Douce plume acariâtre

DE LA MAYONNAISE DANS LE DESERT

                                                  


                                       DE LA MAYONNAISE DANS LE DESERT.


                                                                      Ou   LE CANARD AFRICAIN

                                                                                   

                       Chapitre premier ; Houston 3 février 2026.

 

                      C’est vraiment ce que l’on peut appeler une réunion au sommet !
 Deux cent quatre vingt trois étages, les plus grandes superficies de bureaux à louer disponibles actuellement sur tous les States. Bien qu’à des prix exorbitants, des centaines de sociétés en tout genre sont déjà parties prenantes. Pour celles qui ici vont établir soit une succursale soit un siège principal, ce sera un must que d’avoir pour adresse la prestigieuse nouvelle tour.
       Incroyable structure où se mélangent le carbone, le titane et le bambou ; plus étonnante encore sa silhouette si caractéristique issue du cerveau tarabiscoté d’un génial architecte sud-coréen, probablement émule du tout grand Gaudi le catalan du siècle passé. Le fabuleux bâtiment que l’on vient déjà admirer du monde entier, suscite bien des polémiques mais plus l’on en parle et plus cela fait chic que de s’y installer.
      Les dix derniers étages sont entièrement consacrés à la B.U.M. Oil Company qui est par ailleurs l’heureuse propriétaire de cette splendeur architecturale dont la première pierre a été posée en novembre 2024, il y a tout juste deux ans, deux mois, deux semaines et un certain nombre de jours. La BUM, comme on la diminue fréquemment, prétend devenir la plus importante société productrice de carburant de la planète. Depuis sept ans, elle a la concession d’exploitation de pratiquement trois puits de pétrole sur dix.
        L’or noir hélas ne coule plus à flot, sur tous les continents, au fond de toutes les mers et océans, les sources se tarissent rapidement et pourtant… à trois cent soixante huit Euros le baril, la production est achetée avant même d’être pompée.
        Ce qui a failli, de très peu, être la première guerre mondiale durable de ce vingt et unième siècle vient à peine de se terminer.  Pratiquement prévisible dés le début de la crise de 2008 ; le gigantesque conflit s’est présenté comme unique solution quand, en 2019, les trois quarts de la masse salariale des pays les plus modernes on été réduit au chômage, sans espoir d’en sortir vraiment.Il faut préciser qu’un taré était à la tête des toujours hégémoniques Etats Unis depuis fin 2016.   Les gouvernements des nombreuses nations concernées se sont  heureusement rendu compte de leur folie respective au vu des considérables destructions ; après seulement un petit mois de combats, les potentiels industriels ont tellement trinqué avec les armes dites conventionnelles, que partout la reconstruction demande une énorme quantité d’énergie, donc de carburant.
        Quant aux habitants de la terre, environ mille deux cent millions d’entre eux ont été tués par les redoutables bombes à neutrons. Saine saignée selon des analystes qui n’ont certainement pas perdu un de leurs proches. Mais les machines restent gourmandes et la BUM, qui a allègrement participé à jeter de son excellente huile sur les feux précédant le conflit, a joyeusement fourni les armées de tous bords en combustible, continue désormais jubilante à alimenter le redémarrage de la vie en paix.
         Cette paix dont la meilleure définition reste, hélas et pour toujours, période de temps entre deux guerres.
         Toutes les grandes cités en bordure de mer, et celles édifiées autrefois près des embouchures des innombrables fleuves de la planète agonisante, ont des besoins colossaux pour nourrir les moteurs affamés de millions et de millions de camions qui sans répit lèvent des digues kilométriques. Les petites villes ont moins de chances, elles sont pour la plupart abandonnées à leur triste sort. Les pieds dans l’eau, elles se vident peu à peu de leurs derniers courageux habitants. Ces douze années passées, le niveau moyen des mers est monté de presque trois mètres, seulement deux et demi selon les spécialistes grassement payés pour cacher une réalité pourtant évidente.
       Les actionnaires de la B.U.M. Oil Company se frottent les mains en comptant leurs faramineux dividendes mais….avec un léger bémol pour cette dernière année. Il parait que c’est là le motif de la réunion d’aujourd’hui, assemblée exceptionnelle des hauts dirigeants.
       One Duck, diminutif de Winston Duck, non apparenté à un Donald très connu du siècle passé, est le Directeur des Projets de la B.U.M. ; il est soucieux ces derniers temps, Phillip Angelo, le Big Boss le tient un peu à l’écart. Comme si une véritable mise au placard se préparait.
         Son attaché case au poignet, il prend avec quelques minutes de retard sur ses collègues et ennemis de la boîte, un des ascenseurs qui va le propulser telle une fusée au dernier étage vers la stratosphère.
         Tout là-haut, dans une vaste salle, autour d’une grande table qui constitue avec dix chaises l’unique mobilier de tout le building, neuf culs sont déjà posés. L’édifice n’a pas encore été inauguré officiellement et les matériels de sécurité ne sont pas totalement installés. Pardon, il existe une onzième chaise destinée à l’agréable popotin de la secrétaire particulière de Monsieur le Président Directeur Général qui, avec une conscience très professionnelle, va pouvoir se limer les ongles dans une petite pièce attenante.
        One Duck pénètre dans l’antre, silencieux, baissant les yeux, essayant vainement de devenir invisible. L’endroit est sinistre, devant chaque personnage le même attaché case, ou du moins très semblable, est posé. Tous soigneusement alignés, ils contiennent probablement des précieux documents, des plans machiavéliques, des calculs stratégiques, des statistiques et des  « quesaisjeencore » en tous cas très importants.
        Celui que pose maintenant One, diminutif de One Duck, abrite Mickey sa petite souris blanche fétiche. Prisonnière dans une jolie cage dorée et matelassée du meilleur coton, elle voudrait bien pouvoir grignoter un peu du hot dog saucisse moutarde que son maitre vénéré se promet de ventiler à la fin de la réunion et dont les effluves émeuvent ses minuscules narines.
         L’homme en tête de table se lève, les yeux fixés durement sur le retardataire.
          -One, une fois de plus vous êtes le dernier !
                   -Monsieur le présid…
                   -Taisez-vous. Premier et unique ordre du jour : nos pertes importantes et comment nous allons devoir nous orienter bientôt vers d’autres sources de carburant.
        Messieurs, au moment même où nous occuperons  le sommet de cette magnifique tour que le monde entier nous envie, notre société sera déficitaire de trente deux milliards d’Euros, une petite paille ! Nos actionnaires grincent des dents et ils m’ont sérieusement remonté les bretelles par l’intermédiaire du groupement d’avocats qui les représentent.
         Monsieur le Directeur des Projets, qui en ce moment n’a aucun projet ni dans la musette lui servant d’attaché case ni dans la tête, se permet de lever le doigt et pire encore, d’interrompre Dieu le père.
                  -Monsieur le Président, sauf votre respect et si je ne me trompe pas, nous avons engrangé deux cent trente milliards de bénéfice au cours de cette dernière année comptable ?
                   -One, taisez-vous ! Il était prévu d’en gagner deux cent soixante deux. Nous en avons donc perdu trente deux. Vous ne connaissez plus votre arithmétique élémentaire ?
 Winston, dit One, s’auto-félicite en se disant qu’une fois de plus il aurait mieux fait de la fermer.
         Un autre doigt se lève tout là-bas à l’horizon, de l’autre coté de la table.
                  -Excusez-moi, cela fait combien en Dollars ?
                  -Comment diantre voulez-vous qu’une boite fonctionne correctement avec de pareils ouistitis ? Bert, le Dollar, c’est F  I  N  I, vous entendez, F I N I, c’est du passé nom de Dieu, mettez-vous à la page ou partez chez les Papous ils sont plus évolués que vous !
          Aucun autre participant ne regarde ni One ni Bert, comme si tous avaient soudainement peur d’attraper une quelconque maladie honteuse en ce faisant.
          L’homme assis à la gauche du tout puissant jette de furtifs coups d’œil sur sa mallette et soupire en se remémorant les revues pornos qu’elle contient. Les filles y sont si belles et si salopes…il aimerait tant que sa pudibonde épouse consente aux mêmes galipettes qu’elles exécutent à chaque page. Pour avoir de semblables délices, monsieur le Directeur de la Communication doit  recourir régulièrement à de discrètes professionnelles. 
          Juste en face de One, est assis Stevens Barry-Noa, Directeur des comptes. Son attaché case lui au moins est certainement  bourré de colonnes interminables de chiffres avec, tout en bas, un aboutissement négatif qui fait la grogne du PDG.
           Si tu savais One ce que contient cette petite mallette de fin cuir noir !
           Stevens a été prévenu que, tout comme les autres membres de cette glorieuse assemblée, il n’aura rien à dire. Il ne transporte donc aujourd’hui qu’une liste que madame a préparée pour les achats de la maisonnée, trois cravates de rechange car monsieur est un maniaque du tour de cou et un paquet de protège-slip because ses hémorroïdes l’enquiquinent en ce moment. Cependant, il est le seul de tous ces beaux messieurs à  connaître le vrai motif de la réunion, avec le Big chef bien sûr.
           Monsieur le Responsable des Ressources Humaines, Jack Haresson, qui autrefois n’aurait bénéficié que du simple titre dégradant de chef du personnel, quant à lui se coltine un volumineux dossier sur des sommes que le fisc lui reproche d’avoir légèrement dissimulées.
          En fait, tous n’ont absolument rien apporté  de ce qui ait une quelconque relation avec la B.U.M. ;  rien dans huit des neuf autres rectangles noirs alignés sur la table. Les ordres étaient explicites, pas d’ordinateur, pas de Kube-com, ce fantastique appareil révolutionnaire petit fils du téléphone portable. Tout ce micmac pour ne pas réunir en un même lieu mal sécurisé, les importants secrets de la Company. Seul le grand chef a quelques feuillets servant de guide à son monologue.
                  -Messieurs, l’avenir appartient à la BUM, il est devant nous et nous avons prévu l’après pétrole. En dehors du fait que nous menons de vives actions pour contrecarrer le développement du moteur à eau, depuis bien avant la guerre, sans parler du bourbier irakien, et de notre nouveau Viêtnam nommé Afghanistan, depuis donc 2004 exactement, nous achetons systématiquement de grandes quantités de terres, de préférence en bordure des déserts. Quant les gouvernements se sont opposés aux transactions d’appropriation, nous avons pris des concessions d’exploitation du sol.
                  Bien des pays nous ont volontiers cédé ces derniers documents en échange d’un approvisionnement immédiat en carburant : ces pauvres étaient si nécessiteux. Vous voyez combien notre Company contribue au développement harmonieux de notre planète ?  
                 Messieurs, comment s’appelle le futur ?
                 Le jatropha : quelqu’un d’entre vous connaît-il la signification de ce mot ?
         Monsieur l’éminent Directeur des Ressources Humaines lève le doigt à son tour, fier de pouvoir étaler ses connaissances.
                 -C’est un arbuste, il me semble avoir vu un documentaire à la télé, il parait qu’aux Indes…
                 -Très bien mon cher Jack, je constate avec jalousie que vous avez encore du temps pour regarder la télévision. Vous avez de la chance mon vieux !
                   C’est effectivement un arbre qui culmine rarement au dessus des quatre mètres, certaine variétés culminent à dix mètres mais elles ne nous intéressent pas Tenez-vous bien messieurs, le végétal en question donne actuellement un litre d’une très bonne huile, capable d’alimenter toutes sortes de moteurs sans aucun raffinement, avec seuls huit kilos de ses fruits. Le rendement peut être bien entendu amélioré en utilisant une technologie plus perfectionnée de pressage. Nous avons commencé, à petite échelle et dans un but expérimental, l’exploitation  de quelques terres avec la complète collaboration des gouvernements du Brésil et de l’Argentine, un peu également au Zimbabwe enfin en Mongolie.
                   Bonheur sans pareil, messieurs, cette perle encore rare ne demande que très peu d’eau, voir presque pas du tout. Demain nous inonderons la planète entière sous notre carburant cinquante fois moins onéreux que le pétrole à la production. Bien entendu les prix à la pompe pour ces chers consommateurs ne baisseront jamais, et de loin, dans les mêmes proportions.
                  One, vous m’écoutez ?
                  -Bien sûr Monsieur le Prés…
                  -OK, je disais donc…..
                 
       Tu parles ; l’esprit de One est à mille lieues d’ici. Il est aux cotés de Jennifer, sa chichiteuse de fille qui se plaint de n’avoir que deux cartes de crédit et qui hier encore lui a hurlé son mécontentement alors qu’elle passait en coup de vent sous le toit familial.
                 -Papa, tu n’es qu’un radin. Tu ne m’as pas encore acheté cette  belle Oldsmobile décapotable alors que maman a eu la toute dernière Smart. Ce n’est pas juste !
          Aux cotés également de son fils cadet Harold encore plein d’acné juvénile mais qui se dit prêt pour l’université. En attendant il cumule bêtises sur bêtises dont l’ultime l’a vu revenir à la maison escorté de l’inspecteur Garry du commissariat du district.
                 -Mister Duck, veuillez persuader votre fils de ne plus fournir du hachich à ses amis du lycée !
        La petite plaisanterie a couté quatre gros billets, des tous nouveaux  mille Euros, pour les œuvres de la police.
                  -Je vais vous faire un reçu.
                  -Non, ce ne sera pas nécessaire.
             … -et cet homme fortuné sera donc…Winston Duck que je félicite d’avance pour les excellents résultats qu’il obtiendra.
         Dix-huit yeux sont braqués sur One qui se lève, confus, bredouillant.
                   -Bien sûr, monsieur le Président, je ferai de mon mieux pour être digne de la Company.
         Mais qu’est ce qu’il a dit ? Je n’ai rien entendu du discours vers la fin, dans quel merdier suis-je encore fourré ?
                    -Félicitations mon vieux !
         Les claques pleuvent sur le dos de One désemparé, ne sachant que dire.
                   -Bravo mon vieux, quelle chance cette promotion, l’avenir de la boîte est sur tes épaules.
                   -Alors veinard, tu nous enverras des cartes postales de ton désert africain !
                   -Euh…oui bien évidemment.
          Un désert ? L’Afrique ? Un seul de ses soi-disant collègues donne véritablement son opinion en  lui serrant fort et trop longuement la main.
                    -Sincères condoléances mon vieux !  
           Rappel, Monsieur le PDG explique en terminant.
                   -Vous avez été choisi pour votre excellente connaissance du Français et aussi par ce que vous n’avez jamais manifesté le moindre problème en travaillant avec les blacks. Au Mali ce seront deux atouts majeurs. Kent Mallow,  votre adjoint, prendra votre poste, vous l’avez remarquablement bien formé.
                   Vous partez demain en quinze, mon vieux. Voici un premier dossier à étudier au plus tôt, de plus amples instructions vous seront fournies par la suite.
                     Messieurs, vous pouvez tous disposer, nous nous revoyons dés cet après midi, avec bien  évidement tous vos documents en cours. Nous ne remettrons les pieds dans la tour que le jour de l’inauguration officielle dans un peu moins de trois semaines. Comme vous le savez déjà notre installation définitive n’est prévue que pour la deuxième semaine de mars. Dépêchez-vous, il vous reste une heure pour déjeuner.
          One Duck, anéanti, regarde la trentaine de feuillets posée devant lui et ne peut se lever. Il va louper l’assenceur rapatriant sur le plancher des vaches la secrétaire et les neuf qui tous feignent d’ignorer son splendide postérieur, sauf peut-être Gordon Lyndhurst le chargé des relations publiques préférant sans aucun doute le contenu des pantalons masculins. La fusée ne remontera pas, les agents travaillant encore dans l’invraisemblable édifice eux aussi partent manger, pas de Kube-com…One sera en retard  à la reprise du boulot. Il ne se sent pas capable de descendre deux cent quatre vingt trois étages pédibus-jambus par les escaliers de secours.
                  -Voyons voir un peu quel va être mon futur immédiat. Mais premièrement mon hot dog saucisse moutarde que je vais partager avec Mickey. Vivement qu’on invente le micro-onde de poche. Une chose me tarabusque, comment se fait-il qu’au poste que j’occupe dans la Company, je n’ai pas été informé des premiers essais avec ces foutus arbres miraculeux ?
         C’est donc en déjeunant en agréable compagnie, tout là-haut perché, que One ouvre le dossier JATROPHA et découvre à quelle sauce lui-même va être mangé.
          Vers trois  heures de l’après-midi, l’unique ascenseur en service est toujours bloqué au rez-de-chaussée et il va falloir une heure et vingt cinq minutes d’essoufflement pour que One Duck rejoigne sa Buick et puisse retrouver son Kube-com signalant déjà un nombre incalculable de tentatives d’appel : de Monsieur le PDG, de Barbara sa tendre épouse et, aïe aïe aïe, encore de l’inspecteur Garry.
          Duck appuie sur l’unique bouton de l’appareil et celui ci déploie aussitôt son écran virtuel d’environ trente cm. par vingt.
                        -Passez-moi le Big boss SVP.
         Aucune autre voix que celle de son titulaire ne peut commander un Kube-com, inutile donc d’essayer de le voler. Si par hasard il se perd, la compagnie qui en a le monopole mondial, vous garantit son replacement presque immédiat pour une somme dérisoire. Sauf par le feu, l’acide ou un choc très violent il ne peut être détruit, une seule minuscule pile bouton assure son énergie pour plus de trois mois.
         Il est évident qu’avec un pareil service la tarification  n’est pas à la portée de tout un chacun et la majorité des gens reste accrochée au traditionnel téléphone portable.
         En moins de deux secondes apparait sur l’écran un Boss en courroux et vociférant.
                 - One, qu’est ce que vous foutez ! Vous vous payez ma gueule ?
                 - Non monsieur, je suis resté coincé dans la tour et…
                 - Rappliquez immédiatement !
         One demande le contact avec sa chère moitié, très chère même, et Barbara  apparaît à son tour :
                  -Chéri je te rappelle que nous dinons ce soir chez les O Tumbert’s et que le flic Garry veut encore te voir.
                  - Dis lui que je passerai au commissariat demain matin vers  neuf heures.
         A la B.U.M. Oil Company la nouvelle du gaffeur bloqué dans l’ascenseur est connue de tous et des sourires sarcastiques saluent  perfidement l’éternel retardataire. Seule Chris la secrétaire, et aussi l’unique maitresse de Winston, s’inquiète.
                 - One, vous semblez perdu ces derniers temps.
                  - Ne vous préoccupez pas, je le serai bien davantage dans quinze jours ; paumé dans les sables du désert malien car je n’ai pas le choix. Si je dénonce mon contrat avec la BUM en démissionnant, je ne reçois pas un centime d’indemnité, les tribunaux me condamneront probablement à en payer moi-même et il me reste huit ans pour ma dernière hypothèque. Je suis foutu Chris.
          Je comprends enfin pourquoi mon adjoint, ce salopard de Kent, complote depuis presque un an et demi dans mon dos ; toujours chez le Boss, deux voyages aux Indes sans que je n’en sache la raison. Ils se sont bien foutus de ma gueule ; si ça se trouve toute la boîte est au courant.
                  - Et si vous tombiez malade ?
                  - Impossible, dorénavant les compagnies d’assurances vous imposent le détecteur de mensonge pour contrôler les tires-aux-flancs et ce maudit appareil est à cent pour cent fiable, aucune manière de le berner.
         Chez les O Tumbert’s, comme à l’accoutumé, le dîner est désespérément ennuyeux bien que la dame de séant ait un décolleté qui descend vertigineusement à son nombril, ce qui, vu ses rondeurs, n’est pas du meilleur effet. One n’ose pas communiquer son prochain départ, Barbara non plus n’a pas encore été prévenue, sinon elle n’aurait pu retenir sa langue.
         Les pensées de l’homme de la BUM sont loin d’ici, un appartement de deux cent soixante mètres carrés dans le quartier le plus chic de la ville, un studio acheté à Jennifer, un petit ranch du coté de Dallas, une maison au bord de la lagune à Miami avec, amarré juste en face, un super Grand Banc, récemment acquit et équipé pour la pêche  au tout gros dans les Bahamas, cinq voitures….trois fois rien. Mais Winston Duck dit One Duck et raccourci  en One, n’est pas heureux.
          Tard dans la nuit, avant le réparateur dodo, Barbara donne des airs qui ne trompent pas sur ses intentions. Elle ne prétexte pas l’une de ses éternelles migraines et, comme à l’accoutumée, s’est trop inondée de ce parfum qui fait presque débander monsieur. Juste le moment où celui-ci se décide pour enfin révéler sa future aventure africaine.
         Madame en oublie de retenir le peignoir cachant sa nudité et son  « petit canard » des moments intimes lui conseille de remballer gentiment ses abats et ses idées.
                 - Pas ce soir chérie, cette fois c’est moi qui ai mal au crâne, et pour de bon.
         Winston s’endort en pensant à Chris pendant que madame songe longuement aux excès qu’elle pourra se payer quand son ramolli de mari sera au Mali. Et au petit déjeuner, seul repas réunissant les quatre membres de la famille quand la fifille n’est pas dans son studio, One raconte son prochain départ. Trois voix vont s’élever pour manifester leurs respectifs enchantements. Barbara, excellente en géographie parle la première :
                  - Je ne t’ais rien dit hier soir, mais il est hors de question que nous partions avec toi, même si nous devons rester dans la capitale du Mali pendant que tu t’amuses dans tes sables. De plus il parait que Dakar est devenue une ville très dangereuse.
                  -C’est pas possible papa, tu acceptes seulement pour nous emmerder ! S’exclame Harold le boutonneux.
                 -Dis donc papa chéri, tu vas être certainement augmenté, alors pour la décapotable Oldsmobile ?
         Découragé, sans répondre et sans finir son bol d’eau au vague goût de lait où baigne un musli encore craquant, le chef de famille (quand il est seul) se lève excédé, saisit son pardessus, et s’en va au boulot, oubliant de passer par le commissariat de police. Dans son attaché case Mickey n’est plus là ; il n’y a qu’ une trentaine de feuillets qui sont beaucoup plus indigestes qu’un hot dog saucisse moutarde, y compris quand il est avalé tout froid.
         .En conduisant sa Buick hors de son quartier hautement résidentiel de Pierce Junction, One ne décolère pas :
                  -Par ce que je parle Français, prétexte à la con. Il va falloir que je m’arrange pour me faire virer ; mais ça c’est encore du rêve, hypothèque, femme, fille, fils, bientôt le fisc… merde j’ai oublié le flic.
        Conduite par un homme inattentif, la Buick emboutit en toute beauté une vieille Ford Custom des années 10 qui sagement attendait le feu vert pour attaquer la voie d’accès à la route 90 en direction d’East Huston. Un immense black dont le pull rouge vif laisse deviner une impressionnante musculature, avec sur le crâne un invraisemblable bonnet de laine  tricoté et bariolé surgit du véhicule accordéonné.
         L’énergumène s’exprime dans une langue totalement inconnue mais visiblement il ne dit pas que du bien du conducteur de la Buick presque sans une égratignure. Puis il passe au Français
                 -Putain de merde. Toubab  à la con, si on était chez moi au Sénégal, je ferais comme mes ancêtres, je te boufferais tout cru !
           Revenant enfin à plus de civilités il tente un Américain assez rudimentaire. One l’interrompt.
                  -Parlons Français, je crois que cela vaudra mieux, surtout ne vous en faites pas pour la Ford, je suis assuré tous risques et entièrement responsable de l’accident. Je m’appelle Duck comme le canard,  Winston est mon prénom, j’ajoute que je ne  pense pas être pour autant comestible.
                    -Mamadou Dialo, je suis Sénégalais, il va falloir me payer une caisse toute neuve mon vieux, la mienne est complètement foutue, quant au cannibalisme, c’est la colère et je ne savais pas que vous compreniez.
         Tout en remplissant le constat d’assurance, One qui aime bien les coïncidences questionne le grand noir désormais souriant, se voyant déjà au volant d’un véhicule un peu plus potable.
                  -Excusez-moi monsieur Mamadou, vous connaissez le Mali ?
        Content et flatté par l’inhabituel monsieur, celui-ci répond que bien évidement car sa tendre épouse Aïssatou vient de Gao, sur les bords du grand fleuve Niger. Qu’ils se sont connus en France juste avant qu’elle ne se fasse expulser en 2020 ; qu’elle est désespérée avec les deux beaux enfants qu’elle lui a faits car elle ne peut sortir du Mali dorénavant. Qu’elle est une fille de la caste des Griots très vénérés dans ce pays, et que…et que…et que …intarissable !
                   -Monsieur Mamadou, remerciez celui en qui vous croyez, grâce à cet accident je vous promets que vous allez très bientôt revoir votre petite famille.
         Incroyable ! Gao !  À proximité immédiate des terres acquises par la Company, ce genre de mini aventure insolite, cette coïncidence peu commune, n’est pas fortuite. Sans se presser, sans répondre aux appels de son Kube-com, une fois la vielle Ford chargée sur la dépanneuse, One fait demi-tour accompagné d’un passager attentif.  Il  lui raconte sa future mission et leur collaboration effective à partir de  maintenant tout de suite, avec une rémunération inimaginable pour un Sénégalais éberlué qui n’en croit pas ses oreilles.
                   -Venez mon vieux, on va vous habiller un peu plus décemment avant d’aller voir votre nouveau grand patron, Vous bossez désormais pour la B.U.M. Oil Company en tant qu’assistant au projet Jatropha. Vous faisiez quoi comme job.
                 -La plonge dans un grand restau, depuis deux ans mais  je viens juste de régulariser mes papiers.
                 -Je passerai ensuite par le commissariat du quatrième district pour liquider une bricole…
         Une bricole qui ne va rien couter cette fois à One accusé de tentative de corruption de fonctionnaire pour avoir refuser le reçu des quatre mille Euros destinés aux œuvres de la police. Winston s’énerve en demandant si c’est une nouvelle manœuvre du commissaire pour lui soutirer encore un peu plus de fric. Il promet qu’une nuée d‘avocats de la toute puissante B.U.M. va se charger de cette affaire désormais ; que les hommes en robes, d’un bel effet de manche, vont se faire un plaisir d’expédier ce brave homme de fonctionnaire régler la circulation des nombreuses voitures à un croisement de routes au pôle Sud. A l’énoncé du nom de la sacro-sainte Company, le possible conflit s’aplanit instantanément et un reçu est signé, avec en prime un grand sourire. 

 

                                            Chapitre deux. La fournaise. Bamako et BUM City

 

               Ah, il n’a pas été content Monsieur Le PDG dit Dieu le Père, dit le Dictateur, dit Mister la Gueulante ! Pour la toute première fois depuis sa prise de fonction en 23, juste après la tragique disparition de son prédécesseur dans un accident d’avion, ce sont d’autres hurlements que les siens qui ont filtré au travers des murs pourtant épais de son saint sanctuaire. Le canard s’est  vilainement permis y compris de taper du poing sur la table…et il a obtenu gain de cause. Monsieur Dialo accompagne tout sourire un Winston finalement heureux de quitter femme, enfants,  appartement, ranch, résidence secondaire, voitures et bateau équipé pour la pêche au tout gros. Il sait aussi qu’en cas de besoin, en dernier ressort, s’il envoie tout balader comme bien des fois il en a eu envie, un compte en banque régulièrement alimenté au Lichtenstein lui assurera un substantiel pécule pour redémarrer une nouvelle vie.
          En ce 26 février à l’aéroport de Bamako toute la smala des Ifora, belle famille de Mamadou, est présente. Le bonheur s’exprime en cris et en sauts de joie, indescriptible exubérance à laquelle One n’est pas accoutumé, tant de spontanéité avec peut-être une promiscuité un peu gênante, mais l’Américain garde le sourire jusqu’à la sortie de l’immense hall où la climatisation fonctionne encore par moment. Alors Winston défaille, il a soudainement la terrible impression de rentrer dans un four.
                  -C’est épouvantable, il fait toujours aussi chaud dans votre pays ?
                  -Non patron, dans quelque mois cela sera pire, en plus là où nous partons, à mille trois cents kilomètres dans l’Est, le thermomètre grimpe encore un peu plus.  Je me demande comment vous pensez faire pousser des arbres dans le désert… vous êtes dofs  les toubabs ! Ne vous inquiétez pas le 4X4 qui nous attend, lui au moins, a la clim.
                  -Dans le village que nous faisons construire, Jatropha Ville, toutes les maisons en seront équipées, alimentation électrique par panneaux solaires, énergie abondante chez vous, gratuite et éternelle, mais comment ferais-je sur le terrain ?
                  -Vous vous habituerez chef.
         One Duck, dorénavant seul responsable du projet JATROPHA en terrain semi désertique, découvre avec effarement un autre monde. Rien que l’on ne puisse deviner en regardant simplement la télé, cette fois ci c’est pour de vrai. Il  plonge jusqu’ au cou dans l’Afrique noire, n’étant plus un simple spectateur d’écran plat, gavé d’images, que l’on prive de ses autres sens et qui devient pratiquement indifférent à tout ce qu’on lui fait gober. Les odeurs sont fortes et les mouches, présentes en force malgré d’innombrables campagnes d’éradication, font tourner en bourrique tous les nouveaux venus. Pourtant Winston se met à rire en pensant à sa chichiteuse de Jennifer et à la maniaquerie de Barbara, se les imaginant toutes deux dans la même situation.
                   - Ca va Boss, vos avez l’air content ; pas trop dépaysé ?
         Le Sénégalais moqueur est malin de surcroit, il sait que sa jovialité aidera le pauvre blanc cassé par la fournaise. En Afrique, avec un peu de bonne humeur, bien des choses insupportables s’arrangent aussitôt.
         Enfin la smala embarque dans un autocar spécialement affrété pour la circonstance ; One et Mamadou, quant à eux prennent place dans l’un  de ces puissant 4X4 chinois qui peu à peu supplantent la traditionnelle « Toyote ». Encore une fois One est souriant  pensant à la tête de monsieur le Directeur des Comptes, Steve Barry-Noa, quand il  épluchera les notes de frais. Le chauffeur est un vieil homme édenté et décharné.
                  -Dites-moi Mamadou, vous auriez pu donner des instructions  pour ne pas avoir un vieillard qui nous conduise, il me semble !
                  -Ne vous inquiétez pas patron, premièrement il est plus jeune que vous et deuxièmement c’est le frère de mon beau père, on reste en confiance et il ne coûtera pas bien cher à la Company.
          One se rend compte qu’avant même d’avoir quitté Houston, la parenté de son sympathique adjoint a été engagée au grand complet. Fort heureusement il est à parier que Jack Haresson ne connaitra jamais la filiation des collaborateurs maliens de la très respectable B.U.M.
         L’autoroute Bamako Gao, prévue pour être inaugurée en 2019 n’a que sept ans de retard sur son planning, mais…attention, presque la moitié des travaux est déjà effectuée ! La compagnie française qui en possède l’exploitation a renoncé depuis longtemps à une prétendue tarification, lassée de remplacer les grillages quelques centaines de mètres avant et après les postes de péage. Protections systématiquement arrachées par les camionneurs d’abord, les bus et les taxis collectifs ensuite puis enfin par tous ceux qui autrefois vivaient de l’ancienne route et  demeurent désormais écartés de l’exploitation du nouvel axe, du moindre bénéfice que l’on peut en tirer.
         Les Français ont bien essayé de faire garder les points stratégiques par l’armée mais c’est elle qui a immédiatement instauré ses propres prix ! Et tout le monde a boycotté l’autoroute. Bien évidement elle est aujourd’hui gratuite, quant à son entretient, il attend toujours désespérément les subventions promises par l’état.  Mieux vaut donc avoir de solides essieux !
                  -Vous savez chef, en Europe ils sont tous dofs, ils payent pour se déplacer et après ils payent pour stationner. Celui qui voudrait imposer une pareille connerie ici n’est pas encore né !
                  -  Mamadou, dorénavant nous allons nous tutoyer, tu m’avais parlé d’un grand fleuve, mais en traversant la ville de Ségou nous n’avons pas vu beaucoup d’eau !
                  -D’accord on se tutoie si vous voulez chef, le fleuve a perdu la moitié de son débit en vingt ans, dont la plus grande part seulement ces trois ou quatre dernières années.
                 -Tu crois qu’il en reste assez pour la réalisation de notre projet ?
                 - Alors ça patron, je ne suis pas un spécialiste mais je crois que oui, bien sûr ; par contre pour ceux qui vivent en aval, ça ne sera pas la fête.
        Aie, aie, aie, il est à prévoir que les jatrophas de la boulimique B.U.M. ne vont pas faire que des heureux du coté de Niamey au Niger et de Abuja au Nigéria. Et qui c’est-t’y qui va se retrouver au premier plan pour écoper ?…Cet éventuel problème a  été soulevé par Winston lors l’une des houleuses réunions préparatoires avant d’être balayé d’un revers de main de Monsieur Dieu le Père, dit  plus que jamais La Gueulante, se foutant éperdument des conséquences d’un « minuscule » détournement des eaux du fleuve Niger.
                  -Quelle merveilleuse coïncidence que cet emplâtrage de ta voiture Mamadou, c’est le bon Dieu qui l’a provoqué ! Ta femme de Gao, je n’en reviens toujours pas. De plus, elle fait partie des notables de la région, grâce à ses connaissances, notre affaire va prendre forme avec une facilité déconcertante, quant à toi, je suis persuadé que tu seras  vraiment à la hauteur de mes espérances, vraiment je ne regrette pas de t’avoir engagé.
                 -Arrêtez Boss ou je vais en profiter pour vous demander une augmentation.
                  -Dieu le Père ne sera pas d’accord, il a déjà hurlé pour ce que tu gagnes et refusé ton épouse comme assistante. Au fait, Mamadou, je peux te poser une question toute personnelle, qui n’a rien à voir avec le boulot ? Curiosité qui peut te paraître un peu malsaine peut-être, en fait je ne sais pas, mais cela me trotte dans la tête depuis notre arrivée à l’aéroport. Il y a une question que je me pose chaque fois que je vois une femme, surtout si elle est jeune et belle.
                  -Elles vous plaisent patron ? Faites attention, le Sida est hélas encore bien présent en Afrique et le Mali n’est pas des moins touchés, si vous allez les voir n’oubliez pas votre capuchon.
                  -Non c’est autre chose, comment dire…j’ai presque honte de t’en parler. Les filles continuent-elles d’être excisées ?
                  -Patron, vous êtes décidément fous, complètement dofs, les toubabs. Il y a longtemps que cette pratique barbare n’a plus cours ; la loi l’interdit depuis 2010 je crois, mais cela continuait. Il a fallu que certaines femmes venues de France révolutionnent les coutumes et qu’elles promettent à tous les hommes chefs de clan ou de village qui permettraient l’excision, d’être aussitôt émasculés.
        Quelques idiots non pas voulu croire ces « femelles déviationnistes » mais ils ont belle et bien perdu leurs bijoux de famille. Jugements et peines de prison pour les coupables, n’empêchent que personne ne se risque plus à de telles atroces ablations depuis la fin des années 10. Ces salopards  de religieux ont bien trop peur et si vous voulez l’avis de Mamadou Dialo sur le sujet, il dit que si notre créateur a donné un petit zizi aux filles ce n’est pas pour rien. C’est pour que elles aussi soient contentes, très contentes. Alors il faut respecter l’œuvre de Dieu…en contribuant également, nous les hommes, à leur procurer du plaisir ! Mamadou à dit !
         Et le beau rire de l’immense énergumène éclate sans retenue.
                  - A propos patron, vous savez pourquoi le cannibalisme lui aussi a  disparu de nos contrées ?
                  - Non, raconte.
                  -C’est parce qu’on a bouffé le dernier cannibale la semaine passée. Hi hi hi !!

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             Il y a maintenant plus d’un mois que Winston Duck et son adjoint sont au Mali. A Gao, toute la famille d’Aïssatou est sur un piédestal que beaucoup commencent à jalouser malgré la générosité dont elle ne cesse de faire preuve. Depuis quatre mois, des techniciens et des soudeurs hautement qualifiés, les mêmes qui de part le monde posent les kilométriques longueurs de pipe-lines acheminant le pétrole et le gaz, avaient installé un réseau de tubes et de pompes.
         Du petit village de Damné sur la rive gauche du Niger, une première canalisation de cinquante pouces de diamètre file à deux mètres sous terre vers B.U.M. City,  surnom immédiatement donné à Jatropha Ville, à trente  kilomètres dans le plein Est où un bassin de retenue a été creusé. De là, un réseau secondaire s’étale sur les mille kilomètres carrés de la plantation, avec deux mille points de prises d’eau. Quand One est arrivé sur place, les derniers raccords s’effectuaient et Monsieur le Directeur des projets n’était pas au courant de toute l’opération !
                  -Quelle bande de salauds tout de même ! Ils m’ont bien eu, mais je m’en fous ; chaleur, mouches et désert à la con, je ferai le boulot. Les gens si souriants qui m’entourent sont autrement plus sympas que les arrogants bouffeurs de steaks et mâcheurs de chewing gum du pays, tous possesseurs de grosses pétoires, comme si une arme à feu n’avait jamais résolu le moindre problème ; ils sont de plus, souvent affables comme des portes de prison. Et ces crétins de spécialistes qui veulent faire arriver deux millions d’arbrisseaux par la route, je pressens la catastrophe.
         One a conseillé à Houston d’aménager une piste d’atterrissage qui puisse accueillir les gros porteurs ou mieux encore de rallonger l’actuelle du petit aéroport de Gao. Mais messieurs les technocrates ont dit NON.
         Le 15 mai 2027 atterrit à Bamako le premier A 580 version fret, avec dans ses flancs trente six mille bébés jatrophas mesurant à peine quarante centimètres chacun,  conditionnés en soixante douze unités par palette de un mètre cube. Quatre semi-remorques flambants neufs, peints aux couleurs de la Company vont prendre en charge la précieuse marchandise pour l’acheminer vers le lointain Est. Avant le premier voyage, l’un des chauffeurs a déjà, malin Malien, profité de son beau bahut pour un petit transport personnel. One rouspète, mais l’homme est le neveu du cousin d’un voisin de l’ami d’un Marabout fort connu de Gao alors, l’américain, qui par obligation doit s’africaniser rapidement, baisse les bras. A Rome on fait comme les Romains !
         Un jour et demi de poussière et,  à peine déchargés, les arbrisseaux vont être patiemment plantés par une centaine d’ouvrières facilement recrutées dans les environs et comme l’autorise encore la loi, bien moins payées que ne le seraient des hommes.
         Tout se passe comme prévu jusqu’au 20 juin quand atterrit le quatrième gros porteur en provenance de Hyères dans le sud de la France. Mamadou attend désespérément  des camions qui sont introuvables. Il improvise en stockant les jatrophas dans un vaste hangar mais le lendemain seulement deux semis se présentent pour charger.
         Le responsable de la flotte, l’un des rares  qui ne soit pas de la famille ou apparenté aux Ifora, l’a soi-disant louée  pour un transport d’animaux en transhumance pastorale. Le tout pour un prix dérisoire entre deux petites villes dans la région de l’ancien lac Faquibiné, aujourd’hui presque asséché. Il va falloir affréter deux autres camions, quant aux disparus…on ne les retrouvera jamais, leurs chauffeurs en ont déclaré le vol dans la petite ville de Douentza. Ils prétendent avoir été drogués et à leur réveil….plus rien. Le proche Burkina Faso ne laisse pas de doute sur la destination finale des deux semi remorques.
          Malgré l’intervention personnelle de l’assistant du sous secrétaire d’un des conseillé du Premier  Ministre lui-même, Winston Duck, furieux, renvoie le responsable légèrement indélicat.
         Au poil avec le planning, le 20 octobre, un million cinquante mille arbres, la première tranche du projet s’est mise en place, somme toute sans trop d’anicroche. One est fier de lui, il est content de son travail, content aussi que le transport routier n’est pas fait de dégât comme il le craignait, aucun arbrisseau n’a été perdu. C’est alors que survient le premier « léger » problème.
          Près du point de pompage de Damné, autrefois, partait un important bras secondaire du Niger. Il courait vers le Sud pour se réintégrer au fleuve dans la ville même de Gao. Avant la mise en œuvre du plan Jatrofa ce bras n’était déjà plus qu’un fin cours d’eau au débit à peine suffisant pour alimenter les six petites localités de Gaïna, Kokorom, Issa, Outi, Séyina, et Béra. Un rudimentaire mais efficace réseau d’irrigation assurant aussi la survie de la population jusqu’à deux autres villages, Kamagoundiamé et Guintou, va se voir tarit de son précieux liquide.
         Le pompage de la BUM qui s’effectue seulement de jour, grâce à de nombreux et puissants panneaux solaires d’ultime technologie, permet à la nature de reprendre ses droits la nuit, jusqu’ à  ce que….. Allez donc savoir pourquoi, la rive gauche du Niger entre Damné et Gao se meurt, le bras du fleuve est à sec.
        A Houston, monsieur le PDG qui suit toute l’opération en direct grâce au Kube com de Winston communique qu’il s’en fout éperdument, que les femmes qui désormais travaillent pour la Company peuvent s’acheter leurs petits légumes avec leurs salaires et que ceci compense cela. Qu’il paye une fortune à toute la famille d’un puissant black du coin, pour préciser la belle famille de Monsieur Mamadou Dialo en personne, et qu’elle ne puisse pas solutionner un  problème si peu important, lui parait intolérable.
         Les hommes restés aux champs commencent un combat perdu d’avance en faisant parfois plus de vingt kilomètres pour aller chercher l’eau indispensable : tout sèche sur pied, très vite. Alors c’est la révolution, l’ensemble des hommes de huit villages marche sur Jatropha Ville. Winston Duck, qui ne possède pas le moindre pistolet à amorce, forcé par les ordres venus de Houston, fait appel à la troupe. Les militaires maliens vont s’interposer entre quelques centaines de malheureux asséchés et la toute puissante B.U.M. Ce n’est pas, bien évidement, sur cette deuxième que vont s’abattre les coups de matraques et de crosses de fusils. Les soldats policiers font, ici comme dans toute autre partie du monde, preuve d’une grande maturité intellectuelle en obéissant à des ordres insensés.
         Le pompage ne continue pas longtemps, il s’arrête au premier sabotage dans la nuit qui suit les affrontements, quand tous les panneaux solaires fournissant l’énergie vont être pulvérisés par les hommes désespérés. Dans les champs aux alentours, les récoltes sont totalement perdues, l’on parle ouvertement de se procurer des armes …
         Winston Duck courageux, sans escorte, accompagné uniquement de Mamadou et  son épouse va passer de village en village en promettant que la B.U.M. Oil Company va immédiatement drainer le bras du Niger et construire un nouveau canal pour en assurer  l’alimentation plus en amont et que bien sûr, des indemnités seront versées  pour les dommages subits.
          Il faut se battre presque avec Houston, prêt à déclencher une véritable guerre sur le terrain ;  seule la perspective de perdre un million des arbres déjà plantés décide Dieu le Père, grand directeur de la B.UM, qui donne finalement l’ordre à  Stevens Barry Noa de faire débloquer des fonds spéciaux. Les actionnaires vont certainement grogner, mais tout rentre peu à peu dans l’ordre. D’autant plus que Monsieur le Responsable des relations publiques, Gordon Lyndhurst, a une géniale idée qui va permettre de transformer la perte en important bénéfice. Un court métrage sur la réalisation des travaux sera bientôt diffusé dans le monde entier, enseignant ainsi la grande générosité de la prestigieuse, de la toute grande Company.  Voyez tous, oh humains, comme elle  permet à toute une population défavorisée d’une zone du Mali d’avoir accès à  l’eau, sonnez cornes buccins et trompettes, voyez combien nous sommes bons !!!
 
         Le précieux liquide revient. One aussi, de Miami où il a passé quinze jours épouvantables. S’enfuyant comme de l’enfer et laissant à son avocate des ordres pour entamer une procédure de divorce. La famille qui n’a rien vu venir, hurle à l’ignoble salopard, à l’injustice complète en précisant qu’elle va plumer le méchant papa canard jusqu’au trognon, qu’elle va le presser comme un vulgaire citron.
        Mais Winston s’en moque éperdument, il se sent devenir tous les jours un chouïa plus Africain ; à quarante trois ans, c’est une autre vie, dont il hume l’arome et qu’il n’a pas peur d’affronter, trop content d’échapper à sa peste de petite famille américaine modèle. Et un million d’arbres à carburant supplémentaires vont arriver. Tout baigne dans de la bonne huile…cela va tourner peu à peu,  comme une mayonnaise devenant indigeste !!!
                   -Dis-moi Mamadou depuis le temps que tu me bassines avec ton si beau Sénégal, pourquoi n’y ferions-nous pas une courte escapade ? Tu pourras me servir de guide.
                   -Rien ne me ferait plus plaisir Boss !
        Fin 2027, comme prévu, deux millions et demi de jatrophas sont plantés. Curieusement les premiers qui le furent n’ont pas l’apparence d’avoir poussés  selon les prévisions des spécialistes Indous. Dés le départ de l’opération ceux-ci avaient déjà objecté que si le sol recelait  les bonnes qualités nutritionnelles  pour  l’arbre, l’air leurs semblait vraiment trop sec. De plus, en huit années, depuis les premières analyses géologiques, jusqu’à la mise en œuvre du projet de la  B.U.M., les conditions  climatiques avaient soi-disant empirées et maintenant, il fallait plus d’eau que ce qui était initialement prévu.
         Les futurs arbres à carburant ne présentent pas une couleur adéquate quant à leur feuillage, mais tout continue cependant. En décembre monsieur Duck et monsieur Dialo s’octroient une semaine de vacances au Sénégal. Et mer…zut pour Houston qui ne voulait pas que les deux hommes partent ensembles.
                  

                                        Chapitre trois. Le canard Africain.


               Elle est grande, elle est mince, un corps splendide et des yeux de biche. Elle s’appelle Fay, c’est une Sérère de vingt deux ans. Elle n’a jamais été mariée, c’est une catholique venant d’une rare tribu qui résiste encore mollement à l’Islam. Enfant, dans son village natal de Joal, une vieille que l’on disait sorcière, lui a dit qu’un jour elle se marierait avec un blanc, puis un Marabout de Dakar  lui a plus récemment  réitérée la prédiction.
         Fay attend donc depuis toute petite mais elle ne voit pas au premier abord en Winston Duck son  Prince Charmant si espéré. Il est certes grand, bel homme et ne fait pas son âge, mais dans son imagination, ce n’était pas tout à fait ca. Immédiatement l’américain quant à lui éprouve du mal à dissimuler son émoi. A Gao, il aurait besoin de quelqu’un pour s’occuper du petit appartement mis à sa disposition par la Company, la vieille femme qui jusqu’à présent a fait son ménage s’en retourne chez l’un de ses fils à Bamako.
         Fay accepte volontiers de s’expatrier, heureuse de ne pas risquer sa vie comme hélas ces infortunés qui continuent de s’entasser sur des barcasses en direction des iles Canaries.  Tous les pays européens se sont unis pour éradiquer ce fléau qu’est l’immigration clandestine mais sans  aucun succès, il est impossible d’exiger des hommes de ne pas fuir la misère ;  surtout quand on leur vante par tous les médias les bienfaits de la société de consommation, accessibles là, au delà d’un peu d’océan.
         La crise économique mondiale  qui a commencé en 2007 2008, qui a dégénéré avec la « Courte Guerre » de 2019  et ses quelques mille deux cent millions de morts, n’a une fois de plus rien enseigné aux cerveaux ramollis des politiciens de toutes les tendances et de tous les pays .Ils ont recommencé leurs mêmes stupidités d’autrefois. Baser de nouveau la société sur le fric, le pèze et le Saint Bénéfice, toujours appuyée par une Eglise qui jusqu’à l’éternité dira amène autant qu’Amen. Recommencer l’aberration des valeurs boursières qui attisent surtout la cupidité en dépréciant les deux seules valeurs  rationnelles, le travail et le partage fraternel. Comme les pays riches ont toujours peur de perdre leur supériorité, ils continuent  l’exploitation des ressources des autres en les écartant de tout bénéfice. Colonialisme, néo-colonialisme et on a recommencé, belote, rebelote et dix de der. Souvent pire qu’avant le conflit, les habitants des pays ainsi spoliés risqueront leurs pauvres peaux pour pouvoir simplement bosser ; mais quelle importance, elles sont souvent basanées, jaunes ou voir pire : noires.
         Enfin, peu de Sénégalais  ont la chance de pouvoir montrer à leur familiers et amis une feuille de paye à l’entête de la prestigieuse BUM, et puis…il n’est pas si mal le patron toubab!
               
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               Septembres 2028,  les jatrophas n’ont réellement pas bonne mine. Selon les prévisions leur croissance est inferieure aux courbes calculées. Deux  nouveaux spécialistes Indous sont appelés à la rescousse, en très peu de temps ils concluent que l’air est vraiment trop sec et qu’il va falloir plus d’eau, si possible sous forme de pulvérisation. Ils parlent des essais en Patagonie avec des récoltes excellentes, du Brésil aussi où les résultats sont plus qu’encourageants et enfin de la Mongolie considérée comme terre de miracle par la Company. One Duck,  maintenu dans l’ignorance est furieux. Le pire vient quand l’un des spécialistes du jatrofa lâche un colossal impair.
                  -Vous savez monsieur Duck cette nouvelle variété destinée à la consommation humaine à tellement été modifiée génétiquement qu’il se peut que la croissance de l’arbre soit différente de vos espoirs.
                  - Alimentation humaine ? Mais qu’est ce que vous me racontez ! Je croyais que toutes les variétés étaient hyper toxiques.
          Le contact avec Monsieur le Président Directeur Général à Houston est obtenu rapidement et la conversation est plus houleuse que jamais.
                 -Vous vous êtes foutu de moi, mon avocat va vous faire rendre gorge.
                 -Du calme One, les négociations menées avec le gouvernement malien ont été très claires, nous ne pouvions planter des arbres à carburant qu’après une étude spécifique destinée à la consommation humaine, ou à défaut de bon résultat, à l’alimentation du bétail.
                  -Mais enfin pourquoi ne m’avez-vous pas mis au courant ? Je ne comprends pas.
                  -Exigence des dirigeants maliens. Ils prétendent que vu la pauvreté des ressources nutritives actuelles, les gens n’auraient probablement pas pu attendre et ils auraient envahi la plantation pour voir les arbres miraculeux et en voler. Duck, je vous en pris, continuer votre job, il s’agit de nourrir des millions de ventres affamés de part le monde.
                  -Vous vous foutez éperdument de la faim, vous vous foutez des hommes, la seule chose qui vous intéresse c’est vos putains d’actionnaires et leur ignoble soif de dividendes toujours insuffisants.
         Winston coupe la communication en se demandant si dès maintenant il devait contacter son avocat. Il a suffisamment d’éléments prouvant que la BUM l’utilise d’une forme peu conventionnelle, en total désaccord avec les conditions de son contrat de travail.
         Une légère vibration du Kube-com annonce un nouvel appel. Un instant d’irrésistible envie d’envoyer le petit engin au loin dans le sable puis la voix impersonnelle précisant le nom du demandeur : Chris, Houston.
                   -Winston, vous me manquez vous savez ! Au fait je crois que toute la Company était au courant de notre relation. L’avocat qui défend votre femme pour le divorce m’a contactée, il détient de nombreux témoignages contre vous, c’est affreux Winston. Il a même des photos qu’il s’est procurées je ne sais comment.
                  Oh, je suis désolée, je ne pourrai pas mentir devant le juge. Pour cette histoire il faut que je vous parle d’avantage et intimement ; je crains que notre conversation ne soit écoutée, y compris sur votre Kube-com. Prenez le portable d’un de vos amis et joignez-moi sur celui de Mimi ce soir vers dix heures.
                   -Sur le portable de Mimi ?
                   -Oui, vous avez bien compris. Je vous embrasse, autre chose aussi il me faut être franche avec vous, depuis quelque mois je fréquente de nouveau un homme. Il est d’origine chinoise, je pense que j’ai des idées de remariage qui me tournent dans la tête.
                  -Félicitations, je sais que vous rendrez ce type très heureux, mais qui est M… 
          L’écran virtuel disparaît laissant One on ne peut plus perplexe.
                   -Mais je ne connais aucune Mimi,  pourquoi tant de mystères et de précautions ?... Bien sûr, son ami  Mick…j’y suis. L’homo, son voisin, la magnifique résidence de Seabrook, au bord de la baie de Galveston ; il a fréquenté un certain temps Gordon Lyndhurst.
          Voyons, il est actuellement cinq heures du soir à Houston, Chris ne se rend pas compte que je vais devoir me lever à quatre heures du matin ; par précaution, je vais demander à Aïssadou qu’elle me prête son portable.
           Toute la soirée One est nerveux, Fay qui s’occupe de lui en le couvant comme un coq en pâte, s’abstient de demander quoi que ce soit, mais ses yeux la trahissent, elle aussi s’inquiète pour son toubab. Alors que l’aube n’est pas encore apparente, elle va se lever et tendre l’oreille pour écouter une conversation dont elle ne saisira que le ton.
                  -Vous me faites lever bon matin Chris !
                  -Désolée, mais essayez de ne pas m’interrompre. Ecoutez Winston, j’ai découvert par hasard des choses très graves sur la Company et les jatrophas.
                  -Qu’est ce que vous racontez ?
                  -Dans d’autres pays les plantations sont déjà à plein rendement sur d’immenses terres normalement destinées à l’agro-alimentaire. Une petite partie seulement des arbres prévus est réellement plantée, pratiquement tout est destiné au carburant. Pire, au Zimbabwe des intoxications collectives ont été attribuées à une espèce expérimentale, de partout la troupe empêche tout con tact avec les zones en question. Rien n’est au nom de la BUM mais toutes les sociétés impliquées sont sous la houlette du boss, ce sont probablement des branches cachées de notre saloperie de boîte.
                  - Comment savez-vous tout cela ?
                  -J’ai eu accès à des fichiers informatiques certainement mal manipulés ; il y a eu dans la tour plusieurs incidents sur les ordinateurs la semaine passée. J’ai peur désormais, peut être même pour ma vie. Pour éventuellement me protéger j’ai  mis sur le coup un journaliste d’investigation, John Cresty. Ma sœur qui travaille au New York Herald Tribune m’a aidée pour cela.
                  -Excellent choix. Mais quel est mon rôle dans ce mic- mac ?
                  -Hélas nous n’en savons encore rien. Sachez  que tout cela parait colossal et prenez bien soin de vous.
          En Chine, dans la banlieue du nouveau Pékin, un certain monsieur O décide qu’il faudra maintenant l’appeler O Khan (grand en langue Mandarin). Il revient de la toute proche Mongolie et y a négocié une transaction qui va multiplier sa fortune par un chiffre à trois numéros ! Il vient également d’introduire, auprès d’une pièce maitresse installée depuis plusieurs années, un pion facilement manœuvrable, au sein de la toute puissante BUM.
         Monsieur O Khan est sur le point de réaliser son rêve. Peut- être est-ce fait en ce beau jour. Il devient l’homme le plus riche de la planète….
                         
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                   -Tu en fais une tête mon patron !
                   -Fay, soyez gentille, ne vous préoccupez pas trop de moi.
                   -Tu m’as embauchée pour ca, non ?
         Décidemment ces Africains font tout le contraire de ce qu’on demande, Mamadou refuse de me tutoyer, elle n’arrive pas à me vouvoyer ; bof, ça n’a pas la moindre importance.           
                  -Voulez vous faire du café s’il vous plait, et prenez en avec moi.
         Fay s’éloigne vers la cuisine et One ne peut détacher ses yeux de ces hanches splendides dont le balancement naturel le fascine. Sa pensée s’écarte un instant de la BUM, du boss, des arbres à huile et de la terre entière pour devenir polissonne ; depuis trop longtemps il s’abstient n’ayant aucune confiance dans les possibilités locales. Il s’est  bien  aperçu qu’à chacune de ses apparitions en public avec Fay les sourires se sont faits plus larges sans aucune retenue.
        Comme le blanc ne comprend rien aux conversations autour de lui, il ne sait si la jeune Sénégalaise se défend ou si elle insinue. Elle éclate toujours de rire, alors Winston Duck se sent revivre. Cette joie si fraîche, sans malice, jamais forcée lui était inconnue avant son arrivée sur le sol africain il y a plus d’un an et demi aujourd’hui. Dans la même période, jamais il n’a osé fréquenter une call girl, pourtant en permanence des numéros de contact sont sur lui. Quant à un bordel y compris le plus huppé de Bamako, il à toujours été hors de question d’y mettre les pieds, et… toutes autres choses. 
         Doucement One s’approche de Fay, se plaque contre son dos. Un saut de carpe électrifiée puis elle se retourne. Dans ses yeux quelque chose de nouveau qu’elle attendait, qu’il attendait aussi. Le café va bouillir, s’évaporer. En s’embrassant passionnément le couple se dirige vers la grande chambre où leur peu de vêtements va aussitôt s’éparpiller.
         La passion qui se déchaine n’est interrompue que par l’odeur de brulé et  les étincelles de la cafetière en instance de recyclage par refonte. Ayant éteint un début d’incendie, les deux amants s’activent immédiatement pour en raviver un autre. Elle n’a jamais connu d’homme auparavant, il lui semble que c’est la première femme de sa vie. Aucune précaution n’a été prise et dans quelque instant le miracle de la nature se reproduira comme une infinité de fois depuis la nuit des temps ; mais ça, tous deux ne le sauront que dans un mois. One s’endort profondément au moment où il doit se lever normalement pour sa tournée d’inspection « jatrophiaire ».
         Il est dix heures du matin quand Mamadou inquiet réveille les deux nouveaux amants. Inutile d’essayer de le tromper ; les effluves des ébats amoureux ne peuvent prêter au doute pas plus d’ailleurs que les visages sans équivoques.
                  -Vous voyez chef que nos Marabouts ont toujours raison. Rassurez-vous tous deux,  par mon côté personne n’en saura rien. Et de toutes façons vous êtes libres. En tous cas chef, vous ne pouviez pas mieux tomber, je l’aurais moi-même prise comme deuxième épouse si elle m’avait dit oui !
                  - Libres, pas encore pour moi mon ami, mais dès maintenant je veux accélérer mon divorce, quand je pense qu’à la fin du vingtième siècle cette formalité pouvait se faire en quelques mois seulement. Maudits politiciens poussés par les clergymans avec leurs nouvelles lois à la con pour la protection de la famille... Et décide-toi une fois pour toutes à me tutoyer.
                   - Comme vous voulez chef ! Alors il faut que je te vous dise quelque chose d’incroyable. Dans la région de Tombouctou, plusieurs milliers de kilomètres carrés, peut  être vingt ou trente fois comme chez nous, sont surveillés par la troupe et un réseau de tubes semblable au notre se met en place à la vitesse grand V. La compagnie qui dirige cette opération s’appelle l’EFC. Il y a des chefs américains et l’on dit qu’il y a aussi des Chinois. S’ils pompent la même proportion d’eau que nous pour un aussi vaste territoire, ils vont laisser le Niger sans une goutte en aval.


               
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                Personne n’a jamais pris en faute le journaliste d’investigation John Cresty. Ses articles, publiés dans la presse du monde entier mais principalement britannique, ont parfois fait démissionner des hommes politiques importants. Certains se sont même retrouvés derrière de solides barreaux pour de longues années.
         On ne manœuvre pas cet homme exceptionnel qui possède un don unique au monde et inconnu de tous : celui de l’ubiquité. Sa personnalité est virtuelle et double en même temps. Hubert John et Maximilien Cresty se sont associés depuis douze ans déjà et forment un couple solide en plus d’une redoutable équipe professionnelle.
         Max, comme l’appelle Hub, reste en permanence dans son grand appartement londonien de Richmond, non loin du Royal Botanic Garden. Il se meut dans une  vaste cave bondée d’impressionnants ordinateurs comme un poisson dans l’eau. Les hommes de Scotland Yard en baveraient d’envie. L’immeuble entier à l’architecture ultramoderne et avant-gardiste n’est constitué que de deux duplex qui  appartiennent respectivement aux deux amants associés.
         Hub, comme l’appelle Max, est pratiquement toujours l’homme du terrain. Il aime à se comparer à un  archéologue fort connu dont le patronyme est très semblable au sien et le prénom est Indiana. Evidement Hub n’est pas jaloux des succès féminins de l’éminent Docteur  Johns. Ses études l’ont poussé vers une branche bien différente du journalisme mais elles lui ont donné une excellente couverture pour se faufiler dans n’importe quel recoin de notre planète.
         Hubert John est géologue minéraliste. Il débarque à Harare capital du Zimbabwe en temps que chargé de mission pour deux évaluations importantes. Certaines anciennes mines d’or pourraient-elles être ré exploitées avec un taux raisonnable de rentabilité ? Et dans une zone avoisinante, il doit estimer également la teneur du sous sol en lithium. Des experts se sont bien sur déjà  prononcés sur ces questions  mais les prix des métaux flambent encore. Par contre, aucun d’entre eux ne s’est intéressé  à des arbres au nom bizarre de jatrophas qui depuis 2015 ont été plantés par millions, à proximité d’anciennes mines.
        Toute la zone est sous strict contrôle policier et militaire mais Monsieur le Spécialistes bénéficie de toutes les autorisations et laissez -passer nécessaires. Un petit avion de brousse est mis à sa disposition et un pilote lieutenant l’amène à Saint Pauls Mission où un chauffeur, seulement sergent, attend avec un puissant 4X4 chinois.
         L’homme qui peut réveiller l’or doit être traité comme un roi.
         Rapidement Monsieur le géologue se met à l’œuvre et  survole la région, prenant maintes photos et quelques films. Puis, c’est sur les chemins et les pistes qu’il va continuer, muni d’une grande quantité de boîtes destinées aux échantillonnages. A chaque trajet, les deux hommes passent par les plantations de jatrophas et croisent  les ouvriers et ouvrières récolteurs. Tous et toutes paraissent sous alimentés, certainement mal traités et sont en haillons.
        Le sergent Eliot Wégabé explique au blanc qui le questionne innocemment.
                  - Vous savez monsieur, on utilise ici comme main d’œuvre les condamnés de droit commun. Cela est beaucoup plus rentable pour notre société que de les nourrir inutilement dans des prisons.
                  -Quelle société ?
                  -L’état monsieur : notre pays.
                  -Mais les plantations appartiennent donc au Zimbabwe ?
                  -Non, je ne crois pas, en fait je ne sais pas. On dit qu’une grosse boite Américaine a loué pour un certain temps d’exploitation, je ne suis que sergent, monsieur.
                  -Il me faut cueillir quelques fruits dans plusieurs parcelles de culture.
                  -Attention il est absolument interdit d’en prendre, même ramassés sur le sol.
                  -Sergent, il me faut ces fruits, les laboratoires doivent mesurer les isotopes de lithium qu’ils contiennent pour connaître la richesse du sol. Vous comprenez ?
         Charabia incompréhensible pour le pauvre militaire qui ne peut que se rendre en répondant prudemment
                 -Bien sûr monsieur, bien sûr.
                 -Au fait, à part l’huile que l’on extrait des jatrophas, les fruits sont-ils comestibles ? En avez- vous goûtez vous-même ?
        Le sergent, visiblement inquiet de la tournure de la conversation, feint d’éviter une pierre inexistante sur la piste.
                  -Je ne sais pas monsieur, je n’ai jamais goûté à ce fruit et n’imaginais pas qu’il fut mangeable en tout cas il ne sent pas très bon.
         Le ton est faux ; Eliot est mal à l’aise et rapidement Hubert, comme en s’excusant va passer à autre chose.
                  -Ce n’est pas grave sergent, simple curiosité. Après tout, ces arbres ne me concernent pas. Juste les analyses me seront largement suffisantes. Demain nous partons vers l’ancienne mine à ciel ouvert. Je dois ramasser  un échantillonnage important. La semaine prochaine il me faudra un tractopelle pour creuser dans le limon du fleuve.
                   -Jusqu’en 2020 à peu près monsieur, il y avait une multitude d’orpailleurs clandestins. Ils ont tellement pollué les rivières avec le mercure que l’état s’est enfin alarmé. Nos troupes sont intervenues en force et plus aucun n’a osé revenir. Le problème était si important que nous avions ordre de tirer. La plupart des chercheurs venaient des pays aux alentours, principalement de la Tanzanie mais aussi de la toute proche Zambie. Les hommes étaient des misérables presque esclavagés, seuls les trafiquants s’enrichissaient.          
                  Monsieur, sauf votre respect, ne posez pas trop de questions sur les jatrophas, les gens ne les connaissent pas et leurs bavardages ne pourraient que vous induire en erreur.
          Hé, hé, pas si bête le simple sergent Wégabé. La réponse se veut rassurante.
                  -Je suis ici pour l’or et pour le lithium, ces arbres ne sont pas mes oignons.
                  -Il vaut mieux monsieur, il vaut mieux.
         Le géologue John est perplexe sur les derniers mots de son chauffeur ; mise en garde, avertissement, menace ? Le ton est sérieux mais en tous cas quelque chose est caché.
         Au même moment, à seulement quelques  centaines de kilomètres dans l’ouest un touriste pas comme les autres va admirer l’exceptionnel site des chutes Victoria sur le fleuve Zambèze. Elles n’ont hélas rien de comparable avec celles du début du siècle tant le débit de l’eau a diminué. Cela reste malgré tout un spectacle impressionnant qui attire les curieux fortunés.
          Henri Perrin, ex légionnaire français, ex mercenaire international, précisément a fait aujourd’hui de la curiosité son métier. Plein d’aventures et occasionnellement rentable, le job de détective privé est aussi souvent dangereux. Il s’appelle aujourd’hui Henri Marchaud et sa mission en Zambie est de retrouver d’anciens orpailleurs clandestins qui sévissaient  dans les rivières du tout proche Zimbabwe, leur parler d’un certain fruit ; son mandant : un cabinet d’avocats de Londres. Enfin, il se doute bien que le fameux journaliste d’investigation John Cresty tient la baguette et dirige le bal, Henri espère que cette fois la valse africaine lui rapportera autre chose qu’une balle dans la cuisse. Une belle cicatrice parfois douloureuse, une de plus, lui rappelle son épopée guinéenne d’il y a deux ans.
         Plus récemment, le détective vient de réussir l’exploit de ramener un  brésilien malade d’avoir mangé un curieux fruit qui également donne une huile d’excellente qualité, utilisée comme carburant.  L’homme de trente cinq ans, récupéré dans un petit village du Mato Grosso, non loin  d’une plantation expérimentale de la compagnie EFC (Ecologic Fuel for Car) est actuellement en observation dans une discrète clinique privée du sud londonien. Sans identité réellement connue, il a été rebaptisé Monsieur Personne Des rumeurs parlent de plusieurs milliers de personnes intoxiquées, bon nombre d’entre elles seraient mortes sans qu’aucun soin ne leur fusse apporté.


         En cette première semaine d’octobre 2028, à Gao, Winston Duck est content, il vient d’être officiellement déclaré divorcé. Du à son absence au rapide procès, l’avocate qui l’a représenté n’a pu obtenir grand-chose du juge. Comme l’avait prédît Barbara le vilain palmipède s’est fait plumé…jusqu’au trognon. Les négociations ont tout de même permis d’éviter le paiement d’une rente annuelle colossale en échange de tous les biens pour l’ex épouse. Elle ne doit verser en contrepartie que deux cent mille Euros pour One, somme qui sera rapidement trouvée par la vente du bateau de Miami.
         Le canard africain est libre, Fay rêve de mariage, son prince charmant n’est pas aussi beau que prévu, pas aussi jeune mais c’est un amant remarquable. Bien sur, la belle Sénégalaise n’a pas de point de comparaison préalable ; son plaisir maintes fois répété n’a rien à voir avec les récits que lui ont faits ses amies lors des caquetages en commun sur les hommes. Les  délicats préliminaires qu’elle vient de connaître ne sont apparemment pas coutumiers des mâles locaux.
         Son One est bon, il sera Son toubab. Dans le ventre de Fay, une minuscule chose s’accroit à un rythme qui tient du prodige…..la nature suit son cours.
         Le 10 octobre, à neuf heures du matin une nouvelle vibration de ce maudit Kube-com va de nouveau chambouler la vie de Winston Duck, la communication vient de Monsieur le Président Directeur Général de la BUM.
                   -Duck, dans quatre heures un hélicoptère passera vous chercher à Jatropha Ville, vous êtes attendu à Bamako pour un entretient particulier qui doit demeurer ultra secret, y compris même de Houston. Il va vous être fait une proposition qui changera votre avenir, encore une fois pas un mot à quiconque autour de vous, c’est impératif.
          Dieu le père coupe la communication laissant  un One fort intrigué qui n’a pas eu le temps d’en placer une.
          Dans un somptueux salon privé de l’Hôtel  Africa de la capitale malienne, un intéressant mélange d’ultra moderne et d’art africain traditionnel entoure cinq hommes qui attendent Winston. Surprise, Phillip Angelo en personne est présent, à ses côtés un Kent Mallow paraissant plus moqueur que jamais et Stevens Barry-Noa, le Directeur des Comptes avec son habituel impeccable nœud de cravate. Assis en face des trois américains, deux asiatiques, probablement chinois, qui se ressemblent tellement qu’on pourrait les croire frères jumeaux. Ces deux derniers individus sont pourvus d’oreillettes de traduction simultanée et ne vont pas prononcer un seul mot pendant toute la brève réunion.
         One est fortement intrigué d’être convié à s’asseoir en bout de table, inquiet des regards braqués sur lui. C’est Dieu le père qui va s’adresser au canard un peu contracté.
                   -Monsieur Winston Duck, nous sommes très contents de vos résultats au Mali. Satisfaits de la façon dont vous vous êtes sorti des difficultés apparues sur votre chemin. Nous estimons que la mission que nous vous avons confiée est une pleine réussite.
                    Une autre tâche vous attend désormais. Je vous rappelle que récemment divorcé, il vous reste une partie de l’hypothèque sur la maison de Miami à régler, et ce, bien que votre ex épouse en soit aujourd’hui la propriétaire. Nous avons une intéressante proposition à vous faire.
                      Si vous acceptez une nouvelle forme de collaboration, nous payerons immédiatement votre dette. De plus, vos gains annuels qui sont actuellement de cent soixante huit mille Euros passeraient à l’intéressante somme de deux cent cinquante mille Euros. Vous seriez responsable désormais d’une plantation de quarante millions d’arbres, tous destinés au carburant. Des variétés réellement adaptées aux terrains dont nous avons les concessions d’exploitation.
                    Autre chose Winston, oubliez la Company ! Vous serez le responsable au Mali de l’EFC, l’Ecologic Fuel for Car. Vis-à-vis de la BUM, vous restez en disponibilité sans solde, sans rupture de contrat, et, très important, en ne communiquant à quiconque de Houston votre nouvelle situation.
                  -Que devient Jatropha Ville dans tout ca ?
                  -Ce n’est plus de votre ressort, il va falloir vous séparer de Mamadou et de sa couteuse belle famille.
                   -Elle a pourtant aidé à aplanir bien des difficultés !
                   -Plus en amont sur le  Niger les Ifora n’ont pas autant d’influence.
                   -Je vois, c’est cette boîte, votre EFC, qui est derrière les nouvelles installations du coté de Tombouctou.
                   -Comment savez-vous ca ?
                   -Le tamtam  monsieur Angelo, le tamtam. Vous qui savez tout, ne vous a-t-on pas dit que l’on me surnomme parfois le canard africain ?
                    -Si, et c’est un bon point pour vous, ce sont des gars comme vous qu’il nous faut sur le terrain. Et ne vous inquiétez pas pour la première exploitation, elle n’était destinée qu’à satisfaire une question étique dont plus personne ne se souvient aujourd’hui. De plus, les gens sur place ont correctement gagné leur vie. En plus des personnels que vous allez recruter, nous avons conclu un accord avec le gouvernement Malien pour faire travailler des prisonniers et des prisonnières de droits commun. Il est évident qu’ils seront mieux dans une plantation qu’incarcérés. Et puis nous contribuons ainsi à une possible reconversion future pour ces délinquants.
                  -Vous ne me laissez guère le choix. 
                  -Nous attendons rapidement votre décision monsieur Duck.
         Pas un des quatre autres hommes  présents n’a dit le moindre mot, dès que One s’éclipse après avoir salué, un des Chinois se lève en murmurant entre ses lèvres d’un excellent américain :
                  -Je n’ai pas confiance en cet individu.


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               En Zambie depuis bientôt deux semaines, Henri  Perrin n’est pas très content de lui, il n’a pas progressé d’un pouce dans son enquête et un mauvais pressentiment le tarabuste. De plus, depuis quelques jours il a la désagréable impression d’être suivi. Il sent le danger autour de lui, la certitude que des emmerdements colossaux sont dans un très proche horizon. La seule arme dont il dispose en plus de sa caméra digitale est un couteau suisse multi-lames… nettement insuffisant en cas de coup de Trafalgar.
          Le détective privé vient de Livingston par le chemin de fer en direction de Lusaka la capitale du pays où, peut être, une bonne piste s’ouvrira enfin devant lui. Dés sa descente du train, un fonctionnaire de police accompagné de deux agents en uniforme l’attend.
                   -Monsieur Marchaud, ayez l’amabilité de bien vouloir me suivre, s’il vous plait.
                   -Bien sûr.  Que se passe-t-il ?
                   -Évitez les questions, c’est nous qui les posons !
         Aïe. Aïe. Aïe. J’avais raison, à quelle sauce ils vont essayer de me manger ? Je ne sais pas où ils m’emmènent, personne sur mes arrières… ça va barder une fois de plus mon pote Henri. Ils ne m’ont pas menotté, c’est déjà bon signe.
          Contrairement à ses craintes, le Français à aucun moment n’est brutalisé. Il n’est pas non plus fouillé et son garde muet parait presque amical, souriant, détendu. Curieuse arrestation. C’est dans un bâtiment tout à fait anonyme qu’il attend maintenant avec seulement les deux policiers assis de part et d’autre sur le même banc que lui. L’antichambre de quoi ? Après une petite heure d’attente exaspérante une porte s’ouvre en face de lui et une voix grave l’appelle.
                  -Entrez, monsieur Marchaud.
         La pièce est un bureau cossu décoré magnifiquement d’un art africain raffiné, l’homme qui le reçoit est assis, souriant lui aussi mais ses yeux cachés par de grandes lunettes  très foncées ne peuvent trahir ses pensées.
                   - Prenez place, une cigarette vous ferait-elle plaisir ? Vous savez que le tabac de notre pays est excellent, il entre dans la composition de bien des cigarettes anglaises.
                  -Que me vaut l’honneur monsieur… ?
                  -Vous avez beaucoup de chance monsieur Henri…Perrin. En d’autres temps et d’autres circonstances, de nous avoir rendu visite sous une fausse identité aurait pu vous coûter une disparition disons…définitive : nos crocodiles sont redoutablement voraces et ont le grand mérite de savoir  rester très discrets par la suite.  Dites moi donc ce que  vous cherchez… précisément, monsieur le détective. Je vais pour ma part répondre à une question que vous avez presque posée.
                  Je m’appelle Marisse Ndola et je suis le chef  de la Sureté intérieure…  
         Une vision d’épouvante envahit un instant la pensée de l’enquêteur démasqué. Beaucoup de dents, pointuuues,  pointuuues ! Pourquoi cacher la vérité ? Probablement que le sourire de son vis-à-vis peut s’effacer en une seconde et, sous la  torture…Alors le blanc dévoile sa mission, y compris le nom de son mandant, mais pas un mot sur  celui qui  probablement tire les ficelles, ou du moins ce qu’il suppose. 
                  -Quand je vous ai dit que vous aviez de la chance, je ne vous ai pas menti ; figurez-vous que mes Services vont collaborer avec vous. Nous avons de très mauvaises relations actuellement avec nos voisins du Zimbabwe, particulièrement avec des individus qui sont mêlés jusqu’au cou dans votre affaire. Il nous serait agréable de faire tomber quelques têtes, entre autres  celles de certains militaires qui ont trop longtemps sévi juste au-delà de la frontière et en plus, systématiquement sur des ressortissants zambiens.
                  Le policier qui vous a accueilli à la gare se met dès aujourd’hui à votre entière disposition, son Français n’est pas aussi parfait que votre Anglais, mais il se débrouille. Tout ce que vous trouverez sera confirmé de façon officielle par des documents signés du ministère de l’intérieur.
                  -Ce sera un plaisir monsieur Ndola, que de travailler dans d’aussi agréables conditions. Je suis enchanté de vous avoir connu et reste à votre disposition.
          Tu parles, ignoble salopard ! L’une des seules choses que j’ai apprises, c’est le nom du plus grand trafiquant d’or du pays, celui qui littéralement « esclavisait » les orpailleurs clandestins envoyés au Zimbabwe, un dénommé Marisse Ndola en personne. Ce fumier va se servir de moi pour régler quelques comptes non acquittés et tout à fait personnels. Je me demande s’il sait que je sais. En y réfléchissant, certainement pas, sinon…les crocodiles.
          Bof, en attendant, mon client sera content et la prime de résultat bien arrondie…par ici la bonne soupe.
          A peine le français s’est-il retiré du bureau du haut fonctionnaire zambien, celui ci saisit son Kube-com personnel.
                  - Établir la communication avec monsieur O Khan.


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               Du coté de Jatropha Ville, un nouveau problème inattendu survient. Oh, ce n’est pas grand-chose que la mort d’une douzaine de dromadaires ; ces animaux devaient être conduits sur le grand marché annuel de  bourgade d’Anefis In Darane afin de les vendre à des Targuis venus spécialement de Tamanrasset en Algérie.
         La piste de la vallée  du Tilemsi empruntée séculairement par les caravanes d’autrefois, celles qui transportaient le sel, l’or et les épices, passe au milieu de la plantation de jatrophas de la BUM. Les jeunes animaux, à la halte de la nuit vont se gaver de feuilles qu’ils paraissent très appréciés et des premiers fruits bizarrement atrophiés.  Au petit matin, quatre d’entre eux ne peuvent se relever, les autres ne pourront faire que quelque pas avant de s’écrouler. La trentaine d’hommes retourne sur Jatropha-Ville bien décidée à demander réparation.
         Mamadou et son épouse, argumentant que la piste passe sur une concession privée, que la caravane n’aurait jamais du prendre cet itinéraire, vont se faire malmener de mauvaise manière ; des ouvrières présentes vont empêcher qu’ils ne soient tous deux lynchés et comble de l’inadmissible en cette région restée plus que machiste, des femmes osent affronter encore une fois des hommes ! Depuis des bijoux de famille coupés pour lutter contre l’excision, en 2018ou 2019, on n’avait pas revu ça.
         L’affaire est beaucoup plus grave que la simple mort d’une douzaine de dromadaires.

 

                                                          Chapitre quatre. L’hallali.

 

              Encore sur le même continent mais à juste cinq mille kilomètres dans le Sud-est, monsieur le géologue John, peut enfin parler librement avec le conducteur du tractopelle qui, sur ses indications, creuse quelques trous près du lit de la rivière Matabélé. Le Kube-com déploie son écran virtuel, à Londres Max va pouvoir enregistrer.
                   -C’est vot’ machin complètement magique, patron blanc !
                   -N’ayez pas peur et n’en parlez à personne, voulez-vous répondre à quelques questions ?
                  -Bien sur, patron blanc, vous t’es un grand magicien toi alors !
                  -Avez-vous déjà mangé le fruit du jatropha ?
                  -Heureusement que ben non  alors patron blanc, ma première femme et toute sa famille  y z’ont laissé leur peau avec la saloperie celle là, ya déjà douze ans d’ça
                   -Que dites-vous là ?
                   - Oui, la variété  qu’a planté dans la région ici, il était y z’ont dit pour le manger de l’animal  et aussi des humains nous autres. Y avait plus assez de le maïs, passe ce   que il y boit beaucoup de l’eau, not gouvernement  il a donc décidé tu sais, de remplacer nos traditionnelles galettes qui zétaient la même chose faites le mil, des fois aussi avec le manioc par une de purée de jatropha comme y disent.
                  Ceusses qui l’y ont goûté le fruit on trouvé ça beaucoup très bien bon, mais les premiers bobos y sont venus après seulement que les  deux semaines. Vomir beaucoup tu sais,  l’y perdaient la vue, l’y chiaient  tout l’temps avec mal de la ventre et  tu sais mon chef, je te jure,  beaucoup de gens  l’y sont morts.  Les ceusses qui z’ont survivu  y sont maint’nant des loques avec des çà va pas dans leurs  têtes. Sont maboules, j’te vous dis chef, c’est vrai je jure. Beaucoup y z’étaient que des prisonniers mais  y a  quelque uns des plusieurs villages  qui l’y sont  presque tous mourir.
                  C’est pareil le même avec le celui de ma belle famille. Ma femme y l’était allée  en l’attendant not’ premier n’enfant. Officiellement les soldats y z’ont dit que tout ça  les effets d’un virus tout petit, petit qu’on pas pouvoir regarder sans très grosses lunettes de docteur. Y z’ont dit.  On sait que  des beaucoup des militaires y  sont morts pareil la même chose, tu sais  avec  du pareil bobo avant. Y z’ont   jamais été donné  combien partout y en a mourir des gens.
                  Aujourd’hui, les arbres d’ici cette région sont seulement partir pour l’huile. La celle-ci qu’est dans mon engin chef, pareil qu’en y avait avant du gasoil. Les premiers fruits qui zétaient avant, qui disait pour le manger comestible, y sont été peu à peu arrachés  et une variété pour plus de l’huile l’est replantée, l’en restent des mauvais un peu par-ci et par-là mais personne y n’ose plus toucher.
                  Monsieur mon chef, s’y vous plait, je te vous ai rien dit, le sergent revient. Y sont possibles de me tuer moi pour te raconter tout ca l’histoire. 
                  -Soyez tranquille.
         En plus du document recopié par Max sur son ordinateur, la bobine d’un minuscule magnétoscope a bien enregistré la conversation mais ceci ne constitue pas une preuve formelle des mauvaises actions de l’EFC. Seulement un élément qui, ajouté à beaucoup d’autres…


         Curieusement, aucun des fruits pris pour échantillonnage ne va arriver au laboratoire allemand chargé de les analyser, les bocaux vont purement et simplement disparaitre. Par contre tous les minéraux parviennent à leur destination londonienne. Parmi eux une dizaine de grosses boules de terre, sorte de glaise séchée. Hubert John est malin, chacune d’elles contient un fruit provenant d’une zone où un village a été décimé, d’une variété de jatropha que l’on n’a pas encore arrachée…celle qui était destinée à la consommation humaine.
         Les nombreuses manipulations génétiques ont provoqué des réactions totalement inattendues, imprévisibles, les spécialistes vont être formels, les fruits ont développé une impressionnante capacité d’absorption des métaux légers, ils sont littéralement chargés de lithium et d’arsenic.
                                  

         A Londres,  monsieur Personne le Brésilien,  rend son dernier soupir... Pour prouver qu’il a réellement existé, plusieurs films ont été tournés à son insu, au Brésil d’abord puis pendant son voyage sous une fausse identité. Ensuite et enfin lors des soins qui malheureusement n’ont pu le guérir. Avant son décès, les  nombreuses analyses effectuées vont être accablantes. Le cadavre contient un taux de borax effrayant. Son corps sera dans très peu de temps mis à la disposition de la  justice internationale, avec les coordonnées géographiques de grandes fosses communes où ont été enfouis des milliers de victimes des arbres à carburant, modifiés génétiquement pour soi-disant l’alimentation humaine. Une plainte pour crime contre l’humanité sera, d’ici peu, déposée auprès du  tribunal de La Haye.


          A Gao un certain canard va montrer que, comme tout le monde le sait, son espèce animale aime l’eau et qu’elle est  prête à se battre pour ne pas la gaspiller. Ici, personne n’a jamais eu la catastrophique idée de manger le fruit défendu. Seraient-ce les sermons des rares prêtres missionnaires et leur histoire ancienne concernant un certain Adam et sa dulcinée Eve ?  Probablement  non et, en cachette, certains ont du faire quelques essais. Les maux de ventre, la courante et les nausées qu’ils ont probablement attrapés n’ont pas encouragé d’autres à en faire autant ! Mais les dromadaires dont les os vont blanchir au bord de la piste serviront à quelque chose.
         Winston Duck va cueillir de ces fruits rabougris, les mêmes que ceux ingurgités par les animaux et, sur un conseil de Chris à Houston, il les expédie à un laboratoire allemand renommé…. Les résultats partent sur Londres compléter un dossier qui s’épaissit, s’épaissit…

 

         Dans la capitale britannique justement où, d’un coup de génie informatique, Maxime Cresty entre dans les mystérieux rouages financiers de l’EFC et d’une ribambelle de société-puzzles-écrans qui gravitent autour d’elle. La tâche est ardue mais il apparaît  après des jours de recoupements, que cette société a été créée avec, probablement, des fonds détournés de la toute puissante BUM Oil Company.
         Et si l’accident d’avion de 2023 qui a couté la vie aux précédents PDG et Directeur des Comptes avait une origine criminelle ? Une chose est certaine, monsieur Stevens Barry-Noa tire des ficelles dans l’ombre, tout autant que monsieur Phillip Angelo. Ces deux là sont bien acoquinés !
         Les bénéfices comptables doivent se chiffrer par milliards.


         La famille des Ifora n’a guère d’influence en amont de Gao sur le Niger ?
         Tu te trompes, monsieur Dieu le père, Président Directeur Général de la toute puissante BUM Oil Company. Les Griots dont ils font partie, sont la tribu qui forme le creuset  du patrimoine culturel par la parole au Mali. Depuis toujours ils transmettent les légendes ; plus qu’écoutés, ils sont presque vénérés, ils détiennent l’esprit du peuple et son âme. La mémoire du pays tout entier et les hauts faits du passé s’expriment aux travers de leurs contes, de leurs chants et de leurs danses.
         Poussés par Winston Duck dit le Canard Africain, heureux comme jamais il ne l’a été auparavant car il vient d’apprendre que de nouveau il va être papa, les Griots vont vanter tous les bienfaits douteux de la BUM et ceux qui ne vont pas manquer d’arriver grâce à la nouvelle compagnie. Cette EFC qui pose une infinité de kilomètres de tuyaux du coté de Tamanrasset. Rappeler l’histoire d’un bras du fleuve récemment asséché, des dromadaires mystérieusement empoisonnés, des femmes osant de nouveau défier la domination masculine, des sympathiques matraquages de quelques paysans réclamant une eau qui avait disparue….
         Rien qu’en amont de Gao, jusqu’aux nouveaux points de pompages prévus, ils sont  cent trente les petits villages qui vivent directement du fleuve. En aval, jusqu’à la frontière du  Niger (le pays), soixante dix de plus. Plus loin vers le sud après la grande ville de Niamey, encore beaucoup, beaucoup de gens dépendent de l’eau bienfaitrice et du limon qu’elle charrie, des centaines de milliers, voir des millions de personnes !
         Pas un ouvrier, pas une ouvrière ne va se présenter au bureau de recrutement tenu par un Mamadou tout aussi hilare que les deux prétendus futurs contremaitres… de la tribu des Griots. Tel le tamtam d’autrefois, un bruit va courir, une onde impalpable va s’étendre sur                                                         
tout le pays, pénétrant jusque dans les cellules de toutes les prisons. Les détenus vont se révolter pour ne pas être embarqués de force et aller alimenter en forme d’esclaves l’immense propriété de la peu connue mais tentaculaire ECF.
         Comble de malchance pour cette dernière, des articles remarquablement bien documentés paraissent dans la presse en racontant avec force détails certains problèmes qui se sont passés dans d’autres pays… comme par exemple au Brésil et au Zimbabwe. Winston Duck ne répond plus aux incessants appels du Père la Gueulante, il a purement et simplement balancé son Kube-com dans le sable en riant.
                    -Tiens mon pote le désert, un engrais de mauvaise qualité pour la mayonnaise !
              
                                         
                      5 décembre2028

               A Houston, un consortium d’avocats réunis, défendant l’ensemble des actionnaires de la toute puissante BUM Oil Company, reçoit un pli recommandé fort  volumineux en provenance de Londres, avec avis de réception, et en même temps le double de tous les dossiers qu’il contient lui est remis  par un courrier spécial, sous la forme d’une clé USB  d’ordinateur, petit fils du DVD. 
          Une session extraordinaire  des plus importants actionnaires est immédiatement demandée et l’on exige la présence en plus, de monsieur Phillip Angelo, du Directeur des Comptes monsieur Noa Gordon le  maniaque du nœud de cravate, enfin de Kent Mallow qui a succédé à un dénommé Winston Duck pour des affaires concernant certains arbres. Les avocats, contrairement à la coutume, refusent que la réunion ait lieu autour de l’immense table du deux cent quatre vingt troisième et dernier étage du plus haut building de la ville, siège de la Company, mais dans un grand amphithéâtre du vieux et laid  Palais des Congrès.
         Dans une plus petite salle attenante ont été convoqués des représentants de la presse entière, ils attendent là sans trop savoir ce qui va leur être proposé. Face à eux un  écran de cinéma  déploie  sa bonne vingtaine de mètres carrés. En direct, on va leur projeter une intéressante prestation de trois dirigeants d’une société fort connue, sans autre forme de précision. Dans un autre salon, le Big chef de la Police de la Délinquance Economique de tous les Stades attend impatiemment. Parmi les hommes l’entourant, le capitaine Garry, enfin échappé du commissariat du quatrième district et qui tremble d’excitation à l’idée de participer à un moment historique. C’est lui qui aura le plaisir de menotter un  des plus puissant ponte du pays et qui certainement fera demain la une de tous les journaux et, plus que tout, ô joie ô bonheur sans pareil, que le monde entier pourra voir dés ce soir à la télévision.
          Dieu le Père, ne va pas aimer du tout, du tout, la tournure des événements et accompagné de ses deux complices va plus que jamais hurler à la machination d’une ignoble concurrence déloyale et prête à tout, jusqu’au moment où il apprend que le célèbre journaliste d’investigation John Cresty a mené toute l’enquête. Alors il comprend l’ampleur du désastre et baisse les bras.
         Ses deux accolytes confesseront plus tard avoir payé pour le sabotage d’un  jet privé en 2023….et beaucoup, beaucoup d’autres crimes.
         Au Brésil, au Zimbabwe, au Mali quelques têtes qui se croyaient bien à l’abri vont rouler sans trop faire de bruit car même si elles étaient vraiment très haut perchées, ON, on ne sait pas qui, s’est arrangé pour procurer des boules de cire Quiès bouchant ainsi les oreilles de l’ensemble des populations.. Pas graves, les plus hautes cimes  resteront, bien qu’ayant baigné dans la mayonnaise jusqu’aux paupières, totalement impunies. Nul ne va savoir ce qui  va se passer en Argentine ni dans la lointaine Mongolie, à moins que John et Max  n’envoient un détective privé…

      
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               Cette fois c’est pour de bon ! C’est le vrai tamtam, le pur, le seul, la voix de l’Afrique comme autrefois, qui retenti de village en village sur les bords du fleuve Niger. Il annonce une grande fête, un événement que le peuple des Griots transmettra de génération en génération, le modifiant peut être un peu mais surtout en l’enjolivant toujours plus, de mille manières.
         La merveilleuse histoire d’un toubab américain, venu d’un lointain pays pas si bon que ca, où les gens vivent comme des dofs pas bien dans leurs têtes, et qui a sauvé le Mali d’une méchante compagnie voulant boire toute la bonne eau du  Grand Fleuve Sacré.
          Et les tam tam tam tam incessants appellent aujourd’hui à venir voir One Le Canard Africain, à participer avec lui au plus beau moment de sa vie. Son mariage avec la  belle Sénégalaise Fay, souriante et toute de blanc vêtue, dont le ventre volumineusement arrondi contient non pas un, mais deux futurs canetons.


                                                     EPILOGUE


                Mars 2031 Pékin Khan.

                 Le désert a tellement progressé que la ville de Pékin a du être abandonnée, les édifices les plus hauts ont été dynamités à l’exception de la Tour du Peuple, construite entre 2016 et 2018, dont cent dix  des étages émergent encore des sables ; gigantesque  phallus indiquant à lui tout seul le lieu où vécurent quatre vingt deux millions d’individus. Le projet grandiose d’une immense coupole au dessus de la Cité Interdite, d’une révolutionnaire technologie, n’a pas abouti ; non pas par manque d’argent, mais faute de temps. L’avance des sables annoncée par les scientifiques, une fois de plus a surpris des dirigeants incrédules, incompétents et toujours aussi peu préoccupés du sort du moyen lambda.
         Une nouvelle capitale administrative de la Chine encore trop rouge se construit à une vertigineuse vitesse à cent soixante kilomètres dans le sud-est de la mégapole engloutie. Pour le moment, le gouvernement avec son lot de fonctionnaires innombrables, les ambassades, les grandes sociétés chinoises et étrangères ainsi qu’un minimum de services nécessaires au ravitaillement de toute cette masse de privilégiés, sont déjà installés. Un peu comme le fut Brasilia en son temps, tous les jours arrivent plusieurs milliers d’hommes et de femmes, souvent trainant avec eux fils, parents et grands parents. Ils s’entassent provisoirement dans d’immenses bidons villes et immédiatement participent à la construction de leurs futurs logements.
         Soixante et onze  millions d’habitants de l’ancienne capitale sont laissés pour compte à leur sort, ils se répartissent tant mal que bien sur l’ensemble d’un territoire déjà trop peuplé. Heureusement que la dernière courte guerre a fait quelques bonnes saignées.
        L’homme le plus riche d’une planète en fin de souffle, en complète autodestruction de la race dite intelligente, dans l’indifférence générale des politiciens cacophoniques, est chinois. Ayant, début 2030, racheté la BUM Oil Company et l’EFC, toutes deux débilitées par un énorme scandale, aujourd’hui huit puits de pétrole sur dix, du peu qu’il reste, lui appartiennent. Il est également à la tête d’immenses plantations de jatrophas sur tous les continents. Une  multitude d’autres sociétés sont sous sa férule, pour la plupart des grandes banques.
         Monsieur O Khan prend la parole devant huit personnes assises autour d’une immense table au dernier étage de la plus haute tour jamais construite. Neuf cent mètre tout juste, sans compter  les antennes…et la dilatation. Une chaise  vide attend un neuvième cul retardataire. Au devant des personnages silencieux, huit attachés cases rectangulaires de cuir noir, tous semblables et soigneusement alignés ; ils contiennent fort probablement des précieux documents, des plans machiavéliques, des calculs stratégiques, des statistiques et des « quesaisjeencores » en tous cas très importants.
                  -Messieurs, nos efforts pour empêcher le développement du moteur à hydrogène portent toujours leurs fruits, mais nos ressources s’épuisent. Un palmier à huile va, nous l’espérons, nous sauver. Nous nous procurerons toute l’eau douce nécessaire en utilisant la mer. La technique de l’osmose inverse que vous connaissez tous, donne d’excellents résultats depuis longtemps. Bien des pays ont compris leurs intérêts bénéfiques en nous laissant exploiter des franges de leurs territoires jusque là incultes voir désertiques … En échange d’un ravitaillement immédiat en carburant par exemple ; le dernier en date est l’Algérie qui n’a plus une goutte de pétrole et plus un centimètre cube de gaz depuis plusieurs années déjà.
                  La personne que nous attendons sera  responsable du projet…..

        A cinq kilomètres de l’O Khan Tower, Ian Bruner Symplet, ressortissant britannique, est coincé dans un ascenseur en panne entre le vingt cinquième et le vingt sixième étages de son hôtel. Fulminant contre son épouse égyptienne qui de Cambridge le pourchasse encore d’une presque injustifiable jalousie, contre son fils ainé qui ne songe qu’à dépenser un maximum d’Euros, contre sa boutonneuse de fille adolescente vendant du hachich au lycée rien que pour s’amuser, et pour couronner le tout, contre un inspecteur du fisc pire qu’une teigne qui lui cherche des noises à n’en plus finir. L’homme, trop pressé et trop préoccupé, vient d’en oublier son Kube-com dernière génération dans sa chambre.
         Une angoisse le saisit ; la claustrophobie n’est heureusement pas dans ses gènes, mais la réunion à laquelle il doit participer est vraiment perchée très, très en hauteur. Et ça, oui il le craint. Le vertige est son ennemi de toujours.
        Ian ne sait pas bien sûr, que dans une demi-heure, à peine libéré du piège de l’ascenseur, un accident de trafic avec le  gros 4X4  mis à sa disposition lui fera perdre encore beaucoup de temps. Le code de la route chinois et ses panneaux pourtant occidentalisés n’est pas, pour le moment du moins, son pain quotidien et la vieille voiture d’un Algérien en fera les frais étant emboutie en toute beauté.
         Il devrait déjà avoir été présenté à l’homme le plus puissant du monde, du moins côté portemonnaie. La police ici est plutôt tatillonne et dans sa chambre, à coté du Kube-com, son badge de l’O Khan Tower, véritable sésame du nouveau Pékin, a lui aussi été oublié…

 

                                             FIN

                                                                                                   

                  
          

 

 

              


                       

 

 

 

 

 

 

 

 


                 

            

 

 

                                                           

 

                                
                     
                               

      
 
                                                                                      

                  
          

 

 

              


                       

 

 

 

 

 

 

 

 


                 

            

 

 

                                                           

 

                                
                     
                               

 

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