Douce plume acariâtre

                                                 

 

                                                                                  

 

Le haut de la montagne.

 

           Il fait froid  et l’altitude rend le souffle court, la petite troupe exténuée ne peut presque plus avancer. Chaque pas en avant est le prix d’un effort de tout le corps pour les hommes comme pour les femmes ; quatre enfants sont couchés sur deux entrelacements de branches que les plus forts trainent derrière eux en se relayant. Personne ne s’est aperçu que l'un de ces petits êtres n’est plus de ce monde. Le gel l’a emporté doucement, sans souffrance. Il a rejoint le pays des morts ; à la prochaine halte certains penseront qu’il y retrouvera sa mère, disparue un mois plus tôt, enlevée par un torrent impétueux et glacial lui aussi, loin derrière dans les brumes d’une vallée qu’on ne voit plus depuis longtemps.

          Une des femmes a la chance de ne devoir, de ne pouvoir marcher. Vue son état, elle bénéficie également d’un traineau rendu le plus confortable possible. Elle attend avec angoisse les atroces douleurs qu’elle a déjà connues en mettant au monde son premier fils, et le moment est proche, très proche.

          Quand ils ont osé affronter cette montagne en espérant que ce serait la dernière, elle leur paraissait certes pentue, mais certains passages semblaient facilement accessibles et, avec une dure journée de  bonne grimpette, la trentaine d’individus pensaient pouvoir passer le col bien dégagé aux dessus de leurs têtes. Venue des nuages qui les enveloppaient, une étrange chose blanche est arrivée sans faire de bruit. Cette merveille qui fondait dans le creux de la main, se transformant en une eau pure et fraîche,  les a fait rire dés les premiers flocons. Plusieurs fois dans le passé ils avaient connu ce manteau craquant qui recouvrait rapidement la terre. Cet ami où les traces des animaux blessés à la chasse ne pouvaient s’effacer s’est vite transformée en un ennemi redoutable qui allait tous les engloutir. Que fallait-il faire ? Demi-tour ? Si près du but ? Personne n’a rien dit quand le chef a montré de son bâton la pente qui continuait vers la crête, vers le col. Ils sont tous reparti en changeant de direction plusieurs fois. La distance est plus grande mais la montée moins rude quand on l’aborde en tournant, comme le ruban ondulant d’un serpent qui se déplace.

         La neige s’est arrêtée de tomber. Silencieusement la nuit lance son avant-garde où tout se confond, chiens et loups ont la même furtive apparence. Râé, le Dieu du jour, celui qui ne s’est pas montré depuis trop longtemps, cette divinité qui chauffe de ses longs bras impalpables, s’estompe derrière la masse nuageuse toujours dans la même direction. Avec la coutume qu’on lui connaît, elle se relèvera loin là-bas à l’opposé et la noirceur s’enfuira devant elle comme un fait immuable depuis que les hommes ont une mémoire. Parfois Râé est caché par de gigantesques réservoirs d’eau se teignant de toutes les nuances, du gris jusqu’au noir, qui envahissent l’en-haut. Ces jours-là sont presque aussi obscurs qu’une nuit non éclairée par la face pleine et riante de la Déesse des Ténèbres.

 Un vent léger qui attise davantage le froid souffle du versant que l’on vient de gravir, il va falloir s’abriter de l’autre côté du col enfin franchi. Au plus haut de celui-ci, le premier hurlement de la femme retenti. Il est impératif de trouver un abri au plus vite, un toit qui protègera de la blancheur qui risque de revenir en descendant de là-haut, le pays que seuls les oiseaux peuvent parcourir. A très faible distance, au pied d’une barre rocheuse, une anfractuosité se dessine nettement.

        La grotte n’est guère profonde mais, pour les abriter le temps d’une halte, cela sera parfait. D’autres sont passés par là, des traces de feu  visibles sur la paroi et sur la voute en témoignent. Ho grand bonheur, un peu de bois sec jonche un sol manifestement aplani de mains d’hommes. Celui qui mène la troupe remercie tout ce qu’il connaît, ciel, terre, jours et nuits avec leurs respectifs Dieux invisibles pour avoir trouver si opportunément ce havre de tranquillité.

           La femme a, en peu de temps, le bas-ventre dilaté à l’extrême. Elle gémit en permanence  et crie sans retenue quand la douleur est trop forte. L’homme qui découvre le cadavre de son enfant d’à peine trois ans, n’a pas la force de pleurer. Abruti de fatigue et anéanti par la fatalité qui l’a frappé deux fois en si peu de temps, il tombe dans une bienfaitrice somnolence. Le groupe lui laisse une place proche du feu qui ronfle maintenant. Plusieurs de ses membres sont partis chercher du bois; la lisière de la forêt étant proche, ils ne tarderont pas à revenir.

          Le chef aurait voulu une fille, celui qui voit demain a dit  « -Ce sera un garçon »  Le premier sait qu’avec beaucoup de femelles et quelques hommes, la race peut se perpétuer. Dans le cas contraire, elle s’éteindrait. Le prévisionniste quant à lui avait une chance sur deux, mais en cet instant présent le Grand Maitre du Destin lui a donné raison. Un petit homme est arrivé dans la tribu. A peine a-t-il poussé son premier vagissement qu’un loup hurle longuement dans la vallée. Ce son lugubre va être le motif d’un dilemme dés que l’on eut cuit et réparti entre tous le met le plus fin qui soit sur cette terre, cet amas sanguinolent que rejette une mère quelques instants  après qu’elle ait expulsé son bébé et qu’on laisse dorer au dessus des braises, piqué sur de fines branches épointées.

          Il est courant que l’on associe le nom d’un nouveau né aux événements entourant sa naissance. Ce petit, vite pendu au sein de sa mère, s’appellera donc Loup de la montagne. Mais certains n’aiment pas l’animal en question et, s’inspirant des lieux, de la merveilleuse découverte de la grotte, préfèreraient Haut de la Montagne. Ainsi en sera-t-il ! La sagesse de ces hommes donne à tous la possibilité de changer de nom quand sept fois les quatre saisons  passent. Pour une fille, se sont les femmes qui se réunissent et qui décident de la nouvelle appellation en fonction du comportement, de l’éveil de l’enfant, sans que son aspect physique ne soit pris en compte. Pour un garçon, les hommes en font tout autant et toujours les palabres sont plus longues, plus agitées aussi.

        Parfois un étrange événement se produit et le premier nom restera pour toujours. C’est le cas de Tékétéké. Venu au monde dans un abri de feuillage au pied d’un majestueux pin parasol , deux pies se sont posées sur une grosse branche, là, juste au dessus du lieu du miracle de la vie. Elles sont reparties en jacassant et cela s’est traduit par Tékétéké. A ses sept ans, lors de la réunion  qui allait changer son nom, de nouveau l’un de ces beaux oiseaux à la parure  noire et blanche s’est installé tranquillement, sans peur apparente, non loin du groupe pour picorer les miettes d’un précédant repas. Les dieux ont parlé ! Bien plus tard le groupe qui comptait alors une cinquantaine d’individus adultes et une trentaine d’enfants a élu responsable cet homme fort, agile, capable de décider rapidement face à toutes les situations ; ils se sont confié à lui et n’ont jamais eu à s’en plaindre.

         Les pies  devenues sacrées n’ont pas retenu les envahisseurs. Au début des combats, elles n’ont pas protégé les plus faibles en nombres et en armes, n’ont pas montré le chemin de la fuite. Celui qui voit demain a dit:

                –Nous marcherons jusqu’au grand courant d’eau que nous ne pourrons pas franchir.

         

          Le plus haut col de cette imposante chaine de montagne qui leur barrait la route depuis le grand départ, vient d’être vaincu. À l’aube, aucune cime plus haute n’est visible devant eux ; très loin sur le vague horizon à peine discernable, une vaste plaine les attend. Le gibier doit y pulluler, on y trouvera des cerfs, des chevreuils, des aurochs, des chevaux, des sangliers et pourquoi pas des bisons ! Les cours d’eaux qui la sillonnent sont certainement  pleins de ces délicieuses bêtes aux éclats de Moon, la Déesse de la nuit. La pêche sera bonne. De nombreuses variétés de fruits en tout genre vont délecter les palais et remplir les panses. Faudra-t-il marcher au-delà pour trouver La Grande Eau ? Et s’ils existent, comment les habitants vont accueillir des intrus sur leur territoire. L’homme qui voit demain a prédi la paix. Faisons lui confiance.

        Cet enfant qui vient de naitre, ne sera pas ordinaire. Une lueur plus intense que tous les autres points scintillants du Grand Toit, comme on l’appelle avec respect, brille maintenant au zénith, juste à l’aplomb de la montagne et le petit être semble imbibé d’une partie de cette lumière. Seulement deux jours après une naissance sans autre problème que la douleur pour la parturiente, il irradie tellement qu’il n’a pas besoin qu’on le couvre de plusieurs peaux de lapins cousues de fils de végétaux tressés. Il se dégage en pleurant de tout ce qui peut l’envelopper.

         Il va falloir repartir mais ce ne sera pas une vie différente qui commencera dans la descente vers la nouvelle terre. Les ventres continueront à gargouiller douloureusement si la chasse ou la cueillette n’apporte rien, les loups poursuivront leurs incessantes tentatives pour dévorer de la chair humaine. Les sangliers seront toujours aussi périlleux à affronter et aussi délicieux à manger et les femmes donneront leurs bas-ventres quand viennent ces pulsions si fortes qu’on ne peut les soulager qu’avec l’accouplement. Ils ont tous remarqué que l’on éprouvait beaucoup plus de plaisir si l’homme se retenait en rendant l'acte le plus long possible. Et après…quel bienêtre envahissant ! Y a-t-il autre chose que la vie puisse apporter? La question ne se pose pas encore !

         La chance est avec la troupe. Dans une faille profonde une ourse qui hibernait est tuée dans son sommeil, transpercée avec précision de multiples coups de lances. Il y a là bonne quantité de viande et le dépeçage puis le démembrement de l’animal commencent aussitôt. Ils vont rester trois jours entiers à ripailler; à se gaver et savourer le nectar de cette si bonne chair fluide que l’on trouve en cassant les os et fait rapidement cuire sur des pierres plates; à préparer les restes pour la suite du voyage. C’est par hasard qu’ils avaient découvert la technique du humage. Alors que des morceaux de sanglier étaient mis à sécher très au dessus des braises du feu, un enfant a eu la merveilleuse idée d’y poser des branches d’arbre avec leurs feuilles trop vertes. Merci à la femme qui a laissé faire en voyant que les horripilantes mouches désertaient la place. Merci pour cette viande…quel fumet ! Et en plus, elle ne pourrit pas aussi vite que celle qui est seulement séchée!

 Non loin, des loups hurlent leur déconvenue de ne pouvoir participer aux agapes. Seraient-ce les mêmes qui ont attaqué il y a deux lunes pleines et qui voudraient venger leurs morts ? Combien étaient-ils dans la meute ? Les éclaireurs arrivés les premiers, à bonne distance ont observé les hommes qui marchaient lentement. Ces proies potentielles à deux pattes ne peuvent rivaliser à la course; mais quand elles s’arrêtent, elles dominent alors le feu et deviennent inattaquables. D’autres de ces bêtes poilues aux yeux de feu et aux crocs redoutables sont venues et ont encerclé les marcheurs. Cette meute ne s’était pas encore mesurée à une dizaine d’archers expérimentés.

Lances en biais au raz du sol, les arcs pointés, les femmes et les enfants recroquevillées au centre, la petite troupe semblait un énorme hérisson. Elle a laissé les fauves s’approcher, s’approcher à presque sentir l’haleine sortant des redoutables babines retroussée…Les loups se sont enfuit en laissant huit des leurs ensanglantés devant les hommes et bien d’autres gravement blessés ont du périr dans la débandade Tous sont partis chercher plus loin une pitance moins coriace et, revenus plus tard, ils sont restés largement hors de portée des jets mortifères, les queues entre les pattes et les échines courbées.  Les fourrures  ont servi pour fabriquer de nouvelles chausses. Un jour plus tard les hommes sont repartis, contents de leur victoire, les estomacs bien pleins de succulente viande de loups, d’amandes et de figues hélas beaucoup trop mures. Ce jour là restera dans la mémoire collective, on le racontera longtemps avec force gestuels le soir avant de dormir près des joyeuses flammes dancantes.

En route la troupe ! L’espoir d’une terre meilleure où il fera bon vivre n’est pas encore perçu comme un but à atteindre, mais aucun courant d’eau n’a pu les retenir. Qui parmi eux peut avoir le concept d’un lendemain alors que la préoccupation du présent emplit à elle seule tout le temps dont il dispose ? Qui peut se projeter dans le futur ? Peut-être Tékétéké ou alors « celui qui voit demain » qu’on appelle de son véritable nom Mour. Peut-être aussi la mère du dernier venu dans la tribu ? Néèlé sait des choses, perçoit des vibrations inconnues des autres, connaît certaines plantes et leurs vertus sur l’homme. Elle sait cautériser une plaie avec une braise, la recouvrir d’une  poudre de champignons pourris puis enfin appliquer un emplâtre de terre jaune et d’eau qui va durcir en se séchant. Quand la plaie est superficielle, le jus des bulbes d’une petite fleur blanche au parfum doux et piquant à la fois fera l’affaire[1]. Dans les cas les plus graves, elle sait aussi voir la mort parfois avant que celle-ci n’emporte sa victime. Néèlé ne peut décrire cette sorte d’éjection d’énergie qui part du sommet du crâne et monte vers le Grand Toit, juste au moment du dernier souffle. Elle sait.

 Le Haut de la Montagne, nuque dégagée, dort sur son ventre ; une chaleur radiante et impressionnante émane du bébé, quel bonheur quand il fait si froid que l’eau en devient solide, dure comme la pierre. Le papa  du nouveau né est celui qui guide dans la fabrication des armes. Simo n’a pas son pareil pour éclater le silex et en faire des pointes de flèche, de lance, des couteaux  aiguisés pour découper la peau puis la chair de tous les gibiers. Il sait faire durcir les longues tiges de pousses de viorne ou de cornouiller et les rendre parfaitement droite en s’aidant de la chaleur du foyer. Parfois du noisetier fera l’affaire mais les flèches ne seront pas aussi résistantes. Il sait faire l’entaille précise sans trop fendre le fin cylindre puis y insérer les  pointes acérées de pierre ou d’os ou bien encore de morceau de bois de cerf longuement polis. Un véritable travail d’artiste, de sa précision dépend l’essentiel du résultat de la chasse. Quand, pour peaufiner son ouvrage, il équilibre sa flèche empannée, Simo ne pense pas non plus au lendemain, sinon à la perfection du présent. Serait-il sage sans le savoir ?

L’arc est moins important, son élaboration  pourtant nécessite un bois à la fois dur et souple, deux qualités souvent incompatibles. L’if se montre parfait et heureusement qu’on le trouve souvent sur le chemin. Pour les cordes, Simo a tout essayé, le meilleur qu’il ait trouvé est le boyau d’un gros chat sauvage aux oreilles pointues, mais les chasseurs ne ramènent pas un lynx chaque jour alors les femmes tissent des tiges d’ortie ou de lin qu’elles enduisent de résine.

 Dés leur plus jeune âge les petits garçons s’entrainent avec des armes jouets qui s’adaptent progressivement à leurs mensurations. Adultes ils sont devenus de redoutables archers.

Les forces sont revenues soutenir ces corps endurcis et jour après jour la troupe avance d’un bon pas, il y aura d’autres cols à franchir mais aucun ne sera si haut ; pendant encore trois bonnes lunes ils vont marcher. Le plus souvent  dans de grands bois où un  abondant gibier  a maintenu leur vigueur. Ils passeront très près d’autres hommes deux fois mais contourneront prudemment  ces zones habitées que la fumée du feu signalait. Les  aboiements des chiens ont du préoccuper les mystérieux habitants mais personne ne s’est manifesté.

Leurs chiens si fidèles, ils ont du les sacrifier avec peine dés le début de leurs fuite par peur de se faire repérer. On ne peut imposer  le silence à ces bêtes pourtant douces et obéissantes ! Certains avaient pensé aux poules et à un coq mais, avec la précipitation, ces animaux que l’on vénérait n’ont pas fait partie du voyage. Seuls deux coquetiers, soigneusement enveloppés de feuilles et de peaux, pourront prouver à quel point ils possèdent la maitrise de la céramique.

Des rivières encore sont franchies en  cherchant les gués les moins profonds, les moins dangereux, aucune n’a pu les arrêter. Mour, « celui qui voit demain » dit qu’il ne manque qu’une lune pour arriver. La petite troupe va s’enrichir d’un nouveau membre…deux nouveaux membres.

La toute jeune femme  est là, assise au bord d’un  ruisseau gelé que l’on peut presque enjamber d’un seul pas, blessée à la main gauche et retenant son sang en y pressant  fortement un fragment de peau de bête, son ventre est arrondi d’au moins six lunes. Avec le vent contraire et le bruit qu’il provoque en chahutant  les arbres, elle n’a pas entendu venir la petite troupe ; les yeux exorbités par la peur la femme essaye de s’enfuir mais n’a pas le temps. Une main forte se plaque sur sa bouche et des mots apaisants murmurés à son oreille. Pour qu’elle se calme enfin, les femmes s’assoient devant la jeunette  et lui sourient en tendant leurs mains. La pression sur le visage se fait légère, la main musclée se dégage doucement et la peur s’en va.

La langue de l’inconnue est étrange, mais l’on comprend qu’elle se nomme Toussou et que depuis trois jours elle a fuit son groupe. Les hommes lui font peur,  par geste elle explique son calvaire. Violée répétitivement avant même sa puberté par tout mâle qui la désirait, cela avait continué bien qu’elle porte un enfant. Elle a fuit sans crainte de se perdre au pays d’où l’on ne revient pas, de tomber dans cette immobilité que rien ne peut faire cesser,  préférant se trouver face aux loups ou à l’ours brun. Elle crie maintenant quand Mour s’approche pour lui donner un peu de viande fumée et des amandes. Alors les femmes vont s’occuper d’elle et, « celle que l’on a rencontrée » va lentement s’apaiser. Il lui faudra encore du temps avant que ses yeux ne s’agrandissent plus à la vue d’un homme se dirigeant vers elle.

Tékétéké est content…son fils Ian Vek quant à lui dissimule mal son émoi. Ce jeune guerrier expérimenté a bientôt quatorze fois le cycle des quatre saisons et, avant la fuite, il était prévu de lui donner une compagne. Personne ne peut raconter ce qui est advenu de Saï, timide adolescente à peine pubère qui rougissait en le regardant. Ces deux là consommaient déjà le fruit du désir mais tout le monde faisait semblant de ne pas le voir. Quant à Toussou il faudra lui trouver un autre nom, le sien parait l’horrifier quand on le prononce. Elle a eu le courage, la valeur de s’enfuir en affrontant la solitude et tous les dangers qui l’acompagnent. Les femmes vont l’appeler Aria, « la vaillante »

Les hauts sommets s’estompent à l’arrière de leur chemin, le groupe suit les berges d’une rivière dans une vallée qui s’élargie  toujours davantage[2]. En changeant parfois de rive ils choisissent soigneusement un terrain en hauteur pour les haltes. Plusieurs fois un large détour à permis d’éviter la rencontre avec d’autres hommes dont on avait entrevu les rudimentaires bâtisses. Quand ceux qui marchent derrière Tékétéké pourront-ils enfin construire les leurs ?

Ils étaient contents des murs de pierres qui s’élevaient jusqu’ à la  moitié de la taille d’un homme, de jeunes arbres bien droits dépouillés de leurs branchages y étaient insérés verticalement puis pliés et liés en une voute harmonieuse sous laquelle le plus grand des chasseurs tenait debout. Recouvertes de chaume puis de peaux de cerf cousues, ces structures résistaient au vent violent comme aux pluies les plus fortes. Ils espèrent maintenant pouvoir réutiliser leurs talents de constructeurs sur des terres où la cueillette sera bonne et le gibier abondant.

   Trois fois dix jours ont passé quand le grand fleuve est atteint. Juste un peu plus d’une lune, la prophétie de Mour était exacte…celui là, personne ne pourra le franchir sans disparaître dans ses eaux grises aux reflets verts, rapides et profondes. La rive d’en face que l’on voit verdoyantes reste hors de portée de flèche de l’arc le plus fort. Elle ne pourra être abordée que dans les rêves de ceux qui veulent toujours aller plus loin. Sur cet autre côté, la falaise qui culmine la colline devient jaune comme la paille quand Râé s’y reflète  Le Dieu du jour se lèvera  tôt au dessus de la plaine que la troupe a franchie et se couchera immuablement derrière les monts de l’autre rive de « la grande eau » qui les a arrêtés

 Les éclaireurs sont enfin arrivés chez eux. . Le respect que l’on  doit à « celui qui voit demain » n’en sera que plus grand.

          Le seul endroit qui les protègera d’une éventuelle grande crue du fleuve est une imposante remontée rocheuse qui surplombe les tourbillons capricieux et redoutables. Du côté de l’eau,  aucun ennemi potentiel n’aura la possibilité de les attaquer. Face à la levée de Râé du côté de la plaine, l’apique une fois fortifié sera facile à défendre contre l’éventuel envahisseur. Dans leur langue, roche se dit Dom[3].  Pour l’habitat, un peu plus en amont de l’eau et vers le levant, des collines fourniront une  pierre blanche facile à tailler en blocs. Élevés jusqu'à hauteur de la ceinture on y fixera des cimes d'arbre, répliques améliorées des cases du pays laissé loin derrière.

      La plaine où le fleuve a laissé  son épais  limon parait fertile…les Chassas,[4]comme ils se définissent, sont aussi gens capables de semer puis de récolter, ils trouvent ici leur paradis.  Dans leur marche, ils ont laissé sur le chemin leurs cairns. Ces empreintes,  ces signes que seuls ceux de leur grand peuple sauront reconnaître, les autres rescapés qui suivent Râé dans sa course pourront les rejoindre plus tard et ils se mettront tous au travail Depuis plus de deux lunes avant l’arrivée, plusieurs chiens errants ont suivi ce petit groupe d’homme en profitant des restes de leurs repas. Ils se sont de plus en plus approchés puis ont fini par s’intégrer jusqu’à  manger dans les mains ce ces sympathiques bipèdes. Deux femelles sont prêtes à mettre bas et ces chiots-là seront vraiment domestiqués.

         Il est peut-être venu le temps où un certain code de vie, des normes de convivialité entre les hommes, mâles  femelles et enfants s’apprendront et se transmettront de génération en génération. Il est venu le temps où l’on pourra envisager un futur. Pas seulement celui que l’on souhaite en semant des graines pour une récolte, un avenir encore indéfinissable pour tous ceux qui marchent debout. Une vision encore beaucoup plus lointaine où l’homme enrichira la terre qu’il foule et  dominera toutes les autres espèces qui s’y trouvent.

 Celui qui voit demain raconte maintenant que Haut de la Montagne les quittera, qu’il voyagera avec sa compagne, sa sœur de lait…la fille d’Aria à qui Néèlé aura transmis ses connaissances. Seule une autre immense étendue d’eau qui monte et qui descend, que personne ne peut boire  les arrêtera définitivement. Un seul passera de l'autre côté, l'Homme-Feu. Ce ne sera pas un petit ruisseau, une belle rivière ou un fleuve tourmenté, mais quelque  chose de plat avec parfois de simples ondulations, parfois des masses d’eaux qui courent à la surface avant de s’abattre avec violence sur le rivage. Il faudra de nombreuses générations avant qu'il soir facile de traverser cette immensité d’eau qui bouge,  la même eau salée que l’on trouvait en partant de l’ancien territoire et marchant vers le soleil  à  son zénith.

     

     Personne ne peut comprendre, pas un ne conçoit vraiment, cela fait partie du mystère de la prophétie. En attendant ces temps si lointains que l’on peine à les imaginer, la vie s’organise, la cueillette abondante permet de faire des réserves pour les mauvais moments. Les fruits pelés sont cuits avec du miel puis mis en pots de céramique chauffés dans de l'eau bouillante, fermés par des rondelles d’une curieuse écorce légère enduite de  la cire des abeilles[5]. L’on chasse et abat grande quantité de gibier, surtout des aurochs et des chevaux. Le délire sans limite de « celui qui voit demain » raconte encore que, dans un temps futur si grand  qu'on ne peut le concevoir, leurs nombreuses descendances auront domestiqué ces deux races magnifiques. Que l’une les alimentera et l’autre transportera les guerriers sur son dos ou tirera d’étranges choses avec des cercles sur les côtés !

 La première naissance sur le Dom et c’est encore une fille. Ce jour là ; la grande eau qui coure vient justement d’encercler le rocher. Mais ni la crue,  ni la science d’une Néèlé  connaissant par avance l’issue tragique, n’arrête l’hémorragie de la très jeune maman. Son corps est confié aux tourbillons du courant pour éloigner les maléfices de la mort. Allez-vous-en ! Hors du nouveau cercle de vie ! Aria n’est plus, sa fragile progéniture devient fille adoptive de Néèlé, sœur par le lait de Haut de la Montagne, mais…comment va-t-elle s’appeler ? Les femmes se réunissent pour décider, repoussant provisoirement l’idée que l’isolement sur le rocher puisse durer plus longtemps que les vivres accumulées.

Rank Rasah, le « Cercle de l’Eau », tel sera le nom de la nouvelle bienvenue dans la tribu. Sept jours plus tard, alors que le niveau reste encore très haut, l’inquiétude s’installe sur le Dom. À quelques jets de flèche dans le levant, juste sur la nouvelle rive créée par la montée des eaux, plusieurs feux sont apparus. On peut les voir miroiter la nuit et leurs fumées s’élèvent le jour sans que ceux d’en face n’essayent de la dissimuler. Les regards interrogatifs peuvent maintenant compter quatre grands foyers différents. La troupe doit être nombreuse, bien supérieure en cas d’affrontement, mais s’il faut rejoindre le pays d’où l’on ne revient pas, mieux vaut le faire les armes à la main. Simo active les hommes à la tâche, son œil expert supervise les préparatifs d’un prochain combat. Seul Mour reste tranquille, certainement contrarié que l’on ne se souvienne plus de ses paroles, n’a-t-il pas prédit la paix ?

Il va falloir une lune montante pour qu’enfin les eaux se retirent laissant de grandes flaques où seront piégées maintes espèces de poissons, des tous petits jusqu’aux plus grands. Puis un jour, en pleine lumière un archer solitaire s’approche, évitant précautionneusement les zones d’eaux trop profondes. Son allure franche est familière mais sa flèche parlera la première, elle se fiche sur le tronc d’un gros arbre en haut des remparts improvisés.

        -Ils nous ont retrouvés ! Ce sont les nôtres !

Beaucoup vont découvrir ce jour-là que la joie, elle aussi, peut faire pleurer. Ian Vek, « Comme le Vent », fils de Tékétéké plus que tout autre…Saï, sa belle promise d’antan est parmi ceux qui arrivent.

 Ils sont bien plus que dix fois les dix doigts qui ont pu suivre à la trace les précurseurs sur cette terre magnifique de richesses en tout genre. Les entassements de roches disposées de forme très particulière qui furent posé comme jalons en indiquant une direction très précise pour les guider, ont remarquablement tenus leur rôle[6]. Les nouveaux venus  racontent bientôt que beaucoup d’envahisseurs lancés à leur poursuite ont été décimés peu à peu dans de meurtrières et victorieuses embuscades ; qu’enfin ressaisi après la débandade initiale, leur peuple a reconquît les territoires perdus en très peu de temps. De nombreux groupes  sont repartis pour essaimer leur race au-delà de la grande montagne et donner foi aux vieilles prédictions. Ils apportent avec eux des chèvres, des moutons, des poules et des coqs ainsi que de précieuses semences de plusieurs sortes de blés. Encore beaucoup  d’autres viendront par la suite. Une partie d’entre eux, leurs fils ou encore leurs petits-fils repartiront plus tard dans toutes les directions, ils franchiront « la Grande Eau qui coure », quitte à marcher des lunes et des lunes pour trouver un point de passage. Certains remonteront le courant et d’autres suivrons les flots parfois tumultueux mais heureusement souvent tranquilles ; ils trouveront…et la rive d’en face un jour sera foulée.

Simo caresse une idée,….et si l’on pouvait réunir plusieurs de ces arbres qui toujours restent à la superficie ? En coupant leurs branches, les troncs devraient pouvoir s’attacher entre eux. Un peu plus en amont dans une vaste courbe, des eaux  peu profondes pourraient servir pour des premiers essais…Laissant les compagnons qu’il a lui-même formé pour la fabrication des armes, l’homme ingénieux va se dédier entièrement à la réalisation de son projet. Cinq hommes, de ceux qui rêvent d’aller toujours plus loin, de ceux qui veulent connaître les terres où se couche  Râé, vont s’allier avec lui pour vaincre l’eau qui a osé les arrêter. De ceux qui sont prêts à tout tenter pour assouvir leur soif de conquête ; quitte à laisser sur place femmes et enfants, des semis prometteurs et  un gibier abondant. Dans leurs yeux une flamme étrange brille en permanence.

Ceux là, rien ne les arrêtera. Vers la fin de la saison la plus chaude, alors que la lumière du jour se faisait moins longue, un nouveau groupe  est arrivé du pays laissé si loin derrière. Ils étaient tellement nombreux qu’aucun mot ou aucune expression ne pouvait les compter, pas même les doigts de toutes les mains des habitants, hommes femmes vieillards et enfants inclus. Quelques uns, une infime partie, sont restés sur le Dom et le reste s’est partagé en deux groupes, l’un remontant les eaux, le deuxième partant à l’opposé vers l'aval, sûr de rejoindre la grande eau salée dont le dessus se lève et coure avec le vent. Cette immensité  sans fin visible que certains connaissaient déjà et racontaient inlassablement.

Avant que les deux nouvelles grandes expéditions ne commencent, il faudra donner un nom à cette nouvelle divinité qui barre la route, cette grande eau dont on parle désormais tous les jours car elle fait partie intégrante de la vie s’appellera Roann Rasah. Simo réfléchit longuement ; plus loin dans le courant la vallée semble s’élargir, l’eau y sera donc plus calme. Si les troncs liés entre eux peuvent porter des hommes, ce sera en cet endroit que l’on pourra traverser puis de nouveau suivre Râé dans sa course et voir enfin les terres où il se couche.

En seulement dix journées, les premiers essais prouvent que Simo a vu juste. Avec huit arbres dont les branches ont été élaguées, tous les ouvriers créateurs de ce moyen de déplacement innovateur peuvent être transportés…enfin presque. Il reste un équilibre à acquérir et, comment faire pour qu’un éventuel fardeau ne soit pas immédiatement trempé ?

D’autres troncs beaucoup plus fins, liés aux travers des premiers et des peaux de bisons tendues sur l’ensemble  donneront la touche finale nécessaire. Dernier problème à résoudre, comment guider cette masse extrêmement lourde et donc difficile à manœuvrer ? Dans un premier temps quelques hommes essayeront de la retenir depuis la rive avec une longue corde. La plus longue que jamais l’on ait tressée. Facilement le radeau est amené à la hauteur du Dom et un pieu profondément enfoncé dans un  sol meuble du bord de l’eau va l’empêcher de partir avec le courant. Personne n’a d’autre idée que de fabriquer une longue perche, voir plusieurs, afin que les hommes embarqués poussent à force de bras. Les deux premiers volontaires vont payer de leurs vies cette expérience d’un nouveau moyen de transport.

Au début ils ont pu maintenir l’assemblage de troncs près de la berge mais le drame a commencé quand une des longues perches s’est enfoncée dans la vase et que l’homme qui la manœuvrait n’a pas voulu lâcher à temps. Il a glissé et son pied s’est coincé entre deux troncs ; déséquilibré, le malheureux est tombé à l’eau, la jambe cassée dans un sinistre craquement juste au-dessus de la cheville. L’autre homme en voulant secourir son infortuné compagnon est tombé lui aussi. Après s’être vainement débattu à la surface, il a disparu dans les abimes liquides et silencieux. Au bord, presque toute la communauté criait, pleurait et certains hommes auraient bien voulu se jeter dans les remous mais ils ont vite compris que leur sort pouvait en dépendre ; avec rage ils ont couru sur la berge puis se sont fatigué et, impuissants, ont regardé disparaître au loin un radeau qui avait rejoint le milieu de Roann Rasah.

Il faudra beaucoup de tendresse de la part de Néèlé pour consoler un Simo abattu par l’émotion, un profond sentiment de culpabilité lui nouant les trippes, là, juste au milieu de la poitrine. Tékétéké et Mour viennent aussi avec des paroles de réconfort aux oreilles de celui qui ne peut s’empêcher de penser déjà à un autre moyen de franchir le fleuve. Quelque chose de plus léger, plus maniable, doit pouvoir être fabriqué et cette fois, cette fois….

Dés le lendemain, Simo repartira avec son frère, il a repéré des arbres aux troncs beaucoup plus gros…peut-être qu’en les creusant avec des braises et des silex tranchants?…Pour guider le futur engin, il faudra tailler  un bois en forme plane. La pagaie est née.

Le temps passe, cette chose impalpable que l'on peine à définir hors des répétitions immuable et facile à observer. Comment déjà concevoir qu'un jour l'homme fabriquera des instruments pour le mesurer, avec une perfection absolue dans la précision. Encore impensable.

On parle en jours, observant la course de Râé. En cycles aussi, citant la maitresse des ténèbres. Sa figure souriante qui s'estompe petit à petit, nuit après nuit, disparaît compétemment pour revenir en croissant de nouveau, marque une période répétitive de retour du temps. Tiens, juste le même que celui donné par le sang des femmes! La divinité qui se cache derrière cette face plate de la nuit est surement féminine! On parle aussi en saisons. La renaissance de la nature engourdie par le froid, le bourgeonnement des arbres, les crues des eaux, le retour de certains oiseaux qui avaient fuit on ne sait où. La période la plus chaude, quand Râé devient implacable, qu'il chauffe une terre quémandant toujours plus d'eau pour que terminent de pousser les semis. La récolte suivie de peu par les feuilles rougissantes. La bise qui revient avec de nouveau le froid prenant possession des terres et  des hommes; heureuses sont les bêtes qui paraissent alors moins souffrir.

Ce temps-là, on sait déjà le mesurer. Pendant  qu'immuable il s'écoule, Simo travaille. Ses efforts ne servent pas la communauté, du moins en apparence, mais tous pensent à l'autre rive. Enfin sa chose est prête. Plus de trois pas de long et cinq mains de large, effilée vers un avant qui doit couper la masse liquide en deux. Cette fois-ci personne d'autre que lui-même ne fera le premier essai. En solitaire et en un lieu  où l'eau n'arrive qu'à hauteur de la ceinture, Simo s'est aperçu que son corps flottait pourvu qu'il reste face au faible courant. Avec quelques mouvements il pouvait malhabilement se diriger. Qu'il puisse au moins regagner son embarcation si …

Il y a eu plusieurs si, beaucoup de si, car le tronc prit la mauvaise habitude de rouler sur lui-même. L'idée de génie est arrivée, deux choses semblables liées par des traverses ! L'engin s'appellera le "tau"

Moins d'une lune montante plus tard, trois hommes prenaient pied  sans difficulté sur la rive opposée. Roann Rasah est vaincu!

Râé, tiens-toi bien ! Nous découvrirons un jour où tu te couches!

Et bientôt tous ceux qui le désirent  pourront apprendre à flotter sur le fleuve. Et pourquoi les plus doués ne seraient-ils pas capables d'aller ainsi de l'autre côté, sans utiliser les deux troncs?

Peu après la grande décrue, alors que le froid quittait enfin le pays du Dom, une dizaine d'embarcations pouvaient faire plusieurs allers retours dans la journée. Des démangeaisons dues à la bougeotte coururent sur les échines de certains. Où qu'ils aillent, les explorateurs colons pourrons toujours revenir sans difficulté. Sur l'autre rive, rapidement des éclaireurs vont partir dans toutes les directions, en amont et en aval de la grande eau et vers l'intérieur. Repérant les rares sources en ce nouveau pays plus aride, et laissant toujours certains signes d'entassement de pierres pour confirmer une vielle expression de la tribu : un Chassa jamais ne se perd!

Les saisons passent et se répètent

Le Haut de la Montagne devient un beau petit garçon, on l'observe afin de le renommer, plus tard. Il faut que son futur patronyme soit mérité. Il manque encore quatre fois le cycle complet des saisons mais déjà tous savent. Sauf au plus fort gel, cet enfant refuse tout autre vêtement que celui qui le protège de la ceinture aux genoux. Il a toujours trop chaud, on l'appellera "L'Homme -Feu"

Mour, celui qui voit demain n'est pas au mieux ; un mal nommé vieillesse le ronge. Cela fait longtemps qu'il n'a pas fait une seule prédiction quand il parle un jour à Néèlé.

     -Je suis vieux et ne sert plus à rien dans notre groupe. Bientôt je ne pourrai plus manger. Je ne veux pas rester plus longtemps parmi vous. Appelle Tékétéké!

Devant le chef, Mour poursuit.

      -Je veux que vous me laissiez au fil de Roann Rasah. Ne me pleurez pas. Celui qui me remplacera n'est pas encore parmi nous mais n'ayez crainte, il viendra bientôt de la terre de nos ancêtres.

        Le Haut de la Montagne sera un jour l'Homme Feu et il partira très loin. Il dressera des pierres pointées vers le haut pour transmettre nos connaissances et pour que les Chassas ne soient pas oubliés; à tout jamais.

L'essence de la vie de Mour n'est plus. Elle est partit comme l'eau trop chauffée qui s'envole en une légère brume disparaissant très vite. Les hommes assemblent quelques troncs et, obéissants à ses derniers souhaits, confient la dépouille au Grand Courant; le majestueux  Roann Rasah.

Néèlé récite ses litanies. Elle prétend que la chair n'est plus mais que l'esprit reste dans le groupe, dans la tribu toute entière et qu'il reviendra. En attendant ce jour, la force de "Celui qui voyait demain" restera au dessus et protègera. Tous opinent sans bien comprendre.

Pour confirmer la dernière prophétie, Arn arrive avec  ses trois filles, Alia, Réssou et Érine. Il a remonté le fleuve depuis la grande eau salée. Tous ont compris quand il a dit:

         -Je savais que vous m'attendiez, moi aussi je vois demain !  Puis il a précisé qu'Alia était fort intéressée par la science et les secrets de Néèlé. Le lendemain devient assuré, une raison de plus pour gommer un peu de cette peur innée difficile à décrire et souvent dure à admettre. De nouveau la communauté ne manque de rien.

 

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Il y a bientôt trois fois les quatre saisons que l'autre rive est peuplée. L'ensemble des maisons a été, afin d'être différenciée du Dom baptisée Noava. Le moment  vient d'y fortifier la  nouvelle colonie afin, qu'encore plus tard, l'on continue beaucoup plus loin vers le couchant.

Les groupes se font et se défont, tard auprès des feux les discussions précèdent les décisions.  Ceux qui vont partir s'établir de l'autre côté du Grand Courant font des envieux mais les sages savent fort bien que l'on ne peut abandonner totalement une terre si belle, un rocher si confortable assurant un facile abri en dominant la plane vallée de sa force naturelle imprenable. Environ une moitié de la petite colonie désormais prospère ira sur l'autre rive. Le fleuve est dompté, des émissaires viendront donner des nouvelles régulièrement.

Loin en amont Roann Rasah  a aussi été franchi et le grand peuple s'étend inexorablement, dans toutes les directions. Pourtant la majorité des implantations reste sur cette même rive, celle du levant. Les rares hommes rencontrés sur le chemin sont primitifs, après une première et naturelle hostilité, ils profitent bien vite du progrès apporté par les nouvelles technologies. Une grande partie de la conquête est due aux merveilleuses céramiques qui fascinent. Cette chose si fragile et si utile que l'on obtient en façonnant terre et eau puis en s'alliant avec le feu sur lequel il faut souvent souffler. Les quatre éléments sacrés doivent se réunir pour l'élaboration miraculeuse de la céramique! Terre Eau Feu Souffle.

          Non loin en aval, à peine dix jours de marche, le fleuve jette ses eaux dans la grande étendue salée, celle qui se met en colère au moment des forts vents. Là-bas les Chassas ont aussi réussi la traversée

Érine, sœur cadette de Néèlé  est devenue maman d'une petite fille Yna, son ventre arrondi de nouveau donnera cette fois à la tribu  un garçon, mais il va naître de l'autre côté.

Ainsi va parler Arn:

          -Le Haut de la Montagne s'appelle désormais l'Homme Feu. Avec sa sœur de lait ils partiront un jour loin, très loin et nul d'entre nous ne les reverra. Ils lèveront des pierres presque aussi grosses que notre Dom afin que les Chassas traversent le temps du demain. Mon petit fils qui vient de naître les accompagnera. Ce futur vaillant guerrier sera chargé de leur protection

Une partie de cette prédiction avait déjà annoncée par Mour. Comment ceux qui voient demain font-ils? Et s'il suffisait de ne pas tomber dans les tourments de la peur?  Simo pense de moins en moins aux bois pour flotter,  les taus ne l'intéressent  plus; il passe désormais de très longs moments, immobile, assis bien droit face à Râé, les yeux clos et respirant lentement, profondément. Personne n'ose le déranger. N'a-t-il pas déjà donné beaucoup à la tribu?

Simo pense a édicté des lois. Récits, transmis de génération en génération, qui vont régir le comportement de tout individu dans une société. Il fait part de ses intentions à sa compagne Néèlé et cette dernière s'offusque aussitôt.

          -Les règles de notre vie doivent être celles de la nature, pas celles des hommes! Ce n'est pas parce que tu as vaincu la Grande Eau qui nous barrait le chemin que tu dois être supérieur aux autres. Que ferais-tu sans notre communauté? Où irais-tu seul par les terres? Nul n'a besoin d'un chef qui prétende à nous imposer son point de vue. Nous le choisissons depuis toujours par confiance en lui, pour qu'il nous aide à calmer nos ardeurs quand une opposition surgit entre nous. C'est un responsable qui nous sert, pas question qu'il nous asservisse!

 Les discutions de plus en plus véhémentes inquiètent les habitants du Dom, peu coutumiers d'entendre la moindre altercation entre ces deux là.

La première confrontation politique! Déjà l'homme se montre davantage nécessiteux d'un ordre et la femme préfère les éléments naturels établis, source incontestable de la vie. Deux logiques défendables, raisonnables, mais qui vont s'opposer sans fin, jusqu'à l'extinction de la race humaine.

Dans ce duel, celui qui protège, celui qui apporte à la société de quoi remplir les panses, l'homme bien sûr va gagner. Et c'est aussi le prélude à la dépréciation de la femme. Il y aura des lois. Des lois où celles qui mettent bas devront se contenter de cette tâche que la nature leur a imposée et bien évidemment de se charger aussi des travaux domestiques, d’aider aux champs et de remplacer l’homme en toute chose quand celui-ci sera absent, se tournant vers la chasse, un jour vers la guerre! De moins en moins par nécessité, de plus en plus par plaisir, celui de tuer !

Qu'on se le dise !

Comment prétendre que le chef qui protège ne doit pas aussi édicté ses volontés? Le règne animal est ainsi fait. La loi du plus fort est la seule valable, le faible s'y soumet. Ce qui sera considéré dans des millénaires comme du machisme n'est que le reflet de la Dame Nature. Contrarier cette dernière va demander un temps infini. Sournoisement, le germe maléfique d'un sentiment de supériorité sur toutes les autres  races commence également ses méfaits.

Simo n'a jamais étudié une philosophie non encore créé,  la venue d’un futur Freud décrivant l'ego lui est totalement inconnue.  Dans sa tête, cette opposition gênante d'une femelle est insupportable. Les lois seront donc édictées  uniquement par les hommes. Il est loin d'imaginer que cette forme de pensée sera suivie bien plus tard par ceux qui inventeront un Dieu unique et son compère le Diable. Ceux qui marqueront noir sur blanc des textes où la femme sera recluse au moins que rien. Que l'on chargera la prétendue faute originelle,  la culpabilité de tous les maux sur Terre, sur ses épaules moins fortes. L'homme bien entendu n'oubliera pas d'utiliser le corps féminin, tenu à sa seule disposition et sa volonté pour le plaisir de la chair et la procréation de "sa" descendance.

La scission entre les deux sexes est presque définitive. Une complémentarité évidente va se transformer en relation dominant-dominé.

Simo décide de convoquer tous les hommes du Dom et des environs. Aucune femme n’assistera à la réunion.

    -Mes frères Chassas, grâce à votre courage nous avons vaincu la montagne qui nous barrait la route. Nous avons fait de ce rocher un lieu où la vie est agréable. Autour de nous s’étendent nos champs fertiles, avec notre connaissance en armes et la stratégie que je développerai, nul n’osera nous attaquer. Il est temps que l’on mémorise des lois pour l’avenir. Des lois qui vont régir notre comportement les uns envers les autres. Qui vont désigner les chefs ainsi que ceux dont la tache sera désormais de faire appliquer les lois. Ne laissons pas nos femmes dans cette affaire si délicate. Elles ne sont pas assez fortes et trop crédules envers des divinités. Laissons-les aux labeurs auxquels seule la nature doit les contraindre. Montrons leur que la loi du plus fort est la seule valable et que tout le reste n’est que discussion stérile. Encore heureux que nous soyons bons de ne pas couper la langue de ces femelles aux prétentions de grandeur.

    Je vais créer une armée qui n’aura d’autre fonction que de s’entrainer pour la défense et pourquoi pas pour réduire les résistances à nos futures avancées. Les plus méritants transmettront les ordres que je donnerai à ces braves guerriers. Ma digne descendance continuera mon œuvre. Si j’ai le sang d’un chef, ceux qui viendront de moi seront également des chefs. Pour cela, j’exercerai mes droits sur toute femme arrivant à la puberté.

    Il est évident que le temps que je vais consacrer à ma haute fonction ne me permettra pas ni de récolter ni de chasser. Deux taches que devrons exercer tous ceux qui ne se dédieront pas aux armes. Vous me procurerez une fraction raisonnable de tout ce que vous engrangerez. Une part destinée à ma famille, l’autre à constituer pour vous des réserves en cas de nécessité. 

    Autre chose qui me parait importante. Afin que l'on se rappelle de moi une fois passé dans le monde de ceux qui ne revienne pas, je veux que vous me mettiez en terre. En me protégeant des animaux qui pourraient dévorer mes chairs, qu'une grosse pierre soit posée sur la fosse où je me reposerai.

     A partit de maintenant, vous devrez vous souvenir des hommes de haute lignée qui vous ont commandés. Continuez de les vénérer y compris quand ils seront partis dans le Pays d'où l'on ne revient pas.

     Y a-t-il un d’entre vous qui ne soit pas d’accord ?

Personne n’ose se prononcer. Un discours si cohérant, ne promettant que du bien pour le lendemain, ne peut se contester. Et qu’une de nos fille soit fécondée par un homme si fort, si intelligent ne rapportera que des avantages.

Néèlé n’a rien entendu de ces belles paroles. Mais elle les connait. Ce discours l'a affolée alors que mentalement Simo le préparait. A personne elle n’a jamais expliqué que seulement par la pensée, elle peut connaître un individu,  savoir ce qu'il trame.  Cela est si naturel. Pourtant, celui ou celle ayant un tel don, fait peur aux autres. Il suscite la jalousie puis la haine. Quand Simo rejoint sa couche, un voile sombre l’accompagne. Elle se refuse à lui en se promettant que plus jamais il ne la touchera.

 Monsieur hurle, pour la première fois monsieur frappe et Néèlé s’enfuit en pleurant, se barricade au milieu de ses préparations médicinales. Quand Simo vient au petit matin, pas très fier de lui mais refusant de l’avouer, il ne trouve personne. Un tronc creusé avec son balancier  a disparu. Néèlé, qui jamais n’avait ramé, est passée à Noava, de l’autre côte de Roann Rasah emportant une grande partie de ses potions et ingrédients, prenant aussi  les deux coquetiers, ceux qui venaient du lointain pays. Une dizaine d’hommes bien décidés et harangués par Simo traversent bientôt pour récupérer la rebelle. Stupeur, tous ceux d’en face vont faire échouer leur projet, les armes à la main. Le premier sang d’un assaillant abasourdi stoppe cette mini guerre fratricide. De retour sur le Dom et  sans les soins de Néèlé, la blessure va s’infecter entrainant la mort après une dizaine de jours de fortes fièvres.

Un intrépide s’adresse à son chef :

       -Très bon résultat ! Qui désormais  va nous guérir ?

D’autres abondent dans le même sens ; la bagarre éclate avec un bilan de plusieurs gros bobos et hélas d'une blessure plus grave. Il va falloir traverser pour la soigner. Une toute première dans la courte histoire du Dom mais aussi un fait rare dans la mémoire des Chassas. Personne ne va pouvoir retenir les dissidents. Simo n’ose pas déclencher de nouvelles hostilités. En deux jours, une vingtaine de familles passent la Grande Eau. Parmi eux, Arn et ses trois filles. A ceux qui restent un avertissement, presque une injonction…qu’ils s’abstiennent de visites sur l'autre rive un certain temps. Un homme fidele à Simo sera désormais chargé de surveiller les taus. Pas de guerre, mais les hostilités sont déclarées.

          

 La peur s’est installée sur le Dom. Avec elle tous les fléaux accablent les hommes.  Sur les derniers évènements, Tékétéké n’a pas eu mot à dire, mais visiblement il n’approuve  d’aucune façon la prise de pouvoir de Simo. Vieux, fatigué, lui aussi rejoint bientôt ceux d’en-face. Sans que personne n'ose s'y opposer. Son fils Ian Vek, sa bru Saï et leurs deux enfants le suivent. Pas question se rester sous l'autorité de ce Simo devenu tyran.

Sur cette autre rive, Alia, pubère depuis trois fois les quatre saisons, n’a pas encore connu l’homme. Beaucoup la regarde comme une possible conquête mais, s’allier à la famille d’un de ceux qui voient demain…rend prudent. Le respect porté au père éloigne les prétendants. En vérité aussi, qui voudrait de cette fille frêle, insignifiante et qui jamais, au contraire les autres, ne fait quoi que ce soit pour paraître  coquète. Qui jamais n'affiche le moindre sourire engageant et laisse les hommes encore seuls sans le plus petit regard. Les uniques choses qui semblent l’intéresser sont les potions préparées par Néèlé. Cette dernière n’ayant pas fait vœux de chasteté après sa séparation de Simo, courtisée par Arn, finit par céder. Ces trois  vivent maintenant ensembles. Réssou et Érine partage sans le moindre problème le même homme, un solide gaillard que certains autres jalousent un peu.

      -Comment a-t’elle osé ?  Néèlé est mienne ! Je la tuerai de mes propres mains !

Peut-on déjà faire un parallèle entre le fait de fabriquer des armes et celui d'avoir envie de s'en servir ? Pas seulement pour une chasse destinée à nourrir ceux du clan. Les histoires de  meurtres reconnus sont rares dans  le passé de la tribu, la seule punition imposée pour certains cas a été la condamnation à l'exil. Exclus, les jugés coupables ont fuit pour s'intégrer à d'autres groupes. Mais si un chef décide de châtier une traitresse, qui osera dire mot? Celui qui impose ses propres lois sait bien entendu  s'en exclure.

 

 

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Hervé.

 

 Une énorme satisfaction entre en mes poumons avec chaque molécule d'air que j'inhale. La vie m'est belle.

Je rechasse le bémol des nouvelles épouvantables. Celles que me procurent la télévision (bon, je la regarde peu), les journaux qu'il m'arrive de feuilleter et quelques infos piochées avec parcimonie sur internet.

Oui, il m'arrive de cliquer avec la souris de mon ordinateur pour prendre la température de notre planète. Il paraitrait qu'elle monte en flèche, dangereusement. La dernière information en date étant que vint-cinq pour cent des Espagnols, eux,  n'ont pas pu se chauffer correctement l'hiver dernier et que cela empire aujourd'hui. Pendant ce temps, l'épouse du président de la Généralité (équivalent d'une région en France), cumule –officiellement- une vingtaine de mandats et de charges dans d'importantes sociétés nationales et internationales où d'ailleurs elle ne met jamais les pieds. Ses légers gains supposés (ceux qui les ont calculés ne sont pas des idiots), avoisinent les trois cent mille euros…par mois.

Ma vie est belle. Je vis en Espagne mais ma petite famille peut encore se payer la livraison, à un prix d'or injustifié, du gasoil de notre chauffage. Il nous arrive de parler avec mon adorable épouse d'un futur que nous ne voudrions pas connaître, où doudounes et couettes épaisses  remplaceraient  avantageusement les radiateurs, question finance bien sûr. Un des moyens que j'utilise pour éviter que cela ne m'affecte pas trop, est la méditation. Oublier m'est impossible. 

Comme dit Alysson:

       -Tu vas encore t'assoir en haut de la montagne?

      L'ex aventurier que je suis a tardivement fondé famille. Restreinte au chiffre trois car il est certain que nous n'aurons pas d'autres enfants que notre belle adolescente de fille. Pas trop tard pour madame mais j'ai fait le nécessaire de mon côté pour qu'un non-désiré ne vienne pas nous faire une visite impromptue. Comment pouvoir raconter les événements de ma vie sans y consacrer un livre entier, voir deux? Impossible. Pourtant, que l'on veuille me croire ou non, d'extraordinaires événements l'ont émaillée. Entre autres, celui d'avoir retrouvé une tombe celte. La dépouille d'une de mes vies antérieures y repose depuis environ deux mille ans.  Des preuves irréfutables m'ont confirmé le fait.

       Pour vous dire que…mes croyances ne sont pas communes à celles de la plus part des gens. En fait, je ne crois pas. Je sais. Je n'utilise le verbe croire qu'à bon escient, quand une incertitude se présente à la porte de mes méninges en ponctuant mes pensées de points d'interrogations. Depuis que je me suis ouvert à une certaine forme de spiritualité, ces fameux points se font de plus en plus rares.

         Montagne est un bien grand mot pour affubler les quatre cents mètres d'altitude de la culminance du bloc rocheux faisant face à notre maison. En plus je ne monte pas jusqu'en haut pour méditer. Je m'assois sur une énorme pierre, près d'un pin qui a si peu de terre pour se développer que je ne pense pas qu'il puisse un jour dépasser ses trois mètres actuels. Vite je fais abstraction des bruits lointains montant de l'autoroute, heureusement inaudibles de chez nous. Vite j'oublie les maux de l'humanité. Ces maux que des très bien  perchés, au sommet de l'échelle de la hiérarchie, justifient plein de culot sans le moindre doute.

       Certains hauts dignitaires religieux prétendent que tout est mérité et que ceux qui souffrent aujourd'hui payent leurs fautes du passé. Obéissant ainsi à une soi-disant règle de l'univers.

       Merci, c'est bien essayé! La nature, la matière avec ses atomes, cette énergie incommensurable qui anime toutes les particules existantes serait-elle donc bassement revancharde? Vindicative? Munie d'une mémoire justicière et  sans pitié? Elle serait donc constituée de la même essence qu'un Dieu équitable, celui qui a prétendu châtier des coupables sur plusieurs générations de leurs innocents descendants. Qu'il est bon! Qu'il est juste! Que l'on suive donc ses injonctions!...

     …Qu'il pourrisse en enfer ce barbu n'ayant jamais montré la moindre marque de bonté et dont les abominations ne se comptent plus ! Moi aussi j'ai le droit de me dresser en justicier.

      Ignobles salopards buvant le sang des petits qui les maintiennent en inventant une forme de justification de la misère.

     Gueux, si tu voulais pouvoir te chauffer, il fallait ne pas pécher dans tes vies précédentes!

      Que les hommes sont cons! Pour ne plus me révolter contre les sangsues du peuple, je monte le plus souvent possible méditer. Le vent, à moins qu'il ne soit vraiment violent, et le froid m'indifférent; seule la pluie me freine. Je ne suis pas encore à l'image de Bouddha. Le vrai, celui que la forme de religion développée autour de son nom serait certainement capable d'indigner. Hélas (ou heureusement?),  mon oubli n'est que momentané. Mon détachement recolle rapidement à la triste réalité qui m'entoure.

    L'eau venue du ciel et les racines des arbustes font éclater facilement la  surface de ma petite montagne.  Dure et cassante, elle est jonchée de pierres de toutes tailles, détachées par les intempéries. Noires sur la face supérieure, recouvertes souvent d'un début de mousse vert foncé,  elles deviennent  blanches un peu ocre dessous, là où une rupture se produit. Les formes tarabiscotées, souvent trouées des traces de myriades de coquillages du temps très ancien, juste quelques millions d'années derrière nous, où la mer les recouvrait encore. Pourquoi ces pierres me fascinent-elle? Depuis longtemps j'aime à les empiler au gré de mes trajets quand je monte, comme  si je devais me rappeler de mon chemin pour le retour. Grand Petit Poucet. Je grimpe non seulement pour méditer mais aussi pour me promener avec nos agréables compagnes à quatre pattes. Nos chiennes. Elles ne sont plus que deux depuis que Cannelle nous a quittés cet été dernier. Je lui ai réservé, bien que cela soit interdit, un coin splendide avec vue sur la mer où elle dort désormais, retournée à la nature. Au flanc d'un petit apique, face au sud, à l'abri du vent froid dominant. Je lui adresse  une pensée affectueuse chaque fois que je passe visiter sa sépulture. Et la recouvre d'une pierre supplémentaire.

      Pourquoi aussi ai-je dressé un menhir sur notre terrain?  En creusant pour les fondations de la maison est apparu un bloc d'une forme qui aurait plu à Obélix. En plus petit, à peine un mètre vingt de hauteur mais sans qu'il me soit nécessaire de le tailler.  Je ne crois pas avoir perdu,  avec palans et leviers improvisés, cette journée entière consacrée à le trainer et le dresser là où il trône désormais.

                     

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        Parler d'un futur? Ma vie aventureuse du passé m'a appris qu'il n'avait guère d'importance. Ou plus exactement qu'il ne devait pas me préoccuper, me procurer la moindre peur. Valable pour moi; difficilement envisageable pour une unique progéniture. Qui peut réellement ne pas trembler à la possible douleur du fruit de ses amours? Plus marquant encore, du fruit de leurs entrailles pour nos femmes? Ce qu'il adviendra d'Alysson lui appartient. Merci Khalil Gibran pour cette si belle image:

      Nous sommes l'arc, ils sont les flèches et seul l'archer connait la diane. 

       Nous devons nous évertuer avec ma charmante épouse pour que notre fille bénéficie demain de tous les atouts possibles. En ces temps où un bac plus cinq cherche désespérément du boulot, rien n'est à négliger. Alysson parle parfaitement Espagnol, son Français paternel reste très fluide mais il devrait pouvoir s'améliorer en orthographe et en grammaire; quant à son Anglais, il n'a besoin que d'une chose: un séjour linguistique du côté de la perfide Albion. Ôtons perfide, nous ne sommes plus en guerre!

      Ah oui, peut-être que cela ne servira guère en dehors des terres où nous vivons aujourd'hui, mais le Catalan est sa langue maternelle. De toute façon, quand elle reviendra après trois mois passés en Angleterre,  ce seront  bien quatre langues qu'Alysson pourra sortir demain de sa besace. Très intéressant pour une quelconque compagnie internationale. Une fois de plus je pense à tout ca en rehaussant une petite pierre pointue dressée vers le ciel, sur le chemin montant vers le lieu de ma méditation. Je la calle précautionneusement pour que le vent souvent violent qui visite cette terre ne la fasse choir, à moins qu'un sanglier…

     Environ une heure plus tard je redescends vers notre maison, décidé à donner une suite au projet commencé hier avec des recherches sur internet. J'ai contacté une agence qui propose des séjours aux pairs en Angleterre. Une suggestion m'a alléché. Celle d'une famille qui ressemble à la notre et qui accueillerait notre fille, dans la ville de Salisbury  en Cornouailles. Aucune idée de ce que peut être le paysage anglais. Avec certains pays de l'est, je n'ai jamais eu le plaisir de le connaître autrement qu'en images.

        Mon voisin m'interpelle au travers du  grillage qui sépare mon minuscule terrain de sa grande propriété. Certainement plus d'un hectare d'un bois privé où se cachent plusieurs maisonnettes. Le gars fort gentil vient s'excuser pour les désagréments sonores d'une machine qui creuse une tranchée de drainage, à une centaine de mètres de chez nous. Je lui réponds qu'il n'y a absolument aucun problème, aucune réelle nuisance et il s'en retourne sur le chantier.

       Sympa le gars, bien d'autres par ici se moquent éperdument de gêner autrui ! Certaines  pierres aussi m'avaient paru fort vieilles et éveillé  ma  curiosité. J'ai parlé avec lui, il y a une dizaine d'année, de l'éventualité d'un village ibère  autrefois érigé en ses terres. J'y flânais volontiers avec mon épouse avant qu'elles ne soient entièrement clôturées. C'est si bon les sanguins, et les asperges sauvages!

 

 

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Simon.

 

 

                      Pourrais-je me plaindre bien que ma vie soit maintenant sur un plan descendant. Le bas de la pente est l'au-revoir à ce monde que l'on qualifie souvent de trop cruel, hélas avec raison. A cinquante sept ans, sans toutes mes vraies dents mais cela ne se voit pas, il serait vain de prétendre pouvoir doubler la mise. Le bout du chemin, quelque forme qu'il prenne, ne me fait pas peur. J'aime  raconter à mes amis ou voir au hasard de simples connaissances que ma mort, j'ai le don de la connaître. En heure et en circonstance. Toujours très sérieux, ma profession n'engageant pas trop à la rigolade, j'affirme avec conviction, très pince-sans-rire, qu'à mes quatre-vingt-dix-neuf ans je vais périr de la main d'un mari jaloux.

Quel malheur pour moi de ne pas pouvoir faire comparaître mon assassin. Ce serait le comble pour un juge suprême de cour d'assises que de revenir, se réincarner pour faire condamner avec délectation celui qui lui a ôté la vie dans une vie précédente! Mais je rêve encore, qui mieux que moi connait les délais de prescription pour un crime de sang?

Dans cinq petites années je prendrai enfin une retraite bien méritée. Vous qui me voyez vêtu d'une robe noire herminée pensez certainement que la fatigue physique n'est pas l'apanage de ma profession. Comme vous vous trompez! Je m'échine à la tâche, toujours pour trouver la vérité en défense absolue non pas des textes de la loi qui me servent de guide mais d'un profond sentiment humain souvent absent sur le papier. Contradiction hautement difficile à négocier.

Les avocats, accusateurs comme défenseurs me craignent. La presse m'encense ou me fustige -bizarrement selon sa tendance politique- Comment puis-je avouer en président une audience que la loi est souvent inhumaine, que ces textes théoriquement élaborés pour servir les hommes sont à l'image des politiciens qui nous dirigent? Ils asservissent.

 Certains partis, de gauche je vous le confesse, m'ont adroitement orienté vers les mailles de leurs filets. J'aurais du laisser ce métier que j'adore et inévitablement tremper dans des remous nauséabonds. Je soigne mon corps et ne veux pas puer. J'en suis venu  au fils des années à passer pour un acariâtre aux yeux de tous. Mais je m'en fous, je suis heureux. Enfin, je le pense.

Heureux de pouvoir m'échapper du langage châtié des tribunaux alors que les engrenages de la machine à rechercher la vérité tournent dans ma tête en permanence. Ma fatigue physique est constante. Et si je faisais condamner un innocent? Cette éventualité a si souvent troublé mon sommeil que j'ai parfois envisagé des petites pilules comme possible solution. Je ne l'ai pas fait et consulté l'excellent psychiatre conseillé par mon cousin de médecin traitant. Après de très nombreuses cessions, devenu à son tour  passionné des affaires de meurtre, il me semble aujourd'hui d'après ses questions, qu'il soit aussi préoccupé que moi de savoir la vérité sur l'accusé du moment!

Je douterai toujours.

Une vie toute tranquille en dehors du tribunal.

Une femme charmante partage ma vie depuis…combien? Trente ans dans quelques jours. Boudiou, ne pas oublier cet anniversaire! Si je manque à ce devoir elle va m'incendier.  Carol aurait pu ne pas travailler mais elle aussi est une passionnée, bien que parfois désillusionnée, par son boulot de professeur. Il est difficile d'enseigner à devenir soit chômeur soit expatrié, les deux seuls choix du moment à moins d'avoir un nom ou du piston.

Une indépendante fille unique et préférée que je ne vois que trop rarement et qui, à ses vingt huit ans, cherche encore à se faire un nom dans le monde de la photo. Il est indéniable que les clichés d'Agnès me troublent parfois. Peut-être aurait-elle pu dire "Je suis la fille de…" mais ce n'est pas son genre et je l'en félicite. Par contre si elle galère trop pendant quelques années encore, je n'hésiterais pas pour un discret petit coup de pouce.

Indécrottable penseur, je suis dans la justice y compris quand j'enfile mes pénates dans notre vaste appartement, en plein centre de la vielle ville. Déconnection impossible qui me ronge prématurément et va m'interdire de filer vers la mort que je me suis prévue. Le mauvais sang me tuera bien avant. Il est trois heures de l'après midi en ce vendredi et pas de tribunal en vue avant le lundi dix heures quand une femme alcoolique, ayant dépecé son cher époux avant de le congeler, va faire ma connaissance aux assises que je préside.

Je file vers une  terrasse  à deux pas  de la muraille  y prendre un café. Tiens, peut-être me laisserai-je aller à le pousser d'un vieil Armagnac!

 Comme il est lointain le  merveilleux temps où les Avignonnais pouvaient contempler le Rhône sur l'ouest de leur ville. Aujourd'hui cet espace est consacré intégralement aux automobiles. Tant pour qu'elles roulent que pour y stationner. Circulez m'sieurs dames les piétons, ya plus rien à voir ! Mais respectez les innombrables feux trop longuement au rouge.

 Pourquoi ai-je choisit cette place plutôt qu'une autre? La femme aux flamboyants  et longs reflets roux, assise face à moi à  la table voisine, est d'une beauté à couper le souffle de tout homme. Quel âge? Une approche  de quarantaine se révèle, non pas par la moindre ride mais par un maintient indiscernable et pourtant manifeste. Une aura qui n'apparait qu'à cet âge-là. Du moins je me l'imagine. J'ai affiné ma vue, cherchant le détail qui peut avoir son importance, ni alliance ni marque de cette dernière!

J'aurais pu m'assoir sur une autre chaise et ne pas être obligé de  voir la beauté. Ou du moins feindre adroitement. Dans ma position autant sociale que d'heureux en amour, de vilaines pensées sont pratiquement à proscrire.  Le spectacle reste pourtant agréable à regarder et si cela s'apparente au péché, alors le bon Dieu doit se sentir  solitaire au Paradis, peu ou prou de  visiteurs masculins venant le visiter. Que l'été est agréable avec les jupes courtes! La vision interdite par la morale mais recherchée instinctivement par tous les hommes, y compris les biens jeunots, attire l'œil immanquablement.

         -Hum, hum…Bonjour Monsieur le juge! Qu'allez-vous prendre aujourd'hui?

Le garçon doit se planter à mon côté depuis une bonne dizaine de secondes et je ne l'ai pas vu arriver.

Être relativement connu, et en bien, fait mettre des majuscules mielleuses à beaucoup de mes interlocuteurs dans leur conversation. Pas le cas pour Luc, ce si vieux serveur qu'il a du connaître les papes du temps où Rome leur était refusé. Lui il m'aime beaucoup, mes pourboires généreux y sont certainement pour quelque chose.

         -Un café, bien serré comme d'habitude et une Fine Armagnac. La meilleure que vous ayez. De l'eau plate aussi, pas trop fraîche s'il vous plait!

Elle est à moins de trois mètres et devra forcément décroiser un moment ses jambes au galbe parfait.   Je suis hypnotisé, tel un adolescent. Je n'entends même pas la réponse d'un Luc plus souriant qu'à l'accoutumée. Elle sait. Son regard innocemment posé sur une revue va bientôt venir dans ma direction. Pour tromper l'adversaire je sors mon calepin et fait semblant de vouloir y inscrire des notes en prenant aussi mon stylo. Tiens, la bergère rousse ne semble pas intéressée par Femmes actuelles ou Marie-Claire.  Son domaine de prédilection pour l'heur reste celui des plantes médicinales.

          -Monsieur le juge est servi!

          -Merci Luc!

Je m'empresse de pousser légèrement le verre ballon au précieux liquide qui précisément coupait ma vue. Ho, bonheur…les jambes se décroisent! Elles laissent apparaitre une vision hélas trop fugitive mais qui m'émotionne.

Suit alors un franc et grand éclat de rire. Elle ne  résiste pas en me voyant rougir comme un collégien. A moins que ce soit en me regardant écrire avec un stylo encapuchonné! Quelle joie, quelle fraicheur et quel culot aussi. Elle  se lève et me demande la permission de s'assoir à ma table, face à moi. Comment pourrais-je refuser cette proposition? Je dois toujours ressembler à une pivoine en répondant et me levant pour lui présenter la chaise, chose que les hommes oublient trop souvent de nos temps.

       -Mais je vous en prie!

Alors que je me viens de me rassoir, l'esprit fort intéressé et restant sur ses gardes, me choit sur les épaules  une question qui va bouleverser le reste de mon existence. Tout remettre en compte.

       -Comment peut-on juger ses semblables?

Il n'y plus de beauté qui me regarde, visage sérieux et inquiet. Il n'y a que des mots que je refuse. Mes neurones interrogatifs courent, débridés en tous sens dans ma boîte crânienne, et je me demande si cette femme ne se moque pas de moi. Ses yeux démentent. Son corps dément. L'attitude, si ce n'est proche de l'agressivité, indique l'incompréhension face à ce que moi je qualifie d'une profession sacerdotale. Elle cherche le débat et je ne trouve mot à contester alors que la vivacité verbale est reine en ma profession.

         -Et si je me présentais tout d'abord?

         -Vous êtes le juge Simon Estier. Je possède une excellente mémoire visuelle. Votre visage apparait parfois dans la presse; peut-être aussi à la télévision mais, elle, je ne la regarde que rarement.

          -Pour vous servir, et vous…?

          -Hélène Domaine.  Je n'ai pas la nécessité d'un serviteur, seule une réponse à ma question satisferait ma curiosité.

Bigre! Nécessité? Et d'une réponse qu'elle connait aussi surement que deux et deux font quatre. Je vais adopter une tactique classique. Faire en sorte que mes phrases, elles aussi, se terminent par des points d'interrogation.

                 -Excusez-moi, je n'aime pas le café froid.

      Alors que je bois précautionneusement la belle m'observe sans sourciller. Je réattaque le premier.

          -Que faites-vous dans la vie? Questionner les gens serait-il votre profession? Êtes-vous journaliste?

 Mon piège autant que ma dérobade veut attirer la conversation vers un terrain plus conventionnel. Je ne doute pas qu'elle eut posé des mines sur le mien, celui de la justice des hommes. Ce café est décidemment d'un arome exceptionnel. Avoir mes habitudes ici est toujours un grand plaisir.

         -Je suis licenciée en botanique et en pharmacologie. Mais je n'exerce pas. Officiellement du moins!

          -Comme c'est intéressant ! On dit que les plantes sont capables de nous apporter le bienêtre du corps et le miracle  dans la médecine. Là est votre travail?

         -Je vous l'ai dit, je n'exerce aucune profession.

Allons bon, me voici face à une travailleuse clandestine. Le bon juge que je suis, reçoit une confession qui peut se révéler condamnable! En deux lampées, j'expédie une pure merveille de cent ans d'âge qui aurait méritée une plus longue dégustation. Je me refuse à poursuivre et j'ai pour intention d'abréger ce début de duel n'amenant à rien. Mon eau débouchée mais non entamée, je regarde ma montre et prétends avoir un rendez-vous d'ici peu et être peiné de devoir interrompre cette conversation inut…intéressante. Un billet de cinquante euros en main, je me lève et appelle Luc resté à l'affut.

          -Prenez la consommation de mademoiselle avec ma commande je vous prie.

Puis me rappelant de la dure réalité des prix qui ne cessent de grimper et  la spécificité de ce sélect  établissement, je rajoute un billet de vingt en précisant:

          -Gardez le tout Luc!

Le sourire n'est pas feint qui accompagne la légère courbette.

          -Ho! Merci Monsieur le Juge!

Il me semble avoir entendu davantage de majuscules. Hé hé,  je ne vais pas m'en tirer aussi facilement. La belle rousse revient à la charge.

            -Simon?

Ce n'est pas possible! Cette femme que je ne connais que depuis un quart d'heure, vingt minutes tout au plus, m'interpelle par mon prénom? Je me retourne furieux et la vois debout. Encore plus belle et j'ose l'avouer, moi grand magistrat toujours plein de droiture, devenue soudainement  désirable. Je sens qu'une chanson de Brassens va hanter mes nuits, et mes jours. Je vais me faire tout petit devant une poupée. Si elle veut de moi!

           -Ce n'est pas bien de me mentir, vous n'avez aucun rendez-vous. Si vos partenaires habituels de bridge étaient disponibles, vous partiriez de suite vous installer face au tapis vert! En plus votre désir est tout naturel, ce n'est que celui de la vie!

Incroyable, elle lit mes pensées!

        Si elle veut de moi?

        A mon âge, il y a certains signes sur lesquels je ne me trompe plus. Je crois désormais pouvoir différencier la provocation du genre allumeuse de la réelle attirance. Oui je file à grands pas vers la soixantaine mais elle n'est pas à portée de vue immédiate, beaucoup d'eau va encore passer sous le pont d'Avignon avant qu'elle ne sonne à mon horloge. De plus, la plus part de ceux que je connais ou rencontre ne me donnent pas les années que j'ai déjà accumulées.  Je sens en d'infimes vibrations que je ne  suis pas indifférant à cette femme.

Ce mot,vibration, Hélène va me le faire connaitre dans toutes ses nuances, ses ramifications et ses exceptions. Notre belle langue ne connait pas les déclinaisons…elle va en inventer pour moi, avec une multitude de caractères d'écritures différents, des pleins et des déliés dans toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.

Et ce n'est pas le seul mot que je vais pouvoir redéfinir. Cela fait un moment qu'elle me fixe sans dire mot. Nos yeux ne cherchent aucune échappatoire alors que le plus tranquillement du monde elle m'annonce pour confirmer ma certitude:

         -Moi aussi je te désire!

         Hop! Nous sommes passés au tutoiement.

        J'ai soudainement peur. Jamais je n'ai trompé Carol, enfin presque. La seule fois, quand cela c'est produit, ce fut en une soirée pour laquelle elle s'était excusée, suite à de  violents mots de tête  qu'aucun cachet n'avait pu dissiper. Littéralement happé et forcé par la maitresse de maison, contraints à un coït ultra rapide dans une encoignure où l'on aurait pu nous surprendre facilement, nous nous sommes séparés après nous êtres réajustés, et tout a continué comme si de rien n'était. J'ai par la suite évité cette vamp, mais parfois lors de rencontres fortuites, je n'ai pas vu le moindre signe qu'elle m'ait accueilli, disons profondément et  intimement. En aucun cas je ne vous dirai que c'était l'épouse d'un préfet maritime.

        Sous un regard goguenard mal dissimilé  par Luc qui débarrasse trop longuement la table, nous nous éloignons, marchant côte à côte sur le large trottoir.

                -Arriver à ton âge et rester dans la peur, j'aurai du travail avec toi!

       Phrase qui me laisse perplexe. Avec combien d'autres a-t-elle eu, ou ne pas eu, ce fameux travail? Je sais à cette seconde que je vais succomber à la tentation. Je suis achevé par sa prochaine phrase.

               -Peu importe le passé, notre présent sera beau.

        La demoiselle est une madame divorcée depuis deux ans après une séparation de trois autres années. Mon nouveau présent sera beau et compliqué. Magnifique et sulfureux. Passion charnelle et verbale. Extraordinaire et enrichissante relation extraconjugale.

         Sur le plan physique, dire qu'elle ne m'apporte pas un must, une innovation,  serait un énorme mensonge. Moi qui pensais tout connaître! Cette femme domine chaque muscle de son corps, y compris les plus intimes, en faisant de nos étreintes des actes de communion. Il m'arrive  souvent de ressentir d'étranges sensations…au niveau des yeux notamment. Comme si leurs pourtours  rayonnaient tels des soleils. Et la plénitude corporelle dans laquelle je baigne bientôt est nouvelle pour moi. Je me sens plus léger, en apesanteur du monde imparfait qui nous entoure. Peut-être que les nombreuses infusions dont me gave ma maitresse y sont pour quelque chose. Elle me dit toujours. "Cela te fera pisser et éliminera les méchantes toxines que tu as accumulées".

      Sur le plan du mental,  Hélène se fond en moi. C'est elle qui me pénètre à son tour, qui envahit toutes les cellules de mon corps et, petit à petit, transforme mes idées acquises à grands renforts d'études, d'expériences. Mes certitudes s'effacent inéluctablement. Jour après jour. Il me semble être sur une pente capable de m'entraîner vers une chute vertigineuse. Il me faudra résister pour ne pas me perdre…définitivement.

        Ma métamorphose devient si visible que Carol s'inquiète pour moi. Se questionne aussi sans vouloir me l'avouer. Se doute-t-elle? Heureusement que jamais je n'ai été un casanier, souvent absent pour flâner et vainement essayer de me déconnecter de mes empilements de dossiers. J'ai la capacité de rapidement les étudier quand je m'y colle. Mes heures de balades d'hier, je les consacre désormais à Hélène.

        Le comble dans mon travail vient au bout d'un nouveau procès où l'avocat de la défense aurait pu me féliciter et celui de l'accusation me maudire. J'ai carrément remis en cause la déclaration d'un expert en psychiatrie qui donnait l'accusé responsable de ses actes. J'ai exigé une contre expertise en citant un nombre de cas où des soi-disant compétents ont fait sortir de clinique un homme guéri de ses maux…qui a recommencé aussitôt ses ignominies.

        Bien n'en a pris, les deux nouveaux nommés ont contredit l'avis du premier. L'homme poursuivit pour tentative d'homicide n'ira pas en prison mais de gentils docteurs vont s'occuper de son cas. Pourtant je me demande parfois si une bonne piqure…Chuuut, je n'ai rien dit!

      Mes procès vont bientôt attirer la foule des passionnés de palais de justice. Attention, j'ai eu vent que Monsieur le Garde des Sceaux aurait médit à mon sujet. En lançant textuellement que: de ce loustic-là, il fallait se méfier! Mon petit doigt est à la tête d'un service de renseignement très efficace. Je redouble de ruse pour déjouer les soupçons grandissants de mon épouse. Chance pour moi qu'elle ne soit pas trop portée sur la question sexe, mes galipettes extraconjugales me laissent fatigué. Trop peut-être.

       Sur le plan verbal, mes débats avec Hélène sont houleux, proches de la violence parfois. Je ne peux admettre, comme elle le prétend, qu'une société ne soit pas dirigée. Je résiste pour ne pas me perdre. Mon ingénue me parle d'une échelle maudite, celle de la hiérarchie que l'on devrait abattre. Folie. Inconscience. Pourtant il m'arrive parfois d'avouer que son raisonnement tient debout. Et si nous faisions fausse route depuis toujours? Hélène m'a affirmé un jour que l'humanité s'acharnait sur des pistes aux virages dangereux, parsemées de cailloux  pointus, étroites et où l'on ne peut voir guère plus loin que le bout de son nez. Alors qu'à proximité des autoroutes de la félicité lumineuse sont tracées pour elle.

       Résiste Simon, cette flamboyante t'a ensorcelé. Qui apaisera les tempêtes qui se déchainent sous ton crâne? Reprends le contrôle de  tes sens. Au nom de ta famille, au nom des convenances, au nom des lois et de la société. 

       Ho nom de Dieu! Résiste Simon, cette femme va faire de toi, juge suprême, un véritable révolutionnaire!

 

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         Il ya presque six mois que je vois le plus souvent possible ma délicieuse maitresse. Malgré de nombreuses allusions lancées de ma part au début de notre relation, jamais elle ne m'a parlé de ses activités économiques. J'ai renoncé à questionner sur le sujet alors que je vois chez Hélène un certain train de vie. Ses mises sont, sinon de facture, en tout cas toujours de grande qualité. Sa voiture neuve, une  C4 Picasso n'est pas fort luxueuse mais non plus un modèle bas de gamme. Et je sais qu'elle n'a pas été achetée avec un  crédit.

          J'ai envisagé dans mon esprit interrogatif bien des possibilités. Y compris, à ma grande honte, celle de la prostitution. Petite fortune laissée par des parents, tragiquement disparus en 2001 lors d'un accident de voiture en Italie? La réponse est chez elle sans aucun doute. Préférant un discret studio meublé que j'ai loué et où nous avons désormais nos habitudes, nous nous voyons que très rarement dans sa magnifique grande maison de Villeneuve-lès-Avignon. Un intérieur sobre, magnifiquement ensoleillé où règne un calme peu ordinaire. Un silence presque religieux n'y est troublé que par les rafales du Mistral quand il monte en puissance dans la vallée de notre Rhône presque dompté.

        C'est là qu'Hélène exerce sans qu'elle ne me l'ait jamais avoué. Une vaste pièce est aménagée pour la méditation. Pour la guérison aussi peut-être car un lit de soins et massages s'y dresse en une extrémité. Tout est distribué ici avec une attention particulière prenant source dans le Fen-Shui.  Sur les rayonnages d'un autre espace, une impressionnante variété de plantes séchées en bocaux de cristal côtoie une véritable bibliothèque consacrée à la botanique…

 

           Un jour, après m'avoir observé  un instant et silencieusement, Hélène me déclare sans ambages.

                -Tu devrais voir ton toubib. Je te trouve le teint palot et ton aura a dernièrement de bien vilaines couleurs.

       Au bout d'une semaine, j'apprends avec terreur que ma maitresse a raison. Je suis soudain anéanti. Le crabe m'assaille.

               -Je savais que tu es malade. Par contre quoi qu'elle te dise, n'écoute pas la médecine,  évite les saloperies de produits chimiques qu'elle va vouloir te faire ingurgiter. Tout autant que sa bombe au cobalt.  Fais moi plutôt confiance et tu vas guérir.

      Seul un scanner a détecté un monstre indélicatement incrusté dans la paroi de mon gros intestin, déjà  comme un petit-pois mais aux tentaculaires prétentions envahissantes. Dois-je me faire opérer ou écouter la nouvelle femme de ma vie? Va-t-elle se  transformer en annonciatrice puis faiseuse de ma mort ? J'avais prévu autre toute autre chose pour partir…beaucoup plus tard! Il va falloir que j'en parle à Carol. Et, pour lui faire admettre que, loin de la science infuse et officielle, d'autres solutions peuvent exister, le combat sera rude! Tous les hommes se dédiant à la santé qui ne sortent pas d'une université de médecine sont des charlatans à ses yeux.

         Un nouveau terrible dard vénéneux me transperce soudain quand je reçois sur mon téléphone portable cette sinistre mise engarde.

                     -Faites attention en dirigeant vos débats dans l'affaire Rosso, sinon madame Estier recevra certaines de vos photos. En compagnie de mademoiselle  Hélène Domaine par exemple. Mieux vaut que la peine soit la plus légère possible!  L'idéal serait qu'il n'y ait pas condamnation. À l'impossible nul n'est tenu, nous sommes sûrs que vous ferez pour le mieux. Nous vous recontacterons.    

      Peut-être est-il temps de parler avec Carol. D'entremêler vérités et mensonges en une salade rendue la plus digeste possible. Une idée germe dans ma tête, qui m'étonne moi-même. Ma tendre épouse devait recevoir sa mère cet après-midi, mais curieusement cette dernière disparait bien vite quand je rentre à la maison. Et j'en suis fort aise. Pourquoi donc la plus part des hommes n'aiment-ils pas leur belle-maman? Surprise, cette dernière s'est déjà éclipsée; elle a du me sentir arriver. Quelle brave femme!

        Je n'ai pas ôté ma veste et desserré ma cravate que Carol attaque la première.

                   -Simon, je crois que devrions parler! Il y a deux choses dont nous devons débattre.

       C'est exactement ce que je m'apprêtais à lui dire.

                   -Tu as pris les devants; allons nous assoir tranquillement au petit salon.

       A peine installés confortablement face à face, l'attaque est fulgurante.

                   -Depuis combien de temps es-tu avec cette femme?

                   -Cela a commencé peu après la confirmation du diagnostique de Jean-François!

                   -Diagnostique? Tu ne vas pas osé me dire que ton cousin de médecin t'a prescrit de me cocufier quand même?

                   -Je voulais te le révéler aujourd'hui mon amour. Je suis malade. La femme que je vois, le plus souvent possible, s'occupe de moi depuis presque six mois. Difficile de me confier, elle exerce dans le cadre d'une médecine en laquelle tu ne crois pas. Voir que tu abomines. J'ai un cancer du gros intestin Carol.

       Avec les larmes qui jaillissent soudain et le "Ho mon dieu!" suivi d'un sanglot, je devine que je viens de gagner sur deux tableaux. Carol est effondrée et la police va bientôt enquêter sur mon mystérieux maître-chanteur. Le corse Rosso, dument appointé chez la pègre Lyonnaise va mieux me connaître à ses dépends. Je vais en profiter et demander une discrète protection pour ma proche famille. Question photos, je suis certain qu'aucune ne peut se révéler vraiment compromettante.

       Pourquoi ai-je l'impression d'être un salaud? Comment Hélène pourra-t-elle encore prétendre que nul n'a besoin de supérieurs, de lois avec ses juges et ses flics?...Pour expédier mon petit crabe, un coup de bistouri suffira, et…direction le court-bouillon des oubliettes.

                    -De quelle autre chose   veux-tu que nous parlions?  Pour tout ce qui a trait à ma maladie, il est impensable que tu me dictes ma conduite. Tu entends, impensable!

                   -Rien. Cela n'a plus d'importance!

         Impossible de t'avouer aujourd'hui que cela fait plus bientôt six ans que je suis infidèle. Qu'enfin celle que j'aime a osé divorcer et que nous voudrions vivre ensembles.  Je ne puis asséner pareil coup à un malade!

 

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Agnès.

 

                       Mon cher papa est une véritable tête de mule. Tout laisser tomber, comme ca. Sans explication. Partir seul sur son  ridicule morceau de plastique nommé voilier. Moi qui ai le mal de mer seulement en restant au mouillage! Huit mètre cinquante, vingt-huit pieds de coquille de noix qu'il prétend mener autour du monde; tout content du nom prédestiné de l'engin flottant, Aventura.  A bientôt trois ans de la soixantaine! Il est fou!

       Il est fou mais je l'aime. Une curieuse idée accapare mon esprit sans toutefois le tourmenter. J'ai vraiment l'impression, si ce n'est la certitude, que mes parents me cachent quelque chose. Leur couple serait-il dans un dernier battement d'ailes? Papa doit savoir ce qu'il fait, ses projets  ne perturbent pas les miens alors que je foule le sol de la Grande Bretagne pour la deuxième fois de ma vie.

            Dieu! Climat abominable! Mais quelle idée que de vouloir faire un reportage photos sur les très anciens monuments de la Cornouailles anglaise. Comme si aucun n'était intéressant sur notre bel hexagone. Probablement que l'esprit british est plus sensible aux marques du passé. Surtout quand elles sont dressées vers le ciel ou couvertes de mystérieux caractères; écriture encore inconnue qui passionne toux ceux hantés par les connaissances de nos lointains alleux. Hiéroglyphes que des savants rêvent de décrypter autant pour  la science que pour leur gloire personnelle. Ego, grand ego.

        Là où un esprit français, cartésien autant que j'm'enfoutiste, ne voit qu'un bloc qu'il aimerait pouvoir découper pour lever son habitat, l'Anglais renifle, narines surmontant ses moustaches lustrées, l'air de ses ancêtres. Il devine, lui passionné de fantômes, d'esprits tourmentés et d'énigmes, un champ entier ouvert à une imagination sensationnelle, des possibilités extraordinaires où il va se complaire dans le frisson.

      La culture de la vieille pierre est indéniablement plus pratiquée outre-manche que sur notre continent. Insularité peut-être? A moins que la pluie  abondante ne  favorise une  pousse plus rapide?

       Je ne sais pas ce qui m'engage aujourd'hui. Pourquoi vouloir mitrailler de mes appareils photo ce site monumental de Stonehenge. Comme si j'allais y découvrir du nouveau! Agnès ma belle, quelle dérisoire prétention!

      Ces pierres dressées de la dernière période du néolithique, sont connues du monde entier et une multitude d'articles d'éminents  spécialistes leur a été dédiées. Des photographes de grands renoms y ont consacré des albums que je ne saurais égaler. Au tréfonds de ma conscience, je sais qu'autre chose m'attire ici. Ce n'est pas, quoi que son aiguillon me pique constamment, la curiosité. Un étrange sentiment de retour aux sources, comme si cette terre dont je crains le climat était mon berceau. Impossible! Papa  a d'ailleurs fait établir un arbre généalogique dont les racines les plus enfouies s'abreuvent à trois siècles sous terre! Et absolument rien de l'autre côté du Chanel, il en est certain.  Personne de la famille ne vient d'ici. A moins qu'un père non-officiel…ce sont des événements fort possibles. Dans tous les milieux sociaux!

       Trop loin de ma ville enmistralée, de mon large fleuve apportant un relent d'Helvétie  et d'une Méditerranée à portée de main, je m'ennuie rapidement.

       Vais-je enfin vendre bon prix des clichés intéressants? De ceux qui sortent de l'ordinaire, de ceux dignes de paraître dans des revues telles qu'un Géo pour tout public ou d'un Chasseur d'images pour des passionnés voir des professionnels. J'ai apparemment beaucoup de chance avec la météorologie- il m'arrive d'être ironique-, l'été anglais est avec moi.  Présente sur les terres de Cornouailles depuis trois jours, en ce beau début septembre, j'ai pu observer au moins une demi-heure de ciel bleu au-dessus de ma tête. C'est vous dire! Un doute subsiste quand au fruit pécuniaire de mon travail; mais tant que je le peux, je ne demanderai rien à mon grand magistrat de papa.

        Mon cher petit vieux qui a bien changé dernièrement. Un inattendu virage à cent quatre vingt degrés en partant pour jouer les Bernard Moitessier ou les  Éric Tabarly. Vous vous rendez-compte, un juge de cour d'assises! Probablement le plus connu sur l'hexagone aujourd'hui!

        Ce n'est que tardivement que je me suis mise à la photo; longtemps pour moi cet art n'était que celui de faire clic-clac merci Kodak. Je prétendais qu'en prenant douze mille photos, une serait forcement bonne. Un des nombreuses amours de ma vie m'a prouvée

 que ce n'était pas tout à fait ca. Je me suis vite lassée de l'hurluberlu en question mais son virus m'est resté. Accrochée grâce à lui, sans vaccin ou sérum possible. Tardivement, à vingt cinq ans, l'École Supérieure de l'Audiovisuel et du Cinéma de Marseille m'a délivré un beau diplôme. Hé, première de ma promo s'il vous-plait!

       Mon budget non exorbitant, c'est le moins que l'on puisse dire, aurait rapidement pu fondre si une amie de lycée n'avait pas épousé un sujet de Sa Gracieuse Majesté. Le couple charmant qu'ils forment tous deux, quand ils sont ensembles, réside à Salisbury, non loin du fameux site qui m'attire. Aucun problème de cohabitation, son mari ne pourra pas me draguer, il travaille en Mer du Nord sur une plateforme pétrolière.  Merci  à ce hasard bienfaiteur!

      En regardant Hannah, j'avoue un peu de jalousie ressentie devant son ventre délicieusement arrondi. Quelle chance est la mienne, mon amie ne bosse pas et  va pouvoir consacrer beaucoup de son temps pour m'aider, pour m'accompagner au début comme coéquipière.  Quand elle le manifeste, je sers de chauffeur à Hannah. Son enfant lui a donné un ventre si volumineux qu'elle ne peut conduite sa voiture qu'avec difficulté. Il faut dire aussi qu'une Austin- mini n'est pas des plus indiquée pour son cas. Pour mes déplacements personnels  par contre, cette puce qui se faufile partout me va à ravir. Pas de problème,  j'ai payé de ma poche le petit  (heu pas si petit que ca) supplément pour être admise comme conductrice avec son assurance tous risques.

      Bien m'en a pris!    

      Avant-hier, sans mon attirail de photographe, j'ai voulu prendre un premier contact avec les pierres dressées.  Pour établir un lien plus sensuel; une impression je dirais… tellurique…et j'ai été horriblement déçue au début. Et pourtant, petit à petit, alors que je me trouvais exactement au centre de cet ensemble, une curieuse sensation s'est emparée de moi. Comme si je connaissais cet endroit depuis très, très longtemps.…

      Hier la fine pluie et surtout le vent se sont réunis afin que je ne puisse pas prendre de bonnes photos. J'aimerai jouer avec les flaques d'eau  et les pierres dressées qui s'y reflètent. Ce coin pourrait paraître sinistre parfois mais les couleurs qui envahissent le ciel  feraient pâlir d'envie la palette d'un peintre. C'est réellement sublime, magique. Je comprends mieux aujourd'hui messieurs les Anglais qui se passionnent pour ce site.   

       Aujourd'hui l'été refrappe à ma porte anglaise, le soleil est là; comme il a plu toute la journée d'hier, les flaques ne seront pas absorbées. En route avec mon barda. Petite voiture, volant à droite. Il y avait pourtant de la place entre l'autocar et la Volvo. La rayure que je fais sur l'aile de la suédoise immatriculée en Hollande et bien garée sur le parking des visiteurs de Stonehenge, va nécessiter un peu de mastic et du ponçage avant d'être repeinte. Merde!  Impossible de dissimuler. Bof, ce n'est pas mon genre, je sais assumer mes responsabilités. Au cas improbable où je ne trouve pas son propriétaire sur le site, je glisse un mot sous l'essuie-glace côté conducteur…à gauche. Je laisse mes appareils hors de vue dans le coffre et parts à la recherche de mon Volvoman ou woman peut-être.

     Il ne me faut que deux interrogations pour trouver ma victime. M'ayant écoutée, le bel homme se fend d'un large sourire, amusé par ma mine déconfite et mes mains vainement explicatives, voulant imiter celles des Italiens pour raconter l'accrochage. Nous partons vers le lieu du sinistre pour remplir la déclaration. Dans un Français tinté d'accent, il se présente.

               -Je m'appelle Jan Koeverksen, ma mère est Hollandaise et comme mon nom a du vous l'apprendre, mon  père Suédois. Je suis archéologue et participe à des fouilles dans les environs. Je ne me lasse pas des images de ces magnifiques pierres, surtout quand elles se reflètent dans des flaques d'eau, c'est magique!

        Je n'avoue pas mon ignorance des noms de famille suédois et dévoile que mon but aujourd'hui est de prendre des photos. Justement de ces reflets. Il n'y a pas de coïncidences dans la vie.

                 -Filez vite et travaillez, nous ferons notre déclaration d'accident ce soir. Au cours du repas que je vous offre…si vous êtes d'accord bien entendu!  Vous êtes libre?

        Je le suis. Plus pour très longtemps; ce type me plait. J'aime la consommation de la chair  masculine et n'ai jamais eu peur des indigestions en ce domaine. Ce type me plait et je vais me le manger tout cru !

          Ho lala qu'il me plait !

          Pour une fois, j'apprécie le contenu de mon assiette. Ce restaurant Indou dans la petite ville d'Amesbury, évite, à la demande du client, de trop assaisonner ses plats qui deviennent ainsi raffinés, copieux et le tout pour  un prix plus que raisonnable. Je me régale en voyant également dévorer mon vis-à-vis qui n'a pas hésité sur les sauces piquantes. Si ces dernières ont les effets prétendus…cette nuit sera intéressante!....

         …Contente, plus que contente, plus que satisfaite. Mon jeune amant (il a un an et demi de moins que moi), s'est révéler merveilleux de tendresse, de force et de résistance. Tout pour m'avoir comblée, au niveau de mon espoir, de mon désir, de ma propre capacité. Celui-là, il me faudra faire gaffe pour ne pas me retrouver enferrer à l'hameçon! Dans la petite suite qu'il occupe au George Hotel, nous nous sommes aimés avec une passion effrénée, rare pour une toute première fois. Je crois que je vais y passer bien des nuits encore.

         Mes photos sont belles, on peut y trouver un petit je-ne-sais-quoi qui touche. Probable que l'on pourra grâce à elles  se poser encore plus de questions sur les énigmes du berceau de ces pierres levées. Je pense que mon reportage sort de l'ordinaire. Je parcours les environs immédiats du site en mitraillant la campagne Anglaise. D'autres pierres de moindre importance aux alentours s'ajoutent à ma collecte. J'entrevois une future exposition.

          Deux jours avant que ma nouvelle conquête ne parte pour passer quelques jours en famille du côté d'Amsterdam, il est invité chez mon amie Hannah. A table avec nous, une autre petite nana. Une Espagnole-Française au pair dans la maison voisine. Elle m'a abordée timidement après m'avoir écoutée parler, toute contente de retrouver une langue familière dans son univers Anglais à perfectionner. Alysson n'a que dix huit ans et vit près de Tarragone en Espagne. Timide au début elle nous étonne rapidement par l'ouverture de son esprit et ses analyses pertinentes sur notre monde actuel. Rare pour une petite de son âge!

       Au cours d'un tout simple mais bon repas, Hannah me félicite pour ma "découverte" masculine. En riant elle me fait une curieuse prédiction:

                -Pas de problème, ton Jan ne te fera que trois enfants!

     Gros yeux effarés du bonhomme en question qui en rougit presque. Il ne prétend pourtant  pas que cela le dérangerait. Quant à moi, fille unique et préférée…Trois? Je n'avais pas encore envisagé pareil nombre, digne d'une famille nombreuse!

 

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         Nous nous séparons demain, mon retour sur Avignon est programmé dans trois jours et j'ai prévu de connaître un peu mieux la vaste mégapole de Londres. Nous venons de nous aimer une fois  encore. Une fois encore il m'a fait vibrer intensément. Je n'ose lui dire que je deviens amoureuse. Jamais il ne m'a dit "je t'aime". Mais toujours il susurre en mon oreille, si près  et à voix basse que des frissons me parcourent de la tête aux pieds, des "tu me plais" qui m'affolent.

        Je sens Ian embêté, peu à l'aise, tracassé. Il parait hésiter avant de me demander:

             -Tu pourrais me rendre un petit service?

             -Of course mon amour!

    Whao ! C'est parti tout seul! Mon amour. Sorti du cœur autant que du corps.

           -Que puis-je faire pour toi?

           -Je voudrais que tu portes un petit objet en France, pour moi. Je viendrai le chercher  à Paris où tu vas repasser, si tu acceptes bien sûr!

      Allons bon! Y aurait-il une face cachée de l'individu? Dans quel imbroglio, quelle histoire impossible voir dangereuse veut-il me tremper? Ho lala que je n'aime pas ca. Toute étonnée et ne voulant pas le laisser paraitre, je questionne innocemment.

           -Tu veux me faire passer de la drogue?

           -Mais non voyons. Juste un minuscule objet de céramique. Un coquetier très exactement!

       Une immense incrédulité doit s'afficher en gros caractères sur mon visage quand il poursuit.

            -Je sais que j'ai enfreint la loi. Un archéologue qui veut acquérir bonne réputation ne devrait pas faire ce que j'ai osé. J'ai volé un coquetier, une pièce extrêmement rare qui devrait rejoindre un musée. C'est moi qui l'ai trouvé et personne ne m'a vu l'extraire d'une cache où il était enterré depuis des millénaires.

           Je m'y connais en la matière et peux prouver grâce à ce seul objet qu'une civilisation très ancienne, celle des Chasséens est venue jusqu'ici, environ 4000 ans avant le Christ. Rien que cette découverte ferait de moi un homme célèbre du jour au lendemain, mais je ne le veux pas. Je ne le peux pas! Du moins pas pour le moment.

            -Et pourquoi?

            -Une force étrange m'a poussé dans ce que j'ai du mal à qualifier comme un forfait. Une voix intérieure formelle, me donne l'ordre  de ne pas communiquer ma découverte. Il serait catastrophique pour moi que l'on trouve dans mes affaires par hasard cette céramique quand je vais quitter l'Angleterre. Aussi petite soit cette pièce, elle ne m'appartient pas selon la loi, selon l'éthique de ma profession. Attends je vais te la montrer.

      En pleurant presque, Jan ôte le couvercle d'une boîte de carton capitonnée de ouate. Il me la tend avec une telle précaution! Comme si l'objet à l'intérieur était coulé du cristal le plus fin, le plus fragile. Je n'y vois qu'un vulgaire coquetier couleur de terre cuite posé horizontalement sur du coton blanc.  Sur sa partie basse  une marque, un triangle équilatéral pointe une pointe en bas avec un cercle inscrit touchant ses cotés. Bel objet mais qui ne m'inspire absolument rien.

           -Tu ne comprends pas. Il n'existe que trois spécimens de ce genre; et encore, cassés, incomplets. Deux découverts au nord de l'Italie un autre à Villeneuve-lès-Avignon.  Aucun d'entre eux ne possède le moindre symbole. Alors…tu acceptes?

             Je ne veux pas que tu puisses courir le moindre risque, si on découvre cet objet tu peux prétendre que c'est moi qui l'ai caché dans une de tes valises déjà préparée. Je confirmerai bien évidement. Alors, ca colle?

        Pourquoi ai-je accepté? Pour être certaine de revoir cet homme bien sûr. Mais aussi pour le Villeneuve-lès-Avignon, presque ma terre. La céramique vient peut-être de France, enfin le concept de notre hexagone n'existait pas à l'époque. Il est normal donc qu'il y retourne. Blablabla. Fallacieux raisonnement, la vérité est que mon bas-ventre donnerait n'importe quoi pour que Jan me reprenne dans ses bras!...

 

          Il m'attend sur le quai de la gare du Nord et je me fous éperdument du coquetier. Je n'ai qu'une hâte, qu'il me fasse connaitre un petit hôtel du coin où je vais m'évertuer pour le prestige de la femme française. Il se démène bientôt pour celui des mâles hollandais. Tant et si bien que j'obtiens la promesse d'une visite très prochaine en Avignon. A une seule condition dit-il.

             -La quelle?

             -Que tu arrêtes la pilule!

       Je n'en crois pas mes oreilles et reste coite alors que perlent des larmes de joie sous mes yeux

-         Rappelle-toi la prophétie d'Hannah, il nous faudra bien commencer par un

premier si nous voulons en faire trois!

        Est-ce moi qui balbutie mon accord…en suppliant les dix de der après une belote et rebelote?

             -Avec ses beautés que tu m'as contées, j'aimerais beaucoup de connaître la basse vallée du Rhône. Tu me servirais de guide ce mois de décembre?

            -Toute une année si tu veux, et plus, et plus! Bénites soient les pierres de Stonehenge!

 

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La conquête de l'ouest.

 

                                   On ne peut compter sur les doigts des mains le nombre de fois que les quatre saisons sont passées.

       L'expédition est prête. Suivre la rive de Roann Rasah puis bifurquer en suivant Râé dans sa course descendante. L'homme qui voit demain a dit:

                -Feu trouvera, après avoir traversé la grande eau salée, une terre bordée de falaises blanches. Il marchera encore presque un cycle de la déesse de la nuit, puis trouvera un terrain plat. Un magicien venu du froid qui s'était uni à lui  l'accompagnera. Là-bas, des forces étranges aideront les deux hommes pour y lever des pierres. Le plus long et le plus court des jours leur serviront de guides !

      Personne n'a vraiment compris la dernière partie de la prophétie.

      Une lune plus tard pratiquement tous les habitants de Noava vont prendre le même chemin. Abandonner ce cite confortable. Ce pied des collines d'où l'on peut voir Râo se lever au loin avant d'apporter sa chaleur. Un homme du Dom a traversé pour avertir d'une attaque guerrière des troupes de Simo. Raid qu'Arn n'a pas prévu ! Il n'y aura pas de poursuite mais une nouvelle politique régnera désormais. Dure. Les femmes n'auront mot à dire et la fraternité sera une idée oubliée…

 

      Ceux qui ont pris les devants forment une troupe légère, peu nombreuse donc plus facile à alimenter, plus rapide pour se dissimuler en cas de danger. Quatre femmes et trois hommes dont deux excellents chasseurs qui auront pour tâche principale de procurer de quoi se sustenter. Les terres qu'ils  traversent  foisonnent de gibier et rien ne manquera dans les estomacs des découvreurs. L'éventuelle défense sera assurée en commun, tous sachant manier l'arc et le bâton au cas où. Mais l'oracle d'Arn, celui qui voit demain, a dit que la route allait s'ouvrir devant eux et que les esprits des ancêtres veillaient. Sa propre fille ne peut mettre en doute cette prophétie. Elle marche donc tranquille dans la vallée avec ses compagnons d'équipée, souvent contre ce vent qui souffle trop fort, comme pour pousser davantage les eaux de Roann  Rasah loin dans la direction de Râo à son zénith.  

     Font partie du groupe d'éclaireurs. L'homme-Feu que tous ont diminué en Feu,  Zor Roann, celui qui nage mieux que les mille reflets peuplant le grande eau qui coure et Maaou, celui qui voit la nuit. Ces trois braves excellent aussi tous dans le maniement de l'arc et d'un long bâton qui fait des merveilles lors d'un combat rapproché.

       Côté éléments féminins une Néèlé vieillissante a voulu faire partie de l'expédition. A personne elle n'a confié sa réelle intention, la mission dont elle se sent investie. Contacter les autres femmes du grand peuple Chassa et les prévenir du danger qui les guette si les idées de celui qui a partagé sa vie, le père de ses enfants, font des émules bientôt.

       Déjà sur le Dom, elle a remarqué avant de s'enfuir que bien des filles voyaient la domination du mâle avec bienveillance. Une nécessité de protection dans les bras du plus fort.  Sous le toit de celui le plus apte à ramener  quantité de gibier de la chasse, on ne manquera de rien! Et puis, Néèlé a observé les yeux brillants de certaines se voyant compagne du chef.

      La chef. Celle que l'on respectera. Celle que l'on couvrira de cadeaux pour obtenir quelques faveurs.

       Pour que les femmes prennent conscience de leur égalité, que seule la complémentarité doit les unir aux hommes, la lutte sera rude. L'égoïsme et la soif de grandeur ne sont pas des apanages spécifiquement masculins.

      Confiante dans les prédictions de son compagnon, Néèlé s'est dévoilée avant le grand départ. Arn, l'homme qui voit demain  et qui ne veut pas quitter Noava, l'a regardée tristement en disant;

            -Ton intention est noble mais tu cours au fracas. Le mal que tu veux combattre est autrement plus résistant que toutes nos plaies et nos fièvres.  Ne crains pas de me laisser seul, marche, qu'au moins celles de ton sexe soient averties de l'asservissement qui les guette.

           A toi seule je le confie, aucun d'entre vous ne reviendra et pourtant vous allez immortaliser notre peuple. Je sais aussi que tu n'as pas de peur, je partirai le premier  rejoindre nos ancêtres. Avant que les quatre saisons ne se renouvellent ce sera ton tour.

          Prends avec toi les deux coquetiers. Ils vont se séparer puis, au bout d'un temps si grand que je ne puis le définir, ils seront réunis de nouveau. A partir de ce jour, des idées nouvelles règneront enfin sur le monde. Un autre Homme-Feu viendra pour les faire appliquer.

        Un peu plus d'une lune, trois fois les doigts des mains se sont écoulées en jours quand la petite troupe arrive au confluant de deux eaux aux tintes différentes.[7] Roann Rasah reçoit dans une vallée à la parure verdoyante sa plus noble maitresse. Juste avant la jonction, cet accouplement en de gigantesques tourbillons silencieux où les couleurs se mêlent avant de se fondre, un nombre impressionnant de maisons sont érigées en plusieurs cercles, sur le haut d'une colline dominant les flots. Ce sont des Chassas, établis sur cette belle terre depuis seulement une génération. De ceux qui sont passé par le Dom. Ils disposent de nombreuses embarcations pour traverser. Ici aussi ils se sont rapidement adaptés à leur situation géographique et ont su vaincre le courant. Ici aussi les primates présents avant eux se sont vite intégrés, fascinés par une technicité qu'ils ne connaissaient pas. Ici aussi ils enterrent désormais certains de leurs morts, ceux qui marquèrent par leurs actions.

      Les cérémonies au moment des mises en terre suscitent hélas des jalousies. Justifiée? Pourquoi les honneurs dans la mort pour quelques uns alors que tous participent au bien de la communauté?  Des lieux spéciaux vont un jour devoir être consacrés à tous ceux qui sont partis dans le pays des ancêtres, sans exception.

    Ici aussi les méfaits de la politique, de la hiérarchie écrasent peu à peu l'esprit de fraternité d'autrefois, celui qui unissait les conquérants.

     La sédentarisation serait-elle responsable des maux nouveaux qui assaillent ces hommes?

     Ici aussi, comme l'a prédit Arn, les femmes préfèrent la sécurité à une égalité qui les effraie. Cette vieille idiote enfuie du Dom où il faisait si bon vivre ne va provoquer que des conflits. Néèlé porteuse de troubles sociaux ne peut rapidement plus s'exprimer, par la force elle est chassée de la place. Si  trois famille entières acceptent de repartir avec le petit groupe, ce n'est pas en partageant leur idéologie égalitaire des sexes, plutôt pout fonder d'autres colonies, rejoindre d'autres Chassas déjà partis suivre la course de Râé,  savoir enfin où il se couche. Ils font part de ceux dont les yeux brillent aux mots plus loin.

       Tous ceux de Noava arrivent. Arn, n'est plus de ce monde. Dans un difficile passage alors que les pierres à franchir touchaient l'eau silencieuse, à raz  bord de Roann Rasah  il a glissé sur une grosse masse couverte de mousse et le courant l'a emporté. Réapparaitra-il sur ses anciennes terres? Les idées des nouveaux venus paraissent peu compatibles avec les habitants du lieu, aucun ne va rester. Ils vont continuer leur marche en suivant de nouveau les berges de cette nouvelle eau paraissant plus pacifique. Leur chef, leur guide toujours en tête, ne porte qu'une légère peau sans fourrure sur son poitrail. L'homme Feu, celui qui n'a jamais froid, celui que regarde, avec des yeux où brille la convoitise, Réssou devenue pubère il y a quelques lunes. Réssou, une  des filles d'Arn qui, curieusement et peu à peu, verra demain.

        Les deux coquetiers sont séparés. L'un file en remontant le courant avec le groupe de l'homme Feu, l'autre suivra la course de Râé dans le ciel avec sa mère porteuse de bonnes paroles pour la gente féminine. Une partie de la prophétie s'accomplit.

 

Hervé.

 

     Les travaux chez mon charmant voisin se sont arrêtés intempestivement. D'étranges fondations, vieux murs et débris d'ancienne poterie viennent d'y être découverts.  Ho que cela est embêtant! Les autorités risquent de paralyser un projet futur de construction. Croyant que je m'y connais en vieilles pierres le brave homme fait appel à mes services!

            - Que nenni voisin, je n'entends rien à la matière! Mais ma fille connait un spécialiste que je vais me faire plaisir d'inviter chez moi. Il ne va pas résister à ma proposition, passionné et excellent professionnel, il trouvera même le moyen de se faire payer son voyage par une quelconque université!

 

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Simon.

 

 

                       Il y a maintenant trois mois que Simon est passé sur le billard. Alors qu'il vient d'ouvrir la deuxième séance d'un nouveau procès, il s'écroule face contre son bureau, le nez fiché sur les quelques feuillets étalés devant lui, épargnant les hautes piles proches…

                 -Alors cousin Jean-François, mon précieux médecin personnel? Que disent tes appareils?

                  -Écoute Simon, je ne peux te mentir. Je sais d'ailleurs que ce n'est pas ton souhait et que tu veux savoir la vérité. Déformation professionnelle sans doute. Mais rien ne va plus.

               Ton cancer réattaque. Cette fois ci, l'IRM a révélé une multitude de petites protubérances sur la paroi externe du gros intestin. Je peux t'avouer que jamais je n'avais vu une expansion semblable en si peu de temps. Il faut t'opérer de nouveau. On va te raccourcir la tuyauterie cousin!

               -Non! Pas question! J'ai déjà envisagé ce qui m'arrive. Je ne veux pas lutter. J'ai de tels conflits dans la tronche, je me sens si mal que j'ai besoin de me ressourcer. Je vais immédiatement demander une année sabbatique et partir en mer sur mon voilier Aventura.

                -Mais tu es dingue! Les forces vont te manquer. 

                -Je pense que cela sera ma forme personnelle de vaincre ce salopard de crabe. En l'ignorant, en le surpassant!

                -Voici la plus grande connerie que  j'ai entendue  de toute ma vie. Des cas beaucoup plus graves que le tien s'en sont sortis. Tu es loin d'être au désespoir voyons!

                Je ne vais pas faire de vilains jeux de mots, le moment ne s'y prête pas, mais tu choisis précisément le terrain de ton adversaire pour lutter. La mer!

               -La sentence est immédiatement applicable! Je vais de ce pas prévenir ma petite famille. Enfin Carol dans un premier temps, pour Agnès nous verrons par la suite.

      Ce même soir, madame Estier fort contrariée se confie à son grand amour au féminin.

                  -Je n'ai encore rien révélé de notre relation à mon mari. J'ai une  nouvelle à la fois triste et bonne. Il va bientôt partir en mer.  Honte de te le préciser…mais je suis heureuse de savoir qu'il ne reviendra pas. Tout ce que je pourrais lui dire l'indiffère, cette tête de mule veut mourir en mer.  Notre relation  va se terminer d'une forme tragique. Peu importe, c'est notre bonheur qui compte pour demain, toutes les deux enfin ensembles. Et qui sait, un jour peut-être nous pourrons nous marier.

 

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  Hélène.

                       

                        Ce cher juge vient de partir, probablement que Carol sa tendre moitié était sur le quai et qu'elle a regardé les voiles d'Aventura s'éloigner de la Pointe Rouge, gonflées par le vent portant d'un Mistral heureusement modéré. Je ne pense pas qu'elle soit montée  à la hauteur de la Bonne Mère pour élargir l'horizon. Elle a du filer trop contente, retrouver à toute vitesse sa bien aimée. Ca, je le sais depuis fort longtemps et ne me demandez pas comment.

     Cela ne m'importe peu mais je me suis renseignée, par  simple curiosité. La météorologie donnera au bateau des conditions de navigation favorables, au moins les trois premiers jours. Après cela deviendra plus incertain. Simon a prévu sa première escale vers Valence en Espagne puis Gibraltar et ensuite les Canaries avant le grand saut de l'Atlantique. C'est à mon répondeur automatique qu'il a raconté tout cela. Je n'ai pas voulu prendre la communication quand j'ai vu son numéro et son  prénom s'afficher sur l'écran de mon portable.

     J'aurai pu lui répondre qu'il fera halte bien avant. Je le sais!

     Aurais-je pu un jour lui avouer que jamais il n'a été mon seul amant du moment? Aurais-pu lui révéler que je milite très activement dans un groupuscule de femmes décidées à influencer les hommes politiques, les dignitaires religieux, les grands dirigeants de sociétés, de banques, les juges ainsi que certains policiers et haut-fonctionnaires?  Ouvrir leurs yeux. Inculquer à ces hommes, par tous les moyens possibles et imaginables sans rentrer dans la violence, d'autres concepts que ceux décidément trop machistes que la société leurs suggère.

     "Les Révélatrices", c'est le nom que nous nous sommes donné. Notre devise:

                   "Par la Terre, l'Eau, le Feu et le Souffle"

      Dans nos besaces, à part des plantes savamment dosées en infusions, des minis magnétophones capables de distiller certaines idées. Par petite dose, sous une hypnose rapide et facile. Après l'acte d'amour par exemple, alors que le corps de l'homme à modeler est délicieusement relâché!

       Aurais-je pu lui ajouter que je suis dans le collimateur de la DCRI, Direction Centrale du Renseignement Intérieur, nouvelle dénomination des ex RG. Que je m'en fous alors que ces policiers, très spéciaux et sans scrupule, mijotent de me faire emprisonner; voir de m'interner en me faisant passer pour folle. Moi aussi je vais promptement disparaitre; de l'autre côté des Pyrénées où d'excellents amis m'accueilleront. Le sympathique couple formé par Hervé et son Éva peut mettre une petite maison à ma disposition en attendant que je me trouve quelque chose.  L'Espagnol que j'ai appris au lycée me sera enfin utile. Un peu oublié certes, ce n'est pas grave car avec une mise dans le bain forcé au quotidien, il reviendra vite.

       Ici je suis brulée, mon travail au sein des "Révélatrices" s'achève. D'autres sont prêtes à prendre la suite. Il manque encore une vingtaine d'années, un minuscule rien dans l'échelle de l'humanité, pour que toute cette société pourrie s'effondre. Enfin!

        Je sais que deux très anciennes pièces de céramiques, des coquetiers, vont se retrouver après une très longue séparation. Je sais aussi qu'un Homme-Feu va venir! Que sa chaleur se communiquera au monde entier. Je sais car en plus de lire les pensées, je vois demain ! Merci à mon karma  qui a eu la grande bonté de me faire participer intimement à un événement extraordinaire, l'ouverture vers un nouveau monde!

 

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Le magicien.

 

                     L'Homme-Feu a enfin pris compagne. Séparé de Néèlé, sa maman-poule certainement trop protectrice qui ne voyait en lui que la main d'un fabuleux destin, il s'est tardivement aperçu du désir d'une belle toujours regardée comme une sœur, Rank Rasah devenue Cossa, "la cueilleuse". Nom que lui ont attribué les femmes en la voyant trottiner sans cesse avec sa mère de lait pour ramasser les herbes, les feuilles et les mousses nécessaires à l'élaboration des potions magiques guérisseuses. Cette enfant, enfin elle ne l'est plus depuis longtemps, est respectée aussi pour sa connaissance spécifique de la délicieuse chair trouvée sur le sol après les premières pluies annonçant le froid.[8] Cachés sous les aiguilles des arbres ou apparaissant miraculeusement près des bois en putréfaction ces petites choses enchantent les palais. Mais combien sont morts après d'horribles convulsions de ne pas avoir écouté ses conseils?

      Cossa qui s'est refusée à bien des prétendants est enfin femme.

      Jalouse, la petite Réssou pleure, puis timidement se tourne du côté de celui qui voit dans la nuit. Son coup d'essai avec Maaou est un coup de maitre car son ventre va vite s'arrondir.

        Marchant toujours en tête, Feu ne peut ôter de son esprit des questions omniprésentes: Pourquoi donc Néèlé sa mère, a-elle voulu que les deux céramiques soient séparées? Qu'a-t-elle voulu dire avec les pierres hautes et dressées vers le toit qui brille de mille feux la nuit? Celui qui commende désormais, ce guide paressant bien jeune pour cette tache, porte sur lui un précieux coquetier, témoin de l'art de ceux de sa race. Dans une sphère de petits os entre liés, matelassée intérieurement de plumes de canard bien sèches et couverte d'un fragment cousu de peau de cerf, le précieux mais fragile objet enduit de miel voyage à l'abri des chocs.

      Une soixantaine d'individus progressent depuis trois lunes déjà sur la rive droite de l'épouse Roann Rasah. Cette eau tranquille où la faune nageuse abonde, la communauté du confluent l'a appelée Trak[9] "la capricieuse", à cause de ses grosses crues dangereuses, trois ou quatre lunes avant que ne reviennent les grandes chaleurs. Huit chèvres dont deux bien pleines ainsi qu'une dizaine d'agneau juste sevrés. La marche est lente mais ininterrompue. L'expédition progresse.

          Trak est moitié moins large maintenant, la venue d'un petit affluent difficile à franchir fait prétexte à son abandon[10]. Le cap est mis sur le couchant de Râo. Une pette voix inaudible susurre aux oreilles de l'Homme Feu, qu'en fait la divinité du jour ne dort jamais! Ca, il ne faut pas en parler, ce serait aller contre les croyances des Chassas.

       Sur les hauteurs d'un grand plateau[11], des êtres primaires sont rencontrés. Des hommes vivant encore dans de rudimentaires grottes, à peine creusées aux pieds d'une série de petites falaises. Excellents chasseurs-cueilleurs mais sans aucune notion d'élevage ni d'agriculture, en voyant les miracles accomplis par leurs envahisseurs, rapidement ils se mettent à l'ouvrage pour un nouvel apprentissage. Une vingtaine de Chassas restent parmi eux quand deux lunes plus tard, de nouveau la troupe reprends la route. Personne ne peut deviner leur triste sort.  Peu après ils seront massacrés suite à une dispute incompréhensible, une broutille dont les Chassas auraient seulement pu se divertir. Réssou avait un étrange pressentiment; peu convaincue de ses nouveaux  pouvoirs, elle n'a rien révélé. D'ailleurs, jeune mais déjà sage, elle savait que cela n'aurait rien changé. Enchantée aussi de savoir que son sang ne coulera plus pendant bien des lunes, ses pensées ne vont désormais qu'à la fille qui va venir. Ca, elle le sait de façon certaine.

 

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                          Deux fois les quatre saisons sont passées. La troupe qui marche vers le Dieu du jour a laissé sur son chemin  plusieurs  embryons de nouvelles colonies.  Feu, ayant laissé femme et  enfants derrière lui, abandonné tous les siens se retrouve face à l'eau la plus large qu'il n'a jamais connue. Comme il était prévu dans la prophétie. De sa position en hauteur, il peut nettement distinguer les blanches falaises que Râo fait briller de l'autre côté.  Malgré un vent violent, il n'éprouve toujours pas la nécessité de se couvrir. Il est seul, les fameuses pierres qui vont se dresser pèsent tant qu'elles occupent ses nuits et ses jours, sans cesse, sans repos.

      Une présence dans son dos.

      Le Chassa solitaire, situation peu commune à ceux de cette  tribut, se retourne  sans la moindre crainte.

                              Il est là!

      Le magicien l'observe avec un grand sourire.

      L'homme de haute stature dépasse Feu pourtant déjà parmi les plus grands. Ses longs cheveux blonds sont tressés et maintenus par plusieurs lanières de cuir si fin que cela doit être du chevreau. Sur lui, aucune arme apparente mais il émane une telle force irradiante, que peu d'hommes doivent oser l'affronter. Son premier geste étonne l'Homme-Feu qui ne recule pas. L'inconnu se colle contre lui et l'enlace, coudes au dessus de ses épaules et mains bien à plat dans son dos. Longuement. Puis, s'écartant d'un pas en arrière les yeux fixés sur les siens, il ne prononce que deux mots.

                     -En route!

       Plein d'une énergie nouvelle, l'Homme-Feu marchera désormais dans la trace du nouveau venu. Iank Verk, celui qui fait l'impossible, est son nom.

         Il se dit originaire de terres éloignées et très froides, il a remonté un grand fleuve en sachant que cet énorme courant était enfanté par la même haute montagne que Roann Rasah.[12] Personne sur son passage, parmi les primitifs qu'il avait croisés  n'avait baptisé cette eau. On l'appelait seulement "celle qui emporte" ou "le grand courant" ou encore "l'eau qui déborde"! Personne n'avait encore réussi à la traverser! Sauf lui. Comment connaissait-il la langue des Chassas?  Jamais Feu ne le saura. Le premier miracle, mot non-encore inventé a lieu immédiatement. Ayant bu un breuvage délicieux proposé par le magicien, l'Homme-Feu s'endort…Pour se réveiller, il ne sait combien de temps après, de l'autre côté, en ayant franchi ce que bien plus tard l'on nommera Le Channel.

     Quel genre de tau Iank Verk a-t-il utilisé?

 

        Minuscule humain, si tu savais qui je suis! Cette peur que grâce à ta mère tu ne connais pas t'envahirait et te terrasserait en un instant.

       Toi qui n'a pas encore le concept de ce monde dans lequel tu progresses si lentement, qui n'entrevois rien des Univers à part d'inexplicables points brillants dans le firmament.

       Toi qui longtemps ne sauras pas que le temps qui passe n'existe pas! Qu'il possède une autre  forme que celle que tu perçois et qu'un jour pourtant tu pourras mesurer avec une infinie précision!

         Je ne suis que l'envoyé d'une autre espèce dont la conscience collective croit en l'avenir de ta race. Les marques que nous allons posées, ces jalons pour votre futur lointain, un temps immédiatement accessible pour moi, ne seront déchiffrées que dans six mille fois les quatre saisons comme tu le dis.

           Inconcevable pour un Chassas, Homme-Feu ou pas!

 

 

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  Les pierres dressées.

 

                                Aux côtés du magicien, Feu n'a plus la sensation de marcher. Ses pas se font si légers, ses foulées s'allongent dans les traces de son nouveau guide qui abat de considérables distances en ne s'alimentant de rarement. Chaque fois que le Chassas à vraiment trop faim, que son estomac pousse des cris de mécontentement, des gargouillis tordant la trippe, Verk sort une pierre d'une poche cousue dans la peau qui lui ceint le torse, une chose d'une forme rare, polie à la perfection et d'un noir absolu. Il en extrait une minuscule boulette à faire fondre sous la langue. Tout se calme. N'ayant pas encore l'habitude, Feu dévore à belles dents souvent, un gibier que son nouveau guide semble repousser. Il lui précise que la viande ne devrait pas  constituer de la nourriture pour les humains, qu'avec seulement un peu de plantes et des fruits, l'organisme serait bien alimenté et suffisamment rassasié.

                 - Demain peut-être! En attendant laisse-moi encore me régaler!

       Nous y sommes! Il y avait là une forêt mais une immense terre à été dégagée. La clairière aplanie d'une manière si parfaite, à peine bombée est marquée en son centre exact d'une pierre déjà posée. Par qui? Pourquoi? Et surtout comment? Rien que ce morceau-là ne pourrait être bougé par une multitude des plus forts des hommes qu'il connait! Tout autour en un cercle parfait, des excavations ont déjà été creusées, notre Chassas les  compte. Six fois les doigts des deux mains!

          Aux yeux ébahis de l'Homme-Feu qui secoue vainement la tête en un geste de négation, apparaissent en grand nombre de frères du magicien. Tous semblables. Pareillement vêtus, mêmes regards, mêmes cheveux. Le jeunes chassas pleure maintenant, ils sont si nombreux qu'il  ne peut les compter. Ils bougent d'énormes pierres bleues et les posent sans effort apparent, puis  chacune qui semble venir de nulle part, est dressée dans son  trou. Ajustement parfait. Tous ces magiciens sont entourés d'un halo de lumière brillante. Blanche aux reflets bleutés. Pas le moindre bruit, personne ne donnant des ordres le travail s'accomplit alors que le cœur de l'Homme-Feu parait battre comme au ralenti. Une rapide lenteur, un temps qui n'existe plus, à chaque inspiration, le souffle sacré pénètre son corps  et lui donne des forces nouvelles. Le Chassa a l'étrange impression de ne pas toucher terre. Et il se rend compte que tous ces ouvriers silencieux sont comme lui. Ils flottent sur le sol comme il a appris à le faire sur Roann Rasah.

      Malgré tout l'émotion terrasse  Feu. Combien de temps reste-t-il ainsi endormi sur la dalle centrale? Aucune idée mais quand il se réveille un ensemble architecturale constitué  de très nombreuses pierres est en place. Beaucoup sont posée en hauteur. Positionnées couchées sur deux autres dressées!

         Les plus petites d'entre elles sont déjà si pesantes qu'aucun Chassa n'aurait eu la seule prétention de les bouger.

                   - La prédiction s'est accomplie. Magicien, peux-tu enfin me dire à quoi servent ces pierres que tu as fait lever, ici précisément?

                   - Arn, puis Maur l'ont expliqué à ta mère. Ce n'est que la preuve que l'homme est capable de grandeurs. Pour que l'on comprenne plus tard que les Chassas furent des précurseurs et une nation d'hommes parmi les plus forts!

                   -Je ne te crois pas. Où sont donc les jours? Le plus long et le plus court?

                   -Je ne te mens pas. Vois les deux chemins qui mènent au centre. . Au bout du premier se lève Râé quand les jours vont de nouveau décliner, dans la direction du second, le contraire se passe. Ils recommencent à devenir plus courts! Plus tard, de grands feux de joie seront allumés pour célébrer le jour le plus long.

     J'ai fais préparer une cavité que nous enfouirons soigneusement et où tu va laisser ton si bel objet. Celui que je n'ai pas encore eu le plaisir de voir mais que je connais, tu me l'as si souvent décrit. Quand on le découvrira, le nom des Chassas sera glorifié.

 

 

           Homme-Feu, comment pourrais-je te dire que tu as vécu l'élaboration d'une horloge. Cosmique et universelle. Tu ne connais pas encore ce mot. Une structure faite pour démonter l'instantanéité de tous les événements dans les Univers!

           Ceux qui viendront ici sans savoir, se ressourceront dans leur corps, dans leurs esprits et dans une enveloppe qui les recouvre. Celle que tu as vu briller autour des dresseurs de pierres. Votre énergie immortelle que l'on appellera un jour aura.

         Ce lieu condensateur, potentialisateur, vous guérira de tous vos vilains maux, ceux que vous ne devriez pas connaitre. On y accourra  de très loin pour un pèlerinage aux sources de la vie et en repartira purifié.

          Seuls quelques rares initiés sauront aussi y trouver le message de l'éternité dans le moment présent.

         Ce que tu ne peux pas non plus imaginer, est qu'un autre Homme-Feu révélera tout cela aux hommes. Pourtant à ce moment-là, ces pierres ne seront plus qu'un champ de ruines.

      

 

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L'Homme-Feu

 

         L'enthousiasme du premier moment est bien passé. Sur le vaste domaine  attenant à la maison familiale d'Hervé, malgré les fouilles effectuées, pas la moindre trace du village ibère supposé. Jan Koeverksen est formel, il ne va pas être nécessaire de contacter les autorités espagnoles. La datation des murs, au vue de leur technique de construction, les situe à un maximum de trois cents ans d'âge. Des fragments de terres cuites analysés sommairement renforcent cette précision. Finalement le voisin est content, rien à voir, rien à déclarer, pas d'em…quiquinement! Le retour sur Avignon de Jan va se faire plus tôt que prévu. Départ pour cette nuit.  Cette visite nous a rempli de joie et n'avons qu'une hâte, connaitre  le reste de sa petite famille.

     Pour le moment, son  Agnès se prélasse, ventre délicieusement arrondi, à Isola 2000, tout près de la frontière Italienne. Le bébé devrait venir dans un mois. Ni l'un ni l'autre n'on voulu savoir si ce sera un garçon ou une fille. Sans un forfait téléphone et internet chez lui et sur son portable, l'ami Jan se ruinerai en communications. Ne serait-ce qu'avec celles d'Alysson. Ma fille passe de nombreuses heures gratuites à tchatcher avec une Agnès qui lui a fait grande impression à Salisbury.  Normal; une femme tranquille, seule, indépendante, dragueuse, belle, volubile. Projection de sa  propre image dans une dizaine d'années!

           Alors que la famille et son invité sont à table devant un bon plat de spaghettis "a lé pépéroni"[13] (rien de typiquement catalan pour le dernier repas avant nos aurevoirs!), tout le monde peut distinctement sentir le sol vibrer très légèrement.

              -Dehors, tous! Cela ressemble fort à un tremblement de terre.

          Infime secousse sismique fréquente sur le pourtour de la Méditerranée qui heureusement sans séquelle, ne laissera aucun autre souvenir qu'une peur bien légitime.

                                 

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      Il ne reste pas une trace  des spaghettis froids. Les assiettes sont vidées. Alysson qui imite son père, même quand c'est interdit par la présence d'un invité, torche la sienne de l'index en plaisantant:

                 -Celle-là on n'a pas besoin de la passer dans le lave-vaisselle, économie d'eau! C'était super bon, merci maman!

      En guise de digestion je file sur mon ordinateur et Jan va dans sa chambre pour préparer sa valise. Vol Barcelone Marseille cette nuit à 23 heures 35. Le train ensuite doit l'emporter jusqu'en Avignon où il pense arriver vers quatre heures du matin.

               -Je t'accompagnerai à l'aéroport après une légère collation.

                 -Vous êtes fous dans cette maison, vous ne pensez qu'à manger. Je suis repu.

 

      Comme chaque jour vers les quatre heures de l'après-midi,  nos chiennes frétillent de la queue et, impatientes, se plantent face à la porte. Pas de pluie, pas de vent violent par disgrâce si fréquent dans cette région, comme je le dis en riant "c'est la faute aux américains!"  Le moment est venu d'aller voir le haut de la montagne. Pause méditation. Je n'aimerais pas courir par la suite mais le temps ne me presse pas. Il m'appartient. Une fois de plus la montre ne s'acharne pas contre moi. Tranquille, en avant donc!

      Les spaghets ralentissent le rythme de ma grimpette, j'ai comme un poids sur l'estomac qui raccourcit mon souffle. Une énorme surprise m'attend. Nous attends tous. Il n'y aura pas de méditation aujourd'hui .De tout manière, après une grosse bouffe…Une fois de plus un événement extraordinaire croise ma destinée. La grosse pierre sur laquelle je m'assoie habituellement en position du Bouddha, déséquilibrée par la secousse, a roulé jusqu'au bas de la forte pente. Une anfractuosité permettant juste que je m'y faufile s'est ouverte. Mes chiennes les premières y pénètrent circonspectes après avoir bizarrement reniflé le sol et feulé d'une façon inhabituelle. Puis elles s'enfuient comme horrifiées, la queue entre les pattes. Je m'avance précautionneusement à mon tour en me baissant.

        Mes cheveux se hérissent sur la tête, j'ai la chair de poule et les yeux exorbités. Je me trouve accroupi dans une sépulture.

               -Nom de Dieu!

       J'ai passé des heures et des heures de ma vie ces dernières années…assis au-dessus d'une tombe!

       Mon téléphone, vite. J'appelle la maisonnée en précisant que tous, sans exception, doivent immédiatement monter ici. Je dois supplier mon épouse qui me connait trop bien,  accoutumée à mes fantaisies qui ne l'intéressent  guère. Le squelette devant moi est écrasé par la voute à moitié affaissée. Au dessus du crâne, sur une petite surface  soigneusement aplanie, un coquetier de céramique miraculeusement intact et une minuscule hachette. Plutôt une francisque, j'avoue que sa forme étrange m'est peu familière.  Six, sept centimètres pas davantage. De par sa couleur et son poids dans la paume de ma main, cette miniature toute simple mais d'une grande finesse est certainement  en or.

       Je pleure encore vingt minutes plus tard, quand ma petite famille et Jan me rejoignent tous essoufflés. Eva en ronchonnant  me demande quelle bêtise ai-je encore inventée. Elle doit me maudire ayant horreur de la grimpette pédestre! Les mots ne peuvent franchir mes lèvres, je montre seulement mes trouvailles.  Les yeux de Jan s'élargissent telles des soucoupes et il articule très mal:

              -Onmogelijk ! It's impossible! Ce n'est pas possible ! Exactement le même coquetier que celui trouvé près de Stonehenge! Enfin, non. Pas tout à fait. On dirait plutôt son complémentaire. Regarde sur le socle, un triangle équilatéral pointe en bas, inscrit dans un cercle.  C'est dingue ca!

     Mes larmes  deviennent soudainement contagieuses.

     Et maintenant, qu'allons-nous faire? Nous nous regardons et probablement que tous pensent comme moi. En Angleterre Jan  a commis faute grave. Une infraction qui pourrait lui valoir, en plus d'une condamnation, une mésestime additionnée  d'une mise au placard de la part de ses confrères.  Jamais il n'aurait du dérober sa découverte…Plusieurs fois il nous a raconté la force étrange qui l'en a empêché. C'était comme un ordre. Avec un sentiment de culpabilité relégué au cadet de ses soucis. Une première dans la vie de ce passionné par son métier chez qui la rigueur et l'honnêteté furent toujours  de mise.

     Cela va se répéter!

     Laissons donc la dépouille tranquille. Inutile que des antropos je ne sais quoi viennent l'examiner. En tremblant je remets la céramique entre les mains de Jan. Je garderai la francisque. Au diable sa valeur pour son métal. Cet objet merveilleux irradie en chauffant ma main, je devine qu'il me transmet une énergie nouvelle. Il restera, si l'univers le veut bien, parmi ma descendance. Quant à moi, pour la nième fois, voici un événement hors du commun dans ma vie. Il ne peut que conforter mes idées, disons… assez spéciales.         

               -Quelque chose me dit que les deux coquetiers doivent se rejoindre! Emporte celui-ci!

               Allez, à nous quatre, nous aurons vite fait pour boucher cette anfractuosité et ne laisser aucune trace.

     Pas si vite fait! Il est sept heures du soir quand nous redescendons, exténués. Mes deux chiennes qui avaient disparu nous attendent, assises tranquilles devant la porte.

     Largement le temps pour notre ami de se doucher avant que je ne l'accompagne à l'aéroport de Barcelone. A peine l'autoroute atteinte, le portable de Jan sonne et interrompt une  intéressante conversation sur les non-hasards de la vie.

                  -Bonsoir mon amour!...Hein? Quoi? Ah non alors! Je ne vais pas voir naitre mon premier enfant…..Oui je prends l'avion dans trois heures…. Je fonce, j'arrive au plus vite….je t'aime.

               -Un problème Jan?

               -Agnès va accoucher d'un moment à l'autre, elle vient de perdre les eaux! Il manque pourtant trois semaines sur la date prévue.

                Peut-être un effet de l'altitude! Merde, merde,  et merde encore!

               -Si tu veux, je fais demi-tour, tu prends ma  moto et dans sept, huit heures maxi, tu as rejoint ta belle!

                -Non, c'est gentil mais je vais foncer comme un dingue, au risque de me casser le cou, pour de toute manière arrivé trop tard. Et puis je ne suis pas habitué à une grosse cylindrée, en plus…comment récupérer ta moto? A Marseille, si je n'ai pas de vol régulier immédiatement,  je me paye un avion taxi pour Nice. J'ai encore les moyens…pour le moment! De Nice il me restera une heure et demi en bus pour atteindre Isola 2000.  Au plus tard, je rejoins Agnès et le bébé demain vers midi. Je suis sûr que ce sera un garçon!

 

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       Au large de la cote marocaine, le voilier Aventura peine et souffre, surtoilé, mal mené autant par les éléments en colère que par son capitaine indécis. A force six dans les rafales, au grand largue sa surface est trop importante sur l'avant. Et le troisièmes ris devrait se prendre rapidement dans la grand voile. On sous-estime facilement le vent à cette allure. Le bateau file bon train mais les vagues se font de plus en plus hautes et commencent à déferler. Les crêtes blanches attaquent. Attention, elles sont redoutables!

      Hé, le juge! Écoute ton mat qui gémi. Tu vas le perdre, réduis ta toile! Prends la barre, déconnecte ton pilote automatique, il peine trop à la tache!

 

 Simon.

 

         Je voulais dés mon départ une croisière sans escale jusqu'à Valence et ses orangers. Sentir cet extraordinaire parfum qui parvient aux marins, bateau encore hors de vue du littoral, quand souffle une agréable brise de terre.  Une fatigue trop rapide m'a contraint. Soller à Majorque puis San Antonio à Ibiza m'ont accueilli avant que je ne touche la péninsule espagnole. L'ensorceleuse odeur de la fleur d'oranger, emportée dans le sud par le vent portant, n'a pas humé mes narines,. Il m'a fallu naviguer par petites étapes et j'ai caboté la belle côte descendante jusqu'à Gibraltar. J'aurai  bien voulu  rejoindre les Canaries d'un seul jet. Éventuellement une étape pour admirer la nouvelle grande mosquée de Casablanca? Et après? Aurai-je la force de traverser?  Quand les alizées seront établis, avec huit mètres de bateau seulement, c'est un minimum de trois semaines de mer avant d'atteindre les Antilles….

     Les colonnes d'Hercules sont à deux cent trente milles  dans mon sillage, je laisse largement la côte sur mon bâbord pour me faire porter par un bon courant favorable. Un nœud et demi de plus n'est pas à dédaigner!

      J'ai bien profité de ma dernière escale au soleil de nationalité britannique. Monté voir les gibbons en liberté autour de cette forteresse naturelle, citadelle imprenable qu'est "le Pignon" pour les Espagnols. Observé le flou de la frange plus foncée marocaine toute proche au dessus du bleu de la mer.  En priant pour ceux qui chaque jour tentent l'impossible traversée; en avant vers la conquête du rêve européen et d'un hypothétique travail à portée de main! Ces malheureux qui s'échouent parfois à moitié morts sur les plages avoisinantes.

     Deux jours et demi de navigation. Avec une perpétuelle attention pour les énormes mastodontes flottants qui se croisent  sans cesse à faible distance les uns des autres en deux proches chenaux. Au nord ceux qui filent vers l'Atlantique, au sud ceux qui entrent en Méditerranée. Des milliers de dangers, capables de me couper en deux sans même s'en rendre compte. Je suis fatigué et le méchant grain approche…en avance sur les prévisions de madame Météo.

 

     A sept heures du soir, la nuit arrive trop vite, au pas de charge. Éole me pousse à force sept bien établie. Huit, peut-être neuf dans les rafales.

      Aucune échappatoire possible

      La tempête est là. Minuscule point de vie humaine au milieu d'éléments à la fureur croissante, moi le juge me  bats contre ma grand-voile. J'ai  enfin décidé d'en  réduire la surface. Hélas en oubliant de monter le point d'écoute à l'aide de la balancine. Presque impossible  de bien tendre mon troisième ris. Je ne peux serrer les garcettes contre la toile déjà pliée. Ha, si j'avais un enrouleur ! Il me faut impérativement affaisser ma grand voile maintenant. Pour cette manœuvre délicate, mon petit voilier prend les vagues bien deux quarts  bâbord en capeyant, et c'est en revenant  au 180, plein sud, que survient la catastrophe.

            -J'aurai du la prévoir! Mais…ne l'ai-je pas cherchée?

        La  bôme, portée par une toile mal pliée, empanne brutalement, avec une force terrible sur le haubanage bâbord qui  lâche à ses points de  fixations. Le  pauvre mat  rend son âme en se cassant au niveau des barres de flèche dans un craquement à peine audible, couvert par le hurlement du vent  et les roulements grondants des déferlantes. Cette bôme que les marins de voiliers appellent en plaisantant "vaste assommoir horizontal"  heurte le vieil homme et le projette au bouillon.

           -Mon ami Simon que fais-tu là?

Une seconde après, presque sonné, il patauge avec grand peine à deux mètres d'un Aventura aux mouvements totalement désordonnés. Balloté par les lames l'assaillant sans cesse, en travers de la lame, il  est en perdition. Une déferlante le submerge et arrache le capot de la descente dans le carré; désormais, à chaque nouvelle vague, une importante quantité d'eau se répend dans ses flancs. Simon ne pense plus à lui même, il grand peine pour son voilier. Ce vaillant petit méritait un meilleur capitaine.

             Impossible d'atteindre le bib de survie, ce canot auto gonflable qui lui permettrait de tenir jusqu'au miracle d'un hypothétique secours …mais de toute façon pour combien de temps? Et que de souffrances sans eau douce et sans vivre!

            Moi, Simon Adrien Georges Estier sais que je vais mourir. Content. Comme je l'ai souhaité. Peut-être plus tôt que je ne l'avais prévu et hélas je ne m'émerveillerai jamais devant mon petit fils…A ma manière j'ai  vaincu ce maudit cancer qui menaçait de me terrasser…

 

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      Le centre de premier secours d'Isola 2000 est mieux préparé pour les  urgences traumatiques que pour y pratiquer un accouchement. En saison hivernale, deux médecins s'occupent des petits bobos comme des grosses fractures dues aux accidents de ski. Un seul jeune toubib aujourd'hui, et qui n'a vu qu'une fois une naissance…en temps qu'étudient cinq ans auparavant! Heureusement qu'Élise est présente. En vacance pour une courte semaine, cette sage-femme proche de la retraite, occupe la chambre juste en face de celle d'Agnès. Comment ne pas avoir sympathisé?

         Après deux heures d'efforts d'un travail harassant et douloureux de la parturiente, enfin un premier vagissement se fait entendre dans la maternité improvisée. C'est un magnifique petit garçon que les lumières aveuglent et qui hurle son mécontentement d'avoir quitté un ventre maternel si confortable.

               -Merci Élise. En souvenir de toi nous l'appellerons Ely. D'ailleurs nous avions déjà pensé à ce prénom. Merveilleuse coïncidence…non?

            - Mille mercis! J'en suis très honorée. Coïncidence est un mot que j'évite; ce n'est guère le moment mais si tu veux nous en reparlerons. Voyons, notons tout. Pour la postérité comme pour les autorités. Dix neuf heures trente -à peu près-, quatre kilos six cent quarante, cinquante deux centimètres. Sexe masculin. Il sera grand et fort ton fils!

            Mais comme c'est étrange, on dirait qu'il brule  de fièvre!

       La sage-femme s'inquiète, elle prend la température du bébé avec ce nouvel engin si pratique prénommé Thermomètre, nom de famille Électronique. Une simple pression…rien d'anormal. Et pourtant, il émane de ce petit garçon maintenant souriant une chaleur que jamais elle n'avait connu auparavant chez un nouveau-né.

 

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     Bien vite engourdi dans une eau  refroidie par le vent du nord,  Simon n'a même plus la force de défaire le mousqueton qui le relie à la ligne de vie du voilier. Inéluctablement celui-ci va l'entrainer par le fond…d'ici peu. Il devine à peine sa masse agonisante toute proche et déjà très enfoncée dans l'écume.

      Toussant, avalant à chaque inspiration de l'eau qui emplit également ses poumons, monsieur le juge suprême voit défiler sa vie en de multiples images, comme celles d'une projection de film ancien.

                -Agnès !

       La dernière vague dont il  a conscience le projette tel un pantin. Jeté violemment contre la coque d'Aventura, la nuque brisée, plus jamais il ne souffrira. Un phare d'une lueur intense brille soudain, juste à toucher devant ses yeux ébahis et le baigne dans une étrange lumière blanche,  enveloppante, réelle, palpable.

         L'horloge du bord d'Aventura ne sera plus jamais astiquée. Ce vieux modèle mécanique marine de bronze  au tictac bruyant et qu'il fallait remonter manuellement marque sept heures vingt-cinq quand il rejoint les profondeurs abyssales du paradis des bateaux.  Son capitaine est arrivé dans son dernier port en vainqueur. Il sourit dans la mort.

 

 

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                     Jan s'est trompé, de très peu. Ce n'est qu'à quinze heures trente qu'il découvrira un petit garçon endormi au côté d'une maman fatiguée mais radieuse. Rien ne le couvre à part sa couche, la sagefemme a rapidement associé ses pleurs avec petits langes ou simple légère couverture…

     Tous les passagers de l'avion l'ont remarquée mieux que quiconque  cette nuit passée,  une conjonction exceptionnelle de Saturne et de Jupiter. Au paroxysme de son intensité, elle éclairait d'une lueur peu commune un ciel magnifiquement étoilé.

 

 

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[1] L’ail

[2] Aujourd’hui la Durance

[3] Le Rocher des Doms en Avignon.

[4] Les Chasséens  originaires probablement d’Égypte ont longtemps peuplé le Nord de L’Italie actuelle avant de conquérir l’ensemble de ce qui deviendra la Gaule. Leur passage des Alpes s'estime à environ 4000 avant J.C.

[5] Le liège.

[6] Certains cairns existent encore de nos jours. Des entassements beaucoup lus récent sont appelés montjoies. Ils ont la même signification.

[7] Confluant de la Saône se jetant dans le Rhône.

[8] Les champignons.

[9] La Saône d'aujourd'hui.

[10] Le Saôlon.

[11] Langres.

[12] Le Rhin.

[13] Attention…ca pique !

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