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DOUBLE BIBERON
Plus d'un quart d'heure que Jérémie regarde le terrain. Il se penche et ferme un œil comme si ce faisant une nouvelle dimension allait surgir. Au moins cinq voir six fois que ses pieds se "destanquent"[1], qu'il sort du cercle et marche vers le lieu stratégique où le sort de l'humanité se joue.
Curieusement, personne ne semble lui reprocher sa lenteur, les regards graves scrutent alternativement les sphères métalliques réparties autour du petit, cette grosse bille de bois aujourd'hui peinte d'un rouge orangé, et la dernière boule à jouer. La décisive. Celle que Jérémie astique de son chiffon pour la cent douze millième fois.
Mais diantre que va-t-il faire? Pointer, tirer? Ou tout simplement décider de perdre sa boule. Une mène de plus à jouer dans ce cas là. Certains à voix très basses prennent des paris. La partie dure depuis deux heures et treize minutes, normal avec des tireurs de qualité capables de perdre le petit. Un des deux arbitres, des vrais, venus de la fédération, avance pour réclamer le jeu.
Il n'est pas si fréquent que le cochon s'appuie juste sur deux boules ennemies qui elles même se touchent. Triangle parfait de deux "biberons"[2]. Il n'était pas prévu non plus que le score allait afficher 12 à 12 dans la première édition de ce très particulier tournoi.
Le silence est rompu par un spectateur.
-Vas-y Jéjé, tire dans le tas chef !
Une tension fort bien dissimulée jusqu'à ce moment précis refait surface et, tel un apnéiste, reprend un souffle trop longuement retenu. Des images courent dans bien des têtes à cette exclamation. Le gars aurait du remuer sept fois la langue dans sa bouche avant de la lancer. Du coup un malaise envahit tous les spectateurs. Les partisans des deux équipes se regardent maintenant face à face, les yeux chargés de haine, la pétanque n'existe plus, la récréation est terminée…
Nos dernières informations:
Treize morts à la fin d'une partie de pétanque et de très nombreux blessés. Il est fort probable que ce premier tournoi sera également le dernier et qu'on ne verra plus jamais s'affronter une équipe de détenus contre une de gardiens, dans le cadre de la prison des Baumettes à Marseille.
Un journal charlataniste où la numérologie voit son mot à dire va bientôt titrer.
213 chemin de Morgiou Marseille 13009 13 Morts
Quel est le grand con qui a organisé ca pour faire oublier la révolte de l'année passée? Un an jour pour jour aujourd'hui.
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