LES HOMMES FONT TOUS PIPI DANS LE LAVABO.
Le commissaire de police Gérard Guillaume Grandjean, 3 G ou Gégé au choix pour les intimes, une fois de plus rentra dans sa tanière en jurant de belle manière. Il lança son chapeau sur le portemanteau…et comme d’habitude rata son coup ce qui provoqua un nouveau mot abominablement grossier avec lequel tout croyant en un Dieu quelconque se serait gravement offusqué. Il dégaina son arme de service, hotta son holster pour ranger le tout dans un tiroir et repris en main son vieux Colt, son fétiche, une véritable pièce de musée. Un calibre 50 impressionnant, au recul si fort que seul un malabar comme lui pouvait utiliser sans risque de se casser le poignet. Attention, canon long donc d’une redoutable précision.
Ses yeux s’attardèrent sur le grand tableau où s’inscrivaient les dernières péripéties de l’affaire en cours et il ne voyait pas par quel miracle son équipe allait la mener à bien.
Encore et toujours ! Ceux qu’il poursuivait depuis bientôt cinq mois semblaient pour l’éternité avoir un coup d’avance sur ses mouvements et lui filaient entre les pattes au tout dernier moment. Insaisissables anguilles ! De quoi rager. Le pire était arrivé la semaine passée quand un de ses hommes, alors qu’un piège devait se refermer sans problème, avait reçu une balle dans la cuisse. Et pas un seul des salopards alpagué. Un complet fiasco, heureusement que la fémorale n’avait pas été touchée. Par contre un nerf important sectionné va nécessiter une délicate intervention chirurgicale et les médecins ne se prononcent pas. Le lieutenant en question risque de rester infirme à vie.
Il regrettait aujourd’hui cette mutation à l’anti gang pour servir sous les ordres d’un ami de toujours. A l’école déjà ils poursuivaient ensemble les méchants bandits pendant les récréations et ils sortirent tous deux de la même promotion de l’école de police. Saint Cyr au Mont d’Or, non loin de Lyon. Lui quarante troisième mais le pote, major de promo a grimpé en grade beaucoup plus vite. Ce Laurent Villon aujourd’hui divisionnaire, Gégé le trouve finalement plus pompeux que vraiment cérébral. Donnant des directives pas toujours raisonnables où la mise en valeur des statistiques de réussite semble le seul objectif intéressant. Il parait même, on dit que, à ses débuts sur le terrain, il cafouillait quelque peu. Gérard quant à lui fit fonctionner son gros tarin, et tel un chien de piste, il sut flairer les coupables immédiatement. C’est donc vers la crim que ses pas l’orientèrent tout naturellement.
Criminels, assassins en tout genre, obéissent tous à des mobiles les plus variés. Les principaux étant l’argent bien sûr, le sexe, la jalousie, la vengeance, l’assouvissement d’un besoin physique du à l’accoutumance comme c’est le cas des drogués. Parfois aussi issus d’une forme de pensée extrêmement complexe, celle des irrésistibles pulsions de malades mentaux. La liste des mobiles peut encore s’allonger indéfiniment et certains d’entre eux stupéfieraient le quidam ordinaire.
Dans tous les cas, les coupables ne se baladent pas avec des flingues et ne règlent pas leurs comptes d’apothicaires au bazooka ! Quand tombent les masques au moment de l’arrestation, ils se laissent emmener, menton bien bas, sans la moindre résistance.
Chez « Messieurs » les grands bandits, tout est fort différant. Le mobile est le fric à cinquante pour cent. Pour le reste deux choses : la conquête ou la défense d’un territoire de chasse et les « ajustements » entre bandes. Parfois au sein de la même bande. On élimine aussi pour la gloriole, seulement pour montrer sa puissance ou rappeler sa présence. Autrefois les malfrats évitaient soigneusement d’ouvrir le feu sur la maison poulaga, mais de nos jours la gâchette est devenue plus facile. De plus, celui qui cartonne un flic se voit auréolé d’une réputation de grand méchant, le milieu le craindra davantage !
Alors, quand les hommes au brassard rouge se mettent en chasse, il vaut mieux ne pas oublier le gilet pare-balles, l’ami TU TUES…et son chargeur de rechange !
Ayant dépassé son demi siècle de vie depuis deux ans, Gérard n’a plus sa fouge d’autrefois. Courir après les malfrats fatigue autrement que de coincer un mari tueur d’amant. Il s’est décidé. Dés cette bande sous les verrous, il retournera vers la crim ou pourquoi pas demandera une retraite anticipée. Trente ans de bons et loyaux services la justifie pleinement. Une idée lui a un jour traversée la caboche, celle de travailler avec une rivale de bien des années. Une petite nana qu’il avait autrefois essayée de draguer (alors qu’il n’était pas encore veuf), et avec laquelle à raison de moult rencontres, le respect réciproque s’était transformé en forte amitié. Alors que l’incompréhension mutuelle des premiers contacts provoquait un rejet de l’autre, les deux enquêteurs se filèrent bientôt des tuyaux intéressants, parfois sans contrepartie !
Une détective privée bossant sur la région lyonnaise. Une frêle nana, pas des plus belles, loin des canons cinématographiques de Hollywood, mais super sympa et fort plaisante. Une accrocheuse sans pareil qui jamais ne lâche un os en bouche. La petite en question s’est remarida avec un collègue de la l’OCBC, une branche peu connue de la rousse, l’Office Central de lutte contre le trafic de Biens Culturels…Ouf, rien que pour le dire ! Ces deux tourtereaux se sont connus alors qu’il enquêtait lui-même sur l’assassinat du premier mari d’Anne. On avait retrouvé le gazier dans la belle Saône, lesté de quelques balles de neuf millimètres en pleine poitrine…[1]
Anne Muntanyet est maman d’une charmante petite fille depuis bientôt trois ans. Les démangeaisons qui la couvrent pour reprendre son activité arrêtée de force sont terribles et elle a contacté Gérard pour un partenariat intéressant, cinquante/cinquante dans une agence. Bien sûr son lieutenant de mari peste à l’idée de voir l’amour de sa vie risquer de perdre la sienne. Mais quand Anne s’est collée un truc en tête…Muntanyet signifie certes petite montagne en Catalan ; pour elle son totem de girl-scoute ce serait plutôt le genre dur caillou !
Retour au turbin.
Avec monsieur le commissaire principal, l’éventualité d’une taupe dans la brigade, un salopiot qui renseignerait les malfrats, a été envisagée. Un service financier vient de passer une semaine entière sur de possibles entrés illégales de pognon parmi les hommes…sans le moindre résultat. Des pièges discrets à l’encontre de ceux qui auraient pu, peut-être, éventuellement, supposément…rien, strictement rien. Non, c’était vraiment impossible, en deux ans qu’il dirigeait ici, Gégé aurait remarqué un traitre…son tarin n’a jamais fourmiller dans les locaux. Cet odorat autant développé pour flairer le fumet d’une bonne cuisine que pour le relent d’un quelconque produit chimique ou, plus utile dans son boulot, l’odeur d’un coupable !
Ceux formant la bande actuellement sur la sellette de la brigade ne devaient pas être bien nombreux, mais redoutablement organisés et toujours armés. Trois quatre hommes, une fois six participent aux braquages. Principalement de station services. Biens renseignés ils entrent en action peu avant que des fourgons blindés ne viennent pour ramasser les recettes. Toujours la même société, ce ne peut être un hasard… Il a été impossibles aux policiers de découvrir comment la bande connaissait ce moment précis. Ni pourquoi elle a évité certaines stations sous une haute surveillance, pourtant fort discrète. On les soupçonne aussi d’avoir attaqué avec succès des transporteurs de fonds de banques privées, de ces agences anonymes n’ayant pas pignon sur rue. Un butin grassouillet estimé à plus de douze millions d’euros, si les dépouillés n’avaient pas menti à leurs assurances.
Une idée, à la fois publicitaire et incitative au passage à l’acte pour les bandits, fut mise en place. Un distributeur privé, soi-disant pour fidéliser une clientèle fit grand tapage d’une baisse de huit centimes par litre un jour déterminé. Quitte à vendre (prétendument) sans bénéfice! Il y eut une queue kilométrique aux pompes à carburant…et un lieutenant blessé par balle.
Les salopards vinrent au rendez-vous, non pour braquer cette fois, mais pour montrer aux flics qu’ils n’étaient pas dupes. Et qu’ils ne craignaient pas d’être coincés. Une sécurité pleine d’orgueil qui devrait fatalement se retourner contre eux un jour ou l’autre. En attendant ce moment de bonheur pour Gégé, l’ami d’autrefois lui remontait les bretelles pour l’insuccès de la brigade. Un témoin fit pourtant avancer le schmilblick.
Il aurait vu un individu casqué prendre place à l’arrière d’une grosse moto noire, une Kawa selon lui, qui a pris la poudre d’escampette en laissant du pneu sur l’asphalte. Ce, quelques secondes après que l’attaque blitz ait eu lieu. Mieux encore, le parfum du personnage en question ne laisse aucun doute quant à son appartenance au sexe féminin. Pas d’équivoque « elle » l’a pratiquement bousculé avant de se coller contre le dos du pilote. Derrière elle, les effluves sont signées Rochas ! Excellent pour l’odorat mais très mauvais pour la mécanique moto ; il est incapable de différencier une Kawa d’une Honda ou toutes autres marques ! Autre remarque…la plaque d’immatriculation était masquée, donc peut-être pas même volé le gros cube !
Une femme. Et oui, on ne pense pas toujours aux nanas qui sont de nos jours présentes en tout. Il y a lulure qu’elles ne se dédient plus exclusivement à torcher les mômes et remuer leurs doigts délicats pour faire du tricot. Pour être sûr de la fiabilité de ce témoin providentiel, les spécialistes lui ont fait renifler, à quelque minutes d’intervalle, plusieurs marques de renom, et il toujours reconnu Eau, la seule dont parfois s’enveloppait son épouse.
Reste seulement à savoir combien de femmes en France utilisent ce parfum et mettre la main sur la bonne….Fastoche ! Pratiquement hors course celles de moins de vingt ans et exclure également les plus de…disons quarante-cinq, une fourchette acceptable qui ne laisse que…quelques dizaines de milliers de suspectes. L’étau ne verra pas ses mors se resserrer encore demain. Deux mulets du commissaire planchent en ce moment sur la société de ramassages de fonds, cherchant d’où diantre peuvent venir les infos dont la bande bénéficie. Il est n’est pas question de mette chaque véhicule blindé sous une discrète escorte policière, plusieurs centaines d’entre eux sillonnent l’hexagone en permanence. Du nord au sud comme de l’est à l’ouest du pays l’alerte est donnée. Le directeur propose d’ajouter un convoyeur de plus, la centrale aux Etats-Unis refuse…trop cher. Et de toute façon le camion arrive toujours quelques instants plus tard ! Les flics n’ont qu’à faire leur job correctement.
Un voyant lumineux et un bip discret avertissent que Laurent le demande. Quelle nouveauté veut-il encore ? Comme si l’équipe pouvait faire davantage ! Copain ou pas, monsieur Villon commence à être franchement désagréable. Une irritabilité l’habite qui exacerbe toute la brigade. Peut-être que son état de santé en est partiellement responsable. Il a confié le mois passé à Gégé sa grande fatigue permanente, ses maux de tête et des mouvements devenant brutaux, désordonnés. L’apparition de tics de plus en plus fréquents, et forts perturbants autant pour lui que pour son entourage.
A peine franchie la porte du bureau, Gégé sait que quelque chose de grave se prépare. Son ami et chef a bien mauvaise mine.
-Assieds-toi. Tu vas recevoir l’info en premier. Je quitte la police. Ma lettre officielle de démission arrivera demain et il n’y aura pas de possibilité de refus. C’est mon toubib qui l’exige !
-Qu’est qui t’arrive mon vieux ?
-Les analyses sont formelles. Un truc dingue au nom imprononçable, il m’a fallu l’écrire et je dois le lire sinon je me paume. L’acéruléoplasminémie !
-Merde, jamais entendu parler de cette bête ! C’est grave ?
-Mais non ! Ca tue seulement beaucoup plus vite que la vie normale ! Et pourtant tu vois, je n’ai jamais été un homme pressé…sauf pour mon boulot peut-être !
-Et…ca consiste en quoi ?
-Mon organisme déconne à bloc et produit du fer en pagaille, qui va s’accumuler dans mon cerveau. Le spécialiste des maladies neurodégénératives qui m’a examiné affirme que c’est un miracle si je tiens encore debout ! Demain je ne suis plus dans ce bureau mon vieux Gégé ! Il ne me reste que l’iro…nie, je me transforme peu à peu en Iron…Man. Hi hi petit jeu de mot.
-Et…pleure pas mec !
-Non ce n’est rien, juste un truc dans l’œil. Je te charge de dire aux hommes combien je regrette d’avoir été aussi chiant ces derniers temps. Que personne ne me plaigne, la pitié ne m’aidera pas et si demain, ou après demain je casse ma pipe, buvez un coup à la santé de mon âme et surtout ne médisez pas de moi.
Gégé, ne médis pas de moi ! Jamais, tu me le promets ?
-Ho, ca va ! Tu n’as fait que ton boulot, et toi aussi tu as des supérieurs qui t’ont poussé au rendement. Yvette est au courant ?
-Il va bien falloir que je lui dise. Ce soir même si j’ai le courage ! Heureusement que les enfants sont casés. Ca va être duraille, mais je ne suis pas encore mort.
Tu sais j’ai peur ! Pas de partir, ca je m’en contrebalance, mais il est probable que je vais me transformer irréversiblement en un légume…
…Dis-moi. Tu m’aiderais à mourir si je te suppliais ?
Gégé laisse passer quelques secondes, visiblement embarrassé par cette question ; celle qu’un jour tout le monde se pose. Celle que la société entière ne se pose pas assez et qui ne reçoit des réponses qu’au goutte-à-goutte. Brûlant et divisant problème vécut de dramatique manière quand il officiait à la police criminelle. Un homme avait euthanasié son père en pleurant. Laissé en liberté jusqu’à son procès, il s’était vu condamné à de la prison ferme…Fort heureusement tout un ramdam médiatique l’avait sauvé de purger sa peine.
-Gégé ?
Il lui semble que tel Pinocchio son nez s’allonge démesurément en répondant.
-Bien sûr que je le ferais !
- Serre-moi la main et écoute-moi. Je ne veux pas revenir dans les locaux de l’anti gang ! Jamais ! Je préférerai me suicider !
-Mais c’est absurde, tu es chiant mais on t’aime bien quand même !
-Non, les hommes ne m’aime pas. J’ai fait la connerie de croire que c’était un sentiment incompatible avec le boulot et je le regrette. Je ne veux pas voir la pitié dans yeux de ceux que j’ai dirigés…quel qu’en soit le motif.
Moins de quatre jours plus tard, la huitième station-service est attaquée avec succès et malheureusement aussi avec décès. Un premier mort tombe pour soixante douze mille euros sous les balles de la bande. Caissier imprudent, ayant voulu saisir une arme planquée dans un tiroir, qui ne survivra pas au trajet dans l’ambulance vers l’hôpital. Bien que se déclarant non responsable, la société de transport de fond décide de renforcer provisoirement son personnel. De prévenir par voix de presse que pareil événement ne saurait se reproduire. La peur au ventre de voir ses fidèles clients se volatiliser rapidement.
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Sept mois et demi de calme. Du moins sur cette enquête qui n’a toujours pas abouti. L’Eau de Rochas demeure introuvable, aucune piste possible n’a pu définir ses complices et l’on sait seulement qu’un gars hyper doué en informatique se fait un jeu que d’entrer dans les données de la boîte de transport de fonds. Mais lui aussi s’est mis en veilleuse. D’autres affaires préoccupent Gégé et ses hommes et chaque jours ou presque des hommes et des femmes rarement sont mis sous les verrous.
Un matin le commissaire Grandjean, avec une mine de tristesse absolue réunit toute la brigade. Il parle d’une voix émue, visiblement chargée d’un sincère chagrin.
-Mesdames messieurs, j’ai le regret de vous annoncer que celui qui fut notre chef s’est suicidé cette nuit. Je lui avais promis de ne pas vous révéler les raisons de son départ, mais je peux le faire aujourd’hui. Le principal Villon était atteint d’une grave maladie neurodégénérative. Il n’aurait probablement pas survécu bien longtemps.
Bon, je sais que peu d’entre vous l’appréciaient. Je vous informerai si vous voulez assister à ses obsèques. Nous reparlerons de ca plus tard, pour l’heur du pain est sur la planche, évitons qu’il ne durcisse !
Steph, tu prends deux hommes avec toi et prépare une escouade d’intervention, dans deux heures je vous rejoins devant la casse de Jo les bidons, nous avons assez d’éléments pour le serrer…
L’inconnue à la senteur Eau de Rochas allait refaire parler d’elle le jour même de la mise en terre du principal. Obligeant 3G et certains de ses hommes à une sortie précipitée du cimetière…
Il n’y a pas que la perspicacité des flics qui fait tomber les bandits. Des circonstances qualifiées de divinement bonnes, ou de catastrophiques selon le côté par lequel on perçoit les choses, viennent parfois s’immiscer entre des événements plus ou moins prévisibles. Comme par exemple une panne de courant électrique dont se serait bien passé la bande. L’objectif, au dix-huitième étage d’une prestigieuse tour est le cabinet d’un expert en bijoux anciens sollicité par un important groupe d’assurances. Aucune marque significative sur une porte paraissant ordinaire, mais dont on ne viendrait à bout qu’avec des explosifs. Un attaché case est attendu sous forte escorte ; à l’intérieur, une seule mais extraordinaire parure de diamants. Une information qualifiée de plausible est arrivée en de bonnes oreilles, indiquant que parmi les vrais cailloux…quelques tocs d’une imitation parfaite se seraient subrepticement glissés par erreur…L’équipe de convoyeur devrait rester sur place pendant environ deux heures, un homme sur le palier devant la porte et l’autre à l’intérieur du local.
L’ascenseur, un maillon faible de la chaine du transport, le liftier va devenir une liftière au doux parfum d’Eau de Rochas! Beaucoup de conditionnels qui, réunis, vont faire un futur de millions en perspective.
Combien d’ascenseurs dans la tour ? Onze, dont deux monte-charge réservés aussi au personnel de sécurité. Ils vont tomber en panne alors que l’un d’entre eux devait transporter la fortune. Deux petites fusées destinées exclusivement aux VIP ne sont accessibles qu’avec une carte magnétique spéciale. Pour les transports aériens des pékins ordinaires quatre grands formats Deux desquels engins, ultra-rapides, ne s’arrêtent pas avant le trentième des soixante étages, il ne restera donc que deux postulants. L’équipe devra aiguiller les convoyeurs vers celle qui tira sur un flic bientôt huit mois auparavant….déguisée depuis presque une semaine en un Spirou noir. Fardée et maquillée de façon à ce que sa mère elle-même ne puisse la reconnaître.
Onze ascenseurs ? Il en manque trois pour le bon compte ! Deux sont réservés aux personnels et aux riches clients d’un hôtel occupant les cinq derniers étages, plus étoilé qu’un maréchal. Desservant également le restaurant panoramique aux terrasses en plein air qui culmine l’édifice. Le dernier engin dans une gaine spéciale, quant à lui ne sert qu’aux pompiers en cas de risques majeurs, comme celui que La tour infernale a immortalisé !
Le coup se fera au retour, dans le sens de la descente alors que les gars en uniformes et armés seront moins vigilants. Qu’ils auront déjà louché sur les formes avantageuses de l’employée propulsant les voyageurs vers le ciel ou les rapatriant sur le plancher des vaches. ! La nana dans l’ascenseur, deux gars prêts trois étages au dessous et Lulu, le chauffeur qui comme d’habitude recueillera une partie de ce petit monde pour l’emmener voir ailleurs si elle y est. Ce brave Lulu incomparable acrobate sur n’importe quel gros cube, à deux ou quatre roues. « Eau » s’évaporera seule avec le butin. Cinq unis comme les doigts de la main mais qui se connaissent bien mieux entre eux ! Sur les coups pour le moins. Car une fois séparés, ils s’ignorent complètement et ne savent ni leur véritables prénoms. La grosse tête pensante de la bande est un véritable génie. Mais aussi un quidam quelconque faisant lui aussi pipi dans les lavabos.
« Eau » manipule. Elle s’agite au four et au moulin. La tête est dans son lit et ses propres jambes de sportive de haut niveau courent sur le terrain. Clavier sous ses doigts d’une rapide dextérité, la sixième pièce de la redoutable équipe ne quitte pratiquement jamais des yeux les multiples écrans plats d’une flopée d’ordinateurs. Un hacker ayant piraté l’ordi central d’une importante boîte de convoyage de fonds…
Il est quatorze heures trente précises quand se présente le trésor. Impossible de le monter par l’ascenseur prévu en panne et deux gars livrent au quinzième étage une armoire volumineuse. Bientôt, l’attaché case menotté au poignet gauche, la main droite sur la crosse de son arme un des deux convoyeurs plaisante un peu grassement.
-Avec ce que contient votre uniforme, m’zelle l’ascensoriste, ce que contient le pantalon du mien, je vous accompagnerais volontiers au-delà du dernier étage ma poulette !
-Dis, tu la fermes idiot ! On bosse!
Excusez-le mademoiselle !
-Mais, ce n’est pas grave, j’ai l’habitude ! Vous savez, moi aussi je travaille et un peu de distraction n’est pas si désagréable. Je vous reverrai peut-être à la descente !
Et le délicieux parfum se fend d’un large sourire qui laisse nos deux hommes pantois. A peine la cabine ayant refermé ses portes silencieuses, le mal élevé en rajoute :
-Celle là, on se la paye tous les deux ensemble. Tu vas voir !
Pas tout à fait ca.
Au même étage, dans un des interminables escaliers de secours, deux gars en uniformes noirs de la sécurité tirent sur leurs clopes en restant sagement hors de portée des détecteurs de fumées et des caméras de surveillance. Quelques minutes avant, habillés d’une salopette au logo d’une marque très connue, ils livraient une armoire maintenant rangée dans un des nombreux bureaux en location. Des bons pros, qui ne feront pas l’erreur d’oublier leurs mégots ! Avec un minuscule talkie-walkie ils doivent prévenir la Princesse, car c’est ainsi que tous la surnomment dans la bande, du moment où les convoyeurs devront redescendre…
Moment qui arrive exactement à quinze heures dix-huit.
La liftière au doux parfum de comestible attend quelques secondes avant de partir vers le bas ; les deux gars ne sont guère contents et rouspètent.
-Dites mademoiselle, on ne peut rester ici longtemps, notre boulot nous interdit cet arrêt, entre deux étages si vous voulez...
-Il y a deux agents de la sécurité qui doivent profiter du voyage, les monte-charges ne sont pas encore réparés !
Le mal éduqué n’a pas le temps de terminer une autre cochonne pensée « on va se la payer à quatre » qu’une seringue se plante dans son cou. Le compagnon, un petit automatique collé sur la nuque, transpire en suppliant !
-Ne tirez pas Madame !
Moins d’une minute plus tard et trois étages plus bas, les deux complices enferment les convoyeurs plongés dans un profond sommeil…tout contre une grosse armoire. Comme d’hab ! Tout c’est passé sur des roulettes bien graissées. Du travail aux petits oignons. Sauf que…
Entre le dixième et le neuvième étage, l’ascenseur s’arrête ! Panne d’électricité dans tout l’édifice. Rien de grave, les générateurs de secours devraient prendre la relève automatiquement. Question de secondes, d’une ou deux minutes au maximum ! Que nenni ! L’interphone avec le central de contrôle au premier sous-sol averti qu’il va falloir attendre plus longtemps que prévu. Catastrophe depuis douze minutes. La Princesse doit évacuer au plus vite ! Elle neutralise la mini caméra et le micro de la cabine puis dévisse le plafond.
Le camion de transport de fonds, prévenu par l’expert et ne voyant pas revenir ses deux hommes vient de donner l’alerte.
Au pied de la tour des voitures de police, toutes sirènes hurlantes et gyrophares bleus en action, s’immobilisent. Armes en mains, une multitude de brassards rouges s’éparpille. 3 G et toute la bride débarquent moins de dix minutes plus tard. A peine le nez du commissaire dans l’ascenseur toujours bloqué, il hurle.
-C’est elle ! La salope qui a blessé un des nôtres. Attention à tous, la bête est dangereuse. Sommations rapides et feu sans hésitation !
Lulu non plus n’a pas de chance, il est des jours où mieux vaut rester at home en sirotant devant la télé. Des poulets partout dans les environs de la tour et les deux hommes à récupérer ne sont pas venus. Il repart donc tranquillos en faisant bien soin de respecter la vitesse, attentif au code de la route, quand un motard le double lentement. Merde encore un flic ! Bien, trop visible sur le siège passager, un beau Browning 38 Spécial…Brutale accélération, début de poursuite avec un puis deux motards auxquels s’ajoutent bientôt une, deux…cinq voitures. Lulu meurt, sa belle berline Audi encastrée à cent cinquante kilomètre-heure sous le châssis d’un camion….qui n’avait pas le droit de rouler sur cette voie. Dans la tour, la princesse n’est pas encore coincée. Le retour de la fée électrique signera sa fin.
L’hallali ! Chasse difficile où le gibier va s’avérer retors, redoutable et d’une surprenante agilité. Mademoiselle Eau ne peut se déplacer dorénavant sans qu’à peu d’intervalle une caméra ne puisse la contrôler. Elle doit avoir peur ! Un combattant, un commando en fuite ne file jamais sur les hauteurs, à moins qu’un hélicoptère ne soit prêt à le recueillir. Si possibilité il y a, c’est vers le bas en forçant au travers de la meute des poursuivants.
La difficile communication entre le dernier étage de bureaux et le premier de l’hôtel sera sa tombe. Seuls les agents de sécurité peuvent trouver la faille qui permet le passage. Fort justement tous les gars en noirs sont mobilisés, mais non-armés. Dans le labyrinthe, l’un d’entre eux se trouve soudain face à face avec la fugitive.
Coincée au cinquante quatrième, elle prend un otage. Un gars courageux qui ne perd pas le nord et enclenche le bouton Permanent de son Motorola. La communication devient possible entre le gibier et la traque.
Au bout de trois heures de blablabla, le commissaire Grandjean, un peu sans espoir, se propose pour prendre la place de l’otage. Mademoiselle accepte avec l’idée de pouvoir négocier désormais deux vies, sans compter la sienne. Il franchit la dernière porte avant d’apercevoir la femme. Bien vue, telle qu’il le pensait, pas loin de la trentaine, brune, belle. Les cheveux courts et bouclés qu’elle a perdus dans sa fuite donneront son ADN et, si elle s’en sort, peu probable, on pourra l’identifier.
-Vous avez une arme ?
Gégé aurait du prévoir, le poids sous son aisselle n’est pourtant pas inoubliable. Il écarte le plus doucement possible sa veste légère et sort son automatique du bout des doigts bien visibles, main grande ouverte.
-Posez-le parterre et envoyez-le d’un coup de pied !
Pas facile sur une moquette ma belle ! Tout va très vite. L’arme reste à mi distance et elle veut la récupérer. L’agent de sécurité en profite pour déséquilibrer sa preneuse en otage, Gégé prends son Colt fétiche…
Mais pourquoi a-t-elle tiré ?....
- Restez avec nous mademoiselle ! Restez, ne partez pas ! Un toubib sera bientôt là. Hé…hé…Mademoiselle !
Déjà sa peau se ternit, ses traits s’apaisent et tous ses muscles se détendent. Elle veut parler, Grandjean colle son oreille contre sa bouche, au plus prêt d’elle, sans se soucier du sang qui le macule.
-Il…il…par a…amour…a agit par amour…….nous nous aimions…nous…..
Eau de Rochas plus jamais ne dira mot.
Vingt heures trente dans la brigade. Demain sera un autre jour avec les multiples comptes-rendus à taper, des heures d’un boulot complémentaire au terrain, réellement peu agréables mais obligatoires…la paperasserie.
Les hommes sont justement fatigués au soir, ils pourront bien dormir. A part Gérard qui en trente deux ans de carrière n’avait jamais tué. Et il a fallut que ce soit une femme, lui qui les a toujours adorées !
-Deux morts chez les salopard, deux autres en fuite mais on ne va pas tarder à mettre le grappin dessus. Il n’y a que la taupe, car vous et moi sommes certains qu’elle existe, qui reste à découvrir ainsi qu’un manipulateur d’ordi. La brigade spéciale s’en occupe et celui-là peut bien serrer les fesses, on l’aura un jour prochain.
Bon bilan chef, ton pote Villon doit nous voir d’où il est. Et pour une fois il est surement content de nous.
-Paix à son âme Steph. Quelle misère ! Quand je pense que l’expertise a révélé que tous les cailloux étaient faux ! Le légiste va nous faire un relevé d’empreinte de la nana et on va vite mieux la connaître. Trouver son ou ses domiciles et tout perquisitionner ne sera qu’une question de jours.
Elle s’appelait Elodie Manceaux, vingt neuf ans, ex sportive de haut niveau qui a brillé dans les épreuves de demi-fond quelques années auparavant. Ceinture noire de judo, et une maitrise en mathématique qui aurait pu faire d’elle un professeur de faculté !
Le liftier faussement malade et remplacé par une belle nana à la divine odeur est arrêté. Il pensait pouvoir gagner trois mille euros en une semaine de bulle ! Pendant ce même temps Elodie n’avait pas mis pieds chez elle. Elle vivait sous une fausse identité dans un confortable petit meublé loué pour un mois…
Neuilly sur Seine, l’appartement est vaste, ouvert, cent vingt mètres carrés minimum à vue de nez ; aucune porte ne sépare les différentes pièces. Meuble sobres et modernes, fonctionnels et design de marques renommées. Peu de toiles sur les murs, mais si ce n’est de très grands maitres au prix du point exorbitant, au moins de renom international. Certainement pas des faux. Parmi elles, Vasarely trône dans l’impressionnant séjour et Buffet s’affiche dans les trois chambres…Au sol d’épais tapis orientaux valant chacun une petite fortune. Le commissaire Grandjean donne ses ordres. Cet appartement devra être passé au peigne le plus fin qu’il soit. Sondage des murs et des parquets inclus. On devrait y trouver la trace d’une autre personne qu’Elodie Manceaux. Cette nana devait avoir un mec, bien que qu’aucune trace de passage de ce dernier ne soit visible. Ou une copine pourquoi pas ? Relevé des empreintes digitales…tout, tout et à fond. Quitte à mobiliser une équipe de la scientifique pendant plusieurs jours !
On doit retrouver le complice de celle qui a tiré sur un flic !
Gégé fait lentement le tour des lieux, il s’en imprègne, il le hume. Une anomalie lui apparait dans la salle de bain. Une pièce de marbres en différentes nuances de gris et où sont incrustées de splendides lapis-lazulis. Alors qu’il tend la main pour saisir un flacon de démaquillant posé sur le lavabo son odorat sensible l’interpelle.
Aucune femme ne fait jamais son pipi là où normalement ne se lavent que la frimousse, les mains et les quenottes. Trop d’acrobaties à effectuer ! Ce que des offusqués horripilent n’est le fait que des messieurs. Les hommes font tous pipi dans le lavabo ! Il se dégage de celui-ci une odeur certaine. Un relent d’urine ! Certainement qu’un filet d’eau a dissimulé la prétendue mauvaise action, mais le tarin de Gégé ne saurait se tromper.
- Steph, vous me sortez le siphon là derrière ; et je veux au plus vite une analyse de l’urine, rognures d’ongles, cheveux ou poils de cul qui s’y trouvent. Je veux que le labo me donne le nom, l’âge, l’adresse, le numéro de sécu et de téléphone du mec. Vous foutez un seau avant de démonter et n’en perdez pas une goutte…Exécution, et sans rechigner comme à votre habitude !
-C’est toujours pour moi ces sales boulots ! Si c’était une scène de crime, ce serait la scientifique qui ferait ca !
Le lieutenant Collini ne doit pas connaitre l’expression « sans rechigner », mais il est dans son job un allier précieux, parfois faisant preuve d’initiatives intéressantes et d’une obstination confirmée. En deux mots, un bon flic ! En maugréant encore entre ses dents ; il file chercher un récipient.
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Tout est consommé, les deux derniers sont tombés en Espagne où ils pensaient couler des jours heureux. Les cons ont franchit une frontière prétendue inexistante, mais pourvue de caméras, avec leurs propres véhicules qui se suivaient sagement.
Laurent l’aurait félicité chaleureusement au moins. Le jeune blanc-bec qui l’a remplacé ne s’est pas même fendu d’un sourire et de quelques paroles dans le genre « bon boulot messieurs »
-Chef, j’ai posé les conclusions du labo sur ton bureau.
-Quelles analyses Steph?
-L’intérieur du siphon de lavabo à Neuilly!
-Ah c’est vrai, je l’avais oublié celui-ci! Merci !
Gégé décachette l’enveloppe et lit posément le charabia scientifique. Une seule chose qu’il comprend très bien. L’homme qui a fait pipi dans le lavabo est atteint d’une étrange et rare maladie au nom imprononçable d’acéruléoplasminémie.
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[1] Lire absolument LES DESSINS POLISSONS DE PABLO, d’un auteur extraordinaire …Henri Valéro
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