Douce plume acariâtre

                             UN COUP  D’AVANCE

 

                                           La martingale

 

                                        Il reste à l’homme ce que l’on qualifie souvent comme une qualité mais qui peut être pour d’autres une peur inavouable du lendemain: la prévoyance. Dans ce cas précis, les deux sont intiment liés.

    La chambre du très modeste hôtel du premier arrondissement de Lyon, où provisoirement il réside, est déjà payée d’avance pour les deux prochaines semaines. Aujourd’hui, un des problèmes parfois difficiles à résoudre pour lui , au moins ne le tarabuste pas. Par contre, pour l’argent en effectif, du sonnant et trébuchant immédiatement disponible, même en retournant toutes ses poches soigneusement, Sayimon Hertz n’arrivera pas à réunir la modique somme de cinquante euros.

    Une fois de plus il va lui falloir laisser en gage “au clou” sa Rolex en or massif qu’il porte discrètement au poignet droit. Sim, comme l’appellent ses rares familiers, est gaucher et il ne veut pas dans ses mouvements montrer cet ostentatoire joyau. Son grand démon intérieur lui assure que celà ne sera pas la dernière fois qu’il va faire une petite visite chez un prêteur; il faut satisfaire au vice dont il vit. Dont il mévit serait une terminologie plus exacte si elle existait!

    Sayimon joue. A tout et depuis toujours. sa prédilection actuelle le pousse vers la boule, dédaignée par ceux qui se prétendent des puristes mais qui reste une proche parente de la roulette. En principe les chances de succès sont plus élevés car ils y a moins de numéros possibles, mais les gains eux aussi sont moindres...quand on gagne bien sur. en attendant, quelque soit les probabilités de gains d’un jeu comme de l’autre, notre joueur cherche désespérément les combinaisons infaillibles. Peut-être la martingales du siècle. qui évitera  sa constante position en dessous des la côte d’alerte pour les disponibilités financières, voir qui lui permettra de devenir enfin riche!

      Mais...le souhaite il vraiment?

   Depuis belle lurette les banques lui ont coupé le chemin de leurs guichets, seule la Caisse d’Epargne, après négociations, peut-être aussi de par la loi, a accepté de ne pas lui retirer son livret A, sans évidemment lui fournir ni carnet de chèque ni encore moins de carte de crédit.

                  -Ne pas toucher à ce minuscule pécule...ne pas toucher...ne pas…

     Ne pas. Pour le pain quotidien, pour la chambre, et par nécessite de couvrir ses importants frais de prestance. Pas un rond en poche d’accord, mais un aspect impeccable que les teintureries et les pressing, souvent sollicités par celui qui n’a plus de domicile fixe depuis neuf ans, aident à maintenir.

   Rasé de près, le petit quinquagénaire un peu bedonnant, la calvitie qui s’étend inexorablement sur son crâne comme les sables du Sahara sur les pays l’avoisinant, se dirige à pied et à petits pas, car les transports en communs sont trop chers et que contrairement à la plus part de ses contemporains, il n’est jamais pressé, se dirige donc vers la bibliothèque municipale de La Part-Dieu. Il y travaille depuis plus d’une semaine à la réalisation d’une martingale qui, il en est persuadé, fera sauter la banque de Casino de Charbonnières. Cet établissement l’ayant laissé dernièrement sans la moindre plume.

      Lui, Sayimon Herzl, qu’on se la dise, va bientôt prendre sa revanche et savourer aussi sa vengeance...On en parlera dans les annales internationales du jeu, longuement.

       Alors qu’il franchit le pont Morant enjambant un Rhône vert clair, tranquille et majestueux, une soudaine averse lui fait hâter le pas.

                   -Allons donc, les prévisions de nos grenouilles météorologiques nous ont annoncé quelques nuages passagers sans risque de pluie. Ce qui dégringole de là-haut me paraît pourtant bien mouillé!

                   -Sim, monte vite!

                  -Baronne, tu tombes à pic, cette giboulée sera brève mais elle m’aurait trempé jusqu’aux os!

 

      Ah, cette Baronne! Toujours suffisamment d’argent en poche pour alimenter réservoir de sa vieille Mercédès pourtant grosse consommatrice d’un carburant devenant hors de prix. Avec les sommes faramineuses qu’elle laisse sur les tapis verts!

        Sim sait très bien d’où vient son éternel pécule. La femme est belle, encore jeune, alors...Elle use de ses charmes sans vergogne auprès des clients des salles de jeux, surtout quand ceux-ci, ou celles-ci sans sectarisme, ont été particulièrement chanceux. Au fait, pourquoi l’appelle-t-on Baronne? De la noblesse, il le sait aussi, elle n’a rien. “On” dit qu’elle aurait été quelques temps l’amante d’un véritable baron, et qu’elle l’aurait légèrement aidé à dilapider une conséquente fortune venue de ses respectables ancêtres.
         Bon, quant à la respectabilité du sang soi-disant bleu, Sayimon garde grand doute sur la question. Si l’on regarde l’Histoire avec une majuscule, disséquée dans nos beaux livres d’école et les histoires largement reprises et contées par maints écrivains au cours des siècles, de respectable la noblesse n’a pas grand chose.

          Exploitation des miséreux, fraternisation intéressée avec un clergé laveur de cerveaux, torturant et brûlant...Crimes et trahisons sans fin, faiseurs de guerres parfois fratricides. Et on appelle ça de la noblesse? Diantre: Le joueur se félicite de ne pas avoir de pareils alleux.  Que madame ou monsieur DE puissent tirer fierté de leur particule, lui paraît aberrant. Il se dit que personnellement il en aurait plutôt honte.

                -Alors Sim, tu travailles toujours sur ta miraculeuse martingale?

                -Ne te fous pas de ma gueule! D’ici une semaine, deux au maximum, je t’invite à mon côté au Casino et tu verras! Je concocte des combinaisons dont tu me donneras des nouvelles. J’y ai même rajouté de la musique, je suis certain d’être le premier joueur au monde à avoir pensé faire pareil aggloméra.

                 Au fait, puisqu’il n’existe pas de coïncidence, nous l’avions admis un jour, pourrais-tu m’avancer la modique somme de mille euros?

                  -Sim, tu es incorrigible, mais tu m’as toujours remboursé et assez vite. Alors je te dis oui. De plus c’est aujourd’hui mon anniversaire, je franchis le cap de la trentaine.

                   -Tu ne les fais pas fausse baronne, mais tu es une véritable princesse.

                 -Vilain flatteurs qui vit aux dépends gnagnagni gnagnagna,  regarde dans ma pochette. Il doit y avoir juste le compte, les cinq beaux billets jaunes sont pour toi.

       

       En prenant l’argent un petit pistolet noir à la crosse de nacre glisse et tombe sur le tapis qui gagnerait à être dépoussiéré.

                  -Tu as peur d’une attaque? Ce truc louperait un éléphant dans un couloir!

                  -Cela est rare mais il m’arrive de me balader avec pas mal de fric, alors ce joujou me rassure quelque peu. Il peut toujours intimider un mal intentionné. De plus le quartier où j’habite devient parfois dangereux très tard dans la nuit.

                  -Tu crèches encore derrière les voûtes de Perrache?

            -  Oui, avec un minuscule loyer, hélas la vieille baraque va bientôt disparaître pour laisser certainement place à un horrible grand immeuble.

                 -Je te laisse ici, il ne pleut presque plus et tu n’as que cent mètre à faire. Pour une fois bouges toi un peu plus vite!

                   -Merci ma belle! Bon anniversaire et, à dans très peu de temps!

 

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                 -Comme c’est étrange, le numéros sortis sur une table de roulette obéissent à une modulation semblable à celle de la musique sur une portée. Je l’avais déjà supposé mais maintenant j’en suis absolument certain.

       Cette curieuse découverte faite par un esprit pourtant cartésien (paradoxalement n’admettant pas la logique immuable de la perte au jeu), ne parait pas s’adapter à la boule. Par contre...à la roulette, les suites étudiées semblent  parfaitement applicables.

     Entre le différentes sortes de paris, plein jeu, à cheval, transversales, colonnes, carré, sixains, chances simples, et la possibilité de pouvoir les combiner, notre joueur maladif établit réellement une grille de comparaison avec des partitions musicales. L’étude approfondie d’une série sortie sur une table de jeu en particulier, donne un rythme typique propre à cette seule table. Une sorte de mélodie. Dans ce cas précis, le complainte de la table  numéro deux du Casino de Charbonnières…

     Foutaises que tout cela! Peut-être, mais Sayimon est persuadé qu’il tient le bon bout et s’applique sur ses savants calculs. Il peaufine une abaque compliquée qu’il déplace de la série de numéros sur des gammes de notes de musique puis enfin sur le miraculeux tapis vert. Où du zéro au trente six la petite bille aura le choix….Le noir, le rouge constituent les deux couleurs de simple chance avec les pairs et les impairs puis les passes et las manque.

       Quand on dispose de beaucoup de jetons à éparpiller savamment sur le tapis, les combinaisons sont presque infinies. Mais un seul numéro sortira après la phrase traditionnelle du croupier “Rien ne va plus”.

        Mathématiquement parlant,  à la fin de chaque journée...la banque reste l’unique gagnante!

              -Non, non et non, cette fois ci, je vais la faire sauter!

       La stratégie est enfin arrêtée après onze jours de mobilisation  dans le silence d’une salle de travail d’une des plus grandes bibliothèques de France. En ce lieu de la connaissance humaine, une étude ne donnera que des fruits merveilleux. Épuise mais heureux, Sim téléphone à la Baronne pour lui fixer un rendez-vous devant le tapis vert que jamais plus il ne qualifiera de maudit. Dans une pochette plastifiée un curieux abaque  dans lequel coulisse un bristol couvert de numéros. Même le zéro y est marqué! Ces mêmes numéros qui vont se suivre dans l’ordre prévu,  quand la petite bille s'arrêtera. Sûr et certain.

       A chaque tirage   du jeu, il lui faudra miser seulement sur un numéro plein et sur un sixain.  Trente cinq fois la mise en cas de réussite ou cinq fois seulement. Avec sa martingale qu’il a baptisée “Modulation en sol gagnant”, une nouvelle vie va s’ouvrir devant lui.

 

      Malheur au Casino de Charbonnières les Bains!     

 

      Le premier des atouts de Sayimon (le deuxième étant sa Rolex en or) est soigneusement rangé dans son étui noir et rigide. De nombreuses fois, le bel instrument hérité de son grand-père l’a sauvé d’une famine annoncée.         

       Sans le moindre centime en poche, il suffit à ce véritable virtuose, si doué qu’il aurait certainement pu faire une carrière internationale, de se mettre à jouer dans un couloir de métro pour rapidement récolter quelque argent. Plusieurs fois, y compris les policiers venus le déloger sont tombés sous le charme et lui ont permis de terminer sa partition. Que ce soit à Paris ou à Berlin, à Lyon ou à Barcelone, les forces de l’ordre ont montré une grande délicatesse pour sa magnifique guitare. Un instrument qui fut directement commandé à un célèbre luthier espagnol du début du vingtième siècle. Il est si beau et sa musicalité si parfaite que le musicien en transes a eu le plaisir de découvrir quelques fois de beaux billets dans l’étui qui bâillait en quémandant pitance.

        Pour développer sa “Mélodie en sol gagnant”, les mille euros prêtés par son amie ne seront certainement pas suffisants. Alors direction la place Bellecour, ou plutôt la Rue de la Ré, diminutif souvent donné à la rue de la République par tous les Lyonnais. Presque en face de la FNAC. La foule y passe  en permanence et souvent en flânant, c’est son coin de prédilection pour faire la manche musicale quand la météo le permet. Et aujourd’hui justement,  le mois de mai porte particulièrement bien son adjectif de joli.

        L’imprévu s’appelle la crise. Les pièces de monnaie ne pleuvent pas autant qu’autrefois! Sans doute des fins de mois de plus en plus difficiles sauf évidemment pour les politiciens et les banquiers qui s'empiffrent toujours davantage. Sayimon est un farouche antisocial; jamais il n’a voté. Toutes ces prometteuses  marionnettes rêvant de tirer les ficelles à leur tour le dégoûtent. Dans beaucoup de pays il a connu des différents régimes politiques au pouvoir. Gauche, centre ou droite, partout sans exception, les petites gens n’ont que deux droits, celui de se taire et de payer. Leur masse alimente la richesse de quelques uns…

       Deux heures déjà qu’il joue et la récolte est bien maigrelette, le virtuose fait semblent de suivre des partitions qu’il connaît par cœur.

              -Dieu que tu es génial!

            -Merci Baronne! Tu es ici par hasard ou tu es venue expressément pour m’écouter? D’ici ce soir j’espère avoir suffisamment pour t’inviter à souper, sinon je mettrai la main à la poche.

          -D’accord, la Brasserie Georges vers neuf heures. Tu me parleras plus en détail de ta fameuse martingale.

             -Ok, ça marche! Tu ne serais pas un chouïa intéressée en cas de réussite des fois?

             -Voyons Sim, s’il te plaît, pas avec moi!

      Et le soir venu Sayimon tout beau tout propre, face à une exquise Baronne, se laisse aller. Une superbe choucroute et un divin Gewurztraminer sont attaqués avec une victoire assurée pour le couple décontracté.

             -Ce soir je préfère t’appeler par ton prénom, ma chère Sylvie.

             -Comment le sais-tu?

          -Service  d’information secret. Mais rassure toi, tant d’intimité ne me poussera pas jusqu’à te demander en mariage!

           -Tu as déjà donné devant monsieur le maire?

           -Une fois oui. Ma femme m’a quitté le lendemain de notre mariage.

           -Nuit de noce ratée?

         -Tu parles, il y avait deux ans que nous vivions ensemble. Je n’ai toujours pas compris, d’autant moins qu’elle aussi était passionnée par le tapis vert.

 

       Vers onze heures, Sylvie Buffon sait tout de vie d’un Sayimon métamorphosé. Peu volubile à l'accoutume, il lui a raconté le secret de sa naissance. De sa conception plus exactement. Puis les aléas qui l’ont marqué en devenant un homme.

       En 1964, de la belle ville de Tours où son papa est un notable fort respecté, Ruth Herzl prend le train pour Londres, via Paris. Les Beatles, ce groupe de musiciens compositeurs chanteurs au rythme révolutionnaire, sont sa passion. Papa, pour son anniversaire lui a offert un billet pour un concert qui promet d’être mémorable. Dix sept printemps, c’est beau la jeunesse…

   Quelques heures dans une ambiance indescriptible, au milieu d’un public presque exclusivement féminin, foule hurlante prise d’un délire collectif, puis deux jours pour découvrir les beautés et les joies de la capitale britannique. Deux jours qui vont suffire largement à la belle jeunette pour revenir dans l'hexagone avec ce que communément l’on qualifie de Polichinelle dans le tiroir.

    Énorme gêne dans la famille. Monsieur Herzl propose tout de suite un court voyage de soulagement en Suisse, dans une discrète clinique privée où ce genre de problème  est solutionné rapidement moyennant confortable rémunération. Horreur contexte madame, beaucoup plus traditionaliste dans ses idées et enchaînée par les concepts de sa religion, elle ne peut tolérer l’idée d’un interruption volontaire de grossesse.

       Sayimon est donc né Tourangeau le six janvier 1965 dans l’hôtel particulier de la famille. Nul jamais n’a su par quel malentendu, ou par quelle erreur de frappe sur sa machine, mais l’employé de l'état civil, le surlendemain à la déclaration,  a noté la date du sept sur l’acte officiel. Personne par la suite n’a pris soin de rectifier cette minuscule erreur.

       Sim est venu au monde avec un jour d’avance sur sa date de naissance!

     

       Quatre ans plus tard, un jeune homme de deux ans son cadet, fou amoureux, demande en mariage une Ruth dont le ventre s’est de nouveau arrondi prématurément. Milieu 1972, malgré un conflit qui s’éterniser contre les Palestiniens, le couple et les deux enfants  immigrent vers la terre promise, dans la petite bourgade d’Afula en Galilée.

     

        Sayimon n’a que sept ans mais c’est l’âge d’un premier grand changement, où de bambin l’on passe à l’enfance. L’expérience de quitter une ville telle que Tours et un certain niveau de vie, même pour une terre biblique, ne convient vraiment pas du tout à Sim qui devient vite hostile, se referme dans sa coquille. Il se replie dans un monde imaginaire paraissant mieux lui convenir, celui des cartes dont il a découvert par hasard deux jeux mélangés, probablement destinés au rami. Les rois, les reines et leurs valets semblent tenir un langage plus compréhensible que celui de la maîtresse d’école ou du rabbin.

        A neuf ans il trouve un jeu de dés et, au grand effroi de ses parents, commence à parier sur les combinaisons pouvant sortir d’un gobelet de cuir avec deux, puis cinq petits dés magiques. Menacé d’exclusion de l’école car il voulait contaminer ses camarades, garçons et fille sans distinction, Sim s’enfermera dorénavant pour assouvir ce qui sera le vice de toute sa vie. Le jeu.

       Pour tenter de contrer les fâcheuses tendances du gamin, ce mauvais exemple sera inscrit dans une académie de musique, la seule du lieu d’ailleurs. Il va briller par son exceptionnelle capacité pour le solfège, matière pourtant hautement rébarbative et souvent abandonnée pour sa difficulté et la persévérance qu’il faut y déployer. Plusieurs essais infructueux avec un violon, une flûte à bec puis un piano ont abouti finalement à la guitare. Tout comme l’oncle Bernard et du grand-père Ian.

       Le musique sera pour toujours la seule alternative au jeu, hélas sans jamais l’éliminer.

       Fort heureusement Ruth et Henri vont avoir l’intelligence de continuer à parler Français  sous le toit familial. Les études secondaires du prodige auraient du l’orienter vers l’université puis le professorat dans cette langue mais la passion folle qui ronge les tripes du jeune homme ne permet pas l’aboutissement des projets parentaux.

      Deux années sous les drapeaux, à trop souvent faire le coup feu sur une frontière avec un territoire palestinien réduit et encerclé, ne calment pas les puissantes ardeurs d’un soldat qui passera aussi plusieurs mois de cellule pour jeux interdits (pas sur sa guitare) et de plus, tricheries répétées.

       A vingt trois ans , ayant gardé la nostalgie de la vie en France, il demande un passeport pour, dit-il, se perfectionner dans la langue de Voltaire. Né sur l’hexagone d’une mère Française, la loi lui octroie automatiquement la nationalité. Jamais plus il ne remettra les pieds en Israël, pas même pour assister aux funérailles de ses parents, tués tous les deux par des Palestiniens. Infiltrés qui revenaient sur le sol de leurs ancêtres, se venger d’une expulsion forcée. Des terroristes! Soumis de nouveau à des obligations militaires, un service de substitution voit les effectifs de la Croix Rouge qui se mordent les doigts d’une recrue plus encline  au jeu  qu’au service des malades ou des blessés.

       Après un très rapide séjour chez sa grand-mère devenue veuve depuis dix ans déjà; il plaque tout. Il disparaît avec la belle guitare que l’oncle Bernard lui a donnée. Rapidement le rythme alterné  manches musicales et salles de jeux se fait routinier, l’une assurant les entrées financières, les autres transformant les gains en fumée.

             -Sim, tu montes chez moi pour un dernier verre? Tu ne m’as toujours rien dit de ta martingale. Nous sommes à dix minutes à pied de chez moi.

        Dans le petit appartement, devant un verre d’excellent Cognac, le joueur passionné décrit son plan avec minutie. Longuement. Trop longuement.. Sylvie baille, baille encore puis s’endort bien avant la fin. Il la porte sur le seul et large lit avant de s’installer sur le divan en se demandant s’il ses numéros n’étaient pas de trop, et s’il aurait du plutôt proposer un gros câlin à la jeune femme.

        Vers dix heures du matin, la Baronne trouve un petit mot sur la table, une invite ainsi rédigée.

 

         Promesse solennelle, en plus de te rembourser ton prêt généreux, je t’offrirai un collier de perles car ma réussite est annoncée. C’est écrit dans le ciel.

            Alors rendez-vous ce dimanche à Charbonnières, dés l’ouverture (bien que cela soit un peu tôt pour toi) La table deux de la roulette va connaître mon heure de gloire.

 

                                          Bise                   SIM

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                                 Un coup d’avance.

 

                        Il fait encore grand beau temps quand Sayimon monte les quelques marches du perron. A son  bras, une Sylvie plus belle que jamais est radieuse. Tous deux sont parmi les premiers à franchir la magistrale entrée du Casino et c’est un portier étonné de les voir si tôt qui les salue.

                -Oh bonjour messieurs dames, j’espère que vous allez passer une excellente soirée!

                -Merci Maxime, vous êtes toujours aussi gentil!

        Un petit éclat coquin vient de briller dans les yeux d’un Max s’efforçant pourtant de rester absolument impavide. Cela n’échappe pourtant pas à Sayimon.

                 -Celui là doit penser que nous sommes amants.

           -Sim, je me fous de ce qu’il pense. En plus je sais que si tu avais voulu ce jeudi, le bonhomme aurait raison.

                 -Ma chère Sylvie, tu me plais trop, et gâcher notre amitié pour un simple moment de cul me désolerait. Et puis, regarde-moi. Je ne suis plus très jeune et pour la question beauté, ce n’est pas encore du Rudolf  Valentino!

               -Tu as sans doute raison. Ça n’empêche que toi aussi me plais bien, par ton côté artiste, et tu es un mec super sympa.

     Environ un quart d’heure plus tard, le chef  de la table deux de la roulette fait son sempiternel discours. Il explique les mises minimum et maximum autorisées, demande le respect des consignes des croupiers qui vont se succéder et rappelle comme chaque soir que tout le personnel reste à l’entière disposition des joueurs pour toutes informations supplémentaires.

               -Observe les numéros sortants et compare avec ce que j’ai prévu. Pour le moment, je vais jouer au hasard en positionnant mes jetons sans stratégie.

 

       Après dix tirage, la Baronne incrédule constate que Sim aurait déjà touché deux pleins avec trente cinq fois la mise et deux sixains avec cinq fois...Les jetons placés au petit bonheur la chance n’ont rien rapporté.

         Monsieur Herzl jubile.

                -Regarde bien, dans trois coups je commence. Cela suit exactement ma modulation. Je jouerai le 18 et suivrai alors “Mélodie en sol gagnant”. Badaboum la banque!

       Le moment espéré enfin arrive, les deux tirages étaient notés sur la martingale magique! Le croupier une fois de plus lance son injonction.

                -Faites vos jeux!

      Sans hésitation Sayimon pose avec une délectation quasi voluptueuse quatre jetons de dix euros sur le 18 et quatre autres sur le sixain 25/3.

               -Rien ne va plus….

      La petite boule tourne en sens inverse de la roulette, elle s'arrête une fraction de seconde avant de ricocher, repartir enfin accompagner la roue avant trouver son enclave où elle reste immobilisée, prisonnière d’un numéro.

                   -Le 29. Noir, Impair et Passe!

       Le râteau du croupier manié avec la dextérité d’une longue expérience récupère les jetons perdants et pousse une pile de vingt vers un Sim ravi. de ce premier succès. Il vient de risquer quatre-vingts euros et d’en gagner deux cents grâce au sixain.

                  -Messieurs dames faites vos jeux !

        Suivant la directive de son abaque, Sim place de nouveau quatre jetons sur le 11 et quatre sur le sixain 4/9.

                   -Rien ne va plus!

         La bille tourne, tourne, saute et s’immobilise.

                  -Le 18. Rouge, Pair et Manque.

       Tout perdu, mais le numéro précédemment joué vient de sortir. Coïncidence?  Sim fronce les sourcils et continue de suivre sa martingale.

                  -Faites vos jeux!

         La Baronne restée jusque là dans l'expectative, place quelques jetons aux côtés de ceux de son ami. Sur le 21 plein et le sixain 31/36

                 - Rien ne va plus……..

         La bille ensorcelante tourne…

                 -Le 11 Noir Impair et Manque         

       

 

    Un grand frisson parcoure la nuque de Sayimon, il vient de jouer successivement trois numéros d’avance sur une roulette qui semble le narguer. Apparemment “Mélodie en sol gagnant” parait fonctionner au-delà même de ses espérances...simplement avec un léger décalage. Sur le coup suivant il s’abstient et la Baronne joue, dés le “Faites vos jeux” prononcé, la combinaison prévue. Le 7 plein et le sixain 31/36 une fois encore, mais avec seulement deux jetons.

                 -Rien ne va plus…..Le 21, Rouge, Impair et Passe.

 

    Cette fois ci c’est une stupéfaction sans borne qui assaille notre joueur complètement désorienté. La même chose inimaginable s’est reproduite quatre fois de suite. La petite bille devient plus que vicieuse. Alors comme un automate Sayimon continue. Cinq, six,  sept fois puis dix fois le scénario impossible. La Baronne  à ses côtés s’est immobilisée. Consciente de l’anomalie du moment, la peur l’envahit soudain.

      Les autres joueurs devant la table, obnubilés par leurs propres combinaisons, anxieux de leur seule réussite, ne se sont aperçus de rien. Le croupier par contre a remarqué avec sa mémoire des séries, l’étrange situation. Il demande à être relevé pour prévenir le chef de table.

        Vingt sur vingt, les sixains trois fois seulement gagnants n’ont rapporté que six cents euros, et déjà mille dépassés  en perte sèche. Il faut se retirer de cet engrenage diabolique, étudier rapidement comment se synchroniser sur cette maudite roulette. Tout est invraisemblable, irréel, en dehors de l’imaginaire!

                 - Sylvie, note les numéros sortants, je reviens!

         Monsieur Herzl file en titubant vers les toilettes  pour soulager une vessie qui commence le rappel d’une naturelle nécessité. Puis ils se regarde dans le grand miroir face aux lavabos et ne se reconnaît pas. En une heure et demie, il lui semble avoir vieilli soudainement de dix ans.

                 -Quelle tronche! Ce n’est pas possible!

        Blanc crayeux, les yeux hagards et cernés, c’est une véritable métamorphose qu’il vient de subir. Un peu de fraîcheur sur le visage aspergé d’eau, puis un coup de peigne réajustant les cheveux restants redonnent à l’homme un aspect un peu plus présentable.

   Exercices de respiration profonde, se relâcher, vider un cerveau affolé d’un trop-plein d'incompréhension, attendre que les battements accélérés de son cœur reviennent à la normale et que les larmes apparues cessent de couler…

     Un demie heure plus tard, Sim revient vers la table de jeu. Plus de places assises disponibles, il lui faudra continuer debout. Sa compagne de jeu a disparu. Elle réapparaît, sa minuscule pochette noire sous l’aisselle.

                -Rapide beauté moi aussi! (façon élégante et classique de définir un petit pipi féminin)

             C’est incroyable Sayimon, toutes tes prévisions se sont confirmées,  dans l’ordre exact. Par deux fois j’ai parié en plein, suivant ta martingale, et encore par deux fois les numéros sont sortis le coup d’après. Il faut que tu t'arrêtes, j’ai un très mauvais pressentiment. Cela va mal tourner. Filons sur Lyon, demain sera un autre jour et tant pis  pour ta dette, je ne suis pas pressée.

              -Mais non, mais non!, c’est tout simple, puisque je joue avec un coup d’avance, il me suffit de parier plusieurs fois consécutives sur l’un de mes numéros prévu. Jusqu’à ce qu’il sorte et je serai ainsi réaligné avec la table. Je l’ai tout pensé et repensé, c’est évident. Tu te rends compte que j’ai réussi l’exploit de prévoir une suite de plus de cinquante coups. Ha oui, vraiment ce jour va être exceptionnel!

        Quand le couple retourne en enfer, le directeur du Casino lui même est présent devant la table deux de la roulette.

   Pendant une demie heure Sayimon ne suit pas ses calculs, et pourtant ils sont systématiquement confirmés. Alors rassuré, de nouveau euphorique, certain désormais de faire sauter la banque, au “faites vos jeux” suivant il mise  quatre jetons sur le 31 plein et quatre sur le sixain 25/30.

                 -Il doit sortir, c’est mathématique!

                 -Rien ne va plus!

          En sueur et angoissé, pour la première fois le joueur ne regarde pas le lancer et ne suit pas des yeux la petite bille qui tourne, tourne…rebondit sur les chicanes de laiton poli….

                 -Le 16, Rouge Paire et Manque!

      Les jetons disparaissent comme  happés par l’avide râteau du croupier en un éclair, mais suivant sa logique, le 31 DOIT SORTIR!

                 -Faites vos jeux!

      Alors Sim réitère sa combinaison avec la même mise...dix-huit fois de suite sans succès. Désemparé, n’écoutant pas les signaux de détresse  de Sylvie qui lui conseille d’abandonner le navire, se confiant une fois de plus à “Mélodie en sol gagnant qui maintenant lui brûle les mains, il parie  sur la combinaison suivante. de cette maudite qui le tue à petit feu. Tout ce qui lui reste sur le tapis vert. Il ne garde qu’un jeton. Le 8 plein et le sixain1/6.

                  - Le 31, Rouge Impair et Passe

          La foudre s’abat sur le joueur qui titube. Il va perdre ses derniers dix euros  en misant une fois encore avec un coup d’avance sur l’instrument du diable. Le chef de la table assisté de plusieurs membres de la sécurité, évacue un homme vert, au bord de la syncope. « Mélodie en sol perdant » tombe sur le magnifique parquet et est récupérée par une Sylvie en larmes.

            -Voulez vous que nous appelions une ambulance monsieur Herzl ? Vous avez piètre mine et risquez une crise cardiaque !

               -Non merci, vous êtres aimable,  mais mademoiselle va me raccompagner.

    La fraîcheur nocturne redonne un peu de vigueur à celui qui vient de tout perdre, y comprit l’espoir. Une terrible malédiction a posé ses ailes sur sa tête, ce qui lui reste d’esprit l’en persuade.

     Il refuse le réconfort sous-entendu de son amie, nécessitant plus que tout la solitude. De noirs desseins se bousculent en son cerveau embrumé. Quand la vieille Mercédès roule sous le tunnel de Fourvière Sim prend s’approprie la pochette vernie en demandant.

              -Je te chipe un kleenex, j’en ai bien besoin.

              -Bien sûr !

    La dextérité développée par de nombreuses années de manipulation de cartes permet à l’homme de voler le minuscule pistolet à la crosse de nacre et de le remplacer par sa Rolex préalablement ôtée de son poignet avec discrétion. Au poids, la Baronne ne pourra voir la différence et le rectangle noir ne semble pas plus épais…

             -Allez Sayimon, prends soin de toi, oublie cette journée qui n’a jamais existé. Et sache que, vieux et pas beau, j’ai bien peur d’être un peu amoureuse. Tu vois que les proverbes peuvent parfois avoir un bien-fondé !

                 Malheureux au jeu, heureux en amour.  File au dodo et à demain, je viendrai te voir.

        Un court instant Sim pense à la merveilleuse proposition de la jeune femme, mais il y a une chose qu’il ne lui a jamais avouée. Le mal qui le ronge depuis le lointain départ de son épouse n’est pas cicatrisé. Étrangement Sylvie lui ressemble, à tel point que côte à côte, la terre entière aurait pu les prendre pour sœurs. Reprendre dans ses bras par personne interposée celle qu’il n’a jamais revue lui semble impossible.

       Sayimon embrasse son amie tendrement, d’un chaste baiser et monte rapidement sans rien dire dans sa petite et impersonnelle chambre à peine confortable.

      La tête en effervescence, le cerveau incapable de suivre le fil d’une idée de façon claire et logique, il reste prostré, hagard devant la fenêtre aux rideaux tirés sur les côtés. Regardant le spectacle de la persienne baissée à travers un carreau que sa respiration embue. Le pistolet joujou armé posé sur la table de nuit, à côté d’une lampe de chevet que toujours, même en dormant, il laisse allumée. Depuis une attaque nocturne des Palestiniens en Galilée, Sayimon est possédé d’une peur inavouable à son âge. Celle du noir, de l’obscurité. Il attend patiemment sept heures et demie.

       C’est toujours à ce moment et chaque jour de la semaine sauf  le mardii que son presque vis-à-vis, de l’autre côte de l’étroite ruelle et environ cinquante mètres en amont, enfourche sa 750 cc pour partir au boulot,  Sur son passage, personne n’a besoin d’un réveille-matin.

      Au moment précis où la bruyante moto passe devant le petit hôtel, Sayimon presse la détente de l’arme qu’il tient pointée sur sa trempe…

         A dix heures, dans son modeste appartement du quartier de Perrache, Sylvie Buffon, tête en l’air comme à son habitude, chercher où elle a bien pu laissé les clés de sa voiture. Elle regarde dans sa pochette et immédiatement s’exclame en découvrant la substitution de la nuit.

                   -Ho mon Dieu. Sim !

      Deux secondes plus tard elle téléphone à Police Secours en composant le 17, sans penser un instant au Noir Impair et Manque.

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              -Il est vivant, appelez une ambulance.

        Le lieutenant ramasse l’arme avec précaution et la scelle dans une pochette transparente de plastique.

           -Pas étonnant, avec un bidule comme celui-ci on raterait un éléphant dans un couloir. Une mauvaise pression avec le doigt et le canon dévie. Ce type a une chance inouïe, il s’en tirera avec une belle cicatrice sur le cuir chevelu. Enfin dans son cas, presque chevelu!

                -Sergent, vous escorterez quidam aux urgences de l’hosto et lui laissez une convocation pour le commissariat.

      A quatre heures de l’après midi, peu de temps après son retour de l’hôpital, la tête enturbannée d’un beau pansement, monsieur Herzl veut partir pour régler la formalité policière. Plus vite faite, plus vite oubliée. En coupant par l’un des innombrables escaliers qui jalonnent les flancs de la colline de la Croix-Rousse, il descend vers les terreaux. Il n’a plus que cent mètres à parcourir jusqu’à la place Satonnay où se trouve le commissariat du premier arrondissement. Attention, une nouvelle courte averse a tendu les vieilles marches usées glissantes par endroit.

      Le médecin lui a pourtant recommandé de rester tranquille, au moins aujourd’hui, mais les récents événements ont ôté à l’homme sa capacité de bien réfléchir. Dans la pente raide, la chute est lourde.  Quand  la  dégringolade s’arrête sur un palier, la tête au turban fait un angle bizarre par rapport au corps désormais immobile pour l’éternité.

         La mort n’a pas voulu le coup d’avance de monsieur Herzl, c’est elle qui a choisi son heure !

     Derrière les voûtes de  Perrache, la Baronne se prépare pour sortir, l’hôpital l’a prévenue que Sayimon était renté chez lui, hors de danger. Elle jette un coup d’œil sur la martingale maudite qu’elle a,  en pleurant, longuement  tenue en main ce matin.

     Il est très exactement seize heures douze. Incrédule, ses beaux yeux s’écarquillent alors qu’elle regarde sous l’abaque.

            « Mélodie en sol gagnant » pourtant écrite sur un bristol avec un stylo à bille noir, s’efface lentement jusqu’à disparaître….

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