Sorrizo ( Mon beau sourire)très vite abrégé par tous en

« Sorrizo »qui va désormais devenir le surnom attribué à Moktar, on l’appelle aussi «

Bambino » et son sourire s’accentue d’avantage encore.

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Nous sommes en 1957 maintenant, à l’extérieur du domaine, bien des choses ont

changé et des centaines de milliers de Palestiniens sont pratiquement déportés, forcés à l’exil

par la systématisation des implantations juives. Après être dépossédés de leurs terres, ces

pauvres gens vont s’entasser dans des ghettos au Liban, pudiquement appelés camps de

réfugiés. Là, ils s’arment et fomentent avec haine leur retour afin de chasser l’envahisseur.

Une deuxième guerre se prépare à l’horizon.

En fait le nouvel état d’Israël n’a jamais connu la paix, les cinq armées arabes qui

attaquèrent en 48, pensant bouter les Juifs hors de la Palestine, ont été balayées, vaincues par

un ennemi sous-estimé et toujours plus nombreux. Tsahal, l’armée sioniste, après avoir

repoussé l’offensive, s’est attribuée un territoire plus grand encore que celui accordé par les

antérieurs négociations et prévu par les Nations Unies.

A leur tour les Israéliens subissent presque au quotidien des assauts de commandos

bien entendu aussitôt (on ne refait pas le monde et la mémoire est vraiment trop courte)

baptisés terroristes. Mais Sion est bien implanté et bénéficie de l’aide inconditionnelle des

Etats Unis leurs pourvoyant des armes de plus en plus sophistiquées. Israël va consacrer un

très fort pourcentage de son budget au ministère de la guerre mais il continu de s’étendre et

devant lui le désert se transforme en cultures verdoyantes.

A Haïfa, les non juifs ne peuvent s’adapter, une seule exception : la vie aux Lauriers

semble s’être figée, le temps s’écoule sans changement, enfin… presque.

L’on reçoit, de forme moins fréquente il est vrai, des discrets visiteurs. Une piste,

simple cercle bétonné marqué de rouge, a été construite pour permettre aux nouveaux venus

de la famille des engins volants, de se poser. A la grande frayeur des animaux domestiques et,

il faut le dire aussi, de certains hommes, de bruyants hélicoptères viennent et repartent vers de

mystérieuses destinations. Les réunions sont houleuses, restent difficilement courtoises et l’on

se doute que ces beaux messieurs là, qui parlent si correctement, s’étriperaient bien volontiers

en d’autres lieux.

Politique maudite, politiciens hargneux qui ne rêvent que de pouvoir, de domination,

de possession des terres, de main mise sur les hommes, et sur les âmes aussi au travers des

religions. Qu’ils soient en cravatés ou ensoutanés, ceux qui prétendent à nous diriger, ne

veulent en fait que nous contrôler, non pour notre bien comme ils aiment à nous en rabâcher

les oreilles, mais pour leur bien personnel en redistribuant au petit peuple, grands et

magnanimes, quelques petites miettes. Tous oublient que la terre ne nous appartient pas, c’est

nous qui lui appartenons, elle est notre mère : et à tous, peut satisfaire. Elle possède, notre

belle et minuscule planète dans l’univers, de quoi donner à tout homme ; tant de ressources

dont on pourrait jouir abondamment sans qu’il soit nécessaire de s’entretuer !

Depuis 1952 Antar fils d’Abdelkader assiste à toutes les tractations secrètes. Il fait à

son tour preuve d’un grand calme et réunit toute son énergie pour éviter des morts, encore et

toujours plus de morts. Sang qui coule d’une rivalité qui s’annonce longue… très longue.

Abdulhah, vieux monarque, roi de Jordanie, a été assassiné par un extrémiste

palestinien le 20 juillet 51 et un an plus tard seulement, Farouk, Roi d’ Egypte tombe après le

coup d’état du colonel Nasser qui immédiatement se fait conduire à Haïfa aux Lauriers afin de

négocier une paix que l’on pensera durable avec l’état Hébreu.

La Palestine ?? Rien à peine n’est évoqué ; un état Palestinien ? Encore moins et le

vieil Abdelkader fatigué et désillusionné par des années d’efforts infructueux se retire en 1958

à Akko (Saint Jean d’ Acre) dans une minuscule propriété.

Deux ans plus tard, voyant le spectre de la mort venir, le patriarche des Raj

Sayhoum fait appeler son fils Antar à ses côtés, laissant délibérément ses autres enfants dans

l’ignorance de ce qu’il désire comme ses dernières volontés.

-Fils, oh mon fils, qu’Allah te protège et te bénisse, tu es mon digne

successeur, continue la médiation, poursuis cette oeuvre magnifique tant que tes forces te le

permettront. Chaque goutte de sang ainsi épargnée, qu’elle soit arabe ou juive, nous rapproche

de notre créateur.

-Tu m’honores oh père !

-Antar, ton accord à un plan que j’ai minutieusement préparé ces derniers

temps m’est indispensable pour que je quitte ce monde heureux. Ecoute moi bien… c’est

Moktar qui m’intéresse, je désire que cet enfant porte notre nom, qu’il soit inscrit sur les

tablettes des Raj Sayhoum, qu’il devienne ton fils adoptif, il y a de la noblesse en lui. J’espère

qu’avec l’aide d’Allah il préparera un futur pour notre peuple si mal représenté, si mal servi

dans l’actualité.

Ecoute encore mon fils. Pour construire un jour notre pays nous ne devons

compter sur personne, surtout pas sur ceux qui se prétendent nos frères : les Arabes, ils nous

méprisent autant que les Juifs du monde entier. Moktar doit réaliser un exploit. Il va bâtir un

jour une énorme fortune, un empire financier qui servira j’en suis sûr à l’embryon de

l’économie du futur état Palestinien. Moktar à maintenant treize ans, je l’ai observé jour après

jour et je sais qu’il a le potentiel pour mener à bien cette grande aventure, pour réaliser mon

rêve, celui de tout notre peuple.

Antar mon fils, promets-moi de ne jamais inculquer la violence à ce jeune

adolescent si doué. Que son intelligence hors du commun, que toutes ses facultés soient mises

au profit de la paix. Tous les détails de ce fantastique projet sont ici écrits, à ta disposition.

Dans un tout autre domaine mon fils, fais cesser la relation que ton

deuxième fils Jamil entretient depuis peu avec une jeune juive, et oui, même reclus ici, je

reste bien informé. Sépare ces deux tourtereaux ou parviens à les faire sortir du pays, soit en

France, soit aux Etats Unis, car je sais que moi disparu ils seront probablement assassinés par

un fanatique d’un bord ou de l’autre. La meilleure solution c’est qu’ils s’expatrient

discrètement pour vivre leur amour ici impossible. Donne leur ma bénédiction.

Enfin en dernier lieu Antar, si tu as l’opportunité de revoir madame Meir,

dis lui combien je l’ai appréciée et qu’il me coûte de partir sans une dernière fois l’avoir

saluée, puissent tous Juifs d’Israël avoir sa grande bonté, sa force de caractère et aussi sa

lucidité.

Près des ruines du fort qui vit débarquer autrefois les navires chargés des Croisés

venus délivrer le tombeau du Christ, à l’âge de 74 ans, le 3 septembre 1960, avec les derniers

rayons du soleil se couchant sur la Méditerranée, l’âme d’un noble vieillard monte tout droit

vers le paradis d’Allah. Il s’éteint en souriant, pensant à Moktar Raj Sayhoum.

Antar en pleurant a promis. Il va tenir parole.

Dans la ville de Jérusalem, une dame fort connue et qui plus tard deviendra Premier

Ministre, à pour sa part beaucoup de mal pour retenir ses larmes. A l’annonce de la

disparition du Vénérable des Lauriers elle annule tous ses rendez-vous pour une très courte et

toute dernière visite.

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Depuis 1958, au moment des Pâques, Gina n’est plus qu’un agréable souvenir ; au

Noël précédent, visitant sa tante à Alessandria (70 km de Turin), Cupidon lui décoche une

flèche inattendue en lui présentant un lointain cousin exerçant le noble office de maçon et

venant de créer une petite entreprise de construction. Le travail ne manque pas et les séquelles

des bombardements de la deuxième guerre mondiale s’effacent peu à peu.

Et c’est le premier grand chagrin d’amour de Moktar qui pleure tout autant que Gina

quand celle-ci s’envole de Tel-Aviv en direction de Rome à bord d’un Constellation de la

toute récente compagnie aérienne israélienne : EL AL.

Il y a eu deux tentatives de nouvelle gouvernante mais l’enfant gentiment les a

repoussées et finalement c’est une française, de papa tunisien, qu’il accepte. L’Italien est

remplacé par le Français et Moktar ne veut plus être surnommé ni Sorrizo ni Bambino, il

assimile rapidement la langue de Voltaire et découvre avec émerveillement une chanteuse

dont inlassablement il passe et repasse les disques sur le minuscule pick-up Teppaz que

Christine à apporté de France. Edit Piaf a fait son entrée aux Lauriers. La nouvelle

gouvernante parlant assez bien Arabe est acceptée par tous et en deux ans elle va se charger

de préparer Moktar pour une entrée en quatrième au Lycée français de Beyrouth pour l’année

scolaire 1960-1961.

Christine va rejoindre Lyon, la ville d’adoption de ses parents en octobre 1960 et

elle se mariera deux ans plus tard avec un mécanicien d’avion exerçant à l’Aéro-club du

Rhône et du Sud-est. La nouvelle Lyonnaise se passionne pour le pilotage et passe rapidement

plusieurs brevets. Le couple va s’installer dans le deuxième arrondissement à seulement

quelques pas de l’immense et belle place Bellecour.

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Avant même la déclaration d’indépendance de l’état d’Israël, Ben Gourions décide

le 20 avril 1948 la création d’une flotte de guerre ; de nombreux bateaux, pour la plupart de

faible tonnage sont rachetés aux « restes de guerre », à des prix très bas et en leur évitant

ainsi une fin peu glorieuse de découpe par les ferrailleurs.

Isaak Granowsky reprend du service dans la marine, il décide de servir

farouchement sa nouvelle patrie, ce pays que Dieu a donné aux nombreux enfants

d’Abraham, guidés par Moïse, enfin retrouvé après des millénaires d’errance.

Shimon Yitzhak est nommé par Ben Gourions chef des services d’intelligence de la

marine ; c’est en visitant un lot de vieilles vedettes lance-torpilles qu’il rencontre Isaak,

soupçonnant cet officier mécanicien d’avoir bien d’autres qualités, il en fait immédiatement

son plus proche collaborateur.

En 1949, le célèbre Isser Harel regroupe tous les services secrets Israéliens en une

seule entité, le Mossad qu’il va désormais diriger. Isser se déplace à Washington pour

amorcer la collaboration avec l’OSS qui deviendra plus tard la CIA. Profitant du voyage,

Granowsky, tisse les premières mailles d’un filet destiné à la pêche à l’information maritime.

Tout mouvement de bateau à destination de pays qu’Israël considère comme zone de sécurité

doit être signalé, avec force détail sur les cargaisons et les équipages, toute conversation qui

nomme le nouvel état doivent être rapportées, Jérusalem trouvera certainement du bon grain

parmi l’ivraie.

Une partie du plus formidable réseau d’espionnage ayant jamais existé se met en

place sur toute la planète et il va t être redoutablement efficace.

Isaak Granowsky est bel homme, séduisant avec facilité les nombreuses femmes qui

papillonnent autour de lui ; beaucoup se brûlent les ailes. Alors qu’il parle couramment

Polonais, Ukrainien, Anglais et Hébreu, qu’il possède une bonne notion de Français et de

Russe, qu’il apprend aujourd’hui l’Arabe, Isaak est un homme que l’on pense parfois muet

tant il est peu volubile. Il répond souvent d’une mimique ou d’un geste expressif, parlant peu

oui, mais très précis, il a horreur de devoir répéter deux fois la même chose.

Dans l’ombre d’ Yitzhak l’agent presque secret va beaucoup voyager et découvrir

pays et continents mais c’est en 1953, lors d’un court repos en Israël qu’il succombe aux

charmes d’une immigrée de fraîche date.

. Sarah vient de Grenoble en France, plus exactement de Vizille, proche localité.

Cachée par des paysans dauphinois qui, hélas le paieront plus tard de leurs vies, la jeune juive,

communiste de surcroît, passe dans les mailles de l’horrible traque gestapiste et se réfugie

sur le plateau du Vercors où la résistance à l’occupant est forte active. Une fois encore, par

miracle, elle échappera au massacre qui suivit la prise du bastion par des troupes SS enragées

venues en planeurs tant les accès étaient impossibles par d’autres voies.

Sarah ne parle pas Hébreu, pas Anglais, quelques bribes de Yidiches bien

insuffisantes et elle se demande bien quel est son avenir en Israël, pourquoi diable a-t-elle

quitté la France ? Perdue dans ses pensées elle traverse une rue sans précaution et se retrouve

sur le capot de la voiture d’Isaak, heureusement fort peu contusionnée. Ils ne se quitteront

plus.

Malgré l’opposition de son grand oncle qui, pour elle, visait un autre prétendant,

Sarah épouse Isaak de 16 ans son aîné et le couple s’installe dans un bel appartement de Tel-

Aviv, face à une mer que l’ancien marin regarde toujours avec nostalgie.

La jeune femme accepte difficilement les fréquents voyages de son mari, inquiète

de le voir partir sans connaître ni sa destination ni sa date de retour. La venue au monde d’un

petit garçon en novembre 54 va enfin meubler les longs jours d’attente. Son amour est fort,

elle ne se plaint pas et leurs retrouvailles sont chacune comme une toute première fois.

Un an et demi plus tard, Ian leur premier enfant n’a plus le monopole de l’attention

maternelle et la petite Jenny fait brillamment son entrée dans la vie.

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Chapitre 2 Le Lycée Français de Beyrouth

Abdullah Raj Sayhoum, troisième fils du Check Abdelkader demeure

dans la grande ville de Beyrouth depuis l’âge de quatorze ans, il en a aujourd’hui quarante

quatre. Désireux depuis sa plus tendre enfance de devenir médecin, sa vocation s’est réalisée

dans cette capitale tout proche de Haïfa et possédant d’excellentes écoles et universités. Les

Français, longtemps autorité de tutelle du territoire, ont laissé derrière eux des marques

ineffaçables qui plaisent à l’oncle de Moktar. Une certaine nonchalance, un mode de vie

touchant le laisser aller, parent proche du Inch Allah qui convient mieux aux autochtones que

ne l’auraient fait la morgue et le tatillonisme des Anglais.

Le seul problème politique important qui lentement mais inéluctablement prépare

une guerre civile, est l’arrivée massive des Palestiniens n’ayant pas eu d’autre choix que de

s’expatrier et n’ayant pas les moyens financiers pour aller s’installer dans des contrées plus

éloignées. Ils constituent un foyer permanent de rébellion et difficilement acceptent toute

autorité libanaise qui tendrait à museler leurs ardeurs revanchardes vis à vis d Israël. Armée

par la Syrie, cette communauté de déplacés ne rêve que de reprendre possession de ses terres,

par la force bien évidemment. Très tôt les jeunes garçons, désoeuvrés, s’enrôlent, parfois avant

même l’adolescence, L’extrémisme religieux trouve ici un terrain favorable et commence son

travail de sape, minant insidieusement une société malléable, peu structurée où la corruption

règne en maîtresse. Mais Sion est puissant et toute attaque frontale est impensable, de plus les

différentes factions de la résistance ne s’entendent guère entres elles, encore une fois le

terrorisme trouve beaucoup d’eau à son sinistre moulin.

Abdullah devient médecin en 1941, puis se spécialise en chirurgie ; la deuxième

guerre mondiale va lui donner hélas trop souvent l’occasion de se perfectionner, d’acquérir

une grande expérience en peu de temps. Le Liban est pourtant éloigné des zones de grandes

batailles mais les blessés affluent des fronts secondaires et les médecins militaires sont

toujours débordés. Le chirurgien est peu attiré par la religion, il ne voit dans l’Islam qu’une

forme d’amour telle qu’on lui enseigna, petit, aux Lauriers, et n’apprécie pas du tout les

discours des Imams trop souvent violents, haineux. Il s’éloigne des mosquées où l’on prône la

guerre et de plus, le rythme quotidien des prières est peu compatible avec les interventions

qu’il pratique en urgence.

Au début 1944, l’une de ses patientes, une arabe chrétienne maronite tombe sous le

charme, troublée autant par le physique d’Abdullah que par sa grande culture, son air

désinvolte et surtout un constant langage favorable à la tolérance.

La belle Mirna devient son épouse et fait exceptionnel à l’époque, un Palestinien

musulman accepte une cérémonie religieuse en l’église maronite Sainte Rita dans l’ouest de

Beyrouth. En mai 1945 vient au monde leur première fille Iana et elle sera baptisée selon la

tradition et les rites chrétiens.

Oh désespoir ! C’est encore une fille qui agrandit la famille en décembre 1946,

Laïna est son nom. Enfin, à la joie indescriptible d’Abdullah, le premier garçon vient en

janvier 48, il s’appellera Mohamed malgré quelques grognes de la famille de Mirna. Saha, en

1954, ouvre ses grands beaux yeux à la vie, cette petite dernière va se lier d’une très forte

amitié avec ce grand cousin, si beau, si souriant, qui fait son entrée sous le toit familial début

juillet 1960.

La bâtisse des Raj Sayhoum est une demeure moderne, semblable à un cossu

pavillon, de ceux que l’on pourrait aisément rencontrer dans n’importe quelle grande ville

européenne. Vaste, avec deux escaliers monumentaux qui desservent les chambres à l’étage.

Une petite maison annexe abrite quatre fidèles domestiques qui sont considérés comme partie

intégrante de la famille. Quartier résidentiel, contraste avec les camps qui s’étendent chaque

jour davantage au sud de la ville, sans électricité parfois, avec peu de point d’eau - pas

toujours potable - et peu d’école ou de moyen d’enseignement.

Moktar, émerveillé, découvre la ville de Beyrouth, cet adolescent qui vient d’un

milieu rural est surpris par ce tout nouveau rythme de vie, mouvement, vitesse, bruit, foule,

mais est enthousiasmé par cette pulsation invisible qui émane de cette grande cité. Son oncle

l’accueille avec grande chaleur et le chagrin dû à la récente disparition du vénérable chef de

clan, juste avant la rentrée scolaire, va rapidement s’estomper.

Tonton chirurgien ne s’occupe guère de sa progéniture, trop pris par les nombreuses

opérations à l’hôpital, par les cours qu’il dispense à la faculté de médecine et les fréquentes

visites dans les camps de Sabra et Chatila disposant tous deux de centres de soins inadaptés,

exigus et mal équipés. Il est célèbre le « docteur » Raj Sayhoum et estimé de tous mais sa vie

familiale est plus que réduite, le téléphone l’appelle trop souvent à s’absenter. C’est Mirna,

son épouse, qui s’occupe des enfants, aidée d’une gouvernante.

Le Lycée Français va marquer à tout jamais Moktar. Lors d’une première et courte

visite en début d’année, rapide aller-retour Haïfa Beyrouth, un premier test échoué lui fait

refuser son entrée en quatrième mais le travail acharné avec la compétente Christine refait son

retard. A la demande du tonton célèbre, donc influant, monsieur le directeur de l’école,

abasourdi par les progrès réalisés en si peu de temps, accepte de revoir sa décision et le jeune

Palestinien, promettant de travailler dur sur ses études, évite ainsi une année entière

correspondante à la classe de cinquième.

Tradition oblige, les nouveaux arrivants subissent le bizutage, et comme Moktar se

prête de bon gré à cette épreuve, pas toujours de bon goût il est vrai, et qu’il sourit plus fort

encore alors que d’autres s’offusquent, il est adopté immédiatement, restant tout de même

« un bleu ».

Tous dans sa classe sont issus de la haute société Libanaise, uniquement des

garçons, de différentes ethnies et différentes religions ils ont néanmoins tous en commun la

richissime culture méditerranéenne du Moyen Orient.

A son premier cours, Moktar se trouve une place disponible aux cotés d’un certain

Amin Malouf. Celui-ci parle français depuis son plus jeune âge ; peu studieux, il est

suffisamment intelligent pour suivre la classe avec aisance. Ce fils de banquier, d’abord

hostile à son nouveau voisin va changer très rapidement d’opinion en succombant lui aussi

au grand sourire.

Papa Malouf, Sami pour les intimes est tellement occupé à brasser son cher argent et

à en accumuler un maximum qu’il ne se soucie guère de son rejeton. Le premier compagnon

d’études de Moktar est chrétien maronite mais lui non plus ne semble pas prédisposé à suivre

les concepts de sa religion et les deux adolescents, se trouvant en réalité beaucoup de points

communs vont se lier d’une amitié forte et durable. Peu de mois passent au lycée avant que le

vieux dicton unis comme les doigts de la main ne soit remplacé par unis comme Amin et

Moktar.

Sur le terrain des affaires papa Sami est parfois en relation avec la famille de Mirna

qui entre autres commerces, importe et exporte des tapis. Les magnifiques tissages locaux et

celui de la Perse toute proche procurent des gains importants. Des mauvaises langues, il y en

a tant, racontent également que la petite banque privée possède des coffres qui seraient

alimentés par un système de vases communicants très particuliers : plus le hachisch sortirait

du Liban et plus les coffres seraient pleins…

Toujours plus recherchée dans les pays occidentaux, la drogue, pour son contrôle,

génère, à part de gros bénéfices, des rivalités dangereuses, souvent mortelles.

Quelques Juifs, de plus en plus rares, de ceux qui n’ont pas encore franchi le pas

pour rejoindre le tout proche Israël, fréquentent aussi le lycée Français. L’animosité entre ses

différents cercles, fort perceptible dans la société libanaise, semble absente entre les jeunes

lycéens qui, indifférents, à la politique tissent toujours des liens amicaux… pour combien de

temps encore ?

Gina ,la douce Gina, dont le souvenir plait à Moktar, puis Christine par la suite, bien

que plus pudiquement, n’ont pas seulement ouvert Moktar à l’histoire, la géographie, les

mathématiques en plus de l’ Italien et du Français, elles l’ont informé de bien des choses, de

celles que la société musulmane, et en fait de presque toutes les sociétés, répugne à enseigner.

Depuis des années déjà Moktar connaît l’anatomie féminine et est au courant des pratiques

des deux sexes dans leurs nécessités de plaisir et de reproduction.

Le jeune Palestinien rit des bêtises coutumières aux gamins de son âge et de leurs

évidentes vantardises, de leurs soit disant prouesses on ne peut plus farfelues.

« Les deux doigts de la main » s’invitent à tour de rôle fréquemment pour étudier

ensemble et parler… parler inlassablement.

Si Moktar est doué pour la gestion, l’organisation, les mathématiques ne

l’enchantent guère contrairement à Amin qui marque une impressionnante agilité dans la

manipulation des chiffres, des règles de trois et des premières équations, résolvant en un

instant, à la surprise de son professeur, les problèmes que tous ont bien du mal à élucider. Il

s’enorgueillit de son don comme un coq chantant, se voit déjà dépassant la fortune paternelle,

et de loin, à la tête pourquoi pas d’un empire financier. Internationalement connu, il se

déplacerait dans son avion privé… un vrai cinéma. La politique, la religion oui mais à son

avis, pas pour lui : ces deux mondes là sont manipulés par l’argent, ils servent

d’intermédiaires entre le pouvoir réel et la masse du commun des mortels. Hors, lui se sent

nettement au-dessus de tous ces « détails ».

Moktar étudie, facilement avec joie et toujours illumine autour de lui, il ne sait pas

exactement ce qu’il lui sera demandé un jour et à peine ne se pose la question. Réussir fut le

dernier souhait de son grand père adoptif, il est maintenant un Raj Sayhoum et s’applique à

l’ouvrage.

Au tout début, lors de sa fondation en 1906, le Lycée Français de Beyrouth

s’appelait Grand Lycée. C’était un austère quadrilatère de quatre étages rue de Damas qui,

avec l’aide d’un illustre francophile fortuné s’est agrandit en ouvrant une annexe : Raz

Beyrouth où Moktar et ses compagnons vont user leurs fonds de culottes. Cette annexe

deviendra plus tard « Le Petit Lycée » et par la suite encore « Le Lycée Verdun ».

En 1961 c’est l’inauguration du lycée de garçons bâtiment moderne de la rue

Rachid Karamé et c’est dans ces nouveaux locaux, plus fonctionnels que vont se poursuivre

les études de ces adolescents « privilégiés ».

Beaucoup plus facile maintenant pour Moktar qui n’a plus que quelques minutes de

marche à pied pour accomplir le trajet maison-école et retour. Amin Malouf, défavorisé par le

changement passe de plus en plus de temps chez les Raj Sayhoum et son regard s’attendrit

trop visiblement sur Laïna d’un an son aînée, belle adolescente qui rougit parfois troublée ;

mais maman Mirna veille et menace d’expulser un Amin faisant mine innocente mais qui va

s’efforcer désormais de mieux dissimuler son attirance.

Moktar trouve toujours un peu de temps pour jouer avec la cadette de la maisonnée.

Saha, recevant ainsi de son cousin plus de gentillesse que de ses propres frères et soeurs voit

son coeur de petite fille se remplir de bonheur. Elle aimera secrètement ce grand cousin au

sourire si beau, toute sa vie.

En septembre 1962, pour la rentrée en deuxième, on prend les mêmes et l’on

recommence… aucun n’a redoublé. Seul un nouvel arrivant dans la classe sera quelque peu

chahuté les premiers jours mais il va s’incorporer très vite.

Iziz Benarda, ne raconte à personne pourquoi son père, riche et autrefois considéré a

été discrètement expulsé du territoire Français, seules de hautes relations lui ont évité

l’humiliation d’un emprisonnement. Les déboires paternels lui ayant fait redoubler sa

troisième d’un prestigieux collège privé parisien, Iziz n’aura pas de difficulté en étude et celui

que tous vont surnommer « le Parigot » ne rêve que de politique, se prétendant socialiste,

prônant une plus juste répartition des richesses sur notre terre. Incompréhension et grogne de

papa Benarda : où donc son fils a-t-il péché des idées aussi biscornues ?

Début février 1963 Amed Hassan, quitte son Algérie natale. Ce pays fraîchement

libéré du joug Français, après une guerre longue et meurtrière envoie de part le monde des

émissaires diplomatiques et le père d’Amed est nommé premier consul à Beyrouth.

Le nouvel arrivé lui aussi se prétend socialiste, mais à la Russe, à peine dix sept ans

mais les idées déjà claires ; l’individu n’est rien, il doit se sacrifier pour le collectivisme ! Et

vive Marx, vive Trotski, paradoxalement il dissimule à peine son admiration pour celui qui

fut un des plus grands bienfaiteurs de l’humanité dit-il : un certain Adolf... Amed va se révéler

peu à peu. Calculateur, peu scrupuleux donnant promptement volte face en ses prises de parti

idéologico-politico-religieuses, la plus part des élèves le mépriseront rapidement.

Simon Lansky, lui, est en terminale et prépare son BAC avec acharnement. Il a pour

ambition de devenir chirurgien, son nez chaussé de lunettes à grosse monture se plonge déjà

souvent dans de volumineux traités de médecine. Son érudition en la matière surprend l’oncle

Abdullah l’une des rares fois où le jeune Juif est cordialement invité chez les Raj Sayhoum au

déjeuné.

Simon pense déjà à l’université de Tel Aviv ou de Jérusalem mais il ne restera pas en

Israël, le Canada où l’un des cousins germains de son père est installé l’attire, Juif d’accord

mais peu sioniste ; doté d’un caractère doux, peu guerrier, la situation de l’état Hébreu ne lui

parait pas pouvoir satisfaire à ses aspirations.

Papa Lansky s’appelle Eli. Artisan joaillier de renom à Beyrouth, il y monte les plus

belles parures du pays. Le père ne comprend pas que l’on ne puisse s’extasier devant les mille

feux d’un diamant et quand sa progéniture lui parle du Canada il tremble de froid évoquant

des neiges éternelles. En Hollande peut être, le climat est plus doux, et … l’on y taille de si

belles pièces !

Moktar, Amin, Amed, parfois Aziz, rarement Simon, refont le monde ; le sourire du

premier calme les ardeurs des autres qui parfois enveniment les conversations.

- Pensez d’abord à vos études, pour le monde on verra plus tard.

Beyrouth est une ville où tout se sait. Les infinités de races, de religions, de clans

politiques, de pôles économiques souvent radicalement opposés créent une situation quasi

d’espionite aiguë. Tout le monde parle, chuchote, rapporte ; papa Lansky remplit des petites

fiches sur toutes ses fréquentations, y comprises celles de son fils et transmet discrètement au

Mossad. Monsieur le premier consul d’Algérie est prié lui aussi de tout raconter et des

semblables notes, via Alger, sont transmises à Moscou. Petites informations qui, un jour peut

être, pourront se révéler utiles.

En juin 1964, quelques mois avant l’entrée en terminale, Moktar est invité chez

monsieur le premier consul d’Algérie et il fait excellente impression par la sagesse de ses

propos. On lui reproche, cependant avec modération, son manque d’animosité envers l’état d’

Israël. Mouna soeur aînée d’Amed a vingt deux ans. Par deux fois déjà elle a refusé de se

marier ; souvent déprimée elle menace son père d’un éventuel suicide si ce dernier insiste

dans un projet matrimonial.

Mouna regarde Moktar en dissimulant parfaitement le trouble qui l’envahit. Avec

d‘infinies précautions de part et d’autre, la jeune femme et l’adolescent vont se revoir et

s’aimer. Passionnément, découvrant tous deux des plaisirs qu’ils soupçonnaient depuis des

années déjà .Les fréquentes crises de nerfs et de larmes de Mouna s’estompent peu à peu,

moins violentes, moins douloureuses.

A personne, jamais elle n’a confessé ce viol, affreusement humiliant, subit autrefois à

Oran par deux légionnaires français. Pour la première fois elle parle, effondrée, à son tout

jeune amant qui, avec elle, est devenu homme. La douceur de cet adulte avant l’heure,

cicatrise une vilaine blessure. Les deux amants vont se revoir, réussissant l’exploit de ne pas

éveiller le moindre soupçon autour d’eux.

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De l’autre coté de la frontière, l’encombrant voisin, l’état d’Israël maintient

fermement le cap. La politique est délibérément expansionniste et il apparaît aux yeux de tous

que la possession des ressources en eau, qu’elles soient de surface ou phréatiques, est un des

facteurs important comme critère d’occupation ; malheureusement de grands travaux sont

prévus coté arabe pour la construction d’un barrage sur deux affluents du Jourdain. Un grand

canal alimentera un réseau de canaux d’irrigation qui permettra la fertilisation de tout un

territoire…..arabe ; avec comme désastreuse conséquence bien sur, moins du précieux liquide

disponible sur les terres juives. Ce canal va se convertir en ennemi n° 1 de Jérusalem.

Pour pouvoir arrêter le détournement des eaux grossissant le Jourdain, il va falloir

s’emparer du Golan, haut plateau dominant le fleuve et qui fait partie du territoire Syrien. Ce

sera, certes non officiellement, la raison principale du prochain conflit israélo-arabe. Le but

sera atteint, tout étant parfaitement planifié il ne manque qu’une raison officielle pour

attaquer.

Le 3 janvier 1965, l’assassinat par un groupe d’extrémistes juifs de Fawzi Yasma,

l’intendant des Lauriers et de Mohamed Muhair, le père du jeune adolescent qui autrefois

recueillit un bébé, fait chaudement pleurer Moktar. Il sèche ses larmes en une phrase qui

stupéfait son entourage, sans doute enseignée par sa tante Mirna.

- Mon dieu, pardonnez les, car ils ne savent pas ce qu’ils font.

Jamil Raj Sayhoum n’a pu fuir il y a cinq ans en compagnie de Rébecca, impossible

pour lui de se procurer un passeport, pire encore, sa bien aimée juive a disparue,

probablement raptée par sa propre famille et séquestrée on ne sait où. Honte d’une telle

mésalliance ; comment a-t-elle pu oser l’infamie de se souiller dans une relation avec un

musulman. Les larmes ont longtemps ravagé le visage du Palestinien et l’amertume a gagné

son esprit, effaçant l’amour de son coeur. Pire, la haine est arrivée avec ce double assassinat et

le lendemain même des funérailles il s’enfuit des Lauriers pour rejoindre Yasser Arafat dans

les rangs de la résistance. L’OLP vient de faire une recrue de choix !

Cette haine ne semble pas avoir de prise sur Moktar et pourtant pour la première fois

les Lauriers sont touchés de plein fouet. Les dirigeants Sionistes conscients de l’impair vont

sévir, impliquer difficilement que cela ne se reproduise plus. Hélas, Jérusalem a du mal pour

contrôler les plus fanatiques en fermant presque systématiquement les yeux sur des exactions

qui, bien entendu, toujours contribuent à agrandir le territoire sous la bannière de l’ Etoile de

David.

Avec méthode et obstination, les colons juifs poursuivent leurs implantations et,

miracle, presque instantanément le désert encore et toujours est repoussé, il laisse place à

des milliers d’hectares d’arbres fruitiers, des agrumes pour la plus grandes part. Israël va

d’ailleurs en devenir l’un des premiers exportateurs au monde.

Toute velléité de rébellion ou de simple résistance seulement est immédiatement

réprimée, sévèrement, pratiquement toujours avec une extrême violence. Questionné par

beaucoup à Beyrouth sur ce problème, Moktar prône toujours le dialogue, la tête si pleine des

discours de sagesse et d’apaisement de son vénérable grand père adoptif.

Les terres de Raj Sayhoum provoquent la convoitise, comment ne pas attaquer ceux

qui certainement ne se défendront même pas ! De fait, à part quelques vieilles pétoires qui

servent de fusils de chasse, aucune arme ne souille l’enceinte des Lauriers.

De grands travaux de détournement du Jourdain commencent aussi dans le nord- est

Israélien, il faut irriguer les terres que Yahvé à procuré si généreusement.

Quelle réponse peut-on donner quand un homme prétend parler au nom de son

Dieu ? Impossible de dialoguer surtout si l’argument verbal est donné fermement, sous la

menace d’une mitraillette ! Les rares palestiniens non encore révoltés le deviennent et

s’enragent, on leur vole tout, la terre et l’eau maintenant.

Au Lycée, la haine s’est bien infiltrée, elle est présente, ouvertement, les plaisanteries

de naguère font place aux insultes et les professeurs ont bien du mal à contenir les élèves

divisés en clans hostiles.

L’année scolaire 64,65 se termine puis 65,66 sans aggravation mais hélas sans

aucune amélioration non plus pour la société libanaise. Moktar « réussit » son BAC avec

mention bien et obtient avec l’appui du directeur du Lycée une bourse d’étude pour

poursuivre, s’il il le désire, ses études dans une université française de son choix, en

Métropole…

C’est la joie dans toute la famille, seule la jeune Saha pleure à la pensée de ne

plus revoir Moktar.

Amin Malouf se laisse souvent aller à des propos véhéments contre les

Palestiniens puis, confus, s’excuse auprès de son ami toujours souriant. Cela fait cinq ans

qu’ils sont côte à côte et Amin insiste pour que son père le laisse lui aussi partir à Paris. Papa

va accepter surtout par soucis d’éloigner son fils d’un pays en pleine déconfiture, en prise à

l’imminence d’une guerre civile annoncée. Et pourtant les affaires restent fleurissantes !

Iziz, sans difficulté lui aussi obtient son BAC, il va s’inscrire à la Fac de Lettres

de Beyrouth où rapidement il séchera ses cours. En peu de mois il va suivre son père dans les

rouages compliqués de ses opaques affaires. Armes, drogues, trafics en tout genre, Monsieur

Benarda parait enfin fier de sa progéniture, se promettant d’en faire un homme et pourquoi

pas, un grand politicien ?

Amed Assan veut étudier le droit international et, avec le piston de son consul de

père, s’inscrit à l’Université Patrice Lumumba de Moscou où il tombe illico dans les griffes

redoutables du KGB. Jamais au grand jamais il n’a supposé la liaison de sa soeur avec Moktar

et gardant son amitié au Palestinien il lui enverra de longues lettres enthousiastes, racontant

sa nouvelle vie, sa découverte émerveillée du bloc Soviétique Socialiste.

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Paperasse, éternelle paperasse, un important problème surgit. Pour entrer en

France il faut à Moktar un passeport or, jusqu’à aujourd’hui, il n’est titulaire que d’un sauf

conduit permettant de croiser la frontière Libano - Israélienne et d’un vague document

d’identité établi par le département des Affaires Palestiniennes de Tel - Aviv

Au poste de passage frontalier, sur la petite route qui borde la Méditerranée à

quelques kilomètres du rivage, tous les matins, une file interminable de Palestiniens, pour la

plupart des personnes âgées, des femmes et des enfants, se forme en espérant la chance de

pouvoir passer.

A la queue leu-leu, muni de tous les documents nécessaires avec un soleil qui

monte rapidement, les pauvres gens attendent sous les quolibets presque injurieux des soldats

sionistes fortement armés ; fouillés et contrôlés maintes et maintes fois ils prennent leur mal

en patience pour quelques fois être refoulés après de longues heures et sans aucune

explication.

Haniqra, nom du poste de frontière, est toujours prévenu d’un passage particulier et

c’est le cas de Moktar. Une exception faite pour un Raj Sayhoum qui laisse le jeune homme

presque honteux de ne pas devoir attendre comme les autres. Il passe rapidement en

prodiguant des mots d’encouragements et quelques gentillesses à ses compatriotes moins

fortunés.

C’est le 13 juillet que Moktar entre en territoire Israélien, la voiture du Check

Antar vient le chercher mais il lui faudra tout de même plus de quatre heures pour parcourir

les cinquante kilomètres qui séparent Haniqra jusqu’au pied du Mont Carmel où se situe la

propriété des Lauriers. Huit contrôles militaires font évidement « chuter la moyenne ».

Toute la maisonnée est en fête pour le retour du fils prodige, tous le félicitent pour

sa réussite et Laïla sa mère de lait pleure de bonheur et pourtant…

Et pourtant quelque chose à changé, l’esprit n’est plus aussi avenant, aussi ouvert,

le visage d’Antar, chef de clan, s’est profondément ridé en peu de temps le vieillissant

considérablement, il n’a que 55 ans.

La rancoeur et la haine ont fait leurs premiers pas maléfiques sur cette terre

autrefois si paisible. Moktar parle, encourage, console, sans pouvoir faire oublier l’assassinat

de Fawzi et de Mohamed ni le départ de Jamil dont on est sans nouvelles. Tous aux Lauriers

hochent la tête, sensibles au si beau sourire, au ton modéré mais les yeux deviennent fuyants,

personne ne parait réellement convaincu par de si bonnes paroles.

Amed Muhair qui recueillit, il y a déjà bien longtemps, un bébé dans la vieille

ville, a trente trois ans maintenant, il est marié et père de quatre enfants, trois filles et un

garçon, il s’efforce de s’accrocher à cette terre qu’il aime. L’homme veut rejoindre le FATA

discrètement mais il a peur d’abandonner sa famille et de trahir un très vieux secret, celui de

la naissance de Moktar.

Ce dernier va maintenant contacter la police, le bureau des Affaires Palestiniennes,

l’armée même, puis demander une entrevue avec le Maire de Haïfa pour se procurer un

passeport. En vain, il n’est pas Israélien, il n’est pas reconnu comme citoyen à part entière du

pays qui l’a vu naître.

Contrarié, le jeune homme se dit qu’à Beyrouth, avec un coup de pouce de tonton

et probablement quelques substantiels bakchichs tout sera possible. Après tout il n’est pas

déshonorant de devenir citoyen Libanais.

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Chapitre Trois «Ours boiteux »

Inaccoutumé en cette date du 13 juillet 1965, il gèle dans le port

Soviétique d’ Okhotsk, évidement nous sommes en Sibérie, plus au Nord que Vladivostok,

importante base de la formidable flotte de guerre rouge, celle du Pacifique.

Cet emplacement, loin des yeux Américains stationnés au Japon et en Corée du Sud,

pas trop près de la millénaire et fourmillante Chine, est un port bien abrité où se chargent

discrètement, sur des navires spécialement équipés, les toujours plus modernes missiles MERSOL.

Le capitaine Sergeï Mallienko ne porte guerre son nom, un colosse de près de deux

mètres ayant pour patronyme « petit », cela peut prêter à rire mais sa réputation d’ours mal

léché n’encourage pas la plaisanterie. Pourtant c’est avec bonne humeur, et surtout, hors des

heures de service, que ce joyeux fêtard sourit à l’épelé de « tout petit » qui est devenu son

surnom.

L’officier est mal chaussé pour ce gel inattendu et la glissade accompagnée d’un

sinistre craquement va une fois de plus changer son existence. Mal opéré par un toubib peu

compétent car trop inexpérimenté, notre homme va pour toujours recevoir le discriminatoire

qualificatif « d’Ours boiteux ».

- Quel crétin j’ai été toute ma vie !

Avec un père officier supérieur du terrible GRU, service de contre espionnage

militaire de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, dès l’âge de douze ans, il s’est

vu placé dans un prestigieux institut militaire Moscovite.

Brillant, parmi les meilleurs de sa promotion à l’académie formant les officiers

Sergeï choisit, seuls les premiers en ont la possibilité, une unité de parachutistes, il aime le

sport et les avions et papa est très, très puissant. En 1951, fraîchement promu lieutenant et fier

des deux gallons flambants neufs sur ses épaulettes, il obtient une première affectation dans

une unité basée en Allemagne de l’Est près de Leipzig.

Papa est très, très content mais deux ans plus tard il appelle Sergeï pour travailler

« plus près de lui » avec déjà le grade de Capitaine !

-Quel crétin j’ai été.

Premier refus d’obtempérer et bien sur, colossale erreur ; de plus le « tout petit »

s’amourache d’une belle serveuse du mess-officier. Irvana fille d’un simple sergent de

carrière affecté à un obscur service de traduction Russo-allemand.

Le lieutenant se marie en 1954 à la fureur de papa qui, pour une fois n’ose rien faire

car il sait qu’avant les neuf mois réglementaires un petit fils viendra.

La joie des parents ne peut effacer la désillusion de l’exil, une semaine jour pour jour

après la naissance de Tatiana l’ordre de mutation tombe comme un couperet : direction

Okhotsch... en Sibérie !

Fini les sauts en parachute, fini les cours d’Allemand, fini le solde supplémentaire

d’expatrié, doucement, tout doucement le colosse se prend réellement à caresser la dive

bouteille. Ah bien sur… pas de troisième gallon sur les épaulettes, il va falloir attendre encore

quelques longues années pour le faire coudre.

Sa femme s’ennuie désespérément, peu d’amies pour papoter pendant les interminables

hivers, dans un logement minuscule et mal chauffé (mais heureusement non partagé avec

d’autres familles comme c’est si souvent le cas dans tout le pays).

A mille cinq cents kilomètres au Sud, la Chine lentement s’éveille au modernisme, elle

aussi accède à l’arme nucléaire, et ces voisins, soit disant frères dans l’international rouge font

l’objet de bien des discussions. Communistes eux aussi donc théoriquement amis, ils restent

au centre de toutes les manoeuvres militaires qui ont pour unique objectif de les repousser

éventuellement. Ils sont encore mal équipés les « Frères la Jaunisse », mais quelle horde,

quelle nuée en cas d’invasion. Heureusement qu’ils sont bien occupés en aidant massivement

les combattants Viêt-Cong en guerre dans l’Indochine Française. Ces derniers aussi sont

appelés terroristes ou rebelles car c’est apparemment l’évidence que de part ce monde l’on ne

peu prendre les armes contre celui qui vous étrangle.

En Mai 1962, enfin capitaine, alors que ses amis de promotion, le sont certainement

depuis plusieurs années déjà, Sergeï écrit à son père, il est sans nouvelle de lui et aussi

surtout pour demander une éventuelle mutation qui le rapprocherait de la famille,

quémandant presque le pardon d’une faute attribuée à sa jeunesse, à son amour. Il en a marre

aussi, du travail monotone qu’il accomplit.

Le capitaine vient de suivre un cours spécial pour la manipulation des charges

nucléaires et il coordonne les opérations d’embarquement des missiles. En plein centre du

territoire Soviétique les essais atomiques sont fréquents, sans même prévenir des populations

qui seront fortement irradiées par les mortelles retombées et peu importe aussi pour les idiots

qui regardaient dans la mauvaise direction, ils n’avaient qu’à tourner la tête pour ne pas

devenir aveugles ! Il faut coûte que coûte se maintenir à la hauteur des Américains, en

diminuant le poids des bombes et en augmentant leurs puissances.

La famille Mallienko s’est agrandit d’un petit garçon : Basile, mais le grand père reste

inflexible, la supplique de son fils ne change rien ; il va falloir encore de longues années avant

que le général du GRU prenne un peu de pitié pour son fils.

Ce n’est que le soir, dans l’intimité de sa datcha d’un quartier hautement résidentiel de

Moscou, que grand père Mallienko pleure sans bruit (à cause des micros), sur le sort de sa

progéniture. Son entourage est tellement inhumain que toujours la peur de laisser apparaître la

moindre trace de faiblesse a rendu ses yeux froids, inexpressifs ; dans son coeur qui se veut

dur comme pierre, une toute petite étincelle subsiste, heureusement bien dissimulée. Il ne doit

être qu’une machine, au service du pays, au service du parti.

Une seule marque de tendresse rabaisserait le général aux yeux des rares grands

personnages qui peuvent encore lui donner des ordres ; le ministre de l’intérieur avec qui il a

une fois par jour, immuablement rendez vous à onze heures du matin. Pour des nécessités de

coordination le redoutable Andropov, chef du KGB se joint parfois au duo, et il n’est pas rare

enfin, que les deux sommets de l’état, Léonide Brejnev, président du Soviet suprême et

Nikita Kroutchov lui même donnent directement leurs opinions donc leurs ordres. Difficile de

discuter avec ces deux derniers.

- Quel crétin je suis !

Le capitaine Mallienko pense à son père.

- Quelle aurait été ma vie si… Si j’avais accepté ? Probablement un autre

type d’enfer. Mais je pense et penser c’est déjà désobéir un peu à la règle, au dogme ;

communisme de merde !

Combien papa a-t-il de morts sur la conscience, mais en vérité possède-til

une conscience qui lui soit propre ? Combien de misérables déportés dans les innombrables

goulags, camps qui n’ont presque rien à envier à ceux des nazis. Fascisme ou communisme,

l’homme est pareillement broyé, avec la même cruauté. Que de fourberies aurais je du faire

pour rester à la tête d’une semblable abomination ?

Et Sergeï pense, et Sergeï boit.

Que se passe- t-il dans le monde occidental ? Pourquoi tant de gens meurent dans une

vaine tentative de fuir le sol communiste ?

Lors de sa première affectation, malgré le musellement de la presse tous les

Allemands rêvaient de s’enfuir et l’on parlait d’un mur pour les en empêcher. Finalement, ils

l’ont construite leur barrière de la honte, pour que l’on ne puisse plus quitter le paradis

terrestre !

- Aurais-je un jour l’opportunité de fuir ?

Sergeï rêve. Comment peut-il avoir cette chance ?

-Premièrement arrête de biberonner !

Etre plus conscient, plus lucide, échafauder un plan, pas un mot bien sur, pas un petit

détail de son comportement ne doit trahir sa pensée y compris à son épouse qui se fane à ses

coté.

Dans le bloc Soviétique, tout le monde espionne tout le monde, la moindre anomalie,

(ou seulement supposée) est rapportée quel que soit le recoin perdu de l’immense territoire

des Soviets et des Républiques annexées. En comptabilisant les populations des pays frères,

comme l’Allemagne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, Bulgarie etc.… on peut totaliser trois

cent vingt millions d’individus potentiellement « déportables ». La machine à broyer l’homme

est bien huilée, bien rodée. Le colosse « Ours Boiteux » va vaincre une redoutable maladie

qui aurait pu l’emporté, l’alcoolisme ne peut lui procurer qu’une évasion éphémère, la

sobriété et la patience lui fourniront l’opportunité de fuir l’enfer des Rouges.

Irvina Mallienko elle aussi rêve d’évasion dans le minuscule appartement

généreusement octroyé par l’administration militaire. L’haleine chargée d’alcool de son

colosse de mari la dégoûte. Doucement la femme de l’officier sombre dans la folie pensant

constamment à la mort.

Sa fille Tatiana à l’école et son fils Basile confié pour quelques Roubles -non déclarésà

une voisine mère de famille nombreuse, la femme parle seule, envoyant en songe ses enfants

à l’ Université de Moscou, ville qu’elle ne connaît pas mais suppose certainement

merveilleuse, projets utopiques avec à portée de main une flopée de pilules, médicaments qui

la rapprochent peu à peu mais sûrement de l’asile psychiatrique.

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Chapitre Quatre « En France »

La valise est énorme, plus un sac en bandoulière, un beau passeport Libanais tout

neuf, dûment pourvu du réglementaire visa d’entrée, (les amis du professeur Raj Sayhoum ont

fait vite) plus heureux qu’il ne l’a jamais été, Moktar foule pour la première fois le sol de

l’Hexagone à Orly d’où il s’envole à peine deux heures plus tard pour Lyon Bron.

Christine qui s’est si bien occupée de lui quelques années auparavant, lui a trouvé

un modeste studio, toilettes à l’étage, au sixième sans ascenseur ; l’un de ces minuscules

appartements aménagés dans d’anciennes chambres de bonnes des immeubles bourgeois des

18 et 19 ème siècles. Haut perché mais centrique, tout près de la gare de Perrache, l’endroit

est idéal pour étudier tranquillement. Le jeune palestinien se promet de mettre les bouchées

doubles, non… triples.

Quelques jours après son anniversaire, il est né officiellement le 19 novembre 1947,

il s’inscrit dans une auto école et passera avec succès deux mois plus tard son permis de

conduire.

Son programme d’étude est simple, d’un côté l’université de sciences économiques,

de l’autre les cours de préparation aux grandes écoles, au lycée Ampère. En marche forcée

pour HEC, à aucun moment Moktar ne doute de son futur succès.

Comme si tout cela ne suffisait pas il va falloir mettre encore plus de pain sur la

planche et, promu conducteur d’automobile depuis très peu de temps seulement, il vise plus

haut, littéralement beaucoup plus haut, en s’inscrivant cette fois, après une obligatoire visite

médicale, pour des cours de pilotage à l’ Aéro-club du Rhône et du Sud Est. Tout reste en

famille puisque Christine est déjà titulaire de plusieurs brevets et Jean son mari exerce au club

son métier-passion : la mécanique avion.

Moktar Raj Sayhoum découvre avec grand peine une face insoupçonnée de la vie en

France : un racisme qui n’ose pas s’avouer mais en fait est omniprésent. L’Arabe est mal

traité : la plus part des Français remplacent le mot lui-même par bic, bicot, crouille, arbit,

melon, bougnoul et d’autres encore tous aussi méprisants les uns que les autres ! Hélas, trois

fois hélas l’antisémitisme lui aussi peine à se dissimuler, il parait ineffaçable et Moktar se

souvient des moments horribles de l’occupation germanique qu’on lui a parfois racontés.

Petite désillusion qui heureusement affecte peu notre récent ressortissant du Liban, de plus les

Français paraissent aussi peu doués en géographie qu’ils n’associent pas toujours ce pays

avec une terre arabe, incroyable mais vrai !

De toutes manières, le sourire, le grand, le beau, ne s’efface pas et, ici comme ailleurs,

quand le ton monte lors d’une discussion politique, il apaise encore les esprits échauffés. Et

puis… très vite Moktar plait beaucoup à maintes demoiselles qui toutes vont déchanter

rapidement, lassées d’être trop délaissées. Le beau jeune homme a vraiment peu de temps à

leurs consacrer

Pendant sa période du Lycée de Beyrouth, le jeune Palestinien a un peu étudié l’oeuvre

de Saint-Exupéry, coïncidence aujourd’hui il habite à un petit quart d’heure à pied de la

maison natale de l’écrivain trop tôt disparu. Encore un aviateur ! Et Saint-Ex rejoint Khalil

Gibran parmi les livres de chevet, le Petit Prince s’appuyant sur le Jardin du Prophète.

Décidément, Moktar va de bonheur en bonheur, en cette trêve scolaire de fin d’année

il a le plaisir de découvrir le Nord de l’Italie et les mots presque naturellement sont revenus

dans sa bouche pour exprimer sa joie quand Gina, sa Gina, l’a appelé « Bambino » après tant

d’années ; merveilleuse et ho combien émotionnante semaine à Alessandria.

Studieux, les mois s’écoulent trop vite et c’est le retour en Israël. Le 4 Juillet 1966, au

sortir de la passerelle de l’avion, deux policiers retirent le passeport de Moktar et plusieurs

heures de palabres, de nombreux coups de téléphone n’y feront rien, astreint à résidence aux

Lauriers le jeune homme est prié de se présenter quotidiennement à un poste militaire tout

proche où il devra chaque fois attendre parfois plusieurs heures pour pouvoir regagner le

domaine. Pourquoi ? Jusqu’à quand ?

Jamais un mot d’explication n’est fourni.

- Mon Dieu, Allah, qui que tu sois, où que tu sois, je n’ai pas pour habitude de

te demander une faveur, moi qui suis si privilégié, mais que je retourne en France est en ton

pouvoir…s’il te plait, s’il te plait !

Antar Ray Sayhoum, parle longuement à son fils, lui expliquant en détail ce que la

famille attend de lui, ce que la Palestine entière attend de lui. Il faudra éviter les pièges tendus

par les hommes politiques de tous les partis confondus, tous plus ou moins corrompu,

beaucoup servant secrètement Israël en trahissant une cause qu’ils clament pourtant haut et

fort. Il faudra savoir éviter les mouvements islamiques qui patiemment jettent de l’huile sur

tous les foyers de litiges, de combats. Et enfin se tenir à l’écart des nombreuses factions

« terroristes » qui à connaître un compatriote riche donc potentiellement puissant ne vont

manquer de le contacter, de le ponctionner si possible et probablement de le menacer.

-Ta mission mon fils est de bâtir une fortune. Un jour notre Pays existera,

souverain, indépendant.

-Mais enfin père, je n’ai que dix neuf ans, serais-je capable d’un tel effort ?

Puis-je aujourd’hui faire une telle promesse ?

-Ton noble grand père, qui sûrement se repose auprès d’Allah, était persuadé

de ta réussite et c’était un homme de grand jugement, pratiquement clairvoyant. Alors ne

doute pas, fils, ne doute pas.

Ce n’est qu’avec l’intervention de Madame Golda Meier elle même que sera rendu le

passeport de Moktar ainsi que tous les autres documents confisqués ; carte de séjour en

France, carte d’étudient, permis de conduire et brevet élémentaire de pilotage. Une fiche de

renseignement complète, très détaillée avec photo et empreinte digitales va compléter les

innombrables fichiers du Mossad avec une terrible appréciation : Personne très intelligente et

potentiellement dangereuse. Une enquête plus approfondie s’initie pour répondre à la

question : OUI ou NON ce jeune homme peut- il constituer une menace pour Israël ?

Fin septembre 1966 dans un vol Tel-Aviv Paris d’ EL AL le beau sourire de la

Palestine s’effacerait probablement s’il apprenait que plus jamais il n’allait revoir sa terre

natale.

En Mai 1967, contre l’avis de ses professeurs Moktar Raj Sayhoum se présente au

concours d’entrée H.E.C et il sera recalé, ne pouvant imaginer que seules ses origines arabes

ont motivé la sentence des examinateurs !...

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En Israël, comme à l’habitude, c’est la crise. Menacé par un blocus arabe et se

sentant pris en tenaille entre la Syrie au Nord et l’ Egypte qui fait progresser ses blindés au

sud en traversant le désert du Sinaï, Sion avec son armée puissante et motivée attaque le 5 juin

dans toutes les directions simultanément.

En six jours et sur tous les fronts les Arabes vont être défaits et humiliés.

Au Sud le général Moshe Dayan balaye les tanks ennemis, il parvient facilement sur

la rive droite du Canal de Suez puis le franchi sans même l’autorisation de son

gouvernement : il est près à prendre le Caire. Il va à contre coeur obéir aux ordres et se replier

mais le Sinaï restera sous control Israélien dorénavant.

Au Nord, nous l’avons déjà vu, le plan est étudié depuis longtemps. Le Golan est

envahi, systématiquement va commencer le gommage de toutes traces de civilisations nonjuives.

D’importants sites archéologiques, restes de cultures millénaires sont effacés, rasés à

grands coups de bulldozer.

Ici la terre fut, est, et restera pour toujours JUIVE. Qu’on se le dise !

En seulement deux jours la Cisjordanie est occupée ainsi que Jérusalem- Est. En face

du Mur des Lamentations, qui n’était accessible que par une petite rue, cent cinquante

maisons sont vidées de leurs habitants sous prétexte d’un « control » et immédiatement rasées

pour former un vaste quadrilatère où la foule juive pourra enfin venir prier. Aucun arabe n’a

pu emporter le moindre effet personnel, ni même le plus petit vêtement.

A l’est, coté méditerranéen, la bande de Gaza également est annexée avec ce qui

deviendra la plus importante réserve d’eau souterraine du pays. Aucune discussion ne sera

possible avec la Syrie vaincue qui se voit amputée d’une vaste extension de terres, soit

environ 1250 km2. Les Nations Unis voteront une résolution de restitution de tous les

territoires conquis par les armes … jamais appliquée.

A partir de 1981, de région occupée, les hauts plateaux dominants le Jourdain seront

désormais mentionnés comme partie intégrante du territoire Israélien et les petits enfants, à

l’école, apprendront le nouveau tracé de la frontière qui les sépare des pays voisins et ennemis

du Nord.

L’eau est bien à nous ; merci pour ta grandeur, merci de si bien servir ton peuple, merci

Yahvé.

Cette victoire éclair de la guerre des six jours marquera le monde Arabe à tout jamais.

Aucune attaque frontale avec un ennemi si puissant ne sera désormais envisageable. Peut être

que la principale raison de la défaite d’une puissante coalition face à un adversaire très

inférieur en nombre n’a, en fait, jamais été révélée, sauf plus tard par quelques historiens qui

ont émis une intéressante hypothèse. En tout cas jamais cela ne sera jamais officiellement

confirmer par les dirigeants de Jérusalem…...

Israël, avec l’aide de l’oncle Sam aurait été doté de l’arme nucléaire. Le Caire va être

directement informé qu’à défaut de reculer devant les attaques terrestres, une « bombette »

pourrait être lâchée sur le barrage d’Assouan… Conséquences inimaginables pour l’Egypte

qui, perdant contenance, va être défaite. Goliath est de nouveau abattu par David.

Bluff ou réalité en 1967 ? Le monde entier apprendra plus tard que la nation de Sion est

réellement devenue puissance nucléaire.

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Le monde entier retient son souffle, que Diable se passe- t-il en France en ce beau

mois de Mai 1968 ?

Pour ceux qui connaissent bien le langage de l’Hexagone une expression est

significative : « Ras le bol ».

Ras le bol de tous les jeunes en fait ; qu’ils soient étudiants ou travailleurs, ils n’ont

pas le droit à la parole donc évidemment ils ne sont pas écoutés, sous-citoyens n’ayant pas

non plus le droit de voter avant l’âge de 21 ans, celui de la majorité. Ah, part contre, pour

aller mourir en Algérie les « petits jeunes » étaient suffisamment grands, et pour encore

donner gratuitement douze mois de leur vie à l’armée, où le respect de l’individu n’est pas

précisément un point fort, il ne faut pas rechigner non plus.

Ras le bol du monde ouvrier qui doit n’obéir qu’à une seule consigne : produis et taistoi

transcrit en une formule qui restera gravée pour toujours dans la culture populaire

française : métro-bouleau-dodo. Les usines débrayent, sans mot d’ordre des syndicats

débordés et furieux. Quant ces derniers vont reprendre la main sur leurs troupes, les étudiants

vont se retrouver bien seuls, déçus mais finalement une toute petite minorité d’entres eux est

issue de la classe ouvrière et l’entente était impossible.

Le monde entier retient son souffle. Les Français vont-ils récidiver comme en 1789 ?

Une nouvelle révolution est-elle en marche ? Des barricades s’élèvent mais fort

heureusement les tragédies d’antan ne se répètent point et il n’y aura pas de Gavroche pour

tomber par terre.

L’on interroge fréquemment Moktar sur les événements et la réponse est simple,

immuable.

- Imagine mon ami, que tu étudies au Liban. Crois-tu que les Libanais te

permettraient de te mêler de leurs oignons ? Non je ne veux ni juger ni prendre

parti, ni même critiquer un pays qui m’a donné l’hospitalité. Je ne désire

qu’une chose, que votre si belle France, que j’aime, sorte au plus vite de la

situation actuelle et que le calme revienne avec une population contente,

tranquille.

Une gentille flatterie accompagnée d’un beau et grand sourire et… c’est magique.

Moktar infatigable bosse… et bosse encore. C’est dans une période de pagaille

scolaire impressionnante qu’il obtient cette fois ci son nirvana : H E C lui ouvrira ses portes

en octobre.

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Juste au Sud de Haïfa, sur les flancs ouest du Mont Carmel qui se prolonge en

petites collines vers la « Grande Bleue », les Lauriers sont désormais entièrement isolés, puis,

un funeste jour, les premières roquettes sont lancées par des colons extrémistes juifs qui

bravent une fois de plus les ordres venus de Jérusalem.

Le téléphone est coupé puis, peu après, c’est au tour de l’électricité de ne plus être

administrée. Les émissions de la radio sont brouillées et bientôt, à court de carburant pour

l’alimentation d’un faible groupe électrogène les habitants du domaine baissent les bras…

Un grand drap blanc est hissé sur un mât hâtivement dressé et cinquante six hommes

et femmes de tous âges accompagnés d’une trentaine d’enfants sortent en pleurant leur

misère, à pied, n’emportant avec eux que quelques valises qu’ils ont bien du mal à porter.

Les colons vociférant, dont certains se retiennent à grand peine de mitrailler, se

ruent sur leur nouvelle possession, remerciant une fois de plus, haut et fort, Yahvé pour sa

grande générosité.

Le 4 Août 1968, après un peu moins d’un mois de siège, les Lauriers n’existent plus.

L’Etoile de David remplace aussitôt le drapeau blanc, la gomme à effacer se met en marche

immédiatement sans épargner le tranquille petit cimetière. Le chef de clan, n’est plus que

l’ombre de lui-même. Antar est, avec son épouse et seulement deux fidèles serviteurs, exilé

en Egypte qui met à sa disposition une minuscule propriété de l’état à Sidi Barran à plus de

400 km dans l’ouest de la capitale du pays. Un maigre subside leur est attribué. Tous les

autres du clan sont expédiés vers un Liban mécontent, déjà submergé ; ils vont grossir les

rangs des innombrables réfugiés à perpétuité, dans deux camps de la banlieue Sud de

Beyrouth.

Quelques constructions hâtives abritent désormais les nouveaux venus, plongés dans un

monde de violences infernales où les armes ne cessent de parler. Ce groupe de pacifistes est

jeté en pâture à la haine, à la vengeance ; « ceux des Lauriers » sont traités de lâches. Les

enfants sont tiraillés entre les discours d’apaisement de leurs parents et les appels à la violence

de tous les autres sans exception... Ils vont peu à peu oublier les résolutions passées et glisser

vers la mouvance des nombreux groupes armés qui prônent la destruction d’Israël.

Moktar pleure abondamment sur le sort de tous ceux qui ont fait le bonheur de son

enfance, sur les paysages qu’il ne rêvera plus. Il passe de tristes vacances à Beyrouth en

aidant de son mieux avec son oncle sa tante et ses cousins à l’installation des réfugiés.

Moktar pleure ; puis lentement, repensant au Vénérable Abdelkader et à son père Antar

désormais exilé, qui lui confièrent une tache ardue mais également en prévoyant un futur

lointain plein de réussite, il reprend espoir et retrouve le sourire. Son sourire qui se doit

d’aller conquérir Paris.

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En Mars 1969, à vingt et un ans passés, Yasmina, fille de Laïla et soeur de

lait de Moktar arrête ses études d’infirmière et se marie avec Omar. C’est par amour que cette

union s’est faite et non par arrangements parentaux comme il est encore souvent coutume.

L’homme à dix huit ans de plus qu’elle mais il est d’un naturel jeune et le parait aussi

physiquement.

Drame et beaucoup de chagrin quand au cinquième mois de sa grossesse, Yasmina

perd son bébé. Pire encore, opérée d’urgence à la suite d’une forte fièvre quelques jours après

sa fausse couche, la jeune femme est informée que plus jamais elle ne pourra concevoir la vie.

En Egypte, Antar affaibli, plus par les tourments que par l’âge, réclame de l’aide et

le couple Yasmina Omar décide de rejoindre le chef de clan après avoir obtenu les documents

et visas nécessaires des autorités libanaises. C’est une fois de plus la notoriété du professeur

Raj Sayhoum qui va faciliter toutes les démarches administratives.

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Chapitre V Paris

C’est en fait à Versailles que Moktar va s’installer pour plus de quatre ans dont trois

consacrés à H E C qui n’est qu’à une dizaine de kilomètres de son nouveau domicile. Trop

loin pour envisager la marche à pied, et les transports en commun lui prennent plus d’une

demi-heure dans le meilleur des cas car il lui faut changer d’autobus.

En plus de la bourse d’étude allouée par l’état français, le jeune palestinien reçoit un

pécule de mille Francs versé mensuellement sur son compte du Crédit Lyonnais, cela suffit

largement pour faire même quelques petites économies et acheter sa première voiture,

d’occasion bien sur, heureusement la Peugeot 404 se révélera une excellente mécanique qui

ne va jamais lui poser le moindre problème.

La vie parisienne ? Très peu, à peine le temps pour une photo au pied de la Tour

Eiffel et de parcourir une petite fraction des innombrables couloirs du Louvre. Quelques sauts

de temps en temps à Paris grâce au RER et au Métro et la joie, le grand plaisir de revoir son

ami du Lycée Français de Beyrouth.

Amin Malouf délaisse ses études , il sèche trop souvent ses cours à l’université de la

Sorbonne et passe le plus clair de son temps dans le minuscule restaurant libanais tenu par

l’un de ses cousins germains dans le quartier Latin.

Le mode de vie Français déçoit Amin, il a beaucoup de mal à supporter le racisme

incessant qu’il voit autour de lui et de tous les arabes. Le compagnon d’études d’autrefois si

gai, si volubile, plein d’entrain, est devenu peu bavard, taciturne ; il apaise sa souffrance et sa

colère avec l’aide considérable de la Régie Française des Tabacs. Deux paquets de Gitanes lui

sont maintenant nécessaires tous les jours.

-Ce n’est pas grave, mon frère, c’est des « filtres ».

Sans cesse Amin appelle son père pour lui demander de le rapatrier ; exaspéré,

enfin papa Malouf va céder en mars 1972.

Moktar accompagne son ami redevenu joyeux à l’aéroport d’Orly. Il retourne à sa

voiture garée dans l’immense parking avec dans sa tête la nostalgie de tous les siens, lui aussi

se serait envolé aujourd’hui avec grand plaisir.

Tout à coté de sa 404 un homme d’une quarantaine d’années éprouve quelques

difficultés pour monter dans une Mercedes blanche. L’homme est grand, paraît sportif et

dissimule mal un visage dur derrière des lunettes de soleil grandes et très foncées. Un plâtre

immobilise sa cheville gauche et l’une de ses béquilles vient de tomber. Il se penche, mal à

l’aise pour la ramasser, Moktar est plus rapide.

-Merci.

-Il n’y a pas de quoi.

Brève rencontre aussitôt oubliée.

Moins d’une semaine plus tard, Moktar se rend sur le petit aérodrome de Toussus le

Noble à quelques kilomètres de Versailles. Depuis cinq mois déjà il perfectionne son pilotage

sur différents types de petits avions mono et bimoteurs et s’initie aux difficultés du vol

nocturne.

Alors qu’il roule à faible vitesse, il dépasse une Mercedes blanche rangée sur le bas

coté de la route, un pneu arrière visiblement crevé ; le conducteur, assez grand, lève le capot.

Un détail fait freiner Moktar trop brusquement en provoquant la grogne de quelques autres

automobilistes. L’homme a le pied gauche engoncé d’un gros plâtre. Avec u n grand sourire il

tend franchement la main.

-Content de vous revoir, vous avez décidé de devenir mon ange gardien ?

Monsieur…

-Raj Sayhoum, Moktar Raj Sayhoum pour vous servir et je suis

Palestinien.

-André Grox, et je suis Français, ma voiture est équipée d’un téléphone, je

vais appeler un dépanneur.

-Juste un petit quart d’heure pour changer la roue et je ne suis pas pressé.

- Je vais à Toussus, à l’aérodrome pour être plus précis ; mes loisirs m’y

conduisent, hélas pas assez souvent, pour quelques exercices de voltige aérienne, pas

aujourd’hui avec ce pied évidemment.

Par cette heureuse coïncidence les deux hommes, bien sur, vont sympathiser et

Moktar, une fois, une fois seulement, fera des piqués, des décrochements, des vrilles et des

loopings d’où il sortira bien palot, l’estomac au bord des lèvres en se jurant qu’au grand

jamais on ne le reprendra à ce petit jeu là.

A chaque rencontre André veut tout savoir sur Moktar sans pour autant trop parler

de sa propre vie. Il travaille toujours en déplacement aux quatre coins de la planète pour un

consortium industriel, Creusot Loire Entreprise, qui livre des usines de technologies

françaises clés en mains

L’étudient palestinien est un excellent narrateur et bientôt son épopée personnelle

n’a plus de secret pour son nouvel ami. André est redevenu célibataire depuis plus de trois

ans, sa femme lassée de constamment l’attendre est retournée avec leurs deux enfants dans sa

famille à Saint- Etienne en demandant un divorce pas encore prononcé. Séduisant,

apparemment sans problème pécuniaire, l’ami Grox plait à maintes femmes, d’autant plus

qu’il est disponible. Parmi elles et bien qu’elles soient presque toutes plus âgées que lui,

Moktar va connaître des amours toujours éphémères car il ne veut absolument pas de liaisons

durables.

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En ce début d’année 1972, Moktar envisage de demander la nationalité française et s’enquiert

des formalités à effectuer. Puis, peu certain de voir sa requête être acceptée, et surtout pour ne

pas avoir douze mois « à tirer » au service militaire il demande un visa pour les Etats Unis.

Ce ne sont plus les quelques escarmouches des ultimes années ; désormais, hélas, la

guerre civile fait rage au Liban et les allers-retours sur Beyrouth, pour visiter le clan des Raj

Sayhoum ne sont plus envisageables et donc reportés à des jours meilleurs. Fort heureusement

aucun membre de la famille n’est ni tué ni blessé, pourtant les victimes se comptent déjà par

milliers et parmi elles, Amin Malouf abattu en pleine rue puis son père Sami volatilisé, c’est

le cas de le dire, par l’explosion de sa voiture pourtant blindée.

- Amin, mon ami, pourquoi ne t’es-tu pas adapté à la vie parisienne ?

Dans la famille Yassel, le jour de Noël, c’est le drame, le père de Mirna ainsi que

deux de ses frères sont déchiquetés par un obus de mortier, tout le monde tire sur tout le

monde. Un acte supplémentaire de sauvagerie venu d’on ne sait où, d’on ne sait qui.

Pour Moktar, ces trois ans et demi de vie Parisienne n’ont été que studieuses, à peine

quelques rapides visites sur Lyon, pas une fois il n’a pu retourner en Italie, des trop rares et

trop courtes escapades à Beyrouth, rien ne le différencie dorénavant d’un Français moyen

d’origine maghrébine, son langage est parfait et il lui arrive parfois de ne plus se souvenir de

certains mots en Arabe pourtant sa langue maternelle.

- Je deviendrai un bon Américain !

Alors que les préparatifs du grand saut transatlantique sont en cours, une étrange

convocation officielle (tamponnée de la Marianne réglementaire) ne précisant aucun motif,

est remise en mains propres par un messager qui s’est soigneusement soucié de vérifier

l’identité de Moktar.

Le Palestinien, citoyen Libanais, est reçu dans un vaste bureau d’un bâtiment tout à

fait anonyme très proche du ministère de l’intérieur.

- Asseyez vous monsieur Raj Sayhoum, je ne veux pas vous mentir quant à

mon nom, cela importe peu, sachez seulement que je travaille pour des services disons… un

peu spéciaux du gouvernement Français, si vous le désirez et pour prouver mes dires je peux

continuer cette conversation dans un proche commissariat de police…

- Non je vous crois…

- Monsieur Raj Sayhoum nous vous connaissons bien, et depuis quelques

temps déjà.

Suit une énumération de tant et tant de détails de la vie de Moktar que celui-ci en

est abasourdi, ses yeux s’arrondissant d’incompréhension.

-Depuis votre entrée au lycée Français de Beyrouth, jusqu’à votre récent

diplôme de HEC d’où vous sortez parmi les premiers de votre promotion, peu de chose nous

ont échappées. Nous connaissons vos amis, vos amies, vos idées sur le conflit qui déchire le

Liban et, sur la trop longue lutte qui sépare ceux de votre peuple, les Palestiniens, avec Israël.

La position de la France est connue du monde entier, nous ne faisons pas partie de

ceux qui jettent de l’huile sur le feu au Moyen-Orient, toujours nous soutiendrons toute

initiative de médiation pour que cette partie du monde retrouve la paix. Et croyez nous

Monsieur Raj Sayhoum cela est parfois difficile à concilier avec nos intérêts économiques !!

- Mais Monsieur, je ne suis qu’un simple citoyen Libanais, en quoi pourraisje

vous aider ? Je ne comprends pas le but de votre convocation.

-Vous n’êtes pas un personnage quelconque Monsieur Raj Sayhoum votre

courte et brillante carrière en témoigne, vous êtes, nous mesurons nos mots, un être

d’exception, de plus votre grand amour pour notre pays nous donne confiance, je ne tourne

plus autour du pot en vous proposant de travailler pour nos services…

-Mais enfin, je n’ai pas la vocation pour devenir espion et je vous informe

qu’il y a peu, j’ai même pensé de demander la nationalité française et que cela m’a paru fort

compliqué. J’ai décidé donc de partir aux USA où les impôts et les tracasseries

administratives sont notoirement moindres qu’en France.

- Encore un thé monsieur Ray Sayhoum ? Peut-être me suis-je mal exprimé,

il n’est pas question d’espionnage, nous devinons en vous un remarquable analyste qui

certainement nous aiderait à mieux connaître le monde arabe, mieux l’approcher, quand à la

nationalité, cela pourrait s’arranger immédiatement si le voulez encore….

-Ecoutez Monsieur, je vous remercie mais pour le moment il me faut oublier

votre proposition vous avez ma parole qu’à quiconque je ne rapporterai notre conversation

mais mon seul but actuel est de devenir banquier, un homme d’affaire. Je peux vous préciser,

sans trahir le moindre secret, pourquoi je dois me consacrer à cette tâche ; c’est mon grand

père adoptif, le Check Abdelkader Raj Sayhoum qui me l’a confiée. Ma fortune, un jour, doit

être destinée à des oeuvres humanitaires pour les réfugiés palestiniens ; en aucun cas un seul

centime ne sera donné pour une arme ou une munition.

Le vénérable Abdelkader était un sage qui, y compris dans les moments les plus

difficiles, pendant la création de l’état d’Israël n’a jamais prêché la violence et a toujours servi

de médiateur. Jamais je ne le trahirai.

-Très noble objectif Monsieur Raj Sayhoum, réfléchissez tout de même. Voici

un numéro de téléphone qu’à tout moment vous pouvez appeler, présentez-vous sous la

recommandation de Simon Leroy si un jour vous avez quoi que se soit à nous communiquer,

et bien sur si vous désirez notre aide dans un moment délicat… le monde est si méchant.

Au fait, il nous arrive parfois de devoir discrètement transférer des fonds. Votre

banque future pourra t elle…?

- Eh, pourquoi pas, si les commissions habituelles sont dûment versées.

-Vous ferez, nous n’en doutons pas, un excellent banquier et j’ajoute, qu’à

titre personnel, je suis content de vous avoir connu monsieur Raj Sayhoum.

Allez savoir comment les quelques feuillets, au nom de Moktar Raj Sayhoum

soigneusement archivés dans un lieu anodin de Jérusalem s’enrichissent de la mention. «

Sujet décidément pacifiste. Probablement difficile à manoeuvrer mais qui ne présente aucun

danger pour Israël momentanément ».

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CHAPITRE VI L’empire financier.

Avec le premier jour du printemps de 1973, Moktar découvre un New York qui ne

parvient pas à se débarrasser d’un froid toujours plus rigoureux que celui de Paris.

- A moi l’Amérique !!

Toute la fortune des Raj Sayhoum est entre les mains de Moktar, presque quatre

millions et demi de Dollars.

En peu de jours, munis des autorisations nécessaires, la première agence bancaire

privée, ouvre ses portes dans un petit building de Manhattan qui avec seulement trente étages

fait figure de minus parmi les géants qui l’entourent. C’est dans ce modeste édifice que notre

homme d’affaire libanais, parmi les nombreuses sociétés commerciales en tout genre qui

s’empilent les unes sur les autres, va recruter ses premiers clients alléchés par la proximité, la

promesse de commissions faibles dans la gestion de leur argent et des taux d’intérêts qui sont

légèrement plus faibles que la majorité des grandes banques dites populaires.

En novembre de 1973 une deuxième agence de l’Internationale Bank for the

Industrial Development s’installe à Montréal où c’est l’immense plaisir des retrouvailles avec

le docteur Simon Lansky, diplômé de la Faculté de Médecine de Jérusalem, son Français

parfaitement maîtrisé se tinte maintenant d’un merveilleux accent acadien si caractéristique et

si sympathique pour les habitants de l’Hexagone, sans compter les innombrables anglicismes

souvent incompréhensibles qui émaillent sa conversation.

Heureux cet homme pacifique lui aussi d’avoir pu échapper à ce qui était pour lui

un enfer guerrier : Israël. Mais il lui a fallu tout de même donner deux ans de sa vie en temps

que médecin militaire. Simon travaille dans un hôpital spécialisé en pédiatrie en rêvant de

fonder sa propre clinique privée. Miriam, sa récente épouse quant à elle travaille comme

bibliothécaire dans une université. Et pour ne pas laisser Simon trop seul dans ses rêves, elle

aussi voudrait ouvrir une grande librairie

-Juré ; mes amis, je vous promets dès que vous me présenterez des

dossiers techniques complets pour vos respectifs projets de vous accorder des prêts avec taux

réellement avantageux. Rien ne me fera plus plaisir.

Moktar ne s’attarde pas au bonheur de la ville de Montréal, peu de temps ne s’écoule

avant qu’une deuxième agence New-yorkaise ne voit le jour, les affaires sont florissantes et ce

n’est pas cette fois ci une officine minuscule en étage ; pignon sur rue désormais au pied

d’une tour de soixante deux étages.

-

L’année 1974 va être l’une des plus fertiles aux semences de ce qui, en moins de dix

ans, deviendra l’une des plus grandes fortunes du monde. A Paris une nouvelle agence ouvre

ses portes, les affaires sont beaucoup, beaucoup plus que florissantes, ce que touche Moktar

parait se transformer en or, les bénéfices immédiatement réinvestis en biens immobiliers, très

peu de titres, de valeurs boursières ; notre très jeune banquier ne s’intéresse guère aux

fluctuations de Wall Street. Il reprend en main, pour une bouchée de pain, une petite société

de crédit spécialisée dans l’achat d’automobiles qui, mal gérée était proche de la faillite et

développe un nouveau concept de location- acquisition : le leasing, système encore peu

commun et qui va connaître un essor phénoménal, très, très rentable.

1975 Beyrouth, puis Caracas deviennent deux autres bastions de la puissance Raj

Sayhoum.

Dans la capitale Libanaise des sommes importantes vont être investies non seulement

dans un but lucratif mais également à des fins humanitaires. Un petit hôpital est construit à

Sabra, où les soins vont être gratuits pour les plus nécessiteux des Palestiniens ; ils sont

nombreux, trop nombreux qui ne peuvent accéder à un minimum de droit à la santé. Le

nouveau dispensaire est équipé d’une salle d’opération, petite mais disposant de la plus

moderne technologie où l’oncle Abdullah vient exercer sa noble profession quand un cas

particulier, souvent critique, requiert sa grande expérience. Le professeur est fort respecté y

compris des quelques habitants libanais non palestiniens qui partagent la misère des camps de

réfugiés. Quelques rares chrétiens sont admis également, les soins étant dispensés sans

distinction d’idées ni de religions.

Dans la capitale vénézuélienne en plein centre ville dans le quartier d’El Silencio (si

mal nommé) une autre agence bancaire ouvre ses portes, le pétrole engendre réellement

d’énormes profits et l’homme d’affaire international qu’est devenu Moktar trouve ici encore

un créneau supplémentaire pour augmenter sa fortune. Par hasard fin 1978 lors d’un

déplacement, notre Libanais multimillionnaire prend 80% des parts d’une société de fret

maritime ayant pignon sur rue à Luxembourg-ville. Petite boîte dont le directeur garde les

20% restants et qui jamais ne donnera grand bénéfice mais restera rentable.

Barcelone ; encore une ! La ville, d’ici quelques années, va accueillir les Jeux

Olympiques, elle en est persuadée, elle y croit et avant 1992 il faut tout préparer si la capitale

catalane est choisie. Le prix du terrain flambe, il grimpe… grimpe, sur la façade

méditerranéenne de la ville, au nord, de nombreuses vieilles usines désaffectées, encore

quelques lopins de terres cultivées en jardins potagers sont achetés systématiquement par

Moktar qui ne cède pas à la tentation de revendre trop rapidement.

Dans le clan des Raj Sayhoum, à l’exception d’Antar et d’Abdullah personne ne se

doute de l’oeuvre colossale de celui qui reste en mémoire comme l’enfant prodige et toujours

Moktar se veut inconnu du grand public ; aucun article de presse ne lui a jamais été consacré,

il se maintient volontairement loin de la majorité de toutes ces célébrités qui feignent pour la

plupart de fuir les paparazzis. Il est désormais à la tête d’une centaine de sociétés, parmi

lesquelles bien sur de nombreuses banques mais aussi d’une chaîne de petits supermarchés à

Turin, de plusieurs agences immobilières à New York, Caracas et Barcelone. A trente quatre

ans, contraint à d’incessants voyages, Moktar s’achète un avion privé Bishcraft bi-moteurs,

luxe sciemment prémédité mais devenu réellement nécessaire, il n’utilisera les compagnies

aériennes que pour les vols transatlantiques désormais.

En janvier 1982 Antar Raj Sayhoum rend l’âme, terrassé par une crise cardiaque.

Les autorités égyptiennes laissent la volonté à la famille du défunt exilé de rentrer non pas en

Israël évidement mais au Liban. Jasmina n’a pas revu son frère de lait depuis bien longtemps

déjà, elle lui téléphone en lui demandant pour elle et son mari Omar la possibilité d’immigrer

aux Etats-Unis. Moktar va faire venir le couple qui s’installera à New York où son pied à terre

reste souvent inoccupé.

De nouveau la question paperasse, passeport visa etc.… ne pose aucun problème

insoluble grâce aux connaissances et aux bakchichs généreusement proposés.

Moktar va vite, Moktar va fort et toujours avec son grand sourire qui deux fois

seulement, s’est terni, d’abord quand Aziz et Mohamed furent assassinés puis de nouveau au

moment de la chute des Lauriers. La fortune et la joie auxquelles peu de Palestiniens peuvent

prétendre, il espère qu’un jour tous pourront en profiter et cette perspective le rend toujours de

bonne humeur malgré l’inimaginable quantité de travail qu’il abat

Aucun des descendants d’Antar ne peut prétendre à devenir le nouveau Check, sa

première fille morte en couche il y a tellement longtemps que personne ne se rappelle qu’elle

eut existé un jour, n’aurait de toute façon pu prétendre à la succession en tant que femme. Son

fils aîné Brahim né en 1939 a toujours montré des difficultés de comportement, heureusement

sans jamais se montrer dangereux, c’est un homme à part, presque qualifié de simple d’esprit

qui errait autrefois solitaire dans les rues de Haïfa empreint à ses tourments intérieurs. Depuis

que la famille a été contrainte à l’exil on lui interdit pratiquement de sortir tant la ville de

Beyrouth est devenue dangereuse.

Des petits enfants nés des filles vivantes d’Antar ne sont pas des Raj Sayhoum et le

chirurgien respecté dans tout le Liban prend le relais pour tenir le flambeau du clan, il hérite

logiquement de cette responsabilité à la mort de son frère aîné.

Laïla Djad, mère de Jasmina et mère de lait de Moktar ne se résout pas, se sentant

trop vieille, à tenter la vie américaine, elle reste au Liban et rejoint l’une de ses soeurs dans le

Nord du pays ; la petite ville de Tripoli pour le moment est encore éloignée des combats qui

déciment à intervalles trop rapprochés le Sud.

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CHAPITRE VI

Sabra et Chatila Septembre 1982

Israël n’a toujours pas la paix sur sa frontière Nord et les attaques de l’ OLP

sont incessantes ; bien que peu meurtrières elles exaspèrent la population juive vivant

près du Liban qui perpétuellement est menacée soit d’un obus, soit d’une roquette ou

d’un kamikaze infiltré et prêt à se suicider en entraînant quelques innocents dans la

mort.

Le 4 juin 1982 une tentative d’assassinat vise l’ambassadeur d’Israël à

Londres, Argov. Le motif de la mise en application d’un plan préparé de longue date

est tout trouvé. L’opération « Paix en Galilée » peut commencer.

Le 6 juin l’armée Israélienne envahit le Liban en manifestant son intention de

sécuriser une bande de territoire de quarante kilomètres tout au long de sa frontière

commune avec ce pays. L’opération est confiée au ministre de la défense Ariel Sharon

qui décide de son propre chef, enfin c’est ce qu’il prétendra plus tard, l’exécution d’un

projet plus personnel, une « dièse » du plan initial.

Après avoir occupé la frange prévue du territoire Libanais et détruit une

partie de la résistance palestinienne qui replie le gros de ses troupes sur Beyrouth,

l’armée sioniste tout en commettant une série d’exactions contres des civils innocents

et non-armés progresse vers la capitale du pays.

A partir du 18 juin Beyrouth est presque encerclée et l’OLP se retranche

dans la partie Ouest. Le pilonnage systématique de l’artillerie Israélienne sur la ville

va faire, en deux mois 18 000 victimes mortelles et près de 30 000 blessés, en très

grande majorité des civils et évidemment pas tous Palestiniens.

Après le cesser le feu obtenu avec la médiation d’un émissaire des Etats

Unis, Philippe Habib, l’ OLP combattante se retire en direction de la Syrie avec des

garanties pour la protection des civils restant dans les camps, uniquement des femmes,

des enfants, et des vieillards ne pouvant porter les armes.

Une mini-force multinationale d’interposition se déploie alors que les 14 000

résistants armés de l’OLP évacuent les lieux du combat. Cette force neutre et non

combattante se retire elle aussi le 10 septembre.

Le 11 septembre, Ariel Sharon annonce qu’il subsiste soit disant 2000

terroristes dans les camps. Ceux-ci, sont immédiatement coupés du reste du monde ;

encerclés Sabra et Chatila vont vivre l’horreur, l’abomination.

Le 12 sept, à Bekaa, Sharon se réuni secrètement avec Gemayel le président

chrétien du Liban pour autoriser des phalangistes armés jusqu’aux dents au

« nettoyage » des camps palestiniens. Tsahal l’armée d’Israël ne va pas se salir les

mains directement, elle va faire en sorte que personne ne puisse s’échapper et ouvrir

un passage aux exécutants phalangistes.

Dès les premières heures du 15 septembre sous les ordres de Sharon lui-même

sur place, les camps sont assiégés et à midi précise les bombardements recommencent.

Le 16 septembre toujours à midi les 150 phalangistes sous les ordres du commandant

Elie Hobeika entrent dans les camps (pour traquer 2000 terroristes ?).

Pendant presque trois jours entiers les miliciens chrétiens, vont tuer, mutiler et

violer, femmes enfants et vieillards totalement désarmés. Beaucoup de ces pauvres gens

innocents sont entassés dans des camions et des autobus qui eux ne seront pas mitraillés par

Tsahal à leurs sorties des camps. On ne les reverra jamais.

(Aujourd’hui 2009 personne n’a jamais avoué où furent massacrés puis enterrés près

d’un millier de disparus)

Abdullah Raj Sayhoum est abattu à bout portant alors qu’il tente d’arrêter

l’hémorragie d’une blessée. Cette dernière est achevée à coups de crosses. Mirna son

épouse qui parfois l’accompagnait dans le camp est violée puis tuée d’une balle dans

le ventre. La petite croix et la chaînette en or qui délicatement ornaient son cou sont

arrachées et mises en poche par son bourreau. Saha la cadette autrefois amoureuse de

Moktar est violée puis mutilée, les bulldozers qui rentrent bientôt en action pour

« niveler » les camps vont enfouir sa dépouille sous les ruines, elle n’aura pas le droit

à une sépulture décente tout comme d’innombrables autres cadavres.

De tous ceux des Lauriers, un seul va survivre, Yasser Muhair l’unique

garçon de celui qui autrefois recueilli Moktar. L’Armée Israélienne parlera de 700

morts environ, des enquêtes de journalistes (Israéliens eux aussi) parleront plus tard

d’un bilan qui hélas se rapproche plus de la réalité : environ 3500 morts mais les

chiffres exactes ne seront jamais connus, les populations n’ayant pas été recensées au

préalable.

N’ayez pas peur messieurs les responsables, il n’y aura jamais un tribunal

international pour vous juger, vous n’êtes pas des Nazis tout de même ; peut être

parmi vous l’on trouvera des ministres plus tard. L’objectif étant d’éliminer la

résistance Palestinienne a été atteint du moins provisoirement et seulement près de la

frontière d’Israël Les effets secondaires, vont être incalculables. Une haine, qui avec

difficulté aurait pu s’apaiser, va se renforcer pour l’éternité De même que l’Allemagne

a fait son mea-culpa pour sa période hitlérienne afin de revenir dans les nations

respectables et de pouvoir redémarrer une période de paix et d’amitié, il faudrait à

Israël le même courage pour se faire pardonner.

A l’autre extrémité de la Méditerranée, Moktar impuissant, suit les évènements

par la presse, devenant, alors qu’il ne l’avait jamais été auparavant, assidu aux

journaux télévisés car seuls les reporters des différents moyens d’information peuvent

encore transmettre quelques bribes de nouvelles... Les lignes téléphoniques sont

coupées et de toutes manières rien ne filtre du périmètre encerclé de Sabra et Chatila.

Le porte- parole de l’armée Sioniste donne des communiqués mensongers et

rassurants.

Ce n’est que le 19 septembre, les liaisons enfin rétablies, que Moktar reçoit

un coup de téléphone de Beyrouth, de la grande bâtisse des Raj Sayhoum où il passa

cinq belles années studieuses autrefois. Iana, soeur aînée de Saha raconte, la voix

entrecoupée de sanglots presque insurmontables, l’ampleur de la tragédie.

Moktar dans l’horreur vient de perdre toute sa jeunesse. Le richissime homme

d’affaires qu’il est devenu, lui, ne va pas pardonner ; le sourire de la Palestine se fige

brusquement en un rictus. Une immense fortune est à sa disposition, il va maintenant

la consacrer à la destruction de l’Etat d’Israël.

Le terrorisme une fois de plus va naître de l’insupportable, il n’a en fait aucun

autre parent.

- Israël va payer, les Etats Unis eux aussi vont payer, j’en fais le

serment.

Devant une telle calamité la haine qui pour la première fois habite Moktar, ne

laissera pas même la place aux larmes. Pas une ne peut couler de ses yeux pour tous

ces êtres chers disparus si tragiquement.

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__________ LIVRE DEUXIEME

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CHAPITRE 1……. RIEN NE CHANGE.

- Moktar mon ami, nous sommes fin 1982 et tu pèses déjà probablement

plus de deux milliards de Dollars, il t’est pratiquement impossible de compter ta propre

fortune. Ne change rien à ton apparence, à ta façon d’être, de parler ; que rien en toi ne laisse

place au moindre doute, au moindre soupçon, que rien ne trahisse tes nouvelles intentions.

Garde ce sourire que tous remarquent autour de toi. La vengeance est un plat qui se mange

froid ! Prends ton temps mon ami, sois patient et le plus important, reste calme.

Aucun empire au monde ne s’est jamais écroulé, aussi puissant qu’il fût. Regarde

Moktar, les Egyptiens, les Perses, les Grecs et les Romains, les hordes des Khans asiatiques

qui dominèrent presque leur continent. Regarde les Mayas Aztèques et Incas puis, plus près

de nous les empires coloniaux Espagnols, Anglais, Français, ils sont tous tombés.

Un visage hideux, déformé par un rictus de haine fixe un immense globe terrestre

qui semble n’avoir aucune forme ; il est entièrement enveloppé de la bannière des Etats Unis

mais toutes les étoiles sont de David et saignent à flot. Le doigt monstrueux de Moktar

s’approche de l’étrange sphère qui rétrécit subitement. La face carrément hilare maintenant

jubile quand le doigt appuie, enfonce, écrase jusqu’à l’éclatement du monde entier qui se

liquéfie laissant échapper des volutes de fumée telles des champignons d’explosions

atomiques.

Moktar se réveille en sursaut et en sueur. Pour la toute première fois de sa vie, il

a du mal à trouver le sommeil et ses rêves ou plus exactement ses cauchemars qui l’élèvent à

la hauteur d’un redresseur de torts de l’humanité toute entière, le laissent pratiquement déjà

fatigué au petit matin.

Dans la voiture qui le conduit de Kennedy Air Port à leur appartement

d’Ashburton Avenue dans le district du Yonkers, le chauffeur Omar crie à la vengeance. Lui

et Jasmina, venus accueillir Moktar, pleurent abondamment sur le terrible malheur qui les a

frappés si cruellement, eux et le peuple palestinien tout entier.

-Omar et toi ma chère soeur, voulez-vous participer à la destruction d’Israël.

Je vais tout mettre en oeuvre dorénavant pour que cela devienne mon unique objectif.

- ???

-Oui, vous m’avez tous les deux bien compris, et je me répète, voulez vous

avec moi rayer ce maudit pays de la carte du monde !

La première Jasmina répond.

-Moktar, ta promesse ? Rappelle-toi le Vénérable, tous les beaux discours,

les paroles de paix, la nécessité de toujours négocier, pour un jour voir notre pays reconnu du

monde entier, y compris d’Israël.

-Le grand Abdelkader se trompait, je me suis moi aussi trompé. Toutes ces

grandes théories de non violence ne servent à rien face à la bestialité de certains hommes, de

certains états, de certaines idéologies. Crois-tu que l’on aurait pu vaincre Hitler en se croisant

les bras ? Et si Gandhi avait eu en face de lui des nazis et non pas un empire quelque peu

civilisé et de plus, lointain et affaibli par presque cinq années de guerre en Europe, en Afrique

du nord et sur tout l’ Atlantique avec sa flotte, il serait parti en fumée, le bon Mahatma, c’est

malheureusement le cas de le dire, bien avant son heure.

Croyez-vous que le Japon aurait été vaincu sans les deux terribles bombes ?

Oui bien évidement car il était à bout de souffle mais cela est sûr, il y aurait eu bien plus de

morts encore. Je suis certain désormais que seul l’extrême violence peut vaincre la violence ;

Il faut tuer la bête qui habite l’homme, seule la terreur vaincra la main mise sur les hommes,

que ce soit par les nations ou par d’autres individus, ce sont des dictatures différentes mais ce

sont en fait les deux bras du même monstre qui tout comme un sphinx sans cesse renaît de ses

cendres.

Même si je dois attendre vingt ans, le terrorisme mettra les Stades à genoux

en les provocant sur leur propre sol. Ils ont tellement l’habitude de faire la guerre dans le

monde entier ou souvent de s’arranger pour que d’autres se battent entre eux, qu’en les

attaquant chez eux ils ne sauront correctement réagir. Je frapperai les complices puis écraserai

Israël.

Jasmina ma soeur, Omar mon ami, vous voyez que je partage votre rage et

votre désir de vengeance, je vais avoir besoin de vous ; Etes vous prêts à m’aider ?

-Que devons nous faire ?

-Rien ne change … pour le moment. Tout doit paraître identique, ne rien

changer à nos habitudes, à notre comportement, à nos discours.

Dissimulons nos pensées, notre mode de vie ne doit rien laisser suspecter. Omar, dès

demain, tu achèteras quelques dispositifs électroniques pour faire de notre appartement un lieu

sûr où l’on ne puisse pas être espionné ; nous devons pouvoir parler en toute tranquillité,

d’importantes décisions vont être prises ici et il nous faudra désormais nous méfier de tout le

monde.

Je continue mon business mais déjà mon esprit a échafaudé un plan.

Jasmina tu vas bientôt partir au Liban et établir quelques contacts notamment avec mon

cousin Jamil. Un jour viendra où j’aurai besoin d’hommes déterminés et sûrs, prêts à risquer

leur vie. Je ne sais où, je ne sais comment mais le moment venu, le monde entier va connaître

le nom de Raj Sayhoum et il tremblera devant lui.

-Moktar, pourquoi ne contactes-tu pas les Syriens, tu serais en terrain sûr

avec eux et ils disposent d’un état acquis tout entier à la haine des Israéliens.

-Pour le moment je ne suis pas d’accord, nous devons marcher avec grande

prudence, en Syrie également les services secrets doivent être noyautés par la CIA par le

Mossad, et j’en passe. Ce n’est pas certain mais la possibilité est elle même trop dangereuse

pour que nous nous dévoilions trop tôt, mon idée n’est pas encore très claire mais sachez

qu’elle est diabolique. Il me faudra du temps mais je veux me procurer plusieurs bombes

atomiques !

- ???

-De nos jours elles sont presque faciles à fabriquer et si cela se révèle

impossible alors je les volerai et quand l’une d’elles aura explosé sur les Hébreux, alors tous

les états Arabes, qui rêvent de se venger depuis tant d’années attaqueront simultanément. J’ai

dans mon projet quelques petits « détails » qui vont tellement préoccuper les Yankees qu’ils

ne pourront intervenir, trop mobilisés sur leur propre territoire.

-Moktar tu penses réellement ce que tu dis ? C’est abominable.

-Peut être, certainement même, mais encore une fois je suis convaincu

que seule l’extrême violence arrêtera la violence au Moyen-Orient. Sion et les Stades doivent

comprendre que les autres aussi ont le droit de vivre ! Quitte à ce qu’ils en payent le prix fort.

-J’ai peur Moktar, dans qu’elle folie allons-nous nous engager ?

Combien de morts allons-nous provoquer ?

-Ne pleure pas ma soeur et n’ais pas de peur, si cela fonctionne et j’en

suis convaincu, cela évitera certainement un combat qui peut se poursuivre jusqu’à l’infini. Je

sais déjà que si mon plan échoue le siècle prochain verra le jour avec la guerre entre Israël et

les Palestiniens et qu’il se terminera hélas de la même façon. Alors mon idée finalement peut

sauver des milliers et des milliers de personnes tout comme Hiroshima et Nagasaki ont

paradoxalement évité beaucoup d’autres morts.

Et enfin nous aurons un territoire digne de ce nom pour notre peuple, et

non pas le puzzle éparpillé que prétendent nous imposer les nations du monde entier

manipulées par les Sionistes.

-Moktar, fabriquer une bombe atomique ne doit pas être à la portée du

premier venu, nous ne connaissons rien en la matière et voler ces engins à une puissance

nucléaire ne me paraît pas non plus très évident.

-Tss… Tss quelque chose me dit que du côté des popofs des

opportunités peuvent surgir. Le colosse Soviétique a des pieds d’argile en ce moment, sa

grande Armée Rouge, capable de mobiliser des millions d’hommes au besoin, s’embourbe

lamentablement dans un conflit qui paraît se transformer en un véritable Vietnam Russe.

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En 1979 Leonid Brejnev décide l’envoie massif de troupe pour soutenir un régime

communiste très impopulaire, un cousin du roi d’Afghanistan avait en juillet 1973 profité

d’un voyage en cure thermale en Italie de ce dernier, pour prendre le pouvoir et instaurer la

première République Démocratique Populaire Afghane. C’était bien mal connaître les

innombrables tribus montagnardes, irascibles et fières, jusqu’alors maintenues en paix par un

monarque fort habile en palabres et en compromis.

Ici qu’on se le dise, il n’y aura pas la possibilité qu’un régime communiste ou socialiste

soit imposé. Les Afghans n’ont d’ailleurs, jamais au grand jamais, accepté la domination de

quiconque : Les Russes vont en faire la triste expérience.

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Les yeux de Moktar pétillent autant qu’à l’accoutumé et son sourire est toujours

présent. Attention, regardez le attentivement… il me semble qu’il paraît dangereux à présent,

mais encore une fois il faut bien regarder sinon… rien ne change.

Moktar bien que milliardaire n’est pas entouré comme on pourrait le penser d’une

multitude de dames toutes plus belles les unes que les autres. Tous ses contacts, pour la plus

grande part masculins ne sont que conséquents à son travail ; De fréquentes avances lui sont

faites, au hasard des nombreuses réunions (par les deux sexes d’ailleurs) mais l’homme

d’affaire décline toujours avec beaucoup de délicatesse, s’employant à ne jamais blesser les

prétendants. Toujours pressé, il ne veut pas perdre de temps en futilité et ne satisfait ses désirs

qu’auprès de professionnelles triées sur le volet et avec qui il se montre toujours très

généreux.

Une bouffée de chaleur l’envahit au souvenir de Mouna la belle Algérienne ; il y a

dix-huit ans déjà, que diantre a t’elle pu devenir ? Probablement mariée et mère de famille

dans son pays où en n’importe quel coin du globe si son mari, à l’image de son père est un

diplomate.

Et le frère de Mouna, Amin, qu’est il lui aussi devenu avec son socialocommuno-

stalino-marxisme tout confondu sous la même petite calotte crânienne ! Tiens voilà

un homme peut être intéressant à contacter mais… avec des pincettes : il doit depuis des

lustres manger dans la main des russkys.

- Il me faudra retrouver la famille des Hassan disons… par pur hasard, la

dernière lettre que j’ai adressé à Amin à Moscou est elle arrivé à son destinataire ? En tout

cas c’était avant mon départ de France il y a bientôt dix ans. Mais en y réfléchissant bien, cet

homme était décidemment trop borné.

Moktar pense : où va t il recruter les hommes sur qui il pourra compter ? Puis il

sourit plus encore qu’à l’accoutumé.

-Quel idiot je fais, les Yankees n’ont en fait pas d’amis, le monde entier

les hait et ils sont si gonflés d’orgueil, de sentiment de supériorité, qu’ils ne s’en rendent pas

même compte.

Voyons, comment peut on nous haïr, nous, si bons, qui protégeons la

planète toute entière du vilain communisme ?

Très près des Stades, dans l’Amérique Centrale, toutes les richesses sont

exploitées par les compagnies de l’omniprésent voisin du Nord. Un exemple : au Nicaragua,

l’United Frut Corporation possède le pays et les habitants sont pratiquement réduits à

l’esclavage ne pouvant pas même manger ce que produit leur propre sol. Toute tentative de

rébellion est immédiatement taxée de communisme encore et toujours, de Sandinisme, et

quelle horreur, de terrorisme. Ce dernier mot encore une fois est judicieusement employé,

distillé dans la presse du monde entier en déformant la réalité, il encourage la répression des

révoltés. Des Marine’s aux cerveaux délavés et bourrés de mensonges vont mourir pour

l’United Frut en intervenant hors de leurs frontières.

En Amérique du Sud, il y a aussi mille et une raisons de haïr l’impérialisme

Yankee. Les minéraux, le pétrole, le bois, rien n’échappe à l’hydre qui avec ses beaux billets

verts, manipule des militaires corrompus tout autant que les hommes politiques. Et quand le

danger de perdre l’exclusivité de l’exploitation des richesses se produit, alors on fomente un

coup d’état et l’on envoie quelques spécialistes supplémentaires de la torture pour que toutes

traces d’opposition, même supposées, soient écrasées.

L’Amérique libératrice est officiellement adulée en Europe où elle a fortement

contribué à briser le joug de l’occupation nazie. Curieusement, beaucoup des habitants du

vieux continent n’aiment pas les Yankees. La venue en aide à tous ceux qui résistèrent à

l’Allemagne n’a été que très intéressée. Il a fallut faire vite afin que ce ne soit pas les Russes

qui libèrent les territoires conquis par Adolf Hitler et instaurent l’hégémonie socialiste-communiste

à la place de la suprématie capitaliste dite libérale.

En 1945 dans l’euphorie de la victoire et jusqu’aux années soixante, les

mâcheurs de chewing-gum étaient des libérateurs, une plus profonde analyse avec le temps a

permis une réelle prise de conscience. La bannière étoilée n’a été qu’une opportuniste pour

mieux étendre son emprise sur l’ensemble de la planète. L’intervention militaire a bien

planifié le déploiement de ses forces de bulldozers suréquipés ; avec un bon calcul de

rentabilité auparavant. Tant pis pour la casse, une généreuse distribution de médailles et le

tour est joué.

Même si le plan Marchal s’est révélé un gouffre financier à courte échéance, il a été

compensé par une véritable américanisation de la société européenne, ouest européenne plus

exactement ; avec une énorme influence culturelle, politique puis économique par la suite.

Conclusion : y compris en Europe, un projet qui mettrait les Stades à genoux trouvera des

appuis et des hommes prêt à se sacrifier pour enfin retrouver des valeurs sans référence au

Coca Cola.

Du coté des frères Arabes, dans le Golfe Persique comme dans bien d’autres pays

musulmans, de nombreuses riches et puissantes familles voient d’un très mauvais oeil la

démocratisation de leur mode de vie. Un début d’émancipation de la femme et la libération

des moeurs sont inacceptables. La société de consommation écrase des valeurs millénaires non

sans mal et en suscitant toujours énormément d’incompréhension, de rejet, de haine. Ici aussi

il sera facile pour le palestinien redresseur de torts de trouver des alliés.

Enfin au Pakistan, autre pays musulman en pleine expansion, inscrit à la course à

l’armement nucléaire, là aussi les valeurs traditionnelles veulent être effacées par le

modernisme à la grande fureur des religieux qui perdent une partie de leur pouvoir ; autre

source de révolte, de haine, autres atouts, autres appuis pour Moktar dans sa nouvelle lutte.

L’homme d’affaire palestinien rêve, il jubile ; de son analyse naissent

d’incroyables possibilités, et le facteur surprise anéantira un ennemi qui ne se doutera de rien,

certain de sa toute puissance, de son invulnérabilité.

Si un jour, prochain ou lointain, le Mossad doit prendre d’avantage de

renseignements sur Moktar, il est fort probable qu’il contactera Simon Lansky à Montréal. La

visite du palestinien à son ami juif, désormais citoyen canadien, n’est donc que purement

intéressée en ce plein hiver de janvier 1983 ; objectif : donner encore et toujours la même

image du pacifiste convaincu….. Dissimuler ;

Simon est anéanti par la révélation de la tragédie de Sabra et Chatila ; Toutes les

informations des moyens de communication en avaient aplanie l’ampleur et il a

personnellement connu et apprécié ceux des Raj Sayhoum qui ont été massacrés.

La tristesse du médecin juif est sincère et profonde et il est en admiration devant

un Moktar qui continue de parler d’un futur radieux, d’un dénouement pacifique de la crise du

Moyen-Orient.

-Comment fais-tu pour ne pas les haïr tous ?

-Ce doit être le sang de mon grand père Abdelkader, même s’il ne coule pas

en moi car je suis adopté, il a du parvenir à me le perfuser avec son amour immodéré de

l’humanité. L’homme est bon, il faut juste qu’il en prenne conscience .Il ne faut jamais

baisser les bras. Quel serait notre avenir sans espoir ?

-Moktar, tu parles comme un saint du christianisme.

- Quelle horreur, ha non alors ! Quand je pense que l’inquisition toute entière

s’est auto-sanctifiée. Ne me compare pas à l’abominable avec un A majuscule ! Attends un

peu et l’église catholique va bientôt béatifier le général Pinochet et son homologue Vidéla

d’Argentine.

En profitant de ses nombreux voyages d’affaires sur le vieux continent Moktar va,

auprès de tous ses amis et relations, continuer la comédie et tous vont le croire y compris le

jeune préretraité de 55 ans André Grox avec qui il n’a jamais perdu contact.

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Presque une année entière s’est déjà écoulée depuis la tragédie libanaise et Moktar

voudrait bien savoir, au delà des discours officiels, des revendications hurlées haut et fort,

quels sont les mouvements palestiniens réellement bien organisés. Ne sont –ils pas noyautés

par les services spéciaux de maints et maints pays, qu’ils soient sur zone ou plus lointains,

mais toujours très intéressés ? Il contacte son cousin Jamil par téléphone, en prétextant des

intérêts familiaux, et va envoyer sa soeur et son beau-frère à la pêche aux renseignements au

Liban.

Ils vont tous deux devoir établir des contacts qui soient sûrs ; tâche ardue dans un pays

où la multitude de tendances religieuses et politiques s’étripent bien volontiers sous la

houlette plus que satisfaite des voisins du sud. Qui ne trahira pas ? Le couple va devoir

également savoir qui sont les plus importants trafiquants d’armes de la région et de plus loin

vers l’Est, disons, entre la Méditerranée et l’Inde serait l’idéal…..

En août 1983, Omar et Jasmina retournent sur Beyrouth, ils n’y resteront que deux

semaines. Séjour presque complètement infructueux car tout est trop compliqué décidément

dans ce pays sur lequel la poisse semble s’être abattue. Le couple rentre déconfit sur New

York. Quel bout de corde faut-il prendre pour tirer profit de l’emberlificotement libanais ?

Moktar est songeur ; peut-être va-t-il falloir attendre…garder l’espoir d’une opportunité, ne

pas trop provoquer l’évènement et suivre à la lettre le vieil adage : patience et longueur de

temps font mieux que force et rage.

Début 1984 Moktar Raj Sayhoum se décide, pour la facilité de ses affaires, de

demander la nationalité américaine et moins de quatre mois plus tard il devient citoyen des

USA, sans pour autant renoncer à ses droits de Libanais. Jasmina et Omar postulent, tous

deux à leur tour, l’honneur de devenir de bons Yankees en se riant de la naïveté

invraisemblable des questionnaires de l’administration US pour une naturalisation. Il leur faut

répondre (sans mensonge) à la question suivante :

- Avez-vous des intentions de nuire au peuple des USA, à leurs

représentants ou à leurs institutions ? Ou bien encore :

-Etes vous ou avez vous été inscrit à un parti communiste dans un

quelconque pays ?

Il faudra cette fois, en plus des mensonges, sept mois et de multiples interventions de

Moktar auprès de certains hauts placés pour faire aboutir les démarches et enfin le couple va

obtenir satisfaction fin octobre. Dans un pays qui ne sait pas encore le nom de son futur

président, la campagne électorale fait rage et le suspense est entier dans un monde qui

échafaude toutes les hypothèses, le cowboy Ronald Reagan restera-t-il l’homme le plus

puissant du moment ?

- Nous sommes citoyens Américains, oui mais le temps s’écoule sans que

rien ne change ; bientôt 1985 et toujours le point mort, qu’en est-il de tes idées Moktar, où est

la vengeance ? Israël continu, confirme sa supériorité et son impunité pour ne pas complaire

les normes et les résolutions internationales, sommes nous éternellement condamnés à ne

pouvoir rien faire ? N’as tu pas assez de confiance pour nous révéler réellement tes plans ?

-Sois patiente Jasmina, bien que rien ne bouge apparemment, j’ai peaufiné

mon projet, établi une maquette qui me paraît raisonnable et notre première action se

déroulera au Venezuela où nous partirons dès le mois de février.

-Au Venezuela ?

-Je possède une banque avec deux agences à Caracas et une à Ciudad

Bolivar, je dois les visiter et nous en profiterons probablement pour contacter des hommes

qui ont collaboré avec le terroriste le plus connu et le plus recherché de la planète, un certain

Carlos appelé parfois aussi « Le Chacal ».

Llych Ramirez Sanchez est un mercenaire, Carlos le Chacal n’est que

son pseudonyme. C’est un idéologiste formé à l’école de Moscou, il coordonne les actions de

différents mouvements terroristes dans le monde ; pas toujours de gauche d’ailleurs.

-Si tu les contactes, les popofs vont le savoir.

-Et c’est très bien, je ne suis pas fou rassure toi, les Russes m’aideront

probablement car je vais leur fournir un faux projet ; une formidable intoxication qui ne peut

que les intéresser. Le but final de la destruction d’Israël ne sera connu que de nous trois le

plus longtemps possible. Sache que l’Amérique du sud ne rêve que de se libérer du joug US et

je vais lui donner une bonne opportunité de le faire.

Dès notre retour du Venezuela nous partirons en France où nous

contacterons l’Armée Secrète pour la Libération de l’Arménie qui s’y affiche pratiquement

ouvertement.

-Que viennent faire les Arméniens dans notre combat, Moktar ?

-Ils sont en guerre contre les Turcs et ces derniers sont les alliés des

Américains, on dit même qu’Israël détiendrait une partie de son potentiel nucléaire en

Turquie. Toute action visant à affaiblir l’oncle Sam sera bien vue et nous avons là des alliés

potentiels bien implantés dans la région, ils sont en très bonne relation avec les Kurdes sur

lesquels je pourrais éventuellement aussi compter un jour.

-Par Allah, que tout cela est compliqué !

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10 janvier 1985

Il n’y a que deux jours que Omar est à Beyrouth et déjà il est las, inquiet,

nerveux alors que rien ne semble aujourd’hui différant dans cette ville perpétuellement

défigurée par les combats successifs qui s’y déroulent depuis si longtemps. Aucun quartier

n’est épargné et l’on ne peut se déplacer de plus de quelques centaines de mètres sans voir un

immeuble éventré, une façade mitraillée aux vitres brisées, un cratère laissé sur la chaussée

provoqué par l’explosion d’une voiture piégée et trop sommairement comblé.

La reconstruction est rapide mais insuffisamment pour effacer les stigmates des

affrontements sans fin. Beaucoup de ruines désormais autour de la bâtisse des Raj Sayhoum

qui, on ne sait par quel miracle, n’a jamais été touchée ; et pourtant cette belle maison dont a

héritée Jamil, fils d’Antar le chirurgien, va être détruite par ce qui parfois peut être un fléau :

le modernisme. En effet les nouveaux plans de l’urbanisme condamnent la belle propriété en

remodelant le quartier pour la construction d’une grande artère périphérique. Las, le cousin de

Moktar n’essaie même pas de la sauver. Trop de bakchichs à distribuer et de plus, avec peu de

chance d’aboutir. Peut être y aura- t- il des indemnisations si un quelconque fonctionnaire

bien placé ne les intercepte pas.

Jamil fuit la maison, il n’y passe qu’en coup de vent et ses constants efforts de

médiation entre différents groupes de résistants palestiniens l’écrasent d’un travail incessant et

fatigant, avec très peu de succès au demeurant.

-Maintenir un dialogue de sourd parmi des gens qui ne peuvent pas se

voir, voilà ma tâche, et j’en deviens fou.

L’OLP est divisée, Yasser Arafat ne peut contrôler l’ensemble de ses troupes. Il est

maintenant taxé de « mollasson » par le groupe marxiste Abou Nidas qui ne prône que la

violence, qui rejette toute idée de négociation avec Israël alors que le fondateur de l’OLP

envisage enfin d’ouvrir le dialogue avec l’ennemi juif et peut être… peut être un jour la

paix…

Omar aujourd’hui conduit Jamil à une entrevue avec l’un des portes parole du

groupe marxiste qui désormais est franchement en guerre ouverte contre l’OLP, planifiant y

compris l’exécution de ses hauts dirigeants.

La Land Rover blindée ne peut aller très vite dans les lacets de la petite route reliant

Saïda à la plaine de la Bekaa dans le centre du pays et qui continu vers l’Est en direction de la

frontière puis de Damas.

L’habituel chauffeur de Jamil est subitement tombé malade, se plaignant de maux

de tête et de fortes coliques. Lui au moins connaît bien le chemin et aurait pu sans doute

mener le lourd véhicule plus rapidement. Le petit village de Jazzin qui est le but du voyage

n’est plus très éloigné.

Ayant quitté la route principale, nos deux hommes parlent peu, très attentifs aux

nombreux obstacles dans la rampe fort pentue que les roues du 4x4 avalent sans difficulté.

Un vacarme infernal fait sursauter Omar et Jamil. Un avion à réaction vient de les

survoler en rase motte, juste à quelques dizaines de mètres au dessus de leurs têtes à près de

sept cents kilomètres heure. L’appareil grimpe presque à la vertical, abat, puis se réaligne sur

la Land maintenant immobilisée.

-Il est fou ce…

Le missile téléguidé frappe et pulvérise littéralement le lourd véhicule, tuant sur le

coup ses deux occupants. Quiconque aurait pu voir et filmer le chasseur bombardier aurait pu

constater qu’il n’était pourvu d’aucune cocarde, d’aucune immatriculation, seul un expert

aurait pu reconnaître un F 104 de fabrication américaine qui, en quelques minutes de vol

seulement, va rejoindre sa base, mission accomplie, direction plein sud...

Malheur à celui qui veut l’alliance de tes ennemis, plus ils se divisent et s’entretuent,

moins ils pensent à toi.

Jasmina pleure, Moktar est effondré.

-Tout est de ma faute, pardonne moi soeurette, je vais arrêter mon projet,

ma folie. Cette mort est un signe d’Allah, nous sommes sur le mauvais chemin.

-Non ; non Moktar, il faut continuer, le martyr d’Omar ne doit pas être

vain. Tu dois, nous devons poursuivre. Il y a des hommes dans bien des pays qui ne

voudraient pas être déçus, pense à nos premiers contacts en Arabie Saoudite, ceux qui se

révoltent contre l’occident et que le pouvoir en place tolère en pensant les contrôler.

-Tu as raison Jasmina. Ils recrutent aussi en Irak, en Afghanistan, au

Pakistan. Personne ne connaît encore le nom de ce mouvement et moi même ne peut le

prononcer, mais sache que dans quelques années, une ou deux dizaines tout au plus, le monde

entier tremblera devant lui et les spécialistes anti-terroriste des pays les plus développés

devront s’unir pour le combattre.

Les bombes que je veux me procurer, il est presque impossible de les

fabriquer, mais je crois savoir où pouvoir les voler et de plus, probablement sans trop de

difficulté. Un homme que je ne connais pas encore travaille désormais avec nous et l’on dit

que c’est le plus puissant des trafiquants d’armes de la planète, si l’on fait exception des états

eux même, bien entendu.

C’est un Arménien, ceux qui le connaissent tremblent à l’énoncé de son

nom. Il n’est pas que cupide, il aime à jouer avant tout Le plan va être un formidable

divertissement pour lui ; on dit encore qu’il gagne toujours ses paris et il a déjà misé avec

nous.

Mais tout cela est prématuré Jasmina, il faut que nous nous armions de

patience, hélas peut être encore quelques années. Alors rien ne bouge encore, mais tout doit

rester en place. Le moment viendra un jour où nous recommencerons notre partie et rien ne

nous arrêtera.

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Chapitre II SAMARKAND Mai 1988

Le lieutenant colonel Sergeï Mallienko ne porte toujours guère son

nom, les années ne l’ont pas voûté, l’Ours Boiteux reste un colosse de près de deux mètres. Il

se voit déjà en fin de carrière et rêve d’une simple petite datcha sur le bord de la Moskova.

Heureux, enfin ‘désexilé’ papa n’étant plus de ce monde pour faire échouer sa X

ieme demande de mutation. Ha, bien sûr il sait que jamais les étoiles de général ne seront

brodées sur ses épaulettes, pas même au titre de la retraite ! On n’aurait jamais vu ça pour un

officier qui a refusé de s’inscrire au Parti, prétextant son incompréhension de la politique.

Depuis presque un an et demi déjà, Mallienko a reçu sa nouvelle affectation à

Samarkand, cité mythique de la route de la soie. D’abord hostile à tout ce qui n’est pas

purement Slave, Ours Boiteux va lentement s’intéresser à la ville mystérieuse et succomber

comme envoûté par son charme oriental et parfumé.

Heureux, de ne plus supporter cette Sibérie maudite.

Heureux de revivre. La haute silhouette qui dissimule fort bien sa légère claudication

est devenue familière dans la ville des 165 mosquées et elle n’attise pas la haine coutumière,

celle que l’on porte aux Russes, envahisseurs et dominateurs de toujours. Les langues courent

vite dans les innombrables ruelles et la réputation du géant est faite aussitôt. On sait que le

colonel apprend rapidement plusieurs des principaux dialectes locaux et surtout qu’il ne

manifeste aucune arrogance, contrairement à la majorité des bureaucrates tatillons envoyés

par Moscou depuis des siècles déjà.

La situation géographique de Samarkand en fait depuis des temps immémoriaux, un

noeud stratégique de communication. Cette cité ‘Perle des caravaniers’ est un carrefour à deux

pas de la Chine, elle n’est séparée de ce voisin ami-ennemi que par le massif du Pamir (qui

culmine tout de même à 7500 mètres) mais c’est surtout la porte d’accès pour une éventuelle

extension du pouvoir russe vers le sud.

La grande Catherine, la Tzarine, consciente de l’importance de ‘la Prestigieuse’, autre

surnom de la ville, y implanta de nombreuses garnisons, verrouillant ainsi une éventuelle

invasion.

Plus tard, dès la fin du 19 eme siècle, un important réseau de chemin de fer est

construit à grand renfort de vies humaines, lots d’infinité de bagnards, bannis et déportés de

tous poils, ratissés dans l’immensité des terres russifiées. Il va relier les rives de la mer

Caspienne à Novossibirsk en longeant les contreforts de l’Himalaya, là il rejoindra l’axe

Moscou Vladivostok.

L’interminable ligne entre la plus grande mer intérieure du globe et l’Océan Pacifique

promène le voyageur près des frontières nord de l’Iran, de l’Afghanistan et enfin de la Chine

en traversant le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan puis pour finir, les immensités

Sibériennes.

Ce qui fut stratégique pour les Tzars, l’est resté pour l’empire communiste, qui

toujours porte un oeil envieux sur un possible débouché vers l’océan Indien et l’invasion de

l’Afghanistan en 1979 a eu, probablement aussi, à voir avec cet objectif.

Le colonel Mallienko est chargé d’un convoi… très spécial. Une puissante locomotive

diesel, la plus moderne de la flotte ferroviaire soviétique, tracte ou pousse selon les

circonstances, seulement dix wagons. Trois sont de voyageurs dont deux réservés à la petite

quarantaine de soldats, officiers et sous officiers et un destiné au commandement et liaisons

radios, deux plates-formes puissamment armées notamment en canons anti-aérien et enfin

cinq autres plates-formes toujours soigneusement bâchées.

Les toiles dissimulent cinq cylindres redoutablement destructeurs : des missiles

nucléaires de moyenne portée. Personne ne connaît la position du dispositif qui souvent

s’immobilise sur des voies de garage spécialement aménagées, parfois creusées sous de

petites collines, toujours loin des villes et bourgades traversées par l’axe principal.

Les ordres de déplacement viennent bien sûr des tacticiens moscovites et sont

transmis par un général en chef qui lui ne quitte jamais Samarkand. Le colonel travaille sans

relâche pendant deux semaines consécutives à un rythme effréné et épuisant mais il jouit

ensuite d’une semaine de semi repos dans un bureau, ses subalternes n’ont pas cette chance et

sont sur le terrain sans d’autre interruption que de courtes permissions. Ours Boiteux

découvre petit à petit les milles et un recoins de cette fantastique ville avec son coeur appelé

Régistan où plus d’un millier d’artisans tiennent boutiques et ateliers toujours bouillonnants

d’activité.

Théoriquement son subalterne, le commandant Youri Sarkov est le seul ennemi de

Sergeï ; commissaire politique de l’armée, il est de ce type de soldat non combattant qui

n’entend rien à la stratégie mais pense qu’un conflit se gagne en obéissant aveuglement au

sacro-saint Parti, à une idéologie forcenée.

La grande Armée Rouge, la puissante Armée Rouge, la toute glorieuse Armée Rouge

est en fait, et à tous les échelons, commandée par des directives idéologiques où les données

du terrain, les positions de l’ennemi et les armes en général n’ont que peu de place ! Pendant

la deuxième Guerre Mondiale, les mêmes victoires auraient été obtenues avec certainement

beaucoup moins de pertes humaines en écoutant les véritables militaires, professionnels des

armes seulement. De tous les belligérants, c’est l’Union Soviétique qui a payé le plus lourd

tribut en vies par rapport aux forces engagées.

Le commandant Sarkov, pire encore, est dûment appointé au terrible GRU, service de

contre espionnage militaire, il a été l’un des sbires du père de Mallienko, peut être

secrètement veut il se venger ?

Heureux Sergeï, bien que seul maintenant, Irvina, la belle serveuse qu’il connu autre

fois en Allemagne de l’Est est morte depuis trois ans déjà dans un infernal hôpital

psychiatrique de Vladivostok. Tatiana sa fille, s’est volatilisée en 1975, à l’âge de vingt ans ;

elle est partie travailler pour un obscur service de l’état. De trop rares et courtes lettres,

toujours sans cachet de poste, révèlent qu’elle se porte bien, sans rien mentionner de sa vie

privée ou professionnelle.

Basile son fils, lui aussi est devenu officier. Sous lieutenant au sortir de sa promotion,

avec un rang très moyen, il est commandant aujourd’hui et ne s’est inscrit au Parti que par

commodité et non pas par réelle idéologie. Les cours d’endoctrinement l’ennuient

profondément mais il n’en laisse rien paraître. Son bataillon de fantassins de montagne est

souvent vêtu de blanc dans les montagnes du nord ouest, défendant la frontière, comme si les

Finlandais allaient un jour attaquer l’empire.

Sergeï se dit qu’avec un peu de chance, l’enfant qu’il a chéri autrefois ne sera pas

muté en Tchétchénie parmi ce peuple de fous qui résistent encore et toujours ou pire, en

Afghanistan. Ici les enturbannés sont indéracinables et sans cesse le colonel voit de nouvelles

troupes débarquées, destinées au casse pipe à quelques centaines de kilomètres seulement

dans le sud. Aucun des hommes n’a vraiment le sourire aux lèvres, on sait la guerre perdue

depuis longtemps et dans son discours du premier mai, Gorbatchev a annoncé un

désengagement militaire prochain, pourquoi donc envoyer encore des hommes ? Moscou est

incompréhensible.

Enfin heureux plus que tout, car depuis cette dernière mutation, il n’a jamais

retouché une goutte d’alcool, une unique exception le jour de son anniversaire où deux petits

verres seulement ont réussi à le mettre pompette. Ses hommes sur le terrain puis ses amis

quelques jours après en ville ont été noyés dans la Vodka, hélas pas toujours de très bonne

qualité. Cuite mémorable où tout le monde a été bien malade, mais depuis ce moment là, Ours

Boiteux est devenu vraiment un chef très apprécié.

Puis un jour, alors que le colosse « nonchalande » dans une petite rue en respirant

voluptueusement un air rempli d’odeurs orientales…

-Me feriez- vous l’honneur de partager le thé, mon Colonel ?

La proposition vient d’un homme presque aussi grand que lui mais extrêmement

maigre, elle est faite d’une voix de basse chaleureuse et en un Russe parfait, presque

moscovite, pourtant l’homme est visiblement du sud, ses yeux très peu bridés pétillent de

malice et le teint est radieux. Il sourit devant une énorme porte de bois richement sculptée et

cloutée qui vient de s’entre ouvrir sans un seul des habituels grincements. Les énormes gongs

de fer forgé ne doivent pas manquer de graisse.

-Mais pourquoi pas ?

La demeure de Ias Ramarian, notoire trafiquant en tous genres, mais principalement

en armes, est très vaste, richement décorée et meublée. De merveilleux tapis couvrent un

dallage de mosaïques compliquées, et l’officier ayant délaissé ses chaussures pour des

babouches, foule de véritables fortunes tissées ici même en Ouzbakie mais aussi en Chine en

Turquie, au Turkménistan ainsi que de splendides spécimens acheminés de la Perse toute

proche.

Le soleil passant par les croisés des moucharabiehs mouchette ces pures merveilles

de mille petits losanges d’or.

Le thé est évidemment excellent, accompagné d’une myriade de petites pâtisseries

délicieusement parfumées à la menthe, au jasmin, à la rose et à bien d’autres ingrédients

difficiles à discerner pour des papilles non initiées. Toutes ces douceurs paraissent adductives,

elles contiennent vraisemblablement un peu de hachich.

La visite est rapide, seules quelques banalités sont échangées, mais les deux hommes

apparemment si différents se plaisent d’emblée et Sergeï promet à son hôte de revenir bientôt,

pour une partie d’échec par exemple.

Il va falloir rendre compte à ce rabat joie de Sarkov.

Le commandant qui connaît déjà l’escapade de son supérieur est ravi d’introduire un

pion supplémentaire dans l’antre du malin : le géant arménien. Pour le moment Moscou a

laissé faire le trafiquant en se servant de son réseau d’innombrables informateurs. Il l’a

souvent utilisé pour ne pas paraître lui même coupable de bien des actions peu honorables.

C’est un paravent bien pratique…pendant la longue et sanglante guerre qui a opposé l’Iran et

l’Irak, Moscou fournissait allégrement des armes à Saddam Hussein (et Paris aussi) et l ‘

arménien pourvoyait quant à lui généreusement Khomeiny (et Paris aussi à partir de 1986)

-Si Ias Ramarian est puissant, c’est qu’il mange dans la main de Moscou,

il n’est qu’un vassal obéissant.

Si le Kremlin laisse agir cet homme comme un grand bandit, en toute

impunité, ce n’est pas sans raison.

Comment ce fait- il que l’armée et la police contrôlent villes et villages

mais qu’ils n’osent pas s’aventurer dans les vallées et les montagnes de l’Est, aux flancs de

l’Himalaya et qu’ici même, ils paraissent ignorer le trafiquant ?

Stop Youri, toi aussi tu penses et c’est déjà désobéir un peu. Il faut

continuer de croire. Le Parti c’est toute ta vie, c’est ton idéal, ton guide ; il surmontera la crise

qui frappe notre grand empire. Même si la paye n’arrive plus à la fin du mois, même si les

désertions sont si fréquentes au sein de la troupe, voir parfois parmi les officiers, que les

effectifs en viennent à manquer.

Le représentant du Polit Bureau expédie information sur information à Moscou, la

brigade ferroviaire ne peut presque plus se déplacer, manque de matériel, d’entretien et de

pièces détachées.

Beaucoup de rapports également sur cet Ours Boiteux qui traîne trop souvent dans les

vieilles ruelles de Samarkand, qui toujours refuse d’entendre parler du Parti. Cette obstination

est douteuse, cet homme est certainement un subversif ! Mais tous les messages du

commandant Sarkov ne servent à rien, Moscou a bien d’autres chats à fouetter.

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MARS 1988

A Luxembourg ville, le nouveau directeur d’une petite société de fret fluviale et

maritime, presque spécialisée au demeurant dans le transport local par péniche, ne comprend

pas les désirs de son actionnaire principal. L’homme doit avoir un caprice sans doute ! Le

multimilliardaire palestinien, exige l’achat d’un navire marchand ; ce n’est pourtant pas la

vocation coutumière aux sociétés de fret que d’être également armateurs.

Mais le proprio, qui ne fait parler de lui que pour encaisser les faibles dividendes,

commande. Il exige et de toute manière, Monsieur Raj Sayhoum paye de ses deniers un porte

container de vingt ans d’âge qui a déjà bien bourlingué mais garde encore de beaux restes.

A part les habituels travaux de peinture en cale sèche, le navire va subir une

profonde refonte de sa motorisation et il va être équipé, chose inhabituelle, d’une porte

latérale rabattante afin de le transformer en une sorte de ferry. Objectif : le transport de

véhicules d’occasions ; des voitures presque invendables au Japon et en Corée du Sud seront

bientôt écoulées sur l’immense marché africain où la grande majorité des habitants n’a

absolument pas les moyens d’acheter un véhicule neuf.

Le même commerce, assez rentable, est déjà en place à partir de l’Europe qui

écoule ainsi ses vieilles voitures encore apparemment potables, leurs évitant la honte de la

casse, de la mise en pièces détachées, puis de la ferraille.

Autre curieuse exigence de monsieur l’armateur, la porte mesure presque neuf

mètres, par quatre mètre cinquante de hauteur. Probablement pour charger plus rapidement

des poids lourds et des engins de travaux publics. Mais tout est possible quand on paye.

Un important chantier naval de Turquie, rapide, compétent et relativement bon

marché est chargé des modifications du bateau qui battra désormais pavillon des Bahamas.

Le JASMO est maintenant fin prêt pour une mission toute particulière.

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CHAPITRE III LE PLAN

SEPTEMBRE 1988.

Trois ans consacrés presque entièrement à l’augmentation de sa

fortune, avec maintenant la prise de risques bien calculés en bourse, Moktar n’a désormais

plus de scrupule et systématiquement il alimente de confortables comptes en banque dans

plusieurs paradis fiscaux de la planète où les contrôleurs des différentes administrations

auront bien du mal pour mettre leur grain de sel.

Trois ans, très peu de temps dédié au projet vengeur qui reste en sommeil attendant le

moment propice, jusqu’au jour ou enfin…

Enfin le message tant attendu tombe sur le télex du bureau de New York. Cela

ressemble étrangement à un code qui serait utilisé pour une opération financière. Trois mots

seulement qui font bondir le coeur dans la poitrine du palestinien. Pendant quelques secondes

il bat à un rythme effréné.

Le message vient de Samarkand, il est retransmis par une banque de Sanaa au

Yémen.

CONDITIONS POTENTIELLEMENT FAVORABLES.

- Jasmina, je pars pour le Venezuela.

La soeur de Moktar tombe en pleurs et supplie Allah dans ses sanglots.

-Prends pitié de notre famille, elle met le pied en enfer.

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Il n’est pas rare à Caracas de faire de l’avion stop. Sur l’unique simple piste de

l’aérodrome situé en plein centre de la ville, l’on tolère ceux qui osent se présenter à la petite

tour de contrôle, ils viennent quémander une place aux pilotes qui y déposent leurs plans de

vol. Si l’avion n’est pas trop chargé, ils auront la chance de voyager gratuitement.

-Senior Legrandjean, Pierre Legrandjean ?

L’homme qui apporte la documentation d’un Cessna bi moteur a le teint légèrement

basané. Bien qu’ayant atteint la quarantaine tout au plus, il a déjà les cheveux entièrement

blancs. Avec sa chaussure à semelle compensée il ne peut dissimuler le pied bot qui le

handicape.

Pas très grand, le visage poupon, une cicatrice à la base du cou, il ne parle pas

Espagnol ; Américain probablement, il répond d’une voix douce, mielleuse avec un rythme de

diction particulièrement lent. Il semble toujours essoufflé et malgré la chaleur porte en

permanence des gants de cuir fin de pécari.

-Oui, c’est moi même.

-Vous allez décoller pour El Salto Del Angel ?

-Oui

-Roberto Sanchez, je vois que vous êtes seul, auriez-vous une petite

place à bord pour le globe-trotter que je suis, je ne porte que mon sac à dos et je vous ferai

compagnie.

La phrase convenue est bien dite, le ton anodin, un peu joueur ne laisse pas deviner

des mots de reconnaissance appris par coeur et Moktar observe son interlocuteur avec

attention.

L’homme est jeune, vingt cinq ans tout au plus et l’on ne devinerait jamais en lui un

guérillero déjà endurci et disposé à porter le vent de la révolte dans bien des pays latinoaméricains.

- Allez, c’est d’accord, je vous embarque.

A bord de l’avion de location, les deux hommes vont faire plus amplement

connaissance.

-Vous n’avez guère l’accent Canadien !

Moktar Raj Sayhoum, allias Pierre Legrandjean se défend en riant.

-Et pourtant je le suis, mais de Montréal où je suis né je ne connais que

très peu de chose ; je visite parfois la ville, hélas trop rarement et j’ai habité la banlieue

parisienne depuis l’âge de trois ans, près de Versailles très exactement.

-J’aimerais bien découvrir les Champs Elysées un jour, mais nous ne

sommes pas ici tous deux pour papoter. Je me demande, pardon nous nous demandons

pourquoi avec l’aide d’un journaliste français vous avez pris contact avec nous monsieur

Legrandjean. Ceux qui on connu Carlos El Chacal n’aiment pas trop que l’on s’intéresse à

eux. Vous avez fait des milliers de kilomètres pour nous rencontrer de manière fort astucieuse

au demeurant.

Que voulez-vous de nous ? Si vous avez de mauvaises intentions vous ne

repartirez jamais, la jungle vénézuélienne n’a rien à envier à celle du Brésil, on y disparaît

sans la moindre trace…pour l’éternité.

-Ecoutez Roberto, pour le moment c’est moi qui pilote même si peut être

pourriez-vous le faire, mais ce n’est pas important.

Je ne suis qu’un simple émissaire, venu pour vous transmetre un plan

extraordinaire destiné à libérer toute l’Amérique Centrale et du Sud du joug des Yankees. J’ai

fait tout ce chemin afin d’éviter les intermédiaires. L’affaire est trop importante.

-Nous libérer de ces fils de putes, hélas ce n’est pas encore possible !

-Si. Ecoutez-moi bien, ceux que je représente aujourd’hui ont la possibilité

de se procurer plusieurs bombes atomiques de moyennes puissances. Ils vont pouvoir les

acheminer sur le territoire des Stades.

-Conio !

-’Le Plan’ prévoit de faire exploser un engin premièrement dans un

désert, puis d’envoyer par une agence de presse un ultimatum avec vos revendications.

Conditions sine qua non pour que des grandes villes ne soient pas détruites par la suite

-Conio !

-Votre mouvement de libération exigera le départ des forces nord

américaines du Panama en abandonnant bien sûr leurs colossales royalties sur le canal. La fin

de toutes aides militaires en Colombie, Bolivie, Venezuela, Brésil etc. La fin de l’aide

inconditionnelle à toutes dictatures. La levée de la main mise sur les richesses naturelles du

Chili, de la Bolivie, du Pérou etc. La fermeture des innombrables centres où la CIA enseigne

la torture dans ces pays là.

On pourra également encourager les Stades à quitter l’Allemagne, la

Turquie, le Japon, la Corée du Sud et j’en passe.

-Conio !

-Votre conversation est soudainement bien limitée monsieur Sanchez.

-Vous allez réellement détruire des grandes villes Américaines ?

-Si le président des Etats Unis, le cowboy Ronald Reagan reconnaît

solennellement à la tribune de l’ONU les ingérences dans de nombreux pays. Si enfin il admet

devant la terre entière qu’en prétextant la chasse au méchant communisme, les Stades

n’assurent leur hégémonie en fait qu’à des fins économiques.

Si le président enfin renonce officiellement à cette politique, il est

probable que nous ne tuerons personne. Notre but n’est pas d’écraser quiconque, nous voulons

que le monde de demain soit basé sur des échanges plus justes. Attention, nous serons

capables d’aller très loin dans ce juste chantage : jusqu’à ce que nous obtenions satisfaction.

Alors oui, pour ce, nous sommes capable de faire mourir des millions de gens.

Aucune arme de dissuasion ne pourra être utilisée contre nous, nous

venons de nulle part et nous sommes partout, partout où l’on hait les Yankees, c’est à dire sur

la terre entière.

Ils vont céder. Leur omnipotence est terminée et leur monnaie

redeviendra seulement nationale, non plus la référence mondiale dont seuls ils détiennent le

robinet Son cours chutera de quarante à cinquante pour cent selon toute probabilité.

-Conio, Fidel lui même ne pourrait pas rêver mieux.

-Le barbu n’a rien a craindre, ne sachant pas d’où vient l’attaque il n’y

aura pas de réplique et personne n’a rien à gagner d’une guerre nucléaire, ce serait la fin du

monde. Les Américains, même idiots, ne sont pas si fous.

Deux heures après le décollage l’appareil survole un magnifique paysage, les deux

hommes admirent enfin la plus haute chute d’eau du monde. Avec ses milles mètres de

dénivelé, ce n’est plus qu’une brume épaisse qui arrive au sol. L’endroit est paradisiaque mais

cette curiosité naturelle est peu connue, peu visitée, elle n’est accessible qu’en avion, une

simple piste qui permet aussi le ravitaillement de quelques compagnies de chercheurs d’or

ayant été aménagée.

-Comment ferons-nous pour vous recontacter monsieur Legrandjean ?

-Vous aurez des instructions bientôt, nous allons repartir immédiatement

après avoir fait le plein, il me faut justifier mon rôle de touriste, direction Margarita où je vous

déposerai avant mon retour sur Caracas.

Sachez qui si vous refusez une collaboration avec notre mouvement,

d’autres le feront. Nous nous sommes adressés à vous car vous êtes les plus connus. Si les

guérilleros que vous représentez veulent réellement se défaire de l’emprise Yankee alors

qu’ils acceptent le Plan, c’est ainsi que nous l’appelons, il n’a pas de nom de code.

Ce Plan continuera avec ou sans vous, avec ou sans moi, je vous

rappelle que je ne suis qu’un simple intermédiaire, j’agis par idéologie, je ne suis pas

corruptible, de plus je suis malade Roberto.

Pour la première fois Moktar s’adresse à son vis à vis en l’appelant par son prénom

et celui-ci paraît en être touché.

- Si je parle aussi lentement et je m’essouffle c’est qu’il me reste peu de

temps à vivre.

- Conio !

-Non, cancer seulement, le rôle que je joue dans cette course à la liberté,

contre l’impérialisme, va hélas s’arrêter bientôt pour moi et je ne connaîtrais pas le bonheur

de voir nos ennemis communs enfin à genoux.

-Monsieur Legrandjean, il est probable que nous soyons d’accord avec

le Plan. Je rapporterai fidèlement votre proposition mais dites-moi franchement, vous êtes

réellement Canadien ?

-Vous êtes décidemment incorrigible mais je vais vous répondre. Mon

père est, pardon, était Français, il a épousé une Algérienne. Je suis né à Montréal puis j’ai

passé toute mon enfance à Versailles je vous l’ai déjà dit et mon teint métissé, mes traits

proches de ceux de ma mère m’ont hélas valus bien des railleries autrefois. La France n’est

pas aussi belle qu’on pourrait le penser et le racisme y est omniprésent aujourd’hui encore.

Autre chose encore le temps de mise en oeuvre de notre projet est d’un peu plus d’un an, il est

donc plus que certain que nous ne nous reverrons jamais. Soyez patient.

-Vous n’avez réellement aucun espoir de vous en sortir ?

-Aucun.

Sur l’île de Margarita, Moktar laisse son avion stoppeur abasourdi en lui remettant une

clef de consigne de bagages. Il trouvera dans le petit compartiment de plus amples

informations. De nouveau un complément de carburant et c’est le retour sur Caracas.

Dans la capitale Vénézuélienne, notre Palestinien jubile, il a repris son véritable

aspect, effacé la cicatrice si bien imitée à la base du cou, enlevé les rembourrages de silicone

modelés entre mâchoires et joues qui déformaient ces dernières, reteint ses cheveux à leur

couleur naturelle, ôté les lentilles modifiant la couleur de ses yeux qui commençaient à le

gêner sérieusement, remis des chaussures de monsieur tout le monde et enfin retrouvé, bien

évidemment, voix et rythme d’élocution normaux.

- Là vraiment, j’ai fait fort, ma propre mère ne m’aurait pas reconnu.

A cette pensée l’image de Laïla traverse son esprit. Il y a si longtemps qu’ils ne se

sont embrassés et les nouvelles ne sont pas très bonnes. Sa mère de lait dépérit de chagrin et

les médecins n’ont pas de remède pour cette maladie là, ils ne peuvent que soulager les

douleurs physiques qu’hélas la vieillesse provoque si souvent.

Laïla ne vit que pour et par les coups de téléphone du vendredi qui invariablement

ravivent la lumière dans son petit univers. Pendant presque une heure, elle peut parler soit

avec Moktar soit avec Jasmina et, bonheur, parfois avec les deux simultanément.

Revenant sur terre, Moktar est désormais certain que les services secrets russes vont

connaître d’ici peu l’existence d’un nouveau réseau terroriste. Inconnu donc non identifié, ils

vont avoir la nécessité de savoir qui est derrière, qui manipule. Personne parmi les plus fins

stratèges soviétiques ne pourra jamais imaginer que le Plan et tout ce qu’il suppose comme

connexions, appuis et logistique ne sera l’oeuvre que d’un seul homme. C’est impensable !

Moktar Raj Sayhoum n’est pas encore rentré sur New York, qu’une réunion de travail

exceptionnelle se tient au Kremlin avec comme protagonistes principaux Mikhaïl Gorbatchev

et celui qui sera le dernier chef du KGB avant sa dissolution ; Vladimir Krychkov qui pille

littéralement les réserves de l’état en devises étrangères, mais l’ordre du jour est différent.

Les récoltes sont exécrables en quantité et en qualité, les moissons passées n’ont pas

eu les moyens techniques d’être menées à bien tant le matériel agricole est mal en point. Le

pays est proche de la disette, il va falloir d’ici peu quémander de l’aide à l’occident, pire peut

être à l’Amérique tant dénigrée. Or…

Or, les services secrets Cubains ont communiqué une incroyable information. Un

groupe terroriste inconnu veut exercer un chantage à l’arme nucléaire sur le territoire de

l’oncle Sam. Le chef du KGB a une idée.

- Pourquoi ne pas favoriser discrètement ce plan machiavélique puis

prévenir la maison blanche au dernier moment, juste avant l’irréparable. Il faut bien que le

téléphone rouge serve de temps en temps.

Les USA reconnaissants ne pourront plus s’opposer à nous octroyer

une aide massive. Et aux yeux du monde entier, nous allons faire figure de bienfaiteurs de

l’humanité, l’ayant sauvée d’un conflit nucléaire presque certain. Nous nous arrangerons pour

donner force publicité à cette affaire si nécessaire.

-Enquêtez, que vos services découvrent qui se cache derrière ce coup,

qui paraît particulièrement tordu ; il nous faut savoir qui est ce Legrandjean et plus important

pour qui il travaille. Où est-il possible de voler facilement des bombes, mettre tous nos

réseaux en alerte le jour ou cela se produira. Il faudra surveiller l’acheminement des engins,

contrer l’action de la CIA si elle est prévenue du plan avant le moment opportun.

A peine quelques heures plus tard les premiers résultats de l’enquête demandée par

Gorbatchev, les premiers renseignements arrivent dans l’immense bâtisse du quartier général

du KGB à Moscou; ce seront aussi les derniers jusqu’au mois d’août de l’année suivante et ce,

malgré les efforts d’une multitude d’agents à travers le monde entier.

PIERRE LEGRANDJEAN né le 2 juin 1945 à Montréal Canada

Mort le 6 décembre 1981 dans un accident de voiture.

Enterré au cimetière Saint Joseph dans le caveau de sa famille.

L’impasse est complète, mais le Kremlin sait… et va laisser faire.

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CHAPITRE IV

Tel-Aviv avril 1989

Isaak Granowsky est un fabuleux conteur, il fascine longuement par ses

récits pittoresques son petit fils Joshua ainsi que les bambins de son école qui parfois

l’accompagnent. De sa voix grave et mélodieuse bien que cassée par ce maudit tabac, il

captive aussi les adultes qui prennent parfois le temps de l’écouter lors de soirées entre amis.

Ils ignorent par contre son ex appartenance au Mossad et tous sans exception l’encouragent à

écrire et pourquoi pas à publier son histoire ou simplement des histoires.

Isaak craque un jour et décide de prendre la plume. Une vie plus qu’aventurière, va

lui fournir mille et une anecdotes. Il entreprend dans un premier temps de classifier son passé.

Son auto biographie pourrait être la base d’un roman passionnant, il en est persuadé. Et

pourquoi pas des livres d’espionnage, sans bien entendu trahir certains secrets que les états

aiment à enfouir consciencieusement sous d’épaisses couches de poussière, le plus longtemps

possible.

Les pensées du retraité ‘de la marine’ cheminent et un visage féminin très attractif

danse devant ses yeux.

- Rachel, qu’es tu devenue ; où es tu beau souvenir ?

L’ex agent secret décroche son téléphone et compose l’un des numéros du bureau

que, quelques années auparavant, il a quitté.

A l’un de ses collègues et ami encore en poste, il adresse une requête bien

particulière :

Pourrait-on, avec l’autorisation de la hiérarchie bien entendu, retrouver une certaine

Rachel Lerner, connu en 1947, comme c’est loin déjà, ici même à Tel-Aviv. Il aimerait tant la

recontacter !

A peine deux jours après cette demande informelle Isaak Granowsky s’effondre dans la

rue, victime d’une crise cardiaque. Ah il était solide le bougre pour avoir résisté aussi

longtemps à ces doses massives de goudron et de nicotine.

En ce début mars 1989 le jeune inspecteur David Edelstein est chargé par ses

supérieurs d’une mission, plutôt d’une enquête en mémoire à un ami disparu ; peut être aussi

destinée à redécouvrir une page d’histoire, celle du pays dans les premiers temps de sa

création.

Retrouver une femme venue au pays parmi les milliers d’émigrants de l’époque ne

doit pas être aussi difficile !

Tu te trompes David.

Une première vision de toutes les archives récemment informatisées donne un aperçu

de la tâche ardue qui se présente. Rien au nom recherché sur les puissants ordinateurs qui

recensent toute la population, enfin presque toute, de l’état Hébreu. Juifs ou Palestiniens tout

le monde est fiché.

Il va falloir se déplacer, compulser des milliers de dossiers, à Gaza tout d’abord où

Rachel aurait pris pied sur la terre promise, puis ensuite… ensuite on verra.

Une seule famille Lerner sur tout le territoire de Gaza parmi les colons installés depuis

1967 après la guerre des six jours et… rien pas de Rachel ni présente ni passée.

Retour sur Tel-Aviv maintenant, où il y a bien longtemps un couple s’aima

intensément et brièvement aussi. L’inspecteur du Mossad, malgré plusieurs jours de recherche

aidé de deux archivistes, compulsant une petite montagne de documents, reste sur sa faim.

Rien de rien sur toute la période de 1945 à 1950. Un petit quelque chose

d’indéfinissable pousse David qui ne veut pas se rendre. C’est son premier boulot en solitaire

et il sent confusément qu’il va trouver. Il doit trouver.

Avec l’accord de ses chefs, il continu son investigation et muni d’une pile de bottins

téléphoniques est bien décidé à contacter tous les Lerner du pays, un par un s’il le faut.

-Pardon, simple enquête de routine des services de sécurité intérieure de

notre pays, inspecteur Edelstein.

Y a t il dans votre famille une certaine Rachel qui aurait actuellement 65

à 70 ans, immigrée en 1947. Allemande, d’origine probablement lituanienne ou polonaise.

Si vous avez une information à me communiquer voici mon numéro et

en cas de doute n’hésitez pas à vous adresser au plus proche poste de police qui vous

confirmera mon identité et la véracité de ma requête. D’avance je vous remercie.

Et encore, et encore, que de Lerner, heureusement que l’état paye les

communications !…

-Inspecteur Edelstein ?

-Lui même

-Voilà, je vous appelle au sujet de Rachel Lerner. Ma tante Esther est sa

cousine, mais elle ne l’a pas revu depuis sa petite enfance. Elle a par contre reçu une lettre de

Rachel fin 1947 ou début 48 précisant qu’elle était maman depuis peu à Haïfa. Elle logeait à

l’époque dans une famille de transit chez de vieilles gens dans le centre de la ville, près du

port.

Cette lettre, malheureusement perdue aujourd’hui, avait été expédiée en

Suisse où résidait ma tante à l’époque.

-Formidable, je vais vous visiter dès ce soir si vous le voulez bien,

pourrais je parler à votre tante ?

-Ha ! Ha ! non inspecteur, c’est elle qui vous parlera et il vous sera

difficile de l’interrompre. Esther est une bavarde maladive, mais rassurez-vous sa mémoire

reste intacte.

Nous vous attendons.

L’entretien qui effectivement va se réduire à un monologue, fait tout de même

évoluer l’enquête, en route donc sur une nouvelle piste, direction Haïfa.

David sait qu’il va réussir, il a désormais une femme et un enfant qui doit avoir une

quarantaine d’années aujourd’hui, à retrouver. C’est mathématique, il y a donc deux fois plus

de chance d’aboutir….Tu te trompes encore David !

Le Yishouv, archive de la ville, rien, toujours rien malgré trois jours supplémentaires

de travail, lecture d’innombrables documents où heureusement l’attention n’est portée que

sur les noms propres. Tout est bien ordonné bien que l’informatisation ne soit pas encore

terminée, hélas un petit incendie, vite maîtrisé heureusement, s’est déclaré dans une salle en

1959 ne réduisant en cendres que quelques piles de documents à classer.

Alors après quatre jours, les yeux rougis, les membres ankylosés, baillant de fatigue,

le jeune inspecteur s’arrache de son siège très tard dans la nuit en désespérant pour la

première fois.

-Au dodo, je remets ça demain après un petit tonneau de café, je n’en

peux plus.

En quittant la salle pleine de rayonnages, son regard se pose, (est- ce par hasard ?),

sur un carnet couvert de poussière. David va pour sortir quand soudain il fait demi-tour et

prend précautionneusement l’objet. Hâtivement nettoyé d’un revers de manche, il se révèle

d’un beau cuir noir aux reliures finement ciselées. Il est écrit en Araméen.

L’inspecteur Edelstein va dormir encore beaucoup plus tard cette nuit là, car s’il ne

lit pas cette langue très ancienne qu’il a devant lui, certains mots sont déchiffrables, des noms

de famille notamment.

Et le miracle s’accompli. Avec un grand boum dans le coeur et ses yeux qui pleurent

maintenant.

Rachel Lerner, là, oui c’est bien lisible.

Il n’y a pas d’heure pour les braves et le traducteur ronchonnant car peu habitué a

se lever bien avant l’aube, arrive bientôt et se met à l’ouvrage.

-Quelle merveilleuse écriture, à la plume, méticuleusement trempée

dans l’encrier, voici ce qui vous intéresse inspecteur.

14 Heshvan 5708 (28 octobre 1947 dans le calendrier Grégorien) Rachel

Lerner et son bébé Moshé sont parmi nous.

Puis, plus loin sur le carnet :

26 Heshvan 5708 (9 novembre) il y a deux jours déjà que Rachel et son

enfant ne sont pas rentrés. Ils ont laissé un si maigre bagage que je le donnerai aux prochains

bienvenus. Que Dieu soit avec eux.

-C’est sûr dorénavant je vais avoir encore beaucoup de boulot, et tante

Esther n’a pas la mémoire aussi bonne qu’elle le prétend car elle m’aurait donné le nom du

bébé.

Retour sur Jérusalem. Où donc sont passés ces deux là ? Rien nous l’avons vu sur

Rachel, les ordinateurs cherchent désormais Moshé Lerner et encore une fois c’est le choux

blanc. Faut-il continuer les investigations ? Oui, dit-on en très haut lieu. Isaak était

décidément un élément plus qu’apprécié.

-David, vous avez insuffisamment travaillé votre Anglais à l’école.

-Pourquoi chef ? j’ai préféré l’Allemand c’est de famille, mon grand père

n’a jamais cessé de le parler.

-Ce n’est donc pas vous qui interrogerez l’officier britannique des

Affaires Civiles de Haïfa en 1948, car il est encore vivant et nous étions disposés à payer

votre billet d’avion pour Londres.

Le colonel à la retraite Harry Braddoock ne réagit pas au nom de Lerner. L’homme

qui lui pose gentiment quelques questions est accompagné d’un agent du Forring Office plus

faux que vrai. Le vieil officier se rappelle pourtant d’une visite curieuse, au sujet d’un bébé et

d’une affaire de cadavre de jeune femme, le même jour il lui semble.

-Cela est bien loin mais je me souviens d’un arabe ayant trouvé un

nourrisson auprès d’une femme abattue dans la rue. Mais comme je lui ai dit ce jour là, nous

n’avions pas pu l’identifier. Ils nous menaient la vie dure ces maudits juifs en ce temps. Ho

pardon, excusez-moi monsieur !

-Poursuivez je vous prie, vous rappelez vous du nom de cet arabe ?

-J’ai son portrait si caractéristique devant les yeux malgré toutes ces

années, c’était un homme tout petit, tout rond, et qui parlait si bien notre merveilleuse langue

qu’il m’en avait étonné. Ses yeux pétillaient d’intelligence ; comment s’appelait t il déjà ?

Azzi, Jazzi, Fazzi, quelque chose d’approchant en tout cas.

Par contre je me souviens ne l’avoir reçu que par ce qu’il était mandaté

par un grand notable palestinien de la région, celui que tout le monde appelait le Vénérable.

C’était le cheik Abdelkader Raj Saymi, non pardon Raj Sayhoum ; je regrette vraiment de ne

pouvoir vous dire grand chose de plus sur cette affaire mais peut être suis-je indiscret, si

longtemps après, quel intérêt avez vous ?

-Mon colonel, nous essayons de résoudre un mystère vieux de quarante

ans maintenant, c’est de notre mémoire collective dont il est question, comme vous l’avez

constaté rien de tout cela ne peut nuire aux intérêts de la Grande Bretagne et de plus, ne

sommes-nous pas amis maintenant ?

Veuillez d’autre part ne pas parler de notre visite et de ne la révéler

évidemment à qui que ce soit, ni aujourd’hui ni demain, nous vous en prions.

Le conseiller de l’ambassade d’Israël à Londres envoi immédiatement un rapport de

la conversation à Jérusalem. Et en route, mauvaise troupe, David remet ça : cette fois-ci

direction Les Lauriers à Haïfa.

Le lieu n’a pas été débaptisé, l’alphabet hébreu a seulement remplacé les caractères

arabes. L’inspecteur est fort mal reçu ;

-Cette terre, petit jeune homme, cette terre a toujours été juive et vous

ne trouverez rien ici qui vous dira le contraire !!

En effet pas la moindre trace arabe, ffffffft ! Effacée, évaporée, pas même un petit

bout de stalle dans un cimetière qui a d’ailleurs été déplacé.

- Repartez vers les ronds de cuir qui nous gouvernent et dites leur de

respecter un peu plus la terre que Yahvé nous a généreusement octroyée ; il n’y a jamais eu de

palestiniens ici.

Dans une salle ultra sécurisée au PC du Mossad une réunion a lieu, parmi les thèmes

du jour l’affaire Isaak Granowsky. Les chefs sont pragmatiques, il faut des réponses aux

questions suivantes avec un maximum de probabilités et mieux encore, des preuves.

1/ Rachel Lerner est elle morte ?

2/ L’enfant est-il devenu palestinien, et si oui : est ce Moktar Raj

Sayhoum l’un des hommes les plus riches de la planète ?

3/ Si la réponse est oui à la question numéro 2, peut-on envisager un plan

divulguant à Moktar sa véritable origine juive et le faire rentrer dans la famille ?

4/ Si la réponse est oui à la question numéro 3, pourra-t-on se servir de

lui pour ouvrir enfin un dialogue constructif avec les Palestiniens ?

Vu la personnalité sur laquelle a débouchée l’enquête de l’inspecteur Edelstein

l’affaire est classée prioritaire désormais. Pas plus de cinq minutes ont été consacrées au cas,

et les grands boss passent déjà à un autre ordre du jour plus grave, beaucoup plus compliqué :

A l’Est du pays, au delà de la pacifique Jordanie une très puissante armée arabe,

sous les ordres d’un dictateur sanguinaire, hélas mis en place par une CIA prétendant chasser

les communistes, manoeuvre bruyamment avec force tanks et fusées, avions français dernier

cris. Elle vient de terminer une interminable guerre presque victorieuse contre l’Iran.

Saddam Hussein préoccupe, sa haine de l’état d’Israël s’affiche de plus en plus

ouvertement et contre qui vont se retourner ses armées dorénavant libérées du conflit ? Un

plan doit être mis au point pour anéantir la puissance irakienne sans passer pour des

agresseurs aux yeux de l’opinion du monde.

Qui a la capacité de réduire Saddam Hussein au silence ? Ceux qui l’ont mis au

pouvoir bien sur, les Russes s’en foutent, trop embourbés en Afghanistan, les Chinois ne sont

pas assez idiots pour se laisser manoeuvrer et de plus ils n’ont pas encore la prestance

internationale nécessaire pour oser intervenir hors de leurs frontières. C’est bien l’oncle Sam

qui écrasera un jour l’Irak, nous nous en chargerons, plusieurs grosses têtes cogitent déjà sur

le sujet.

Affaire suivante, la situation au Kenya…

A peine une semaine plus tard le plan ‘ Revanche sur Nabuchodonosor ’ est classé

dans les tiroirs du Mossad, prêt à être utilisé.

Une vaste intoxication en direction des services secrets irakiens va pouvoir se mettre

en place. Le moment venu, par de fausses informations, Jérusalem pourra faire croire à

Bagdad qu’un gouvernement irakien en exil est en constitution dans l’émirat du Koweït. Avec

bien entendu l’appui des autorités. Il serait constitué pour la plus grande part de chiites

durement réprimés bien que majoritaires dans le dictat de Saddam.

Les révoltés exilés auraient conclu un accord avec les Kurdes, eux aussi plus

qu’écrasés pour soulever l’ensemble de la population.

PARIS JUIN 1989

Dans l’un des bureaux d’un bâtiment anonyme proche du ministère de l’intérieur le

téléphone sonne.

-Allo, bonjour, que puis-je pour vous ?

-Je vous appelle de la part de Simon Leroy

-Oui… vous êtes Monsieur ?

-Monsieur Moktar Raj Sayhoum

-Patientez quelques instants je vous prie…

(Une autre voix)

-Bonjour Monsieur Raj Sayhoum, l’homme qui vous avait contacté

en 1973 n’est plus dans nos services, souhaitez vous rencontrer son actuel remplaçant ?

-Ecoutez, il s’agit d’une affaire extrêmement importante et je préfère

en parler avec votre directeur général ; je sais qui il est et connais son visage bien que ne

l’ayant jamais rencontré ; accepterait- il une entrevue ?

-Patientez encore quelques instants s’il vous plait…

Et cette fois ci, l’attente se fait plus longue. Au nom de Moktar les renseignements sont

nombreux et l’on se demande que peut vouloir cet homme ignoré du grand public et pourtant

fiché comme faisant partie des vingt plus grandes fortunes du monde, qui de plus a aidé a de

discrets transferts de fonds pour la maison.

Quel motif est si particulier pour que le palestinien ne veuille parler qu’à de très hautes

sphères ?

-A part la ligne de téléphone que vous utilisez actuellement, y a-t-il un

autre numéro auquel nous puissions vous contacter ?

- Non, je reste à votre disposition ici même.

-Soyez près de votre téléphone dans deux heures précises ; monsieur

le directeur qui est actuellement en conférence vous contactera personnellement.

-Bien, merci, faites lui savoir que le motif de mon contact est si

extraordinaire que si le ministre de l’intérieur voire éventuellement le premier ministre

pouvaient être présents, cela ne serait pas superflu. L’intérêt vital de votre pays est réellement

en jeu.

Et très exactement deux heures après avoir raccroché le combiné, le téléphone de

l’appartement hôtel loué avec plus de deux semaines d’anticipation de New York, par Moktar

personnellement, sonne comme promis.

-Monsieur Moktar Raj Sayhoum ?

-Lui-même.

-Je suis presque chez vous, je vous attends dans le petit salon numéro

deux de l’hôtel, demandez au réceptionniste. Si notre entrevue se révèle intéressante,

Monsieur le Premier Ministre pourra éventuellement vous consacrer une petite demi-heure

aujourd’hui même.

-Je descends.

Dans un très confortable et discret salon, que deux spécialistes en électronique viennent

de passer au peigne fin afin de détecter d’éventuels micros, le plus haut responsable d’un des

services de renseignements français reçoit Moktar qui brièvement va lui servir une version

quelque peu modifiée d’un plan soit disant ourdit par des guérilléros sud Américains.

Omettant bien évidement de préciser qu’il en était lui-même l’instigateur.

-Monsieur Raj Sayhoum, j’ai lu avant de venir, votre fiche où il est

précisé qu’il y a quelques années déjà, c’était en 1973 vous avez repoussé nos offres de

services, mais je reconnais que votre discours d’aujourd’hui me laisse littéralement pantois !

En bien des années de carrière, je n’ai jamais rien entendu de semblable, et réellement je ne

peux que vous conduire sans attendre un seul instant aux plus hautes autorités de l’Etat.

Quelques heures plus tard, un milliardaire palestinien parle face à trois hommes

absolument médusés par l’incroyable exposé qui leur est fait. Discours d’une vingtaine de

minutes, mais de forte densité et d’une extrême précision, qui ne va pas une seule fois être

interrompu.

Monsieur le Premier Ministre lui-même prend la parole quand Moktar se tait enfin.

-Monsieur Raj Sayhoum, quel intérêt personnel avez-vous si le Plan,

comme vous l’appelez, vient à fonctionner ?

-Aucun Monsieur…aucun. Par contre en balance avec les

considérables intérêts pour la France, c’est pour mon peuple que je prétends à quelques

retombées.

Reconnaissance officielle des dirigeants de l’OLP comme seuls

représentants des Palestiniens.

Participation active de votre gouvernement, même si elle doit rester

secrète, à des négociations entre ces derniers et des responsables de l’état d’Israël.

Reconnaissance d’un état palestinien réellement viable et enfin,

promesse d’une participation active pour l’aide au développement industriel donc économique

de la Palestine, en y implantant des usines automobiles par exemple.

-Monsieur Raj Sayhoum, vous n’êtes pas mandaté par votre peuple il

nous semble ?

- Et je ne veux pas le devenir, mon nom restera à tout jamais exclu du

procédé de paix et pourtant… pourtant voyez vous depuis bien des années je ne me suis en

fait dédié qu’à la Palestine. Elle est mon unique objectif. Ce n’est que par hasard, au

Venezuela, que j’ai eu connaissance du plan. Ceux qui ont conçu le grand chantage ne veulent

en aucun cas déclencher un conflit mondial, nucléaire de surcroit. Ils ne désirent en fait qu’un

monde plus juste, plus égalitaire… alors j’ai vu pour la Palestine une opportunité

supplémentaire…et pour la France aussi.

- Pourquoi nous avoir prévenus ?

-J’aime votre pays, vous devez le savoir, si cela tourne mal et que

l’on apprend que j’ai été mêlé à cette affaire même de très loin, je voudrais pouvoir bénéficier

de la nationalité française afin de me retirer le plus discrètement possible. Avec, je sais

qu’ayant votre appui tout est possible, un nouveau nom fourni par vos services. Cela ne sera

pas très difficile pour vous. Ma fortune est plus que conséquente pour assurer mes arrières

financiers ; je vous confierai ainsi donc ma sécurité…

Monsieur le Président de la République doit-il être informé ? Bien évidement,

acceptera t-il que la France soit impliquée dans un chantage à l’arme nucléaire contre l’un de

ses alliés ?

La réunion extraordinaire est houleuse dans le bureau présidentiel du Palais de

l’Elysée et le premier des Français hausse le ton et tape sur son marocain de cuir du plat de la

main.

-Vous rendez-vous compte ? C’est insensé, beaucoup trop risqué. Ce

palestinien Raj machin est fou de nous avoir informés ! Il nous faut dénoncer ce foutu Plan

immédiatement. Qui diantre est derrière tout ça ?

-Sauf votre respect Monsieur le Président, à votre dernière question il

nous sera difficile de répondre : nos services, pourtant à l’affut de toute information, n’ont

rien entendu ni rien vu venir du Plan. La première des choses, et ceci est très important, si ce

Palestinien a raison, est de mettre en place un réseau de surveillance renforcé sur notre propre

arsenal atomique.

-Evidement, vous prendrez pour ceci toutes les dispositions nécessaires.

-Deuxième chose Monsieur le Président, Moktar Raj Sayhoum n’a agit

en nous prévenant que par calculs stratégiques. Il a fait une analyse exceptionnelle de la

situation en nous donnant des cartes magnifiques. J’ajoute que ce serait un homme politique

hors du commun, tout comme il est homme d’affaire au demeurant.

Revoyons les choses ; le retrait de l’influence de l’Amérique du Nord

sur celle du Centre et du Sud ouvrirait une brèche inespérée pour notre potentiel industriel en

constante recherche de débouchés. Notre technologie est appréciée du monde entier, parfois

même admirée mais la chasse gardée des Yankees la met à l’écart, comme tous les européens

d’ailleurs, de tout un continent.

Monsieur le Président, la création de plusieurs centaines de milliers

d’emplois pourrait être envisagée. Restons neutre face à notre sensationnelle information et si

cela tourne au vinaigre un jour prochain, alors nous pourrons toujours prévenir la CIA du

complot qui se trame. Les petits Français rigolos reprendront du poil de la bête en jouant à

leur tour les sauveurs des tous puissants USA.

Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre je pense

sincèrement que le Plan à du être conçu par les Chinois. Ils ont commencé un processus de

développement fulminant, une capacité à l’exportation qui selon nos experts va rapidement

croitre de 10 à 15 % par an dans un premier temps, et ce taux, devrait être exponentiel d’ici

dix à vingt ans. En l’an 2005, l’on calcule qu’ils pourraient être les premiers exportateurs du

monde. Ils ont besoin du débouché sud Américain peut être plus que nous même. Nous aurons

à ce moment, beaucoup de mal à les concurrencer, leur technologie progresse à pas de géant,

ils copient absolument tout, licence ou non, brevet ou non et sont prêt à inonder le monde.

Nos agents vont essayer de savoir si Pékin est derrière le Plan Monsieur.

-D’accord, aucun compte rendu ne doit être fait de cette réunion, ni en

écrit ni en bande son, que le Plan donc suive son cours, par contre je veux être averti

immédiatement dès qu’un nouvel événement en rapport avec le sieur Raj Sayhoum se produit

ou à l’obtention d’une quelconque autre information sur cette invraisemblable machination.

Vous pouvez disposer Messieurs.

La France sait, et elle aussi va laisser faire.

TOUT DEBUT AOUT 1989

En Afghanistan, l’Armée Rouge n’en peut vraiment plus. Les pertes sont sévères.

Seules les deux grandes villes de Kaboul et de Hérat sont à peine contrôlées ; quand à

Kandahar, pays des fanatiques Mollâs, les fous d’Allah y règnent presque en maîtres. Chez les

soldats Soviétiques tout comme les Américains autrefois au Vietnam, beaucoup sont tombés

dans les affres de la drogue, pensant ainsi échapper à l’enfer qui les entourent. Dans les

montagnes, les combattant moudjahidines sont insaisissables et bien que la retraite peu

glorieuse ait déjà sonné on appelle encore du renfort.

Basil Mallienko est promu lieutenant colonel pour partir avec comme mission

principale, la protection du dispositif de désengagement des troupes. Son inscription au Parti

communiste ne lui aura servi à rien, seule compensation il n’est pas très loin de son père

désormais et a l’espoir de le revoir bientôt lors d’une prochaine permission.

Les deux colonels, père et fils, ne s’embrasseront plus jamais. Le premier contact de

Basil avec l’ennemi est une roquette venue exploser à un mètre à peine de sa tente. Tirée

aveuglément sur le campement provisoire de plusieurs kilomètres de distance, l’engin tue le

récent promu officier supérieur sur le coup.

Ours Boiteux déambule dans une Samarkand toute aussi active qu’à l’accoutumée

mais ne semble rien voir. Il se dirige presque comme un automate vers le caravansérail de Ias

Ramarian, tout proche de la fameuse mosquée de Bibi Janum et ses quatre cent quatre vingt

colonnes de marbre.

Il a longtemps hésité, puis s’est refusé à replonger dans l’alcool. Il lui faudra

désormais être plus que lucide ; il veut voir le trafiquant, demander à cet homme si puissant

une faveur, une seule. Sergeï Mallienko veut fuir le territoire soviétique, il veut déserter ; mais

où aller avec ses quelques misérables Roubles économisés qui ne valent pas un Kopeck à

l’étranger. L’astucieux trafiquant doit avoir une solution à son problème.

Le vieil officier ne parle pas tout de suite mais il ne peut se concentrer sur la première

partie d’échecs qu’il perd rapidement. Et c’est en couchant son roi, doucement, sans mot qu’il

se met à pleurer.

Sanglots silencieux que l’arménien respectueux laisse couler ; puis ce dernier

murmure à l’oreille du colosse affligé par le chagrin des propos qu’il va avoir bien du mal à

assimiler.

-Sergeï, qui feriez vous avec cinq millions de Dollars, des vrais, des

Américains, et un faux passeport de votre choix ; vous parlez assez bien Allemand il me

semble ?

Le colonel se fige, ses yeux s’écarquillent et, décontenancée, se tarit la fontaine de ses

larmes.

-Je vous rappelle Sergeï, cinq millions de Dollars et un passeport

Allemand.

-Qui diable dois-je assassiner pour tant d’argent ?

-Personne mon ami, personne. Participer seulement à un chantage, un

tout simple chantage.

Et l’Arménien parle, explique patiemment et en détail le Plan.

-Vous êtes fou, je ne veux pas être responsable de la mort d’une

multitude de gens, nous ne sommes pas en guerre contre l’Amérique, du moins pas encore et

ce, bien que le maudit Parti le prétende constamment.

-Il n’y aura pas un seul mort mon colonel, tout est prévu pour que

l’irréparable ne puisse arriver. Il nous faut juste les bombes, elles seront découvertes au

dernier moment, c’est certain. Le Plan est machiavélique, le gouvernement des Etats-Unis

sera obligé de capituler.

Sachez encore une fois que les instigateurs du chantage ne sont pas

inconscients au point de provoquer une troisième guerre mondiale, les conséquences seraient

incalculables ; ils ne veulent qu’affaiblir les USA et à la limite, cela ne peut que bénéficier à

la Russie

-A la merde la Russie, ils vont me tuer !

-Cinq millions de Dollars sur un compte bancaire du Luxembourg et

de plus je vous en procurerai immédiatement cent cinquante mille supplémentaires pour vous

faciliter une évasion déjà préparée.

Si vous refusez, … en fait vous ne pouvez pas le faire car vous en

savez trop maintenant. De toute façon d’autres accepteront le Plan. Il y a un tel bordel chez

vous en ce moment qu’il sera facile de faire sortir quelques bombettes !

Pendant quelques secondes seulement, passe dans l’esprit de l’officier supérieur l’idée

de parler avec le commandant Sarkov ; elle passe mais ne s’arrête pas et presque sans s’en

rendre compte Sergeï s’écoute bredouiller…

-Ce doit être faisable… c’est faisable. Au diable la Russie je lui ai

donné mon fils, elle m’a volé ma fille, elle n’est plus capable de me payer à la fin du mois et

le peuple entier bientôt risque d’être affamé si rien ne change d’ici peu.

Je suis d’accord pour vous aider au prix que vous m’avez indiqué

mais je ne veux rien savoir sur vos filières d’évasion pour acheminer les bombes ni sur mon

voyage jusqu’à la liberté. Racontez-moi plutôt, comment comptez vous faire pour vous

procurer nos engins ?

-Herr Willermayer, voici comment nous allons procéder.

- ??? Pardon ???

-Ce sera votre nom bientôt. Votre convoi est près de Kerki, à quelques

kilomètres seulement de la frontière Afghane.

-Comment savez-vous cela ?

- Je sais aussi que votre locomotive attend désespérément une pièce de

rechange et pire encore, qu’une partie de la voie a été emportée par un éboulement de terrain

très important, que mes hommes ont discrètement provoqué d’ailleurs, vous êtes bloqués pour

pas mal de temps. Seule une piste permet dorénavant un accès malaisé à votre train

immobilisé. Elle est heureusement praticable avec un camion grue de six roues motrices.

Je sais encore aussi que d’ici deux semaines c’est votre anniversaire et que vous avez

pour habitude d’offrir force Vodka à vos subordonnés qui entre parenthèses vous apprécient

beaucoup. Y comprit le commandant Sarkov boit abondamment ce jour là. Alors voici ce que

nous allons faire………..

En ce mois d’aout 1989 l’Abou Daïr est aux plus basses eaux du fait des faibles

précipitations sur les montagnes de l’ouest de l’Himalaya et quantité de passages à gué sont

franchissables si l’on retire les quelques amas de roches accumulés par les crues du

printemps.

La frontière est bien mal gardée par des militaires souvent en fin de carrière qui sont

oubliés régulièrement pour l’octroi de leurs soldes. Les douaniers patrouillent également en

permanence ; ils sont quand à eux corrompus depuis bel lurette par les hommes de Ias

Ramarian. Ils ferment les yeux sur toutes sortes de passages et reçoivent en échange des

enveloppes bien gonflées de beaux billets.

Le 21 aout un puissant camion Zliss, équipé d’une grue télescopique d’une dizaine de

mètres, s’approche d’un convoi ferroviaire au Turkménistan, à quelques kilomètres seulement

de l’Ouzbékistan.

Deux jours auparavant les ordres sont arrivés pour évacuer cinq têtes nucléaires afin

qu’elles ne restent pas à la portée d’un éventuel coup de main Afghan. Elles devront être

remplacées par des modèles plus puissants, mais tout aussi légers et peu encombrants, par la

suite. Un hélicoptère doit venir les embarquer.

Le message a été donné par radio sur l’habituelle fréquence, avec le code utilisé

depuis le début du mois, et Ours Boiteux a confirmé. Cinq caisses sont préparées sur l’un des

wagons plateformes qui a été partiellement dégagé d’un de ses canons anti aériens pour ce

stockage provisoire.

Autour du convoi, trente cinq hommes dorment dans toutes les positions, la drogue

soporifique généreusement versée dans une abominable Vodka déjà bien trafiquée, a

rapidement fait son travail.

Le colonel Sergeï Mallienko somnole ; il s’est efforcé de ne boire qu’un tout petit

peu, il va repartir avec le camion grue.

Trois hommes seulement manoeuvrent les caisses avec d’infinies précautions bien

qu’aucun d’entre eux n’aient l’idée de la puissance destructrice de ce qu’ils manipulent. Très,

très fragile leurs a-t-on seulement précisé. Les cinq engins sont délicatement posés dans la

benne sur un lit de gravillons et de sable puis bien calés afin qu’ils ne s’entrechoquent pas.

Les radios sont sabotées, les pneus des véhicules tous terrain présents sont tailladés

allègrement et vu l’état d’inconscience de l’ensemble de la troupe, il reste au moins cinq à six

heures de répit avant que l’alarme ne soit donnée. Le village le plus proche est Karlyuk mais

quelques hommes affaiblis et seuls dans la montagne seront en danger ; ils préfèreront sans

doute suivre les voies jusqu’à Zand pour enfin trouver une radio ou un téléphone et appeler

de l’aide.

Quand enfin l’alarme est donnée, deux véhicules très différents de celui qui participa

au coup de main roulent depuis quelques heures dans des directions totalement opposées l’une

de l’autre.

Le premier poids lourd tout semblable aux routiers bariolés des pays orientaux, se

dirige vers Boukhara, au nord. Parmi son hétéroclite chargement trois caisses marquées

« Matériel Agricole » pesant une cinquantaine de kilos chacune. Une pancarte bien lisible

« très fragile » est soigneusement vissée sur leurs couvercles et elles sont toutes les trois

cerclées par des bandes d’acier.

Le deuxième, un gros 4x4 blanc, est déjà au sud sur la piste qui relie Mazar é Charif,

ville sainte des Musulmans et Kaboul la capitale afghane. Le véhicule est marqué de

l’internationalement connu Croissant Rouge, équivalant musulman de la Croix Rouge, et qui

est destiné au transport sanitaire. Les Russes ont fréquemment utilisé cet emblème en pensant

ainsi atténuer l’ardeur attaquante des moudjahidines, sans trop de succès au demeurant.

Depuis quelque temps déjà, aucun véhicule même fortement armé n’ose s’aventurer

dans la passe de Samagan contrôlée par les troupes des rebelles qui ont résisté depuis presque

dix ans déjà aux troupes soviétiques.

Branle bas de combat dans la ville de Samarkand en effervescence où il y a quelques

mois seulement des velléités d’indépendance de l’Ouzbékistan ont été réprimées dans un bain

de sang. Un couvre feu permanent est aussitôt décrété, avec seulement une heure par jour

d’autorisation de circuler pour le ravitaillement. Des centaines de patrouilles quadrillent la

ville et tous les axes routiers aux alentours sont barrés par des herses cloutées et de nombreux

hommes en armes. Les postes de contrôle sont tous équipés d’un compteur de radiation, il faut

repérer les engins mais surtout ne pas les intercepter.

A Moscou, c’est le coup de masse, Vladimir Krychkov est atterré ; les fameux

terroristes inconnus ont agit beaucoup plus vite que prévu. Pire encore c’est sur le territoire

soviétique, au sein même de l’Armée Rouge qu’ils se sont procurées cinq bombes.

La décision est confirmée pourtant de les laisser filer. Ordre est également donné

de faire taire à tout jamais les hommes du convoi dévalisé, y compris le commandant Sarkov.

Personne ne doit savoir, personne : ce serait la honte de la Russie et…il faut penser au blé qui

excède en Amérique…

Un pareil coup de main n’a pu être conçu sans la participation de Ias Ramarian que

l’on croyait pourtant sous contrôle, il va falloir le capturer vivant pour remonter aux sources

de l’invraisemblable machination. Le Plan a été sous estimé, peut être y a-t-il une nation toute

entière derrière ce montage ? Seraient-ce les Chinois ? Quand au colonel Mallienko, coupable

ou non coupable, il devra être abattu à vue !

Bien que méticuleusement préparé (les aléas de la mécanique sont parfois

imprévisibles), le camion du nord tombe en panne près de la ville de Tchadjou et il va falloir

transborder la cargaison sur un véhicule de substitution appelé à la rescousse .C’est lors de

cette manoeuvre qu’une patrouille de soldats passe et contrôle les documents. Justement trois

grosses caisses marquées Matériel Agricole sont à la vue et le sergent exige leur ouverture.

Personne ne reconnaît les bizarres engins qui paraissent bien sophistiqués et bien propres

aussi pour ce qu’ils prétendent être. Le sergent fait trop bien son travail en appelant ses

supérieurs. Une équipe de spécialistes du GRU vient s’occuper des mystérieuses caisses. Ils

vont par la suite éliminer les soldats trop consciencieux, quand aux deux chauffeurs ainsi que

les manutentionnaires qui travaillaient au transbordement, la gomme à effacer passe aussi,

efficace et sans vague, après leur avoir fait subir de terribles interrogatoires.

Ias Ramarian a disparu, Samarkand est désormais loin derrière lui, non en kilomètres

mais en pensée, il lui semble presque n’y avoir jamais vécu. L’arménien va tenter de regagner

la Turquie dont il est dorénavant un honorable citoyen, parlant remarquablement bien la

langue, muni de papiers et passeport en règle. Sa destination finale : la Suisse où un

confortable magot, fruit de bien des années de manigances et de trafics, l’attend sur un compte

numéroté.

Le génial trafiquant vient de faire coup double, vendre deux bombes à un

mouvement inconnu prétendu Sud Américain, et trois autres aux terroristes Tchéchènes qui

veulent se libérer de l’emprise russe et qu’il ravitaillait en armes depuis bien longtemps.

La somme dont il disposera à Zurich est astronomique, mais les tueurs du KGB sont

sur ses traces et il a le tort de penser pouvoir les berner. C’est en partie son physique qui va le

trahir, ils ne courent pas les rues les hommes de sa taille et de sa maigreur. Rusé et riche pour

avoir corrompu, il est parvenu à Bakou après réussir une traversée incognito de la mer

Caspienne mais l’étau se resserre sur lui et il se voit bientôt acculé.

Joué, perdu, Ias Ramarian se suicide alors que l’assaut est mené par des troupes

spéciales sur le petit logement qu’il avait fait louer quelques temps auparavant.

Le cyanure ne pardonne pas.

Le Mossad, service de renseignements Israélien, vient de perdre le meilleur de ses

informateurs du continent asiatique.

Dès la première prise de contact par un groupe nouveau de terroristes faite au

trafiquant d’armes, c’était fin 1983, Jérusalem a eu vent du Plan avec infiniment plus de

détails que ceux communiqués à Sergeï Mallienko. Cela, Moktar Raj Sayhoum ne pouvait pas

le prévoir.

Avant les Français, les Israéliens savaient déjà et avaient fait le même calcul.

Prévenant Washington au dernier moment ils auraient pu également se venter d’avoir sauvé

leur allié à leur tour…

Jérusalem a su et a laissé faire !

Ias Ramarian n’a pas tout révélé à Israël, il a « omis » de rapporter son propre plan ;

profiter de l’action des Sud Américains pour fournir aussi des armes nucléaires aux

Tchéchènes. Apparemment le destin a épargné trois grandes villes de la Sainte Russie en

provoquant une simple panne mécanique dans un obscur fin fond de l’empire.

Chapitre V L e pèlerinage à La Mecque

L’ambulance roule depuis une vingtaine d’heures sur la mauvaise piste en direction

de Kaboul, elle n’a parcouru que quatre cent trente kilomètres dans un pays en guerre sans

recevoir la moindre rafale, à l’incompréhension des quelques chefs de poste retranchés qui

avisés par radio laissent passer le véhicule sans les coutumières fouilles et tracasseries. Un

ange gardien planerait sur le 4x4 médical que cela ne serait pas étonnant. Enfin le véhicule

s’arrête à Sarowbi dans une vieille bâtisse en ruine servant de garage, de réparations

automobiles et qui est flanquée d’une antiquité appelée pompe à essence. Système

rudimentaire où le serveur actionne encore son appareil de distribution avec une énergie

appelée huile de coude.

Une ribambelle d’hommes enturbannés et armés jusqu’aux dents s’active en tous

sens, de façon visiblement désordonnée, l’on recherche des soldats réguliers qui

manifestement ont trop collaboré avec l’envahisseur russe ces quelques dernières années.

Malheur à ces pauvres gens souvent embrigadés de force, qui vont être torturés puis abattus

sans procès, sans pardon. Personne étrangement ne semble s’intéresser à l’ambulance et à ses

deux conducteurs…… Ias Ramarian méritait fort bien sa redoutable réputation.

Le gros 4x4 blanc si caractéristique est toujours chargé des deux mêmes caisses de

bois, lorsque bizarrement aux yeux de quelques observateurs très discrets qui s’y intéressent,

il repart en direction de Kaboul. Les deux hommes qui se relaient au volant sont les mêmes

qu’auparavant, un peu plus frais il est vrai après six heures d’un bon sommeil réparateur.

Encore plus curieux quand Kaboul est traversée sans s’y arrêter, à part bien entendu

aux quelques rares postes de contrôle militaire où le véhicule semble passer comme par

magie.

-Papiers en règles, vous pouvez continuer!

(Petit détail : les compteurs Geiger s’affolent au passage de l’ambulance).

Pendant que le véhicule sanitaire file son chemin vers le Sud-ouest cette fois en

direction de Kandahar, deux autocars flambants neufs qui furent affrétés par des pèlerins en

chemin vers la Mecque, quittent Kaboul et vont s’arrêter très vite pour, oh joie, oh confort

incomparable, être équipés d’un système d’air conditionné. L’installation doit se faire à

Sarowbi, dans une vieille bâtisse en ruine et servant de garage…… flanquée d’une antiquité

appelée pompe à essence….

Le montage va durer plus d’une demie journée et enfin les pèlerins embarquent de

nouveau. Désillusion totale, pas un souffle d’air frais ne sort des caissons récemment

aménagés dans les soutes des autocars avec pourtant force tubes d’aération, tuyaux

d’évacuation d’eau et fils électriques quelque peu pêlemêles. Les chauffeurs et

accompagnateurs promettent d’arranger ça à Peshawar au Pakistan et ils s’engagent également

pour offrir un transport ferroviaire en première classe si la réparation s’avère impossible.

Cinq heures vont être nécessaires pour les formalités douanières, la chaleur est

écrasante les deux autocars sont des fournaises et quelques pèlerins veulent déjà faire demi

tour, néanmoins le voyage se poursuit.

A Peshawar, effectivement il est impossible de réparer. Les fidèles vont prendre un

train qui les emmènera à Islamabad puis de là, un autre pour Karachi. Ils embarqueront alors

sur un paquebot qui doit appareiller pour Djeddad, port maritime distant de quatre vingt

kilomètres seulement de la ville sainte de la Mecque.

Un jour et demi de train, quinze heures d’attente pour l’embarquement puis l’ultime

saut pour parcourir les deux mille deux cent milles nautiques sur un vieux rafiot en fin de

carrière affecté à cette ligne semi-régulière : quatre jours et demi de mer. Un voyage ? Non,

une véritable épopée et le retour du pèlerinage en chemin inverse sera tout aussi

rocambolesque, peu confortable et plus long encore.

Les deux caissons d’air conditionné des autocars sont ouverts et l’on extrait avec

minutie deux étranges bidules dont pas un des manipulateurs n’a la moindre idée de ce que

sont ces choses là ! Il faut hélas parfois compter sur le hasard, encore une fois, il va être

malheureusement néfaste à la petite équipe du Mossad qui se fait prendre en essayant

d’installer de minuscules émetteurs radio sur les engins nucléaires. Les agents secrets

courageux vont être enterrés vivants après avoir été horriblement torturés au vitriol, coutume

locale parait-il.

Israël perd la trace des deux bombes destinées au Plan. Remises de nouveau en

caisses, elles sont chargées sur un convoi ferroviaire de marchandises. Direction Karachi, le

réseau qui vigile les colis dorénavant noyés parmi des centaines d’autres de toutes formes et

de tous poids, n’en est pas à son coup d’essai. Il ravitaille en armes les extrémistes musulmans

qui noyautent la société pakistanaise et rêvent d’appliquer au pays la Charia, loi Coranique

dure, inflexible, intolérante.

A Hyderabad, dans un vieux hangar presque désaffecté, sur le bord du fleuve Indus,

la poussière va bientôt recouvrir d’une couche épaisse deux toutes simples caisses capables

pour une seule d’entre elles de souffler une ville comme New York. Presque dix fois plus

puissantes que Little Boy lancé sur Hiroshima et également vingt cinq fois moins lourdes, on

n’arrête décidément pas le progrès.

Il va falloir attendre que le calme revienne…..

La CIA vient enfin d’être informée du Plan par l’état hébreu ne pouvant, n’osant

plus attendre et des dizaines d’agents secrets sont expédiés illico presto au Pakistan. Aidés des

services spéciaux locaux ils vont remuer ciel et terre mais vont faire choux blanc. Les

terribles engins meurtriers, pouvant déclencher une troisième guerre mondiale, se sont

évaporés dans la nature.

Les Soviétiques sont fous de rage, ils doivent avouer le vol du mois d’août sur leur

territoire en s’excusant de n’avoir récupéré que trois engins. Ils leurs a fallu une semaine, pour

qu’enfin, ils s’aperçoivent qu’une ambulance n’était chargée que de vieilles ferrailles,

irradiées on ne sait comment, du côté de Kandahar.

Encore une fois Ias Ramarian était vraiment à la hauteur.

Dans le quotidien « El Mundo », à Caracas, une étrange publicité parait sur une page

entière. Un Père Noel vert, souriant, annonce en clignant de l’oeil :

- Bientôt vous me retrouverez avec ma couleur d’origine !!!*

Le soit disant Roberto Sanchez laisse éclater sa joie.

-Ils ont réussi ! Ils ont réussi. Si j’étais à leur place je ferais directement

sauter Washington, sans passer par la case du désert. Le canadien doit être content dans sa

tombe.

Puis, plus pratique et obéissant, il se prépare pour contacter La Havane.

* Le Père Noël était à l’origine, dans son Europe du nord natale, de couleur verte et c’est la

marque Coca Cola qui pour mieux l’adapter à sa célèbre boisson a repeint le sympathique

vieux barbu en rouge

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Hans Willermayer est un reporter de guerre allemand, il prétend être venu par les

montagnes en provenance de la Turquie puis de l’Iran comme certains des rares envoyés de

presse illégaux venu rendre compte de la débâcle Russe ; d’autres sont rentrés par le Pakistan.

Les popofs n’ont jamais aimé que l’on s’occupe de leurs oignons, surtout quand ils sentent

fortement le roussi.

Le journaliste allemand est intégré à un petit groupe de moudjahidines auquel il a

promis force publicité dans les journaux du monde entier. Hans craint plus que les

combattants de tomber lui aussi entre les mains Russes, heureusement que ces derniers sont en

phase finale de leur retraite, ils se concentrent près de l’aéroport de Kaboul où, vaille que

vaille, ils s’entassent devant des gros porteurs pour être enfin rapatriés.

La légère claudication du colosse Allemand gène les Afghans dans la progression du

petit groupe, elle retarde les combattants qui se doivent d’être vifs et agiles, marchant la nuit,

se cachant souvent le jour et parcourant de grandes distances pour traquer les troupes en

débandades. Les montagnards décident donc de raccompagner le reporter vers l’Iran.

Bien que déjà défaite, l’Armée Rouge dispose encore de forts moyens guerriers, au

petit matin du 18 septembre 1989, presque un mois après le vol du siècle, un hélicoptère

Tupolev frappé de l’étoile rouge sur fond d’or, surprend quatre hommes dans une faille

abrupte près du village de Farah, à cent trente kilomètres seulement de la frontière Iranienne.

Ils sont mitraillés et laissés pour morts, l’appareil ne pouvant se poser sur ce terrain trop

accidenté.

Un survivant miraculé va se relever quelques minutes après le départ de l’hélicoptère

qui leur avait pourtant envoyé une salve d’adieu supplémentaire. Ignorant les cent cinquante

mille Dollars cousus dans l’épais rembourrage de la veste matelassée rougie de sang,

l’homme va prendre sur un cadavre deux appareils photos qu’il revendra aisément, il en est

persuadé…

Ironie du sort, Sergeï Mallienko, colonel de l’Armée Rouge, vient d’être tué à

quelques kilomètres seulement du lieu où fut abattu son fils Basil quelques mois auparavant.

Les hommes du KGB chargés de sa traque vont se faire taxer d’incompétence pendant bien

longtemps encore.

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Chapitre VI La chute du Mur de Berlin. Le clandestin ;

-Qu’a-t-il pu arriver à Ias Ramarian ? Il devait nous donner signe de vie,

nous faire communiquer les noms de certains contacts Kurdes.

-Peut être se fait-il tout petit dans un coin après le tour pendable qu’il a

joué au popofs ! Ou malheureusement ces derniers l’ont pris, et alors gare à nous.

-Tranquille Jasmina, le cloisonnement empêchera à quiconque de

remonter jusqu’à nous. Impossible, la seule faille serait du côté des services syriens. Pour le

moment je ne crains rien ; seules deux personnes connaissent et collaborent à notre projet, les

hommes qui sont sous leurs ordres ne savent rien encore. Par contre une chose m’inquiète

énormément.

-C’est grave Moktar ?

-Je le pressens. Mon ami Simon, le toubib de Montréal ne cesse de

m’appeler, il me harcèle presque, et veut me voir à tout prix. Il prétend avoir des informations

venant de Jérusalem qui pourraient réellement m’intéresser, sans vouloir m’en dire d’avantage

par téléphone.

Je n’aime pas ça du tout. Le Mossad est peut être derrière lui ; si je ne

réponds pas cela va paraître suspect et si j’accède à sa requête, quelque chose me dit qu’un

piège se prépare. Nous avions prévu tous deux de disparaître au moment même de la

conclusion de notre projet, mais peut être va-t-il falloir le faire plus tôt ; du moins pour moi.

Quand à toi Jasmina, il serait bon que tu rejoignes notre mère, tu serais

en sécurité à Tripoli (Liban) grâce aux Syriens. Je vais appeler Simon.

A Montréal le docteur Lansky parait fort content.

- Moktar ! Quel plaisir ! Alors tu te décides pour me faire enfin une petite

visite. Dis donc bandit, tu n’es toujours pas marié ?

- Pour ta deuxième question c’est un grand NON en majuscule et pour la

première je te promets que nous passerons plusieurs jours ensembles, j’ai moi aussi très envie

de te revoir et de décompresser quelque peu.

- Formidable mon ami.

- J’ai prévu de partir pour Rome d’ici peu puis de passer le réveillon du

nouvel an à Alessandra, avec ma vieille nounou, ma chère Gina dont je t’ai bassiné autrefois

la beauté et la gentillesse.

Croix de bois croix de fer, comme disent les Français, je te dois une visite

pour janvier ; si je mens je vais en enfer !

-Merci mille fois mon ami, et à bientôt.

Simon Lansky pose son combiné téléphonique puis après une courte hésitation le

décroche de nouveau pour former un numéro qu’il recherche sur son calepin.

-Voyons voir… Ambassade d’Israël… premier conseillé..

Novembre 1989

IL EST TOMBE !!!

Depuis plusieurs semaines la situation dans bien des pays européens, satellites de la

Russie communiste, est compliquée, délicate. Les ambassades et consulats sont pris d’assaut

par une multitude de candidats à l’immigration, plutôt et tout simplement de prétendants à la

liberté. Les services diplomatiques sont débordés, ils ont bien du mal à nourrir des centaines

de personnes qui s’entassent sur les pelouses après avoir escaladé les grilles des parcs et des

jardins de tous ces nomens’ lands minuscules mais protégés.

Les services de police impuissants ne peuvent intervenir et n’osent pas faire usage

de leurs armes à feu en direction des représentations du monde libre, de peur de blesser un

quelconque diplomate, de créer des incidents graves.

Il y a deux jours qu’il est tombé !

Nous sommes le 11 novembre 1989, anniversaire de l’armistice marquant la fin de

la première guerre mondiale et la planète entière s’extasie devant les petits écrans de

télévision.

Le grand Rostropovitch fait vibrer les cordes de son violoncelle au pied d’une

brèche du mur de Berlin, cette construction de la honte qui enfin n’existe plus.

Berlin pleure. L’Allemagne entière pleure et tous les pays russifiés depuis 1945

pleurent aussi. La liberté est arrivée après tant d’années.

Le joug soviétique vient de se désagréger et l’on va découvrir avec stupéfaction

dans quel état de délabrement l’on vivait dans le monde enchanteur du communisme. Vingt

ans plus tard, les séquelles de la pauvreté industrielle et économique seront encore visibles

dans une Allemagne pourtant réunifiée. La différence entre les ex Est et Ouest sera présente

pour quelques générations encore.

Toutes les républiques asservies par l’empire russe reprennent force et vigueur pour

demander leur libération, leur indépendance. Quelques unes, comme l’Ukraine par exemple,

vont réussir ; d’autres moins chanceuses vont voir s’abattre sur elles un regain de

répression… comme la Tchétchénie.

Les pays européens si longtemps étranglés par la faucille et le marteau dansent au

son de la liberté retrouvée et rapidement vont détruire les milliers de kilomètres de barbelés,

de champs de mines et abattre les miradors qui les séparaient du vilain Ouest capitaliste.

Moktar pense qu’avec un tel chamboulement le moment est bien venu pour

disparaître officiellement de la surface du globe. La phase finale de son projet est proche. Il

dispose de deux bombes atomiques et la manière de les acheminer au dessus d’Israël est

longuement calculée. Le Plan, le vrai, est au point jusque dans ses plus minimes détails.

Il y a bien des siècles que la Mer Rouge est surtout connue pour l’une de ses

richesses, rare, belle, on ne peut plus envoutante… La perle sauvage qui fait fantasmer les

jeunes, et les moins jeunes, de tous les horizons. Ces lecteurs qui se métamorphosent en

aventuriers de la Mer Rouge au travers des mille et un livres d’une littérature imaginaire et

fantastique.

Nous sommes tous des aventuriers de la Mer Rouge… couverts d’or et de perles !

Les boutres et les felouques qui autrefois déployaient leurs voiles bariolées et rapiécées, ont

peu à peu été remplacés par des embarcations motorisées, de plus en plus modernes,

maniables et surtout plus rapides.

Les pêcheurs eux-mêmes, qui plongeaient il y a quelques dizaines d’années en

apnée, en se lestant de grosses pierres afin de descendre plus vite, disposent aujourd’hui d’une

technologie plus sophistiquée. Compresseurs, narguilés et bien sûr bouteilles d’air leurs

permettent d’être autonomes. Hélas les matériels ne sont pas toujours bien entretenus, trop

bricolés et les accidents sont monnaie courante.

Environ une fois par mois un petit hydravion décolle d’Akaba en direction du sud

ouest, vers l’entrée du Golf du même nom. Ici se sépare la Mer Rouge en deux branches, la

plus connue débouche au Nord sur le canal de Suez, devenant depuis son ouverture à la fin du

19 ieme siècle la voie maritime la plus empruntée de la planète.

Prêt des côtes désertiques qui bordent les flancs Sud du Mont Sinaï et celles tout aussi

inhospitalières de l’Arabie Saoudite, un chapelet de petites îles et îlots est baigné d’une eau

propice à l’épanouissement des huitres et l’on dit que les perles y sont particulièrement belles.

Elles sont avec peut être, il faut bien l’avouer, un peu la piraterie, la principale ressource des

rares habitants de ces lieux.

Un hydravion, pratiquement tous les mois vient pour « la cueillette ». Il est connu des

‘grandes oreilles’ radars de vigilance aérienne d’Israël qui en parallèle aux tours de contrôle

assurant leur service à l’aviation civile, sont exclusivement destinés à la sécurité du petit état

en guerre perpétuelle, vivant dans la phobie d’une attaque, par missiles notamment.

Moktar Raj Sayhoum à prévu que bientôt, en plus d’un précieux chargement destiné

aux parures des grandes dames de ce monde, un somptueux cadeau supplémentaire sera

embarqué sur l’appareil, son présent personnel pour l’état hébreu.

Sur le même type d’avion, au large de la côte syrienne, deux pilotes palestiniens

s’entrainent. L’un d’eux n’avait que quatorze ans quand, en septembre 1982, à Sabra, il a

échappé par miracle à un horrible massacre. Seul survivant de toute sa famille, ses nuits sont

encore trop souvent agitées, peuplées de visions épouvantables où le sang ne cesse de couler,

où les hurlements le réveillent en sursauts, en sueur et en larmes. Il attend avec impatience de

donner sa vie pour la vengeance.

Bien sûr qu’il ne pourra pas survoler longtemps le territoire israélien, moins de cinq

minutes après que l’alerte ne soit donnée, des chasseurs intercepteurs auront décollés et tout

au plus dix minutes plus tard il sera abattu. Au dessus d’une zone à faible densité de

population sa bombe fera hélas peu de victimes, mais l’impact émotionnel va être

considérable et si tous les frères arabes en profitent…

Le kamikaze ignore tout d’une deuxième bombe. Il ne connaît absolument pas Moktar

Raj Sayhoum personnellement ; pourtant combien de fois son père a-t-il prononcé ce nom

béni dans sa famille massacrée au sud de Beyrouth ? Toute sa tendre enfance a été enchantée

par les histoires merveilleuses d’une toute belle propriété appelée Les Lauriers. Purement

annexée, volée depuis trop longtemps cette terre fertile où vivaient son père, son grand père,

son aïeul au sein même de la tribu des Raj Sayhoum.

Yasser Muhaïr est à mille lieues d’imaginer que l’organisateur du fantastique complot

dont il est l’ultime et fatal maillon, n’est autre que ce bébé autre fois recueilli par son propre

père, Armed. C’était dans les petites ruelles de Haïfa fin 1947, juste avant la création de l’état

maudit.

Son père ne lui a jamais révélé qu’au côté du nourrisson gisait sa mère abattue par une

balle perdue, moins encore que la jeune femme était juive.

Quand Moktar va connaître le nom du kamikaze qui remplacera le pilote chargé du

convoyage des perles, moyennant très forte rétribution pour ce dernier, l’émotion sera grande.

Le fils de l’homme qui l’a trouvé, bébé abandonné, est prêt à se sacrifier pour un

objectif dont il est l’instigateur. Difficile de se dévoiler, seuls deux hommes ont été formés

pour l’ouvrage. Il va falloir au milliardaire palestinien fermer les yeux, accepter les dents

serrées pour qu’enfin Israël soit détruit à la date prévue.

Et le jour J n’est pas très loin.

Le deuxième pilote suicide doit être embarqué sur un porte container lors de son

passage par le Canal de Suez. Il montera à bord en profitant de la myriade de petites

embarcations qui s’agglutinent aux flancs des grands navires afin de proposer aux membres

d’équipages toutes sortes de produits, nourriture typique toute préparée, cigarettes de

contrebande, drogue, et parfois même quelques filles, de celles qui savent se faire plus que

gentilles moyennant espèces sonnantes et trébuchantes.

Soigneusement arrimé au deuxième pont, nez pointé vers une énorme porte rabattante,

un autre hydravion l’attendra, chouchouté, bichonné par un mécanicien spécialement

embarqué. Au dessus d’une trappe, dans le ventre de l’appareil, un deuxième redoutable engin

destructeur est destiné à la ville de Tel-Aviv.

Par mesure de sécurité chacun des deux pilotes, qui se sont longuement entraînés

ensemble, va penser être le seul élu pour une seule attaque.

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Entre chiens et loups, vers dix neufs heures ce 18 décembre 1989, Moktar s’envole

seul aux commandes de son jet de location. Il quitte l’aéroport de Reus près de Tarragone et

prend immédiatement, comme l’indique son plan de vol, le cap plein Est. Il doit rester dans un

premier temps au dessous des mille deux cents mètres d’altitude évitant ainsi les nombreux

avions qui se présentent pour atterrir à Barcelone, puis rapidement grimpe à son plafond

autorisé de cinq mille cinq cent mètres ; sous pilote automatique, le coeur battant la chamade,

il se prépare à un amerrissage forcé pour lequel son Falcon n’a pas spécialement été conçu.

Huit heures auparavant, un yacht somptueux de quatre vingt mètres de longueur,

véritable transatlantique privé, propriété d’un très proche parent du roi d’Arabie Saoudite, a

appareillé du très select port d’Antibes sous équipage réduit. La plupart des matelots

habituels, toutes les hôtesses, les majordomes et les stewards doivent rejoindre le navire

quelques jours plus tard sur l’île de Malte.

A bord, l’amphitryon reçoit un personnage redoutablement connu dans son pays, le

colonel Hassam Soubi Ali, numéro deux des services spéciaux Syriens.

Après quarante cinq minutes de vol, Moktar reprend le pilotage manuel et rapidement

perd de l’altitude, il est par 41° 02 Nord et 5° 41 Est, à trois cents kilomètres environ de la

Sardaigne, il réduit sa vitesse et entame des cercles concentriques en volant maintenant à

moins de cinq cents mètres au dessus de la mer. Il fait nuit et un contact visuel est rapidement

établi avec un grand bateau qui paraît bien trop illuminé. Moktar lance son premier appel qui

n’est pas encore de détresse.

- Sécurité … Sécurité…. Sécurité… position 41° 26 Nord et 5° 35 Est,

commandes de vol extrêmement dures, appareil difficile à manoeuvrer, le pilote automatique

refuse de prendre le relais. Je perds rapidement de l’altitude.

Volontairement vient d’être indiquée une position de plus de cent kilomètres dans le

Nord par rapport à la réelle. Puis à peine deux minutes plus tard, interrompant la demande

d’un contrôleur aérien…

-May Day… May Day… May Day… position 40…

Et Moktar coupe la communication en touchant l’eau dans une immense gerbe

phosphorescente à quelques encablures du yacht encalminé qui aussitôt ne garde désormais

que ses feux de route.

Deux rapides zodiacs foncent déjà dans l’obscurité vers l’avion immobile qui se

balance doucement. Tout est prévu, il ne devra pas tarder à couler.

Plus loin dans le Nord quand les premiers hélicoptères de secours vont arriver, des

puissants projecteurs seront braqués sur une mer peu agitée, ils vont pendant des heures

traquer la moindre trace de l’accident.

Le somptueux yacht file à pleine machine ses trente cinq noeuds vers le sud-est. Un

cours message convenu est envoyé par téléphone satellite à Jasmina dans une discrète petite

villa louée par un certain monsieur Jean Khadide-Font à Coma Ruga, soixante dix kilomètres

au sud de Barcelone, lui indiquant que tout c’est bien passé.

La soeur de Moktar va pouvoir repartir à Tripoli au chevet de leur mère. Laïla

devrait être hospitalisée, son état de santé s’est aggravé ces dernières semaines.

Dans le triangle Barcelone Mahon Sassari, les recherches héliportées vont se

poursuivre toute la nuit puis au petit matin, plusieurs navires arrivés sur zone vont quadriller

systématiquement la mer, complémentés par les avions des douanes espagnoles. Le vent

hélas se lève très vite en Méditerranée, les moutons apparaissent à la crête des vagues et

bientôt se forment de petites déferlantes.

La tâche devient difficile pour les sauveteurs et pourtant à cinquante milles dans le

sud l’on repère quelques débris et un canot pneumatique de survie. Il est hélitreuillé, sur son

flanc on peut lire l’immatriculation de l’avion disparu. Personne à bord et il est désormais

impossible de repérer un homme à la mer.

La disparition du milliardaire palestinien Moktar Raj Sayhoum passe pratiquement

inaperçue. L’homme n’étais pas connu du grand public et l’information ne vaut que quelques

entrefilets dans de rares journaux. Mentalement Moktar demande pardon à une Gina à qui il

vient de faire beaucoup de peine mais son coeur s’est endurci depuis des années déjà même si

il a conservé son sourire. Le sourire de la Palestine comme disait son vénérable grand père.

Christine, toi aussi pardonne moi. Puis avec effroi, il pense à Laïla la vieille maman.

- Allah, faites qu’elle n’apprenne pas ma disparition. Quel mensonge

devrons-nous inventer Jasmina et moi pour que je ne la rappelle pas ?

A La Valette, à bord même du navire qui dispose d’une salle d’opération digne d’un

petit hôpital de province, le Palestinien récemment disparu va subir sa première opération de

chirurgie esthétique. Il va lui falloir, pendant presque trois semaines, porter un pansement sur

le visage mais le travail se poursuit, la mission doit aboutir.

L’immense réseau de centaines de sociétés fondées par le génial homme d’affaires va

continuer à fonctionner encore quelques temps ; toutes les dispositions sont prises, celui qui

va reprendre les rennes n’est autre que le frère ainé du propriétaire du yacht, Saoudien de

haute famille, on entendra parler de lui beaucoup plus tard. Bien des ‘boîtes’ vont être

liquidées et les agences bancaires et financières ont déjà accepté des offres de rachats. L’une

des plus grande banque Espagnole à emporté le morceau au prix d’un chèque faramineux.

Aux Bahamas, au Luxembourg, aux Iles Caïmans et en Suisse, des comptes bancaires

bien garnis vont permettre au sieur Jean Khadide-Font, citoyen français d’origine tunisienne,

de pouvoir jouir d’une retraite anticipée plus que dorée. Pour sa soeur Sylvie il est également

prévu un confortable pactole si elle désire s’éloigner et refaire sa vie de son côté.

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

- Que diable a manigancé cet homme ? Comme par hasard son réseau

bancaire vient d’être racheté presque en catimini et il disparaît. Il nous prend vraiment pour

des cons !

Au moment même où vient d’être prise la décision de le contacter, éventuellement

de manière forte, pour lui annoncer ses origines, Jérusalem analyse et nie la mort du

milliardaire palestinien. Et les questions sont posées une fois de plus.

1 / L’homme a-t-il réellement disparu ?

2 / Si il est vivant, où est il et comment s’appelle t il désormais ?

3 / N’oubliant pas que l’homme se croit palestinien, constitue t il un

danger pour notre état ?

4 / Si l’on juge que la réponse est oui à la question numéro trois, il

faut que les spécialistes du repérage puis du nettoyage, s’occupe de MRS.

Ordre suivant : où sont passées les deux bombes atomiques disparues au Pakistan,

des informations nous font penser qu’elles auraient atteint la Colombie et que les FARC les

auraient sous leur responsabilité. Le fameux ‘Plan’, chantage monstrueux mais intéressant

pour nous ne serait il le fait que d’une vulgaire guérilla colombienne isolée ? Prévenir le

Pentagone il est mieux qualifié que nous dans cette région.

Question suivante…

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3 février 1990

A deux heures du matin le porte container JASMO battant pavillon des Bahamas

quitte le port de Karachi où il n’a fait qu’une très courte escale. Deux jours auparavant, il

aurait heurté une épave semi immergée ou un cétacé et a sollicité une relâche prioritaire pour

une inspection de l’appareil de gouverne et des deux hélices. Le commandant en a profité

pour acheter deux caisses d’outillages qu’un chip Chandler prévenu par radio, a préparées à

l’avance. Rien n’a été détecté par deux hommes grenouilles ni sur la coque, ni sur les safrans,

ni sur les hélices et le monstre de fer flottant a repris son voyage en direction du Maroc via

Suez.

L’équipage hétéroclite est constitué d’Albanais, de Pakistanais et les officiers sont

tous Syriens. Les hommes de pont, de machines, ont soigneusement été recrutés, pas

spécifiquement parmi la fine fleur de la marine. Tous savent que le voyage sera riche en petits

extras et ils sont grassement payés pour obéir à n’importe quel ordre. Il est prévu que les

machines stopperont quelques heures dans la partie nord de la Mer Rouge. La nature du

trafic… ils s’en foutent, tout comme ils ne se posent pas la question de savoir à quoi diable va

servir l’hydravion embarqué dans les cales.

Le capitaine et son premier lieutenant eux non plus ne connaissent pas

l’aboutissement exact de l’opération. Ils seraient trop soucieux de savoir que presque rien n’a

été prévu pour récupérer l’équipage après la deuxième explosion nucléaire. S’ils sont encore

vivants !... Ils ne font qu’exécuter, comme bien des fois auparavant, les ordres du colonel Ali.

Ces deux vieux complices se sont sortis de bien des coups tordus dans le passé… alors un de

plus, un de moins…

C’est à Chypre que monsieur Jean Khadide-Font a établi son PC. Limassol est

près du Liban, près d’Israël, non loin du canal de Suez. Pour le numéro deux des services

syriens et ses hommes, la place est idéale afin de superviser l’aboutissement de tant d’années

d’efforts, la fin des fins.

Le sourire de la Palestine se fait carnassier.

-Merci Allah, bientôt Israël va être rayé de la carte du monde.

Moktar, allias Jean, se méfie toutefois des services secrets, ils obéissent à une

logique qui n’est pas la sienne, amis d’un jour, ils ne peuvent avoir d’état d’âme et sont

souvent imprévisibles. Quels ordres seront donnés de Damas dès l’objectif atteint ? Le

redoutable colonel ne voudra-t-il pas se débarrasser d’un homme qui a fait tout le boulot et

qui peut se révéler dangereux ? De toute façon Moktar n’est-il pas déjà mort…disparu en

Méditerranée ?

Le milliardaire palestinien a donc prévu, au cas où, une toute petite maison sur la

façade sud ouest de l’île près de Kissonerga. Location effectuée directement à un vieux

paysan, sans passer par une quelconque agence immobilière. Moktar a l’intention de fausser

compagnie aux Syriens, il va disparaître une deuxième fois, ce coup ci pour de bon et seule

Jasmina saura où le retrouver par la suite.

Si il doit s’éclipser discrètement dès l’envol du deuxième hydravion, comment se

débarrassera- t-il de ses encombrants alliés ? Il n’a jamais tué qui que ce soit personnellement,

mais il est prêt à toute éventualité. Tout comme les agents spéciaux qui l’accompagnent

aujourd’hui, Moktar est armé, le poids d’un automatique sous son aisselle gauche ne lui donne

pas hélas, toute l’assurance qu’il aurait souhaitée.

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

Tripoli, Nord Liban le 1er Février 1990.

-Jasmina ma fille, je vais partir, je le sais.

- Mais non maman, tu es seulement très fatiguée. Tu vas voir, ici on

va te remettre sur pieds. Guère plus d’une semaine et tu rentres chez tatan.

-Ne me mens pas ma fille, je dois te confier quelque chose pour

Moktar, promets moi de lui remettre après ma mort.

-Maman, tu n’as que soixante douze ans, il te reste encore quelques

années

-Tss… Tss… remets ceci à Moktar sans l’ouvrir toi-même promets le

moi. Ce sont là mes dernières volontés.

Jasmina prend avec précaution un petit paquet plat, d’une trentaine de centimètres par

vingt, et ne pesant guère.

-Je te le promets maman.

Le vieille Laïla s’endort en souriant, le souffle lent mais régulier alors que l’aide

soignante vient pour débarrasser un plateau repas à peine entamé.

La Palestinienne a raison d’être inquiète en embrassant doucement sa mère sur le

front, mais elle ne pense pas qu’en sortant sans bruit de la chambre, elle emporte avec elle la

dernière image de Laïla vivante….

Bien que la ligne soit sécurisée, il faut éviter les prénoms et noms propres.

-Mon frère, maman nous a quittés cette nuit.

-Ne pleure pas ma belle, ne pleure pas. Elle souffrait beaucoup et elle

est délivrée maintenant. Viens me rejoindre, tu sais comment faire, tout ton entourage te

protège et il m’est absolument impossible d’assister aux obsèques de maman. Tu le

comprends évidement.

Fais quelque chose de simple, notre mère n’appréciait pas trop le

pompeux. Paye pour que la tombe soit fleurie régulièrement, je t’embrasse chère soeur.

-Moi aussi M..on frère.

La discrète, plus que discrète équipe d’agents du Mossad qui surveille Jasmina aurait

donné fort cher pour connaître la conversation mais une chose est certaine : la soeur de MRS

ne doit pas être perdue de vue. Quels qu’en soient les moyens, et s’il le faut, y compris en

mobilisant un satellite espion.

C’est une vedette rapide de location, qui va emporter la Palestinienne vers la Chypre

toute proche, les cent cinquante milles nautiques sont avalés en à peine plus de quatre heures.

Un commando d’agents très spéciaux, sachant tuer de toutes les manières possibles

et imaginables, rejoindra l’ile à peine cinq heures plus tard, sur place une poignée d’hommes

assurent déjà la filature.

Respectant la douleur des Palestiniens attristés, le colonel Soubi Ali se retire avec

délicatesse laissant frère et soeur en tête à tête.

-Prends ceci, maman m’a dit que tu y trouveras ses dernières volontés,

elle n’a pas voulu que j’en prenne connaissance moi-même.

Après l’avoir presque caressé du bout des doigts, Moktar ouvre délicatement le

présent et trouve stupéfait une minuscule couverture ainsi qu’un linge blanc soigneusement

plié. Entre les deux pièces de tissu une simple feuille de papier elle aussi pliée en deux.

Moktar, mon amour, il est temps aujourd’hui que tu connaisses le secret

de ta naissance. Bien que tu sois adopté je t’ai aimé autant que mes propres enfants. Je suis

fière de ce que tu as réalisé pour notre peuple mais surtout pour l’humanité toute entière car la

paix ne devrait pas avoir de nationalité, pas de frontière.

J’étais la dernière à connaître ce secret, et je n’ai pas le droit de l’emporter

dans ma tombe. Regarde les linges qui t’enveloppaient quand Armed t’a recueilli.

Je les ai lavé du sang de ta mère. Regarde Moktar ils sont marqués de

l’Etoile de David mon fils, car cette femme était juive. A cause de cette maudite guerre à

l’époque, malgré nos efforts, nous n’avons pu retrouver ta véritable famille.

Que Dieu soit avec toi mon fils, tu as su vivre sans la religion, tu n’es pas

juif, tu n’es pas musulman, tu n’es qu’un Homme Libre. Garde cette liberté. Pour ma part j’ai

toujours cru en Dieu ; je me rends compte aujourd’hui que c’était certainement par peur,

comme la plupart des humains.

Ne sois jamais sous l’emprise de la peur Moktar.

Laïla ta mère qui t’a aimé dès que tu as pris son sein.

La foudre tomberait sur l’homme avec moins d’effet, Moktar se met instantanément à

pleurer, bruyamment, à gros sanglots, lui qui n’a jamais eu le moindre petit problème de santé

manque presque de s’évanouir devenant d’un blanc crayeux.

-Que se passe-t-il Moktar ?

Le frère de Jasmina ne peut respirer, ne peut répondre, muet, agar, anéanti et une

chaise vite apportée est la bienvenue pour ne pas tomber au sol.

-Moktar ??

Toujours sans un mot, assommé il tend la courte lettre et Jasmina après l’avoir

parcourue, incrédule, éclate à son tour en sanglots.

-Par Allah, ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible ; qu’allions

nous faire… Et qu’allons nous faire maintenant ?

-Puis je vous aider ? Nécessitez-vous un réconfortant ?

Avec difficultés Moktar remercie l’officier supérieur qui se retire de nouveau.

-Jasmina je vais rejoindre immédiatement la petite maison, tu connais

l’adresse ?

-Oui bien sûr

Peu à peu Moktar reprend ses esprits, il est encore un peu groggy et peine à

coordonner les pensées contradictoires qui inondent son cerveau. Il est dix heures du soir,

nous sommes le 3 avril 1990.

-Jasmina, j’abandonne tout. Nous sommes devenus fous depuis des

années. Viens avec moi, changeons de monde à défaut de pouvoir changer le monde.

Disparaissons tous les deux, il faut arrêter ‘Le Plan’, il est encore temps.

-Moktar, tu n’es que mon frère de lait, j’ose te dire maintenant que je

t’aime ; tu es le plus merveilleux des hommes, je t’aime et ferais ce que tu me diras. Loin de

tous, si tu le veux, nous vivrons ensembles.

Moment d’émotion intense où frère et soeur s’enlacent fortement, longuement. Le

premier Moktar reprend la parole.

-Tout cela est invraisemblable, tu es ma soeur et je ne sais comment

peuvent évoluer mes sentiments, mais il nous faut fuir d’ici au plus vite. Rendez vous dans la

maison ou sinon, à Coma Ruga.

Puis plus fort…

-Mon colonel

-Oui ?

- Il nous faut sortir pour régler un important problème de famille

imprévu ; nous devons vous quitter quelques heures.

-Non, pardonnez moi, j’ai des ordres de Damas pour ne pas vous

laisser partir tous les deux simultanément et vos yeux rougis par des larmes de chagrin ne

peuvent rien y changer, j’obéis toujours aux ordres. Votre soeur restera parmi nous, vous

pouvez vous absenter seul ; encore une fois le général l’a dit.

Excusez-moi d’être aussi discipliné. Notre navire va incessamment

remonter en Mer Rouge et votre présence me parait nécessaire.

Le dernier des Raj Sayhoum quitte fort contrarié la belle villa qui sert de QG à toute

l’équipe syrienne et s’éloigne dans la nuit par la route qui rejoint Limassol, la petite capitale ;

puis s’assurant qu’il n’est pas suivi il s’engage vers le nord pour enfin bifurquer vers l’ouest

et arrive, épuisé, à trois heures du matin près d’un petit village endormi. La lune pleine se

reflète sur la Méditerranée Il fait un peu frisquet mais tout est calme, tranquille; seuls

quelques chiens ne cessent d’aboyer.

Le point de replis avant le grand saut dans l’oubli est sobre, sans aucun confort mais

pour au moins deux personnes, il y est stocké deux mois et demi de vivres en conserves de

toutes sortes et une grande quantité d’eau en bombonnes de cinq litres, celle du puits n’étant

hélas pas potable.

Dans une cache le fuyard récupère deux autres pistolets automatiques 9 mn Beretta

avec deux chargeurs de douze balles chacun et une boîte entière de munitions

supplémentaires. Il ne s’est jamais servi de tels engins et aujourd’hui avec trois armes, il se

sent presque ridicule. Epuisé, à bientôt quatre heures du matin Moktar tombe comme une

masse sur l’un des deux petits lits, il ne peut trouver le sommeil et pourtant…

Et pourtant il fait presque grand jour quand il se réveille et immédiatement se

remémore les événements de la veille.

A à peine plus de cent mètres, un dispositif léger, redoutable et puissant s’est mis en

place. Les hommes sont équipés de jumelles antireflets et les lunettes des fusils ont le même

système optique. Fondus dans la nature, immobiles, les hommes du Mossad attendent.

- Les mecs, c’est toujours pareil, on les retrouve toujours en suivant la

gonzesse. N’empêche qu’il a failli nous semer en sortant de chez ces maudits Syriens !

- Ta gueule et tiens toi prêt. Il est seul et isolé.

Seul, oui mais pas si isolé, à la demande de Moktar, le câble du téléphone a été enterré

par un ouvrier local.

-Un poteau, c’est vraiment disgracieux près d’une maison. Ils sont fous

ces étrangers mais ils payent bien, rabâchait l’homme en creusant sa tranchée.

Dans un bâtiment anonyme jouxtant le ministère de l’intérieur à Paris le téléphone

sonne.

-Allo, que puis je pour vous ?

-Ecoutez attentivement, je sais que notre conversation est enregistrée.

Je suis connu de vos services, je m’appelle Moktar Raj Sayhoum. Il est urgent que vous

agissiez.

Les bombes du Plan que vous connaissez étaient destinées en réalité

à la destruction de l’état israélien. Ce sont deux hydravions qui vont les larguer, une sur le sud

du pays puis immédiatement après, l’autre sur Tel Aviv.

Arrêtez le navire qui les transporte, il a appareillé de Karachi, c’est

un…

Paris enregistre un bruit de verre brisé.

L’angle était bon, la vitre ou l’un des montants de la fenêtre n’allait pas dévier la

balle. Le tireur d’élite du Mossad vient de faire son travail, efficace et sûr de sa bonne cause ;

l’assaut est donné. Il ne sera pas nécessaire de donner le coup de grâce. Moktar Raj Sayhoum

est mort d’un projectile presque en plein coeur.

-Prenez ses empreintes, avec sa nouvelle tronche j’espère qu’on ne s’est

pas trompé.

-De toute manière ce type fricotait avec ces chiens de Syriens, il a eu ce

qu’il méritait.

-Nom de Dieu chef, regardez ce qu’il avait sur lui.

Un délicat vêtement de bébé et une lettre.

-Merde, le bonhomme était l’un des nôtres, pas étonnant avec ce qu’il a

réalisé. Allez, on lève le camp, récupérez les flingues !

Courte et peu banale homélie funèbre, faite par le chef du commando, pour un homme

au destin exceptionnel.

Catastrophe à Paris, pourquoi cette communication a-t-elle été interrompue ? Elle

venait de Chypre, d’accord, mais d’où plus précisément, il a été impossible qu’elle soit mieux

localisée. Monsieur le premier ministre puis immédiatement après Monsieur le président de la

République sont informés de la situation.

-Envoyez sur le champ un message à Jérusalem, et présentez un de vos

hommes à l’ambassade d’Israël, qu’il soit muni de tous les dossiers concernant Moktar Raj

Sayhoum.

Faites mettre en alerte maximum nos troupes basées à Djibouti, que tous

les navires prennent la mer et se déploient dans le détroit. Que tous les avions soient prêts à

décoller.

Allez, retrouvez moi ce barlu nom de Dieu !

Moins d’une heure après les derniers mots de Moktar, l’état entier d’Israël entre en

une effervescence inaccoutumée ; les troupes sont, il est vrai, toujours sur le pied de guerre,

mais jamais l’on a appelé les réservistes par la radio et la télévision. Des milliers et des

milliers d’hommes et de femmes quittent précipitamment leur travail et rejoignent leurs unités

de combat. Une multitude de chars encercle toutes les enclaves palestiniennes dont les

habitants médusés et apeurés se demandent ce qu’ils ont bien pu faire encore pour mériter des

nouvelles représailles.

-Où est Moktar, Jasmina ?

Une négation de la tête accompagnée d’une terreur muette, est la seule réponse de la

Palestinienne.

- Il a disparu depuis cette nuit et l’on me communique qu’il parait y

avoir une révolution chez ces ordures de Juifs.

Où est Moktar ?

-Je ne sais pas mon colonel.

Une gifle monumentale déséquilibre la femme qui chute lourdement, la joue en feu.

De sa vie, jamais personne n’avait levé la main sur elle, elle est trop abasourdie pour pleurer

en se relevant difficilement.

-Où est Moktar ?

C’est un coup de pied dans le bas ventre qui cette fois fait évanouir Jasmina. Elle

n’a que le temps de penser.

-Mon amour, tu as raison, ces salauds voulaient nous tuer.

Furieux, le terrible colonel va s’acharner un moment sur la Palestinienne en

hurlant.

-Sale garce ! Vous deux, attachez là, profitez en à satiété et ne la

laissez surtout pas s’échapper. Que tous les autres viennent avec moi, je veux abattre ce traitre

de Moktar de ma propre main, l’île est petite, il ne peut être bien loin.

Aucun des hommes restés sur place ne va abuser de Jasmina, la Palestinienne s’éteint

doucement. L’hémorragie interne provoquée par les innombrables et violents coups qu’elle

vient de recevoir, apaise ses traits pour toujours.

XXXXXXXXXXXXXXXXXX

Entre différents services gouvernementaux de la France, d’Israël, des USA, des

Britanniques et aussi du Pakistan d’où est parti un navire parmi tant d’autres, les télex ne

cessent de crépiter et maintes lignes téléphoniques sont bloquées pour une recherche vitale.

Les Israéliens sont prêts à verrouiller les issues de la Mer Rouge, à ne laisser pas même passer

une petite sardine. Mais il est impossible d’immobiliser des milliers de navires.

Quel type de bateaux ? On ne le sait pas.

Quand est il parti ? On ne le sait pas. Dans la capitale israélienne le grand chef du

Mossad prend les rennes et ordonne.

-Faites un listing de tout ce qui a transité par Karachi dernièrement,

demandez les renseignements aux Pakistanais et faites moi bouillir vos neurones et les

ordinateurs s’il le faut.

Une cellule de crise est en place à Paris, de nombreux hommes du renseignement, des

spécialistes des questions maritimes et de nombreux généraux travaillent ensembles. Peu à

peu une liste impressionnante de navires, de toutes nationalités, de tous tonnages ayant ces

derniers jours transités par les ports Pakistanais défile bientôt sur les ordinateurs. A Londres, à

Islamabad, à Washington, à Paris, à Jérusalem et à Aden où les Anglais sont fortement

implantés, des milliers de personnes s’acharnent pour retrouver deux si petites bombes

atomiques.

Dans la capitale Israélienne l’on peste et jure jusqu’au blasphème. Le commando de

Chypre a accompli sa macabre besogne et à quelques secondes près l’on aurait pu connaître le

nom du navire chargé des engins destructeurs.

Il doit être de toute façon, assez grand pour accueillir deux hydravions. C’est

probablement un porte container. De tous les immobiliser puis de les aborder, il va être très

difficile car ils sont extrêmement nombreux à croiser dans ces parages de la Mer Rouge.

Recoupages, informations multiples sur les armateurs, les sociétés de fret, les

propriétaires des chargements, les nationalités des équipages, les noms des directeurs de

toutes ces boîtes maritimes, les noms des bateaux, leurs port d’attache, l’ensemble de tout ceci

constitue un imbroglio rassemblant des milliers et des milliers d’informations qui sont

épluchées maintenant par tous les hommes, par tous les ordinateurs.

Momentanément le canal de Suez ne laisse plus passer aucun navire marchand.

-Bingo, patron, je crois que je le tiens.

A Aden, devant son écran d’ordinateur un officier anglais des affaires maritimes

jubile.

-C’est bien un porte container, regardez, il est armé par une petite

société de fret Luxembourgeoise. Et regardez encore qui est le proprio et principal actionnaire

de cette boîte… un certain Moktar Raj Sayhoum.

- Il s’appelle JASMO et bat pavillon des Bahamas.

-Bravo mon gars !

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Quelques jours plus tard, à vingt heures la France entière regarde les journaux

télévisés des deux principales chaines nationales.

-On nous communique à l’instant même, qu’un porte-container

battant pavillon des Bahamas a été arraisonné ce vendredi passé par la Marine Nationale

Française basée à Djibouti, alors qu’il venait de franchir le détroit d’entrée en Mer Rouge.

Le bâtiment, d’abord repéré par nos chasseurs a été pris ensuite

d’assaut par nos commandos de marine embarqués à bord d’hélicoptères Super Frelons.

D’importantes quantités d’armes, de munitions, et même quelques

missiles sol-sol, ont été trouvé à bord du navire marchand qui pensait pouvoir ravitailler

l’armée du Soudan.

Comme vous le savez, ce pays est actuellement soumis à un embargo

international du fait des exactions qu’il mène sur sa propre population civile, au Darfour

notamment, et du confit qui l’oppose à l’Ethiopie. De plus amples informations vous seront

communiquées dans nos prochaines éditions.

En Colombie, la situation.........

XXXXXXXXXXXXXXXXXXX

Le 2 août 1991 le plan ourdit depuis plusieurs années par le Mossad voit enfin son

aboutissement. « Revanche sur Nabuchodonosor » porte ses fruits quand les troupes

Irakiennes envahissent le Koweït.

La crise couvait depuis bien longtemps et dès le mois de mai les coups de gueules

de Saddam Hussein devenaient de plus en plus fréquents. En juin la puissante armée aux

ordres du dictateur s’était déployée le long de la frontière et le prix du pétrole est monté

soudain en flèche. Dès le lendemain de l’invasion les bourses du monde entier ont chutées nt

en piquée et les autorités koweïtiennes réitérèrent leur appel à l’aide pour chasser les Irakiens.

Six cent cinquante mille soldats ont envahis le petit émirat et ont prit en otages de

nombreux ressortissants américains, anglais et d’autres nationalités, pour la plupart des

européens, mais aussi bon nombre de japonais et des Australiens.

Le 8 août Saddam décrète l’annexion pure et simple du Koweït qui devient province

Irakienne. Les français et les Russes augmentent leur présence maritime sur la zone et Israël

se déclare neutre.

Le 25 août est proclamé le blocus militaire de l’Irak, le 13 septembre les Rats du

Désert, troupes spéciales anglaises débarquent avec cent dix chars de combat. La coalition se

prépare pour attaquer les forces irakiennes pendant que Saddam menace de détruire Israël et

de faire brûler tous les puits de pétrole de la zone occupée.

Le 26 septembre le blocus aérien de l’Irak se met en place. Tout en parlant d’un

possible règlement pacifique de la crise, la coalition à déjà concentré, prêts au combat, trois

cent soixante mille soldats d’une dizaine de nationalités différentes. Plusieurs ultimatums sont

lancés à Saddam Hussein qui refuse de se retirer du pays envahi. Quand enfin la coalition

attaque, très rapidement les troupes du dictateur sont défaites ; beaucoup de ses combattants

se rendant tout simplement pour pouvoir manger ; depuis trop longtemps isolés dans le désert,

certains étaient déjà pratiquement presque morts de faim et de soif.

La marche sur Bagdad commence bientôt et Jérusalem se frotte les mains…..alors

survient l’impensable…

Sans rencontrer la moindre résistance, le général Swharskof qui commande les

troupes alliées s’arrête sur ses positions. Saddam Hussein vient d’avoir un coup de génie :

c’est lui-même qui appelle au secours le président des Etats-Unis Georges H.W.Bush ; les

communistes profitant de la faiblesse du dictateur seraient soit disant prêts à prendre le

pouvoir. Ils pourraient mettre la main sur ce qui représente, selon les experts, la deuxième

plus grande réserve pétrolifère de la planète.

Tout, mais pas ça !

Et l’on va assister à l’incroyable, l’inimaginable, des hélicoptères transport de

troupes mis à la disposition du sanguinaire chef de l’Irak pour mater quelques misérables

rebelles Kurdes ou seulement des révoltés Chiites. Curieusement, jusqu’à présent si l’assaut

sur le pays arabe vient d’être très largement médiatisé, pas un seul des nombreux reporters de

presse présents sur le terrain des opérations ne va être convié à cette phase occulte du conflit ;

et aucune explication ne sera jamais donnée pour justifier l’arrêt prématuré des hostilités.

« Revanche sur Nabuchodonosor » vient d’écraser une armée capable de détruire

Israël mais, hélas, la logique destitution du dictateur n’a pas eu lieu. Allons, ce n’est pas

grave, du moment qu’il n’a plus de communiste sur le terrain…

Jérusalem peste et jure encore une fois. Que faudra-t-il faire pour se débarrasser de

ce chef d’état si dangereux qui demain, avec l’aide de la planète toute entière, y compris de

ceux qui viennent de le combattre, va rapidement reconstituer son potentiel militaire. Des

chars et des avions contre du pétrole, le tour est joué, business is business.

Peut être faudra- t- il inventer un nouveau plan, préparer une nouvelle intoxication,

prétendre éventuellement que l’Irak vient de se procurer des armes de destructions

massives ?…

Cela pourrait-être une idée à creuser ; on reverra ça dans quelques années et il y

aura bien toujours quelques grands imbéciles qui vont le croire.  

 EPILOGUE JANVIER 2004

Un char marqué de l’étoile de David, mastodonte métallique hérissé d’une

multitude d’antennes et dont l’épais blindage est doublé d’une carapace de sacs de sable,

s’immobilise au milieu d’un champ de ruine. Tout un pâté de maisons, près de Ramallah,

vient d’être détruit en un terrible blitz-raid d’interminables représailles.

Dans l’un de ces simples logis dont ils ne restent que des pans de murs, habitait la

famille d’un homme qui, bardé d’explosifs, s’est fait sauter près d’un cinéma à Jérusalem.

Cinq morts et plusieurs dizaines de blessés viennent d’être vengés.

Le lieutenant Joshua Granowsky, petit fils d’Isaak, ronchonne et jure. Dans son

modeste foyer, près d’Ebron, l’ambiance est au plus mal ; depuis quatre ans qu’ils sont

mariés, Rachel et lui n’ont pas d’enfant. Après plusieurs essais infructueux de fécondation invitro

avec les meilleurs spécialistes du pays, ils n’ont plus le moral.

Les Rabbins recommandent que Rachel soit répudiée afin que la loi de Yahvé soit

accomplie. Tu procréeras.

Joshua aime passionnément son épouse et ne peut se résoudre à cette alternative.

L’officier de réserve, conducteur de travaux d’une grande entreprise de construction dans le

civil, grogne contre les trop fréquents rappels effectués sous les drapeaux. Il exécute bien à

contre coeur les ordres donnés qui lui paraissent insensés, idiots et de mauvaise augure pour

l’avenir. Si les Juifs, et les Palestiniens bien entendu, appliquent la loi du Talion, dans dix

mille ans ils seront encore en guerre !

-Ce n’est pas possible ! Ceux qui nous dirigent sont fous ! Et maintenant

ce maudit tas de ferraille qui redéconne !

L’air du minuscule habitacle est devenu irrespirable à la suite d’une panne

mécanique ou de la rupture d’un quelconque joint ; les gaz d’échappement, chauds,

malodorants et toxiques s’infiltrent faisant tousser et pleurer les quatre hommes d’équipage.

Pas un mouvement aux alentours, d’autres chars en position à proximité immédiate

assurent la sécurité et Joshua, confiant, ordonne l’arrêt du moteur. Il déverrouille l’écoutille

de la tourelle et s’extrait précautionneusement de son monstre guerrier immobilisé.

Un silence oppressant l’entoure, soudainement rompu par le vagissement d’un bébé,

là, tout près dans les ruines.

FIN

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