Douce plume acariâtre

   A Montserrat B.la montagne sacrée de Ornicar redevenu Catalan.

        L’auteur tient à préciser que toutes ressemblances avec des personnages ayant réellement existé ne serait pas une coïncidence. Si quelques uns se reconnaissent, c’est qu’il a bien fait son travail de narrateur. Aucune peur n’est en lui n’ayant aucunement menti sur leurs faits et gestes. Il promet par contre que leurs noms ne seront jamais dévoilés, cela ne lui sera d’ailleurs pas difficile car il les a oubliés.

 
                                          
                                         MAIS OU EST DONC ORNICAR ?

 

                                                   CHAPITRE TRENTE SIX.     L’ÎLE.

 

                    Il navigue en père pas peinard du tout dans une brume cotonneuse. De la barre qu’il ne peut pas lâcher car son pilote automatique n’a jamais existé, Ornicar scrute au-delà de proue, au-delà du bout-dehors (sorte de grand zizi qui pointe toujours en avant et soutient les voiles) essayant vainement d’entrevoir un petit quelque chose.
                    Le cap est au plein Nord et l’île ne doit pas être bien loin, là, quelque part devant lui. La mer, encore heureux, est plate ; pas un souffle de vent et le moteur puissant de ses cinquante chevaux sans vapeur mais affamés de gasoil ronronne à faible régime.
                   Ornicar a trente six ans, une semaine, deux jours et une heure si son papa et sa maman, qui l’on vu naître dans la joie pour l’un et dans la douleur en plus pour l’autre, ne lui ont point menti en narrant pour la x ieme fois l’événement de leur vie.
- C’est un gone, c’est exclamé le fier papa.
                    A l’époque l’écographie n’a pas été encore inventée et la question qui se posait alors était : fille ou garçon, quand il a vu que quelque chose pendouillait au bon endroit, l’homme qui l’espérait tant (cette chose) s’est irradié de bonheur.
                    Que ceci reste entre nous, il parait même qu’une voisine aurait dit que si c’était une fille elle serait passée à la poubelle ; mais Ornicar qui revient de loin, n’est pas certain que ses gentils géniteurs fussent capables d’une telle monstruosité.
                    L’innocent a ouvert ses yeux un 19 novembre 1946 à Barcelone et rempli ses minuscules poumons pour la première fois d’un air non encore trop contaminé. Il a poussé son premier cri d’incompréhension. Trente six ans plus tard, après moult autres hurlements, l’homme qu’il est devenu reste toujours un innocent qui n’a encore rien compris.
                    Et l’étrave du bateau coupe en deux parts égales, l’une s’en allant à bâbord l’autre à tribord, une eau froide, hostile, verte presque grise et salée de surcroît. Nous sommes en novembre 1982 et le GPS en version petit bateau comme les slips, n’est pas encore disponible sur l’étale des chips chandeleurs. La navigation se fait avec un sextant, des tables d’une simplicité digne des plus hautes écoles d’ingénieurs mais plus que tout grâce à l’estime. Une sorte de pifomètre très élaboré où interviennent le cap, la vitesse, le temps, la force du vent et sa direction, les courants, l’allure du bateau et quelques dizaines d’autres paramètres. Seul l’âge du capitaine est exclu du calcul, encore que….
                    Ornicar n’a jamais eu peur de sa vie. Seule l’incertitude engendre ce mal dont souffre la plus grande part des humains ; pourtant l’inquiétude, cousine au troisième ou quatrième degré de la panique, le gagne doucement. Il arrête le moteur et le voilier file sur son erre puis s’immobilise. Le marin peut maintenant écouter le silence, guetter les bruits. Si près de terre, et peut être à cause aussi de cette purée de poix qui l’entoure, qui l’enveloppe comme un cocon, un relevé goniométrique se révèle trop imprécis pour éviter le danger.
                   Le ketch d’acier de dix mètres trente se balance doucement sur la grande marre des canards et s’adresse à son propriétaire préoccupé.
- Alors Ornicar, tu reprends la barre ? Où c’est-y qu’on va ?
                                                 Il faut que tu te décides à réparer ce petit foc que la dernière branlée m’a méchamment déchiré.
                             Ah il est beau notre retour, hé banane ! Tu pars avec moi pour faire le tour du monde et après deux jours au nord de la Sardaigne tu rentres au bercail.
                               Parti d’Hyères tu reviens aujourd’hui. Hi hi hi, elle est bonne celle-ci !
   - Tais-toi, écoute !
                   L’homme et le bateau tendent chacun l’oreille en élargissant leurs pavillons tels des sonotones d’autrefois.
- Ecoute, c’est pas le ressac sur des rochers que l’on entend, pas loin ? Bien près, je dirais même.
                   Tout la haut le grand barbu qui veille claque des doigts et, miracle, aussitôt se lève le voile de coton qui enrobait indélicatement Ornicar et son maître le bateau. La toile se désafile, préparant le tissage de son prochain piège pour attraper d’autres couples navire-équipage, en un autre lieu, en un autre temps.
- Ho bon Dieu !
                   C’est vrai qu’il est bon, plus que bon et miséricordieux, avant le claquage des doigts c’est un grand coup de pouce qu’il a donné encore une fois à Ornicar le marin. La barbe pleine de sel n’est pas aussi belle et aussi blanche que celle du tout puissant alors celui-ci n’est pas encore jaloux de ce petit minus, tout en bas sur sa précaire embarcation.
                    Les jambes flageolantes, les genoux espagnols jouant allègrement des castagnettes, l’homme aux trente six ans, une semaine, deux jours et désormais deux heures, les innombrables couches de chemisettes, chemises, pulls et enfin le ciré lui empêchant de se meurtrir le dos aux drisses du grand mat sur lequel, abasourdi, il se laisse maintenant appuyer.
                   Les hautes falaises se découpent devant ses yeux écarquillés, rougis d’avoir trop veillé, trop scruté. Là, à pas même cinquante mètres, de l’horizon bâbords à l’horizon tribord se dresse un vertigineux mur de rochers. Tout là haut les pins qui le bordent semblent minuscules.
                   Ornicar est vert d’une trouille rétrospective. Quand simultanément, le premier rayon d’un soleil franchissant la crête de l’île fait retrouver ses belles couleurs au petit voilier et  que les goélands curieux arrivent aux nouvelles (si prêt des cailloux, serait-ce un pêcheur ?) petits cerveaux et ventres affamés, l’homme se précipite dans son cockpit  et lance le teuf teuf qui va l’amener, désormais plein pot, sur l’autre face de l’île.
                  Le port, surmonté d’un vieux fort, il est rare de voir le contraire, l’attend avec impatience. Le marin a l’espoir d’un abri douillet où il ne sera plus obligé de s’attacher pour cuisiner, pour dormir, pour piloter, pour pisser et davantage, pour se déplacer presque à quatre pattes sur le pont de sa bête qui trop souvent a refusé de se laisser dompter.
- Tu as connu l’Atlantique autrefois mon pote, ici en Méditerranée c’est elle et moi qu’on commande !
                   Et Ornicar a baissé les bras. Enfin un nid douillet où il pourra de nouveau accueillir l’une de ses congénères pour une complémentarité plus charnelle, plus sexuelle que celle du couple homme bateau. Mais avant toute autre chose, plus ou moins inconsciemment, il cherche encore et toujours de pouvoir enfin pousser un cri qui ne soit pas d’incompréhension.
                   Ornicar dans cet apparent petit paradis va essayer de savoir. Qui est-il ? Pourquoi cette fuite en avant, ou en arrière peu importe, qui l’entraine depuis ses dix huit ans le jour où il s’est engagé dans l’Armée plus que parfaite, plus que Française.
                   Pendant quatre longues années, il a vécu alors en tant que conjonction de subordination, ce qui vu son nom et sa nature, vous l’admettrez, ne pouvait pas lui aller fort bien. Ses vêtements étaient trop étriqués et le casque trop ajusté, adapté spécialement pour empêcher la coordination cérébrale.
                   A vingt deux ans Ornicar a fort bien réussi, avec pourtant un brillant grade de sous officier et pleins de beaux diplômes qui lui promettaient une belle carrière, a fort bien réussi donc à se faire foutre à la porte de la glorieuse institution. Comprenant tardivement qu’il avait été le seul grand con de l’Armée a ne pas savoir qu’après quinze ans tirés, une retraite était déjà versée en plus d’un petit boulot assuré.
                 Bof, tant pis, Ornicar lui aussi prend sa cessation d’activités en achetant son premier bateau…… Mais quelle galère !!
                 Ses rêves de liberté se sont bien vite estompés en vue des notes salées, voir exorbitantes des prix des abricotiers, pardon, des prix des nuitées dans les ports de plaisances.
                 Son bel engin flottant  amarré sur une place réservée aux passages, bien sûr les plus inconfortables, Ornicar, la barbe peignée rapidement et avec difficulté, son livre de francisation  à la main, se dirige d’un pas décidé vers la capitainerie qui vient de rouvrir ses portes après la traditionnelle sieste.
         Le capitaine, vieil homme à quelques mois seulement de la retraite, et son second qui n’attend visiblement que le chef s’éclipse pour en faire à sa guise, regardent cet Antoine qui s’avance souriant vers eux, ils soupèsent déjà combien d’argent ils pourront en tirer.
- Ornicar, je m’appelle Ornicar. Pourrais-je passer l’hiver dans vos eaux ? (que cela est bien dit).
- Bien sûr, laissez vos documents, nous allons vous donner pour tout ce temps, une place moins exposée, plus calme.
           Premier bon point.
- Venez régler votre facture demain, l’hivernage se paye à l’avance.
           Egalité. Premier mauvais point, le marin n’a pas un sous vaillant en poche… mais il a de l’idée.
           Entre deux pannes, le navigateur solitaire désillusionné de son si court tour du monde, vient d’apercevoir coulée, une barcasse de bois qui parait pourtant en bon état ; elle tranche sur un fond de trois mètres à peine où l’on ne voit pas la vase tant une multitude de plastique de toutes dimensions la recouvre. Impressionnant qu’un lieu aussi beau soit laissé aussi sale !
           Il est alors loin de se douter que les habitants de l’ile sont à l’échelle de leur port. Que de braves gens paraissent vivre au paradis. Il faudra pourtant à la conjonction de coordination bien du temps pour découvrir de rares grains de beau, de bon blé parmi la couche épaisse d’ivraie qui s’étale sur les quelques kilomètres carrés de l’île.
           Après une nuit enfin tranquille où l’innocent toujours aussi fou rêve encore de lointaines évasions en solitaire, un copieux petit déjeuner et en route pour le marchandage du siècle.
           Heureusement le seul interlocuteur d’Ornicar est le capitaine. L’homme se révèle ferme, mais aussi compréhensif et va accepter un échange insolite.
- Monsieur, tel que vous me voyez, je n’ai pas d’argent sur moi, ni rien hélas non plus à la banque. Mais il n’est pas question que je reste dans votre port sans payer. Je me propose donc de vous offrir deux heures quotidiennes de travail en échange du gommage de mon ardoise.
- Nous avons du personnel pour l’entretien, et en cette période je ne vois pas en quoi vous pouvez nous aider.
- Il y a ici une plate en bois, coulée ; je vais la renflouer, la remettre au sec, la réparer. Avec elle et une grande perche munie d’un crochet à son extrémité je vais vous débarrasser des immondices de plastique qui jonchent le fond du bassin.
Si vous n’êtes pas content de moi, vous me foutez à la porte et je pense que j’aurais par ailleurs gagné quelque argent pour vous payer.
Marché conclu ?
            Le vieil homme souriant tend la main et propose une cigarette.

- Brrr… elle est froide.
             Il a fallu trois heures d’effort à Ornicar pour sortir la plate de sa gangue. La combinaison de plongée n’a que cinq millimètres d’épaisseur et y compris avec un Damart et un pull dessous, ça caille ! Et m…crotte il n’y a pas de compresseur sur l’ile, comment diable regonfler la bouteille ?
             On verra ça plus tard.
             Chose promise, chose due, des centaines de kilos de sacs, de bâches et de déchets en tous genres vont s’entasser bientôt dans un coin au fond du port, vers la zone technique ; petite montagne qu’il faut recouvrir d’un vieux filet de pêche, lui-même récupéré, afin qu’avec le vent, ne s’éparpillent pas de nouveau ces immondices.
              Le capitaine est content, l’adjoint reste hostile, il fulmine, la secrétaire super sympa est mariée, mère de famille d’un petit garçon et d’une grande fille dont les formes font rêver le nouveau nettoyeur-de-fond-de-bassin-de-port-des-iles. Ses quinze ans seulement obligent toutefois à un peu de recul, un peu de retenue.
              Ornicar est peu volubile mais il se lie volontiers à la faune qui sévit dans les ports, toujours très hétéroclite. Des bateaux de riches jouxtent des bateaux de pauvres, les plus démunis restent au mouillage que personne n’a pas encore eu l’idée de faire payer. Ne vous inquiétez pas cela viendra. Des histoires Tartarinesques de ces Tarasconnais des mers, contées autour de quelques verres d’alcool offrent un excellent ciment à la fraternité des marins en attente d’appareillage.
              Comment vit-on sur une île en hiver ? Tout simplement en préparant l’été ! De quoi vit-on sur une ile quand la bise fût partue ? De l’exploitation rationnelle et accélérée du pingouin.
              On aurait pu croire le contraire vu son nom mais ce bipède curieux ne montre pas trop le bout de son portemonez  quand il fait froid, mais quand le chaud s’en est revenu. Il débarque en longues colonnes d’une flopée de navettes qui relient l’ile au continent, empressées qu’elles sont d’emmener l’animal à plumer en balade pour la journée, bien sûr en prenant un peu de son précieux duvet au passage.
              Petite location de bicyclette, petite balade à la plage, petite visite aux rares restaurants (réservées aux plus fortunés, les autres ont prévu leur petit frigo), petite promenade vers le phare, et retour à petits pas sur le petit bateau ; avec pour la petite famille de pingouins qui n’a rien compris, un grand trou dans son petit budget.
              Ornicar voit défiler ces visiteurs du dimanche, médusé par le comportement pinguinistique et sans s’en rendre compte il va adopter le mécanisme curieux des habitants permanents de l’île : grand sourire par devant le palmipède, et dédain narquois par derrière ; heureusement pas longtemps, car ce pain là n’est pas le sien et de plus, certaines des palmipèdes ne sont pas laides du tout.     
              Bizarre autant qu’étrange, cette forme de s’adapter au milieu qui l’entoure ; l’homme serait il proche parent du poulpe ? Le marin d’eau de port ne se pose pas la question.
               D’ailleurs il ne se pose aucune question, il reste innocent, mais il n’en est pas encore conscient. Dans quelques années, au sein du futur club de plongée il verra bien que l’animal aquatique octopodes est  bien plus intelligent que les bipodes de l’île et surtout, surtout bien moins méchant.
              La quarantaine à peine dépassée mais alors franchement bandante la nana ! Ornicar va de plus en plus souvent « à la ferme » comme on dit sur l’ile. La belle vendeuse de fruits et légumes lui distribue des sourires in équivoques.
               Quelques sous grappillés avec des petits boulots au noir permettent à la caisse du bord de surmonter des fluctuations passagères qui l’avaient laissée bien maigrelette. L’homme qui n’a pas peur de mouiller sa chemise, dans ce pays où les poils dans la main ne poussent pas uniquement à cause des boules de pétanque, est vite apprécié. Il est demandé de telle forme qu’il n’hésite bientôt  plus à se faire payer à son juste prix. C’est désormais à prendre ou à laisser. 
                Un petit compresseur équipe bientôt l’engin flottant  métallique d’Ornicar et la belle marchande, blonde avec de beaux reflets roux  partageant souvent sa couche, les mats ces nuits-là, se balanceront pire que par les moments de grand vent, quand la houle se fait sentir dans la petite rade
                Il y a toujours quelque chose à faire dans un port, surtout dans l’eau ; merci gentille Chambre de  Commerce d’avoir une caisse noire pour payer Ornicar mais, rassurez-vous, personne n’en saura jamais rien. Tout ne reste officiellement qu’un simple dépannage pour régler l’hivernage du bateau. Devenir riche ? Le marin-du-fond-de-l’eau n’y pense même pas. Le ventre bien plein et les burnes bien vides, il se fout de l’état de ses autres aumônières. Ne vous ais-je pas déjà raconté qu’il est innocent ?
                Et quand, après les jours trop courts et les nuits trop longues, la bise s’en est allue, l’été d’un coup s’en est revenu.
             Avec son lot de pingouins journaliers désormais ; et malheur aux ceusses qui ratent le dernier bateau du retour qui lui n’attend jamais : l’heure c’est l’heure, à la minute ! Seule ressource alors, les deux taxis qui appliquent un tarif exorbitant, voir carrément digne de la flibuste.
            Peu d’hôtels et de toute façon eux aussi hors de portée du commun des mortels. Les pingouins attardés se rabattent par obligation sur les petites locations, dans des bateaux par exemple ; le gardiennage trouve là quelques extras non imposables et dont les propriétaires ne verront que du feu.
            Mais ceci n’est point grave : une première nuit d’amour sur un engin flottant est à coup sûr une expérience qui donnera prétexte à bien des récits plus tard. Et allez donc savoir si un enfant conçu sur un bateau ne sera pas fort différant des autres. Graine de pirate va !
            Si les sourires ne sont pas plus francs, les mains elles se frottent d’avantage l’une sur l’autre et les aumônières des exploitants de palmipèdes deviennent plus que garnies, se transformant rapidement en bas de laine puis en coffres ou en lessiveuses au choix. Mais le tout, débordants de bonheur. Vite vite, fourmi gonfle-toi bien avant que la bise fut venue, que l’été ne s’en soit allu. Refrain…
           Et l’on voit ces pôôvres et braves gens qui travaillent dans des  conditions zépouvantables ‘’ si loin ky  fo prendre le bato’’, (nous verrons plus loin pourquoi cet orthographe si particulier) se regarder tous les uns les autres en chien de faïence quand il faut plumer l’animal. Des fois que mon voisin, mon ami ou même mon frère serait mieux servi que moi. Les coups vaches pleuvent, surtout par derrière, car voyez vous m’sieur, chez ses gens là, on n’est pas très francs m’sieur. Oh non !
           Le barbu qui a lavé le fond du port, remanillé les chaines pesantes et emmêlées dans la vase, travaille aujourd’hui comme apponteur, dument appointé, salarié déclaré, et tout et tout. Avec un statut un chouïa spécial, normal qu’à bientôt trente sept ans et connaissant le port mieux que sa poche, il dirige l’équipe des petits jeunes dont les âges s’échelonnent entre dix sept et vingt quatre ans.
           Ces étudiants, un peu pistonnés, venus se faire quelque argent pendant la saison forte, vont comme leur chef courir, voler plutôt sur les pannes au service d’une rare catégorie d’individus : les plaisanciers. Ils ont vite compris qu’un travail bien et rapidement exécuté peut rapporter de gros pourboires. Et merci messieurs les Italiens aux bateaux et aux femmes si beaux et si belles car ils semblent tous avoir une planche à billets en fond de cale.
           Vous, messieurs de la Douane, des Affaires Maritimes et de la Gendarmerie, s’il vous plait, soyez indulgents avec ces vrais monnayeurs, ils sont si sympathiques et si bon marins.
          C’est pour ces caravaniers de l’eau salée qui longtemps à l’avance ont réservé leurs places, certains habitués dés le mois de janvier, et pour l’équipe des joyeux apponteurs qu’enfin Ornicar apprécie l’île. Bon, il y a réellement un autre motif…Pour la blonde un peu rousse, vendeuse de fruits et légumes dont une spécialité buccale ferait monter un cul de jatte manchot au plus haut du plus grand mat du port…avec les yeux eux aussi bandés .Non, ce n’est pas ce que vous penser, ce n’est pas une spécialité de la bonne ville de Saint Claude bien qu’elle excelle aussi en cette matière. Pour une communication plus précise de la recette vous êtes priés d’envoyer vos dons au compte bancaire indiqué en fin de volume. Plus chers payés, plus de détails croustillants. Système basique pour la modeste somme de 100 Euros. (Garanti pour garder monsieur at home et très hot.)
            Pourtant il n’est pas vraiment amoureux notre grand marin. Il se trompe souvent de femme, avec des pingouines de passage, avec des caravanières flottantes ou leurs filles et quelques fois avec d’autres îlotières dont il taira les noms à tout jamais. Les maris dans cette belle place sont beaucoup trop occupés à s’entourloupétter pour avoir le temps de bien aimer leurs épouses.
             Ornicar depuis toujours aime à dessiner, à peindre. Il a désormais suffisamment de temps pour se consacrer à sa passion et les murs de la capitainerie vont bientôt servir de salle d’exposition .Avec des prix raisonnables, cela mettra un peu de beurre dans les épinards et autres délicieux légumes de la ferme.
             Serait-ce le hasard si un fin et joli voilier aux belles lignes d’eau est gruté pour se refaire une  beauté ? Pas très grand, vingt huit pieds, une longue quille et avec de la race  probablement nordique, il a l’apparence d’un vrai coursier des mers, un pur sang. Saint innocent se transforme en conjonction d’opportunité pour se débarrasser de celui qu’il surnomme dans sa tête, sans jamais oser le dire, son fer à repasser ; car c’est bien vrai que le beau ketch d’acier dont il est le malheureux propriétaire est presque aussi maniable, sur la grand marre des canards, que ne le serrait cet ustensile de ménage universellement connu, destiné normalement à laisser impeccables jupettes, falbutes et limaces.
            Celui qui a vendu, trop cher d’ailleurs l’ustensile, pas même à vapeur de surcroit, en rit encore. Quel innocent !!!
             Merci l’ami, si tu savais où que tu sois, combien Ornicar t’en est aujourd’hui, vingt sep ans plus tard, reconnaissant.
             Vite fait, bien ou mal fait, sans soupeser le pourquoi du comment, un inconnu est reparti avec un fer à repasser échangé contre un voilier.
               Tout l’hiver à naviguer mes amis en Méditerranée, avec les iles Espagnoles qu’Ornicar connaîtra beaucoup mieux plus tard et qui elles aussi se dédient à l’exploitation des palmipèdes. ll est à noté toutefois que l’animal est là-bas de meilleure qualité, du moins sur l’ile la plus grande; ce pingouin là est Allemand donc nourrit exclusivement au Marc, une sorte de granulée beaucoup plus nutritive que le petit Franc.
              Tempêtes et calmes plats vont se succéder, mais le marin souvent trempé jusqu’aux os, est… h  e  u  r  e  u  x,.Son nouveau bateau est tellement bien équilibré, qu’une fois les voiles correctement établies, il file tout seul son bonhomme de chemin. Une véritable merveille, vous pensez, Suédois ça c’est du bon matos ! Les milles défilent au compteur du loch  mais il faut retourner sur l’ile.
                Le marin a promis à la Chambre de Commerce, conquise par sa bonne prestation de l’été, de rentrer à son nouveau bercail pour le premier avril, non ce n’est pas un poisson ; il sera désormais l’adjoint du maitre de port, second du nouveau capitaine, l’ancien ayant pris sa juste retraite.
                Ornicar va vivre en enfer.
                Redevenu conjonction à la subordination d’un homme qui sous un aspect avenant, va se révéler un véritable sadique ; à tel point que le marin désormais presque démarinisé, toujours barbu mais beaucoup plus présentable –avec même un uniforme s’il vous plaît- va faillir dès les premiers jours de leur coopération lui casser la figure, quelles qu’en soient les conséquences.
                  Ornicar n’est pas un balaize, loin de là, mais ses quatre années  passées dans la grande muette, notamment dans une école de commandos, puis ses pérégrinations tourdumondesques, l’ont maintenu dans l’ignorance de la peur et développé non seulement les coups de gueule mais aussi les coups de poings. Dès le début de son existence parmi les plumeurs de pingouins, quelques gnons judicieusement et justement distribués au demeurant, ont calmé les ardeurs de ceux qui voulaient se montrer trop méchants.
                  Il faut savoir respecter les conjonctions de coordinations. Bien qu’elles ne représentent que sept petits mots dans les océans que forment dictionnaires et encyclopédies, elles sont indispensables à toutes formes d’écriture, de pensé, de vie.
                            -Tu sais Ornicar, dans notre boulot, nous sommes souvent face au public et nous devons paraître toujours unis, en harmonie. Notre équipe doit être soudée et homogène. Toi, la secrétaire et moi ne devons jamais donner une mauvaise image.  
                             - Bien mon capitaine !
                             - Arrêtes tes conneries, appelles moi par mon prénom.
                             - Bien mon capitaine, c’est un automatisme que je vais perdre facilement.
                     Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ; le travail de préparation à l’afflux massif des juilletistes puis des aoûtiens avance. Les réservations peu à peu sont placées en un puzzle compliqué.
                      Les bateaux de passage passent comme il se doit et le maitre de port fait triste mine à voir son adjoint au nom si bizarre se faire plus de pourboires que lui, et vendre les tableaux accrochés aux murs. Les journées se terminent vers dix sept dix huit heures et Ornicar qui aime beaucoup les cartes, surtout le Tarot, c’est de famille, s’initie aux joies de la manille, sport plus local.
                      Un beau soir…
                            -Il y a deux gars qui nous prennent à la belote coinchée. Tu viens Ornicar ?
                            - D’accord mon capitaine.

                      Les adversaires, plus chanceux dans la distribution des cartes, vont vaincre l’équipe du port de quelques points seulement dans la première manche. La revanche vient à peine d’être entamée quand le grand salopard s’adresse à sa conjonction de subordination.
                               -Dis donc mon gars, tu es presque aussi mauvais aux cartes qu’au boulot !
                        Silence gêné avec un petit sourire narquois qui naît à la commissure des lèvres des deux adversaires.
                        Il y a déjà eu quelques perfidies, mais ce soir c’est Le Bouquet ! Ornicar devient blanc pale, bleu et peut-être vert.
                         Paraître en harmonie, donner une bonne image. Le marin retrouve son fin coursier amarré près de la zone technique avec plus que de pleurer, une envie de vomir de dégout tant il est écœuré. Ses cris dans la nuit et dans l’intimité du minuscule habitacle sont encore et toujours d’incompréhension.
                         Le sadique n’a pas respecté. Tellement stupéfait et désemparé, Ornicar n’a pas frappé. Lui si peu vindicatif, pas revanchard pour deux sous, mijotera sa vengeance… longtemps…longtemps, sans haine, sans violence…non innocemment, mais ça fera mal, très mal.
            -Demain je mets les voiles, c’est le cas de le dire.
                        Et puis… et puis il y a  la belle brune qui va revenir cette semaine, elle a laissé le voilier de son papa bloqué par le mauvais temps ; il lui faudra hélas repartir bientôt. Cette toute belle sait, elle aussi, tellement bien faire balancer les mats. Et puis la promesse faite au responsable des ports de la Chambre de Commerce, l’homme est compétant, avenant, Ornicar va se confier à lui.
                         Le capitaine après une sérieuse réprimande  lèvera le pied quelques temps du moins. Mais c’est un récidiviste malsain et il ne tarde pas à retrouver sa véritable nature. Chassez le naturel et il revient au galop.
                       La conjonction devient interrogative.
                                       -Depuis ma glorieuse démobilisation avec un coup de pied au cul, je hurle sans savoir pourquoi. Je devrais comprendre, si je suis intelligent, que l’injustice est dans le génome humain et que de s’époumoner contre elle ne fera jamais avancer le schmilblick. C’est donc que je suis idiot.
                             Ornicar confond encore la bêtise avec l’innocence. Quel con ! 
                             Bien sur qu’il n’en est pas à son coup d’essai d’imbécilités non coupables. Lors d’une permission, à un peu moins de vingt et un ans, le sous officier qu’il était, avec sa belle tuture Citroën ID 19, rencontre et baratine –là il est fort- en racontant de monstrueux bobards, une belle et haute blonde-aux-cheveux-courts-à-la-garçon on ne peut plus séduisante. Elle tombe on ne peut plus enceinte.
                          Ornicar retourne dans sa caserne tout là-haut en Allemagne et n’écoute pas les appels aux secours de la future  maman désespérée. Que voulez-vous, l’armée enseigne à tuer pas à aimer. Conjoncturellement, la descendance qui avait un choix relativement limité, a opté pour la version garçon qui portera donc le nom de famille de son grand-père  maternel.
                         Ce n’est que poussé par sa petite mère à lui, un mètre cinquante pas plus, dont il est le fils unique et préféré, que le jeune homme inconscient, se décide deux ans après sa libération forcée, de rejoindre mademoiselle et son adorable rejeton qu’il vient tardivement de reconnaître. Comme tout un chacun il veut fonder une famille, après s’être humblement excusé de ses mensonges et de sa lâcheté passée. Pourquoi pas ?
                         Il  se jette dans la gueule d’un insoupçonnable loup.
                         Elle est douce, elle est gentille, peut être Ornicar apprendra-t-il à aimer avec elle, à correctement faire l’amour ? Et ce gamin, qui à maintenant trois ans passés, voit enfin son papa à lui  et va le faire fondre de bonheur. Mais…
                        Mais quel est cet intrus qui vient nous voler notre fils ?.... Ainsi pense la belle famille !
                       Papa est petit artisan prospère, il installe des salles de bains et la modeste maison familiale en compte d’ailleurs une par chambres, c'est-à-dire une flopée. Maman est apparentée à la noblesse d’une grande ville toute proche où l’on embarque un excellent vin surtout destiné aux palais délicats de messieurs les Anglais. Ce couple fort respectable a donc génité quatre filles.
                      L’une d’antre elle est à son tour devenue maman…d’une fille. Encore ! L e seul garçon de la famille, qui surement reprendra robinets et bidets va être rapté par un estranger qui n’est même pas d’ici. Pire, qui n’est pas de notre monde.
                                      -Mon dieu quelle horreur ! Un fils d’ouvrier !
                       Malgré un accueil glacial au cours d’un repas où il a eu immédiatement l’envie de repartir, Ornicar, toujours innocent, ne voit rien venir ; il a trouvé du boulot, il n’y a pas de chômage en ce temps là, mademoiselle maman est institutrice et fait, presque chaque, jour un tour chez les grands parents pour amener garder le petit. Le tout nouveau papa, qui fait de son mieux pour apporter de son eau au moulin de la machine-ménage, ignore la trame complotrice dans son dos mais sent bien que kekchose ne va pas. Il ne comprend pas les craquements, les ratées et s’énerve. L’idiot, un jour, pour une incompréhension cette fois sans cri, envoie une gifle. Ce sera la première et la dernière de sa vie, il touche à peine la joue mais le geste malheureux est parti et les lunettes de la belle-et-grande-blonde-aux-cheveux-à-la-garçon se cassent en tombant.
                     Tout comme le pot de Perrette ; adieu veau vache cochon couvée. Ornicar ne comprend pas, il est jeune, il est inn … allez  pour vous faire plaisir on change de terminologie, il est non-coupable. Qu’à cela ne tienne, il va se dédier désormais à l’aventure, aux voyages. Plus loin ce sera forcément mieux qu’ici. Courir le monde, ouvrir enfin les yeux ; rechercher, encore inconsciemment, son moi profond comme aiment à dire ces masturbateurs de l’esprit que sont les philosophes, les psys kiatres, kologues et kananalystes. Ho kon !
                   Après la poursuite par ses études, sa traversée du désert cérébral que fut sa quatriennale période  militaire, Ornicar  naviguera (déjà marin), à partir de dorénavant, sur sa troisième galère : les voyages qui forment la jeunesse.
                    Et en avant donc pour la conquête du monde, attention, chaud devant !
                    La conjonction d’adaptation ramera maintenant de toutes ses force. Avec comme encouragements les coups de fouet de la plus part des humains rencontrés aux quatre coins d’un monde pourtant bien rond. Mais notre homme a la peau dure, il ne souffre pas trop et de très rares gentils pansent parfois ses plaies, et des gentilles fort heureusement aussi soulagent son pêne. Hélas, le peu de mémoire dont il est affublé le fait de nouveau trébucher sur d’autres pierres, bien pointues, là-bas…toujours plus loin.
                                     
                                        CHAPITRE DEUX.   LE GRAND SAUT.      .

                       L’Espagne en long, en large, en travers et en profondeur puis les désespérations marocaines avec pas un seul sourire gratuit et cent douze millions de tentatives de vol. En sortant de ce pays pourtant si beau, le tout nouvel aventurier de la cause perdue se promet de revenir comme chef d’escadrille de bombardiers tellement il a aimé. Une véritable horreur d’intranquillité constante, de mendicité permanente, y compris le guichetier du chemin de fer qui lui demande plus que le prix pourtant marqué en gros caractères au dessus de lui.
                                        -C’est l’ancien tarif chef !
                         Après une bonne gueulante, l’employé consent, en ronchonnant, à demander le prix affiché réel, bien visible. Et pendant trois mois, du nord au sud, partout et en toute occasion, c’est le même refrain qui vous tourne en bourrique. Ornicar n’existe plus, il se sent devenir un billet de cent  Francs avec des jambes (de Dollars s’il avait été Américain), noyé au milieu d’une population toute entière qui s’unie pour le transformer en cul-de-jatte.
                          Retour en Espagne, aux iles Canaries il a le grand plaisir de découvrir enfin les joies du travail au noir avec les pêcheurs de Tenerife. Toutes les nuits, quand l’état de la mer le permet, cinquième des hommes qui accompagnent le capitaine et le  mécanicien sur une barcasse chargée d’un long filet.  Elle traîne en remorque une plus petite où avec un peu de chance s’entasseront presque un tonne de belles sardines.
                         Si c’est le cas, ou si les maquereaux sont là, la paye sera bonne. Si l’on attrape des bogues, alors il y aura juste pour  le paquet de cigarettes quotidien. Les sous sont remis directement au retour vers quatre heures du matin dans le bar du propriétaire des bateaux de pêche  qui gentiment offre un cognac…Et la plus part des matelots remettent ça, encore et encore. Ils rentrent at home ayant presque tout dépensé. Ah quel brave patron !!! Ornicar qui n’est pas radin mais n’aime pas les pièges aussi grossiers, profite de son aversion matinale à l’alcool pour s’éclipser dés la paye en poche et rejoindre la belle nana Hollandaise qui l’héberge plus que chaleureusement.
                        Puis un jour vient le Sénégal pays du bonheur, des plus merveilleux gents qui puissent exister. Découverte de l’Afrique noire de peau, forte en odeur, haute en couleur et avec, plus grand qu’une cathédrale, un bon cœur ; le toubab (blanc) est surpris de tant de gentillesse, et souvent de la part de ceux qui sont particulièrement démunis. Il est partout invité à s’asseoir  sur ses talons en prenant place autour de la grande gamelle de riz au poisson. Comme tout un chacun il va manger avec ses doigts en guise de cuillère-fourchette ; sans pouvoir éviter que ne coule la bonne sauce cacahuète-poivre le long de son avant bras. Le grand voyageur n’est certainement pas bien compris, il doit être fou ce blanc qui vient chez nous partager notre pauvreté alors qu’il devait vivre dans un paradis là-bas en France. Pas une fois on n’essayera de le voler. Mais…il faut bien subsister.
                        Il devint Ornicar l’africain, seul toubab de Dakar qui parcourt les rues en vendant des montres à des autochtones médusés. Achetées au kilo en Gambie, les précieux bracelets ont un tic tac de blanc, donc bien meilleur. Il vend, il vend beaucoup ; il vend jusqu’ à ce que la police, toujours pleine de malice, n’interrompe son fructueux commerce…encore avec le sourire.
                          Pourquoi gagner peu, quand on peut travailler en gros, c’est plus rentable. Le toubab loue une voiture et file acheter trente cinq kilo des meilleurs tic tac. Au deuxième aller retour, avec cent kilo cette fois, hi hi hi, la douane était làààà… En rigolant à s’en taper sur les cuisses….coucou, par ici les breloques.  
                - Toubab, c’est tout simple, il y a deux solutions. Un, on te fout en cabane, tu seras jugé dans quelques semaines, peut-être même des mois et de toutes manière tu perds ta marchandise ou…deux, tu dégages vite fait, on ne te fait pas de procès verbal, tu nous oublies et bien sur les montres sont à nous, hi hi hi.
  Ornicar s’en va vite ayant opté, gros Jean comme devant, bien sûr pour la seconde proposition, laissant des douaniers hilares dans ses rétroviseurs. Sa première expérience de contrebandier se révèle être un fiasco d’excellente catégorie. L’aventurier des pas perdus rend la  Pigeot 504 et retrouve son sac à dos beaucoup moins lourd à porter.
 Il arrive un jour en taxi brousse  504 version pick-up cette fois, où se sont entassées neuf personnes, sans compter le chauffeur et les hétéroclites bagages,  dans un village de bord de mer.
 Joal est le nom de cette place résistante mollement encore à l’Islam qui majoritairement règne sur tout le Sénégal. Le sacristain donne gentiment l’hospitalité au globe trotter en lui proposant la salle de catéchisme pour la nuit, simple pièce meublée de quelques bancs, de pupitres et du traditionnel tableau noir où les petits élèves aiment à écouter crisser les craies. Ornicar laisse sans peur aucune son harnachement (ce qu’il n’aurait certes pas pu faire au Maroc) et s’en va déguster avec des pêcheurs un succulent, bien que très épicé, thiebou dien, le fameux riz au poisson local.
Après avoir chanté et dansé tard dans la nuit, à la grande joie des natifs un peu moqueurs, le héros fatigué se décide pour aller piquer un réparateur roupillon.
                Il pousse la porte de sa chambre de fortune et voulant en franchir le seuil se trouve tétanisé sans pouvoir faire un seul pas en avant. Dans la tête une vision l’épouvante : un Christ au visage grave est là, juste derrière le mur. Un froid glacial saisit Ornicar, ses cheveux sont dressés sur la tête, il a la chair de poule et se met à trembler.
                           -Ce n’est pas possible, c’est un véritable cauchemar éveillé, je deviens fou !
Puis, se traitant de tous les noms, l’homme va essayer de nouveau d’entrer, une fois, une autre, et encore. Même étrange phénomène paralysant et repoussant ; désemparé, pour la première fois pris en flagrant délit de peur bleue, il va passer une nuit inconfortable recroquevillé auprès du feu.
               Le toubab engourdi et ankylosé retrouvera au matin un sacristain étonné à qui il raconte sa mésaventure.
      -Viens voir Ornicar ! Tu vois ces traces sinueuses sur le sable, ici le long de la    palissade, près de la porte aussi ?
      -Oui
      -Si tu étais rentré ici cette nuit mon ami, tu serais mort. Mamba était là, il vient de temps en temps nous rendre visite, nous l’avons déjà vu. Quand il enfonce ses crochets, son venin ne te laisse aucune chance ; dix minutes après mon ami, tu es raide !
        Le Christ vient de sauver Ornicar
                  L’homme blanc dont les jambes flageolantes  s’entrechoquent au niveau des genoux, questionne innocemment.
       -Vous ne le chassez  pas ?
        -Non Ornicar, Mamba n’a jamais tué ici, mais par contre il nous débarrasse des rats qui pullulent beaucoup moins grâce à lui.
                                Grande est la sagesse africaine. En réfléchissant, celui qui ne croit pas encore en Dieu se rappelle  que son père lui aussi a été sauvé par l’homme crucifié. Dans un camp de concentration de ce bon et brave général Franco, après la guerre civile espagnole, papa ,avant d’être exécuté en temps que très méchant rouge, a demandé à l’aumônier de ce lieu divin de faire sa première communion. Stupéfaction de monsieur le curé qui ayant catéchisé la brebis égarée, l’a également rayée d’une fatale liste elle aussi méchamment rouge. Enfin une qui a retrouvé le bon chemin.
                   Le Sénégal dans tous les sens, brève incursion au Mali, en Guinée puis retour sur Dakar avec la merveilleuse chance de réembarquer sur un petit voilier qui semblait n’attendre que lui. Ornicar va  faire le grand saut : traverser le  Tlantique en se promettant qu’un jour….            
                   Extraordinaire escale aux iles du Cap Vert où  les vilains requins n’ont pas réussi à se casser les dents sur lui. Passage peu remarquable dans une myriade d’iles des Caraïbes où la flibuste est surtout du fait des autorités, où avant même de pouvoir mouiller l’ancre, il faut payer la clearance. Séjour de neuf mois (sans gestation) au Venezuela  avec des rocambolesques aventures d’homme-grenouille à la manque. Longue traversée d’un Brésil où l’infatigable artiste trouve le moyen de s’évader d’une cellule de prison puis enfin de faire quelques bénéfices avec la contrebande et….l’homme qui a vu l’homme qui n’a pas encore vu l’ours marque le pas en Argentine.        
                  Les multiples occasions d’avoir été trucidé, systématiquement par des policiers ou des militaires, n’ont pas donné de résultat, un ange gardien fait remarquablement bien son job là-haut, tout là-haut………
                   Encore un bel essai d’imbécilité non coupable qui commence à Buenos- Aires.
                        -Quel cul magnifique a cette petite nana ! Ornicar vient tout simplement d’exprimer un sentiment particulièrement masculin.
                    Le ravisant postérieur se retourne et une bouche faite entre autre pour embrasser, dans un visage de rêve, répond naïvement.
                        -Qu’est ce que vous avez dit ?
                 Mer... credi, elle parle Français ! Oh la gaffe ! Pour se faire pardonner, Ornicar, conjonction opportuniste, invite le joli minois à souper.
                         -Merci Gaston pour ta gaffe, merci l’univers, merci la vie, le grand voyageur va passer presque trois ans avec ces formes si petites (un mètre cinquante, comme sa maman) mais si parfaites. Dans cet immense et récent  pays, il va une fois de plus en prendre plein la gueule. Sans rien voir venir, il hurlera de nouveau à la mort, à l’incompréhension.
                 La belle est brune aux yeux verts dorés, à peine dix neuf ans alors qu’Ornicar va bientôt passer le cap des trentièmes pas encore rugissants (il faut attendre les quarantièmes pour cela, tous les marins du monde vous le diront).Très vite les hôtels spécialisés pour ce genre de chose (on les appelle des allojamientos et n’y aller surtout pas avec valises et enfants) qui pullulent dans la capitale vont bien connaître ce si beau couple effréné de galipettes.
                 Un grand frère aux cheveux tous bouclés qui termine ses études d’ingénieur métallurgiste, sympathique, le cœur sur la main, serviable et séduisant beaucoup de demoiselles. Maman couturière a vu blanchir ses cheveux trop tôt avec les permanentes répétées des multiples soucis dont le principal s’appelle papa. L’homme vit à l’écart dans un autre minuscule appartement plus centrique, moins taudis. Le géniteur de la délicieuse brunette, pianiste de profession et cardiaque de vocation, fume clope sur clope rien que pour emmerder tout le monde, femme, enfants et médecins.
                  Ornicar conjonction d’adaptation s’initie à la misère d’une famille, d’une ville, de tout un peuple. Il n’y a pas un mois qu’il est entré dans le pays qu’un général tyrannosaure renverse la récente présidente pour prendre le pouvoir. La chasse aux communistes, puis aux socialistes, puis aux syndicalistes, puis aux… puis aux… commence. Et Washington envoie très rapidement des renforts aux spécialistes locaux de la torture débordés de travail.
                  Faisant sourde oreille à toutes conversations politiques, le petit Français de Barcelone, la queue basse sauf en présence de mademoiselle, subsiste vaille que vaille dans une inflation galopante et délirante.
                  Artisan il fabrique des petits bijoux avec des perles de couleur enfilées sur du fil de maillechort voir d’argent, peint patiemment des centaines de petits bracelets de bois, devient y compris portier de cabaret.
                   Des mois vont passer qui en s’additionnant se transforment douzement en années, avec un aller retour en France pour que le papa et la maman d’Ornicar connaissent avec plaisir celle qui a réussi l’exploit d’immobiliser si longtemps leur conjonction de rejeton.
                   Bientôt l’Argentine va accueillir les équipes sélectionnées à travers la planète pour la coupe de foot. Le pays, où toute réunion de plus de quatre personnes est déjà considérée comme suspecte, se réjouis de se rassembler en une multitude immensément joyeuse en cas de victoire des locaux. Ornicar n’aime pas tellement le foot, il a trouvé enfin un boulot fixe mais avec les dévaluations fréquentes et brutales il n’a pas véritablement confiance en l’avenir. Pour pouvoir quitter la mansarde proche du taudis familial, pour tout simplement entrevoir une location décente il faut attendre encore. Quand à un achat… c’est hors de question.
               Un jour son chef, après plusieurs travaux accomplis sans anicroche, l’envoie assembler et régler une aléseuse d’assez grande dimension. Il a pour tout outillage un simple niveau de maçon  dont la précision est nettement insuffisante.
- Comment veux tu que je bosse avec ça ?
- Tranquille, fais ton montage bien propre avec un bon équerrage et je passerais ensuite avec un niveau électronique, nous terminerons le boulot ensemble.
              Après environ une semaine, le travail demandé est fait mais l’aléseuse non nivelée ne peut encore servir et Ornicar refuse de signer le bon de remise conforme.
                     Encore une semaine après, le grand chef qui rarement reçoit dans son bureau appelle Ornicar.
- Dis donc Français, tu m’a fais un travail de merde, le client a commencé une pièce importante qui vaut une petite fortune et évidement il a foiré l’usinage.
- Mais enfin j’ai bien précisé que la bécane n’était pas encore prête. X devait repasser pour la finition.
- X ne m’a pas donné la même version Français, tu es viré mon gars. J’ai perdu trop d’argent sur ce coup là à cause de toi.
              Boum, bateau touché. Encore une fois plein la gueule en a pris notre globe trotteur raté. Mais il retrouve vite du travail et rien n’est grave, il lui reste l’amour. La brunette qui a un sérieux poil dans la main, il faut l’avouer, vient de trouver elle aussi un job.
- Fantastique, nous allons pouvoir enfin avec mes économies et deux salaires maintenant envisager un plan pour ce petit appartement que nous avons visité.
- Ça va pas non ! Ce sera Mon Fric ! Que Je gagnerais pour Mes besoins, pour Moi, pour Moa !
              Boum, boum, retouché coulé ; pleurs et hurlements d’incompréhension. La conjonction malheureuse ramène la petite pute par l’oreille chez sa maman consternée et pendant que l’Argentine toute entière saute de joie, championne du monde, Ornicar saute dans le premier bateau en partance pour l’Europe, se demandant pour la X ieme fois si il est idiot, con ou innocent. Peut être même tout à la fois.
- Dans deux ans maxi, je me paye un voilier !


                Ne passons pas cette époque sans mentionner la joyeuse équipe de quatre spéléos du club Poitevin qui va marquer pour toujours Ornicar d’une forte conjonction sportive, amicale et où il va connaître la joie d’avoir enfin une sœur…un peu incestueuse parfois au début. Celle qu’il va connaître restera toute sa vie ‘sa petite sœur’. Deux années de travail en intérim et en déplacement dont dix mois en Algérie vont permettre au futur navigateur solitaire d’économiser pour l’achat de son premier fer à repasser ; pardon de son premier voilier. Il est vrai aussi qu’un peu de spéculation chanceuse sur de belles pièces en or achetées chaque mois revendues presque au double, a elle aussi contribué aux économies. Si le futur aventurier de la mer, pirate sous peu, avait conservé des pauvres Francs, il serait probablement parti à la rame.
             Et tout ceci pour notre retour à notre île flottante. Quatre saisons consécutives sous les ordres d’un ignoble salopard qui ne se calmera jamais. Le barbu, second du port de l’île de Parlabas, c’est vrai il n’a pas été encore question du nom de ce lieu enchanteur, en a plein les bottes.
                             -Vous ne connaissez pas l’île de Parlabas ?
              Voici une lacune enfin comblée. Quatre saisons et C’EST FINI ; l’innocent est au bout du rouleau, il va partir, son pitaine lui sort par les trous de nez, il lui a donc préparé un petit cadeau d’adieu.
              Pendant de longues heures, nuitamment, le futur fuyard, qui d’ailleurs n’a fait sans le savoir que cela toute sa vie, enfermé dans la capitainerie fait des comptes. Il vérifie des kilomètres de bandes enregistreuses.
              Il a trouvé presque par hasard un carnet de factures trop aparté dans le bureau de son méchant supérieur rachitique. Aux différentes dates, les chiffres ne correspondent pas sur les bandes de tickets de caisse. Les sommes détournées sont souvent coquettes.
              Il a trouvé aussi pourquoi, et en cherchant bien cette fois, pourquoi le galonné fait son petit tour tout seul à l’heure du juste-après-manger-le-midi, quand tout le monde fait la sieste, pour encaisser les nuitées de certains bateaux de passage. Les bandes enregistreuses ne mentionnent que les montants versés en chèque. Sur les carnets à souches, chaque jour des dizaines de sommes payées en espèces ne sont pas reversées dans la caisse de la capitainerie. Et çà dure depuis des années déjà !
              Ornicar remet tous les dossiers un peu gênants qu’il a peu à peu constitués au responsable des ports de la Chambre de Commerce en jurant qu’il ne voulait pas être Calife à la place du Calife. Il ne reviendra pas l’année prochaine, si oui ce sera pour travailler dans le centre de plongée génialement installé à Parlabas.
- C’est dommage répond l’homme atterré mais vous avez raison, le capitaine est sur l’île depuis longtemps et les habitants vous auraient rendu la vie difficile voir impossible.
- De cela je n'ai pas  peur monsieur, mais voulez vous une autre information en exclusivité ?
- Je vous écoute
- Vous avez l’année passée, demander que ce salopard soit assermenté sur le domaine maritime et cela a été refusé après une enquête de gendarmerie. Savez vous pourquoi ?
- Non, nous ne le savons pas.
- Notre homme n’est pas parti de son plein gré de la police autrefois. Il était CRS et s’est fait jeter. Motard, il avait pour habitude de demander discrètement aux conducteurs en infraction un billet, voir plusieurs si la faute était grave, en échange de l’indulgence. Jusqu’au jour où il est tombé sur un haut fonctionnaire de je ne sais quel ministère……
           Trois mois de mise à pied au pitaine indélicat ! Pour aller à la pêche c’est bien mais pour maintenir les études des fistons à Paris, c’est plus dur. Ha aussi, cette toute prochaine incorporation parmi les cadres est bien entendu définitivement oubliée.
           Encore une fois il fallait respecter la conjonction de coordination.

 

                                             CHAPITRE TROIS.    UN AUTRE MONDE.


          Les milles s’additionnent de nouveau au compteur du loch mais l’équipage du nouveau bateau, et oui c’est le troisième, rassurez vous ce sera aussi le dernier, ne jette pas même un seul regard en arrière pour voir Parlabas disparaître loin dans le sillage. Equipage ? Et oui Ornicar est capitaine, cuisinier, matelot, motoriste et tout à la fois.
          L’étrave fendante se dirige vers d’autres nanas bandantes qui attendent excitées en se rongeant leurs ongles dans les futures escales ; ça, c’est le rêve du marin : celui qui s’échappe une fois de plus sait que la réalité est souvent différente.
           Mille sept cent cinquante milles nautiques parcourues pour une distance réelle sur la carte de mille milles seulement. Ornicar est fier, c’est son plus grand trajet jamais effectué en solitaire. Parlabas, aller frotter la Sardaigne cette fois dans son sud, puis cap sur Alicante qu’il laisse assez loin sur tribord pour longer la côte Espagnole jusqu’à l’Atlantique et enfin la merveilleuse Cadix. Seize jours et dix heures de mer ferme pour oublier la terre flottante. Ça fait du bien. La question est posée.
- Alors Ornicar on continu ? 
           Le grand aventurier a déjà donné pour le grand rêve Africain et pour les nouveaux flibustiers, il se rappelle les clearances des Caraïbes et se rend compte que c’est tout autre chose qu’il recherche.
- Non mon gars on remonte, doucement, tranquillement.
- C’est dommage, l’Atlantique c’est moins dur, moins traitre, ça prévient quand ça cogne. Tu n’en n’a pas marre de ces terribles branlées ? Tu veux vraiment retourner chez tes plumeurs de pingouins ? N’as-tu pas toujours rêvé de plonger sur des épaves pleines de beaux doublons ?
- On remontera dans deux semaines, c’est moi qui commande.
           Malaga, Almeria, Carboneras, Aguillas, Portus, Torrevieja, Alicante, Altea… STOPPP.
           Ici le solitaire retrouve un vieil ami et sa petite famille. Couple courageux ayant construit leur magnifique ketch d’acier à bouchains vifs près de Madrid. Un Petit Prince de douze mètres cinquante, capable d’être pris dans les glaces, véritable forteresse flottante que seule la venue au monde d’une petite fille a empêché de s’enfuir vers de lointains horizons arctiques.
           Séjour agréable avec hélas un peu trop de contrôles policiers. Nationaux, puis municipaux et Guardia Civil n’ont apparemment pas compris  qu’un barbu qui marche pieds nus n’est pas forcément un délinquant. Une malheureuse femme de la police municipale qui demandait pour la millième fois les papiers du navigateur s’est faite rabrouer de grande manière et de forte mauvaise humeur.
- Pourquoi ne les demandez vous pas à ce monsieur qui descend de cette belle Mercedes ! Les probabilités qu’il soit un bandit sont beaucoup plus fortes qu’avec moi. Vous allez au cinéma madame ? Vous avez déjà vu un criminel se promener sans chaussure ? Non jamais, par contre comme ce monsieur si distingué, toujours.
J’ai présenté en deux jours déjà je ne sais combien de fois mes papiers. Vous voyez le petit bateau rouge là bas, venez y, je vous montrerais ma carte professionnelle, je suis officier du domaine maritime Français. Regardez-moi bien et laissez-moi tranquille.
            Le bluff porte ses fruits, le barbu aux pieds nus ne sera jamais recontrôlé. Comment diantre se fait-il que dans toutes les écoles de police du monde l’on n’enseigne pas le vieil adage de l’habit qui ne fait pas le moine ? Peut être tout simplement parce que les flics sont des hommes comme tous les autres et qu’il y a une belle proportion de lâches parmi eux. Que peut-on craindre d’un vagabond, et de plus quand on donne la facile impression de défendre les braves gens. Mais encore une fois, Ornicar n’a pas peur de l’uniforme bien que de lui seulement soit venue de gros ennuis. Brutalités, coups et injures sont fréquents de la part de celui qui a l’autorité avec lui et une arme à la ceinture, dans pratiquement tous les pays du monde. Le capitaine du petit-voilier-rouge-mouillé-dans-le-port en a eu la douloureuse expérience. 
              A propos de barbu, à Alcoy, moyenne ville à l’intérieur des terres, une fois qu’il visitait l’une de ses cousines germaines, le marin égaré dans les campagnes s’est vu reprocher par la veuve de son oncle, coté papa, une barbe broussailleuse et des cheveux trop longs.
                       -Quelle horreur mon neveu cela est imprésentable et de très mauvais gout. Je n’aime pas ça du tout !
             La conjonction malicieuse file dans la chambre de la vielle dame, décroche le crucifix pendu au mur (double exécution)  et revient le poser devant elle. Médusée, elle ne lui parlera plus jusqu’à son départ vers le joli bateau rouge qui l’attendait avec impatience.
             A Altea donc, il existe sur le Paseo Maritimo un commerce intelligent qui allie bar et librairie. Mariage hélas trop peu commun mais néanmoins fort savoureux.
               Depuis quelques temps déjà le navigateur des mers du sud sent un fourmillement dans la paume des mains ; sensation insolite, indéfinissable, qui frôle le picotement et va jusqu’à la gêne. Un jour passant devant la librairie, un livre exposé dans la vitrine attire son attention.
                 MANOS QUE CURAN (mains qui guérissent) de Barbara Ann Brennan.
                Le marin Ornicar franchit la porte d’entrée vers un univers inconnu mais pressenti. Respectueusement, à petits pas, fasciné, il lit, assimile parfois avec difficulté au début puis de plus en plus à l’aise il regarde ses mains qui pour la première fois lui paraissent belles et… ne fourmillent plus.
                Il ne retournera pas l’été prochain à Parlabas, il file sur d’autres îles, plus proches dans le nord-est et s’amarre à la plus grande d’entre elles, dans un minuscule port où les pêcheurs sont rois, et les contrebandiers aussi mais il ne faut pas le dire. D'aucuns prétendent d'ailleurs que les deux professions ne feraient qu'une...
                Le livre de Barbara est très complexe mais c’est LA référence en la matière et Ornicar, vous n’allez pas le croire, est bientôt capable de travailler avec un pendule… y compris sur un bateau qui bouge ! Il rentre dans un autre monde.
                Comme par coïncidence, c’est souvent des gens hautement spirituels que le marin futur guérisseur rencontre à présent. Attention il ne faut pas confondre avec la religion, Ornicar éprouve pour ce mot comme une aversion, une répulsion, voir un profond dégout. Non pas pour les croyants, ils ne sont que des moutons dont la cervelle est juste bonne pour la persillade, mais pour ceux qui incitent à la croyance pour  bien entendu en vivre plus que confortablement.
                A l’Armée déjà il a refusé d’assister à une bénédiction des armes.
                      - C’est un ordre !
                      - Jamais je n’accepterais de voir donner un coup de goupillon-à-l’eau-bénite sur des engins destinés à tuer. Si hélas il est parfois nécessaire de se défendre, il est inutile d’y ajouter de semblables hypocrisies.
                Quinze jours d’arrêts de rigueur, mais pas de bénédiction. L’aumônier de la caserne, alerté qu’un mauvais diable est dans la place, vient rendre visite au sous officier récalcitrant.
                        -Vous ne croyez pas en Dieu ?
                        -Quel Dieu ?
                        - Celui qui a créé l’homme.
                         - Stop, sauf votre respect c’est l’homme qui a créé Dieu. A son image d’ailleurs. Complètement incompréhensible, prônant un jour la loi du Talion puis envoyant son fils pour demander de tendre l’autre joue et se faire crucifier à la fin !
               Bon mais impuissant ou bien ignoble salopard et super puissant ; vous avez le choix ou alors expliquez moi :
               Si il est puissant comme vous le prétendez et qu’il laisse les hommes dans une telle merde, souffrance, guerre, misère, maladie, injustice permanente  j’en passe et ses meilleurs, c’est un être abjecte, sans cœur qui se délecte alors qu’il pourrait tout solutionner.
                 Si il est bon et miséricordieux comme vous osez ajouter, qu’il pleure de là-haut sur le sort des pauvres créatures qu’il a engendrées, en ne levant pas le petit doigt, alors c’est qu’il est totalement démuni du moindre pouvoir.
                 Je vous remercie de ne pas m’avoir interrompu.
                          -Vous ne croyez vraiment pas alors ?
                          -Si, moi je sais mon lieutenant.
                          - Appelez-moi mon père.
                          -Non mon lieutenant. Quand vous voulez allez à Rome et que vous demandez votre chemin, il y a trois réponses possibles :
              Un, je ne sais pas.
              Deux, je connais, vous filez par là, vous prenez la deuxième à droite, la première à gauche et vous arrivez.
               Trois ; il me semble que ; peut être que ; je ne suis pas sûr ; je CROIS que c’est par là.
       Vous rendez-vous compte que le Verbe qui est l’essence profonde de votre religion, celui qui vous emplit la bouche en permanence mon lieutenant, est celui qui dessert l’incertitude ? Vous êtes des inquiets messieurs les croyants car vous êtes perdus ; toutes vos belles églises, temples ou autres édifices sont battis sur cette incertitude élevée à la puissance infinie d’une peur viscérale.
                        -Vous avez dit, moi je sais. Que savez-vous ?
                        -Que je ne sais rien.
         L’homme s’en va décontenancé et Ornicar ne saura jamais si une petite flamme s’est allumée dans le cerveau désorienté de monsieur mon père le lieutenant.
         Vous vous étonnez encore du coup de pied au cul après quatre ans sous les drapeaux ? Il y aura d’autres raisons à la brutale éjection ; la principale ne peut être ici mentionnée par respect pour l’âme d’un petit gars qui est mort en accomplissant ses obligations militaires.
          Mais revenons-en à nos moutons, les amours sur les îles espagnoles ne sont guerre satisfaisantes pour le moment, elles le seront dans le chapitre tout nu et tout bronzé et surtout le club de plongée de Parlabas attire l’infatigable aventurier. Revirement de cap une fois de plus, Ornicar s’en revient chez les plumeurs de palmipède pour faire glouglou avec la bouteille…sur le dos ; conduire de beaux bateaux avec plein de belles nanas à bord, oh joie : elles sont  souvent  fort dévêtues.
          
 

                                               CHAPITRE GLOUGLOU.

 

           L’ambiance du club est agréable mais… il y a toujours un mais, et celui-ci est de taille… Madame dirige le club et monsieur, dominé, suit en tout ; il s’énerve souvent en poussant d’abominables gueulantes, mais en disant toujours amen. Madame qui au simple mot argent voit ses yeux pétiller de façon inquiétante, Madame à la tête de la boîte remet en vigueur un mot que l’on croyait rayé du beau vocabulaire français et aboli par les lois : l’esclavage.
           Exténuant, mal payé, un demi SMIG déclaré et l’autre au black, le boulot au club prend à la gorge celui qui est revenu par amour au sous marinisme (et aux sous marinières). Tout se paye !
           Des bras  charybdiens de la capitainerie la saison dernière Ornicar tombe sur les coups scyllaniens de Madame la chef qui, d’un sport si beau, ne voit que la rentabilité. L’exploitation rationnelle et accélérée du pingouin à bulles devient pour elle une spécialité particulièrement lucrative.
           Les heures de présence sont beaucoup moins comptées que les sous dans l’escarcelle de Madame, quand aux heures supplémentaires, cherchez les bien, elles sont innombrables mais curieusement invisibles et donc impayées.
           Décidément il est peut être vrai que les conjonctions de coordinations ne sont venues au monde que pour être exploitées dans les océans d’une littérature implacable et inhumaine.
           Tout beau et tout bronzé, la barbe en broussaille et le cheveu en bataille le non coupable à la peau dure maigri à vue d’œil. L’était déjà point trop gras le bougre. Madame ne lui laisse même pas le temps de bouffer. Mais les plongeuses qui se dénudent facilement, qui le soir acceptent souvent les invitations à bord du coursier des mers de Ornicar, sont si belles et ceci compense cela.
           Du coté de la direction du port, le méchant homme toujours en poste a été prévenu : un seul mauvais mot, une seule mauvaise attitude et le village entier sera au courant des indélicatesses capitanesques, du pourquoi du comment des trois mois de mise à pieds de l’hiver. Quand à une vengeance sur le voilier, ne pas y penser. Ornicar promet à son ex supérieur de lui faire manger ses couilles… s’il en a encore.
           Le maitre du port, désormais sur la surveillance de la simple secrétaire par ordre de la Chambre de Commerce, est décidément plus con qu’il n’est voleur et méchant. Il parle. Il sous entend. A tel point que des rumeurs vont bientôt circuler sur l’île de Parlabas comme quoi Ornicar se serait mal porté et que ceci aurait motivé sa mise à la porte. Le comble est atteint.
           Sans violence mais avec tambours et trompettes, de bars en bars, d’une voix bien forte à  des oreilles grandes ouvertes qui s’en délectent,  va être rétablie la vérité, preuves à l’appui.
           Atttttention Parlebassiens, Parlebassiennes, qu’on se le dise, Ornicar n’est pas encore une conjonction de flexibilité ; c’est l’autre qui reste toujours un ignoble salopard ; faites courir…

             Avant d’aller plus loin, il nous faut parler d’un phénomène au féminin que l’on peut qualifier de véritable championne. Elle aussi a abouti après maintes péripéties sur l’île paradisiaque, accompagnée d’un vieux juif errant, son amant, matelot, mécanicien, charpentier et que sais-je encore, au nom tout aussi bizarre qu’Ornicar. L’individu fort sympathique a les cheveux grisonnants, toujours très bronzé et porte au cou une énorme médaille d’or où l’étoile de David revendique clairement ses origines.
                Depuis son arrivée sur Parlabas, Ornicar s’est lié d’amitié avec ce couple si particulier. La belle championne Anglaise bien qu’oubliant d’équeuter et d’effiler les hhharicôtes est excellente cuisinière et le vieux Kedalle raconte merveilleusement  de longues histoires qu’il a vécues dans sa vie plus que compliquée.
                  Peu à peu celui qui fait son petit bonhomme de chemin dans la hiérarchie du port, va  découvrir ces deux personnages sur un autre aspect. Lui est un mythomane perdu, d’une ampleur inégalable ; toutes ses belles aventures ne sont qu’affabulations  enveloppant des minuscules bribes de vérité. Il n’en reste pas moins qu’il travaille remarquablement bien et il est apprécié pour cela. Elle, baise volontiers, par plaisir bien sûr mais surtout par utilité. Tous ceux qui peuvent servir y passent. Ornicar ne se laissera pas prendre dans ses redoutables filets en évitant de trop y  frotter sa panse, au bal du 14 juillet par exemple.
                La belle Anglaise, cheveux rouges du henné, aime passionnément le ââârgentt et elle est fort entreprenante. Elle rachète un vieux bateau ventru qui assurait autrefois la ligne du continent à l’île, retour obligatoire pour les non résidents. Aidée de son infatigable compagnon elle le retape en hôtel flottant puis entasse dans la vaste calle des montagnes d’objets hétéroclites ramassés dans les poubelles.
                             -Celaaa paeu saerviir ! Dit-elle avec son délicieux accent. Effectivement cela sert surtout  à faire baisser dangereusement la ligne de flottaison de l’hôtel qui s’enfonce tous les jours un peu plus. 
              Le couple insolite bat de l’aile au fil des mois, et mademoiselle s’éclipse de temps en temps seule sur le continent et réapparait …quand elle le veut. Ornicar fait son possible pour réconforter le pauvre Kedalle. Sans jamais prétendre à la moindre rémunération, de son poste à la capitainerie, il adresse quelques pingouins demandeurs d’asile à l’hôtel de la championne, précisant, bien sûr que ce n’est pas un trois étoiles.
                Alors un jour….
          -  Aaoornicaar, je vioudrais une petite paourcentaage paour le plongée que tiou a faite de mon paaarte.
                 Pour toute réponse le barbu lui enseigne à faire le poirier.
                              -Tu vois ma belle, dans cette position tu écartes bien les jambes et mets ton pourcentage dans ta grande tirelire.
                              AAAOOOHH !!! Chocking !!!! Elle n’est pas rancunière et Ornicar non plus. Mais elle a de la suite dans les idées pour grappiller du bel argent, de toutes les manières impossibles et inimaginables. La suivante n’est pas déplaisante non plus.
               La championne va demander à son ami plongeur une première leçon de sous marinisme, faveur accordée dans le cadre du club. Stupéfaction, le lendemain une pancarte est fixée sur la passerelle du bateau-hôtel-entassement de récupération de poubelle.
                                              TRAVAUX SOUS – MARINS …….
                Excellent pour Ornicar qui va pouvoir arrondir ses fins de mois. La championne Anglaise essayera vainement de le payer en nature ouvrant opportunément la porte de la douche pour bien lui monter que son frifri lui aussi est teint au henné. Mais quand le barbu dit non…
               Ah, qu’on se le dise,  malgré tout, Ornicar aime beaucoup cette belle hors du commun et il la reverra bien plus tard sous d’autres cieux…

                Tout à coté de la petite et unique église du village qui culmine la place, l’est un restaurant ; à la plonge s’active le seul arabe de Parlabas. Le brave homme a deux défauts, la bouteille, celle qui fait glouglou quand on la descend et les cartes, surtout le poker.                                                                                                                                                     Inévitablement tous les mois, comme un rituel, deux ignobles salopards l’invitent pour une partie  «  amicale ». Le pauvre arbit approche tellement ses cartes des yeux tant il est plein d’alcool que les deux comparses choisissent les leurs sans se cacher des éventuels regards aux alentours.
                Pourritures non-humaines remerciez donc Ornicar ne de rien avoir révélé à son copain l’arabe. Vous seriez morts certainement depuis belle lurette .L’un d’entre vous peut aussi se flatter des pleins congélateurs de petits oiseaux capturés aux pièges à fourmis qu’il vend à de sympathiques restaurateurs du continent. Surement  que cette outre à Pastis, coiffée d’un éternel bonnet Cinzano, regarde 30 Millions d’Amis à la télé en versant des larmes de bonheur, c’est si beau les animaux !
            Refrain : A mon Dieu quels braves gensss que ces hommes là. (Bis et répétitum).

 

           Petitesse du territoire ou insularité font de ce bel endroit un lieu de vie aux mœurs très particulières. La femme du médecin vit avec un responsable de la ferme, la femme de celui-ci vit avec le pharmacien, la femme du mécanicien… et le médecin vit avec… Chacun y reconnaissant les ciens, les siens et les siennes. Les histoires de cul sont nombreuses et juteuses quand aux affaires de pognon, c’est la foire à l’empoigne.
           Madame le maire a eu un jour la bonne idée d’instaurer un petit marché hebdomadaire sur la place du village. Les deux frangins qui se frottent les mains dans l’unique supermarché du coin ont donc décidé ce jour là de mettre œufs, volailles et lapins en promotion, presque en gratuité. La semaine d’après, le brave paysan d’en face ne reviendra pas.
           Aucun de ces estrangers du continent ne va vouloir répéter l’expérience tant les problèmes engendrés par le nouveau marché vont tourner à une polémique presque guerrière.
           Il ne faut pas s’étonner si, quelques années plus tard, à son retour de vacances, l’un des deux frères s’est vu refuser l’accès au magasin. L’autre, malin, a racheté bon prix au papa plus cupide qu’Harpagon ses parts de la société et est désormais devenu majoritaire.
                      -  Tu n’avais qu’à baisser ton pantalon, ho mon frère, ça t’aurait moins fait mal !
             Refrain bien connu :    Mon Dieu, quels braves gensss que ces hommes là ! 
             Que dire aussi du pêcheur de toujours, Parlebassien de toute la vie mais arrivé sur l’île bien après Ornicar. Il vient d’acheter avec les sous de madame un beau et grand bateau en bois : il va perdre en peu de temps des kilomètres de filets sur des fonds où il n’aurait jamais du les poser.
             L’homme, la gloriole pardon, pousse des cris de joie quand par hasard il attrape un minuscule poisson. Les pièces qu’il ramène sont achetées à de véritables pêcheurs qui ne lui font pas de prix de gros, elles finiront dans les assiettes du restaurant que ce cuisinier de toujours vient d’ouvrir encore avec les sous de madame.  Ornicar dans sa dernière saison sur l’île a travaillé, au black bien sûr, pour ce vaniteux, fanfaron et criminel en puissance. En vain le barbu a essayé d’empêcher que ce brillant individu de ne pas naviguer dans la zone  interdite des trois cents mètres. En vain il lui a demandé de réduire sa vitesse quand il le faisait. En vain il l’a supplié de ne pas passer au dessus des bulles de ses copains plongeurs en gueulant :
                           -Je travaille moi !
              Refrain bien connu pour ce triste sire, il aura au moins donné le plaisir de deux paragraphes aidants à mieux connaître la beauté de la nature humaine. Décrivons en un dernier qui vaut largement son pesant de cacahouettes.
                Ce bélâtre au très léger embonpoint du trop bien manger, un court cigarillo noir en permanence entre les lèvres, excellent pétanqueur aime à raconter que ses boules plus intimes sont du même acier. Il propose sa phénoménale bitte à kiki n’en veut sans discrimination sexuelle. Le délicieux personnage, voyant l’opportunité d’ouvrir un magasin de location de bicyclettes, fit parvenir à la Chambre de Commerce ce succulent manuscrit :
                                                      Messieu

                      Jé aprit que un locale et disponnible pour que je lou dedent dé véllo
                       
                      Je vourdé savoire conbien sa vat couté car je suit un téréser par se locale

             Ornicar qui a reçu cette merveille de l’écriture contemporaine pour la transmettre à ses supérieurs n’a pas éprouvé la moindre pitié pour la grosse quequette au si petit cerveau, il n’ a rien dit et n’a pas aidé à corriger le peu de fautes d’orthographe…Ne pas s’étonner si ce brave citoyen clame à tous les vents son admiration pour un homme politique adorateur de Jeanne la Consumée. Au fait toute l’île vote à nonante pour cent, comme aiment à dire nos amis Belges, pour les idées de ce vieux vitupérant en question.
               Reprenons mes frères le refrain tous en cœur !
             
             Heureusement, certains ilotiers donnent une touche allègre à la vie de Parlabas. Il y a les proprios d’un bar restaurant du même nom que l’une des belles plages de l’ile ; riches comme Crésus à force de travail, ils restent modestes et fort gentils ; leur fils est redoutable au tennis de table et aux échecs ; Ornicar le fréquente avec grand plaisir. Un sympathique gendarme aussi, qui hélas ne restera pas car le centre militaire de formation ferme ses portes. Un aquarelliste connu sur la région et qui gagnerait à l’être d’avantage ; un gentil chauve qui loue des bicyclettes (rien à voir avec le paragraphe précédent), appréciable  pour sa grande discrétion, une qualité que le barbu a  peut-être oublié d’emporter dans ses bagages.
            
              Enfin la toute belle Milady, excellente comédienne, soi-disant rivale de BB il y a quelques années, mariée à un génial cinéaste fils d’un écrivain mondialement connu. Elle  donne du baume au cœur de Parlabas lors de sa présence bien qu’Ornicar ait parfois du mal  pour différencier à quel moment elle est sérieuse et quand elle joue la comédie. C’est de plus une femme de très bon gout, la preuve : elle apprécie la peinture du marin provisoirement  sédentarisé.
   
              Chez Glouglou, Madame plume aussi d’autres volatiles, le pigeon stagiaire. Ces jeunes qui par obligation pour obtenir leur diplôme de plongée doivent rester quelques temps dans un club. A plus de soixante dix heures par semaine, les ‘petits’ sont réduits en esclavage eux aussi, sans être payé bien entendu ; juste la bouffe et encore, donnée presque à contre cœur, par bonté charitable. Les gars, pourtant tous des baraqués en pleurent à la peine.
           Crevés, n’en pouvant plus, ils obtiennent avec la grande magnanimité de Madame, le lundi de repos car ils n’avaient jusqu’à présent que le dimanche après midi. Pour Ornicar… des nèfles, il décide donc de faire la grève tous les lundis lui aussi.
           Madame amasse ses sous et monsieur, bonne pâte et qui ne sait jamais dire non aux exactions de sa moitié, se met à boire. Ornicar devenu conjonction de consternation va voir son boss bourré comme un coing partir plonger avec des néophytes à vingt, voir davantage, mètres de profondeur. Faire des baptêmes avec des adolescents alors qu’il n’est plus capable de compter les doigts de sa main. Faut le voir pour le croire !
- Mon Dieu (encore une fois pour un non croyant !) que vous êtes brave de ne pas avoir rappelé à vous quelques uns de ces miraculés de pingouins à bulles.
  

           Et un jour… un de ceux qui devait arriver…
           Ornicar regarde ce petit voilier, du genre transportable sur une remorque, cinq six mètres tout au plus qui désespérément tourne en rond dans la rade, moteur hors bord pétaradant, cherchant où diantre pouvoir s’amarrer.
- Hé, venez à mon couple.
            Mieux vaut un petit choisi qu’un gros qui s’y colle pendant mon boulot. Une des plus belles initiatives de ta vie, ami Ornicar.
            Bien que cela va durer encore quelques années, ce petit événement apparemment anodin  va changer la vie d’Ornicar et marquer la fin de la conjonction de coordination…
            Les voisins d’un week end sont repartis laissant leur petit poucet contre le bateau du grand plongeur devant l’éternel, encore à cause du mauvais temps ; son propriétaire tout seul reviendra bientôt  et acceptera volontiers un coup de main pour une courte navigation nocturne de retour sur le continent.
            Une sympathie réciproque fait promettre au marin barbu une visite un jour prochain, le nouvel ami habite précisément  sur le chemin qui conduit  chez papa maman ; cent kilomètres au sud avant d’arriver chez eux. En fin de saison une visite familiale s’impose.
            Promesse faite, chose due.
            Sur le bord du grand fleuve qu’il nous vient de la confédération helvétique l’est une colline. Son flanc exposé au couchant voit s’éparpiller quelques maisons, l’une d’elles, très vieille, cossue et bien retapée, accueille sur son terrain attenant  un petit voilier sur sa remorque,  couple déjà vue précédemment.
- On fait un petit tour à pieds Ornicar ?
- Avec plaisir.
            Il fait beau en se début d’automne, le repas était délicieux, deux hommes et un petit garçon de douze treize ans, se promènent sur un chemin de terre, chacun perdu dans ses pensées, séparés de quelques pas, à la queue leu-leu.
            Quel est cet étrange bout de ferraille qui attire l’attention du marin barbu, campagnard d’un instant ? Il se baisse, ramasse et contemple. Kézako ?
            Une sorte de tige d’une dizaine de centimètres avec comme une boule à son extrémité, une rotule immobilisée par l’oxydation. Bof, Ornicar jette l’objet indéfinissable et inutile qui tombe près d’une pierre triangulaire incrustée dans le sol. Ornicar regarde la pierre dont seule une face est visible, il y découvre un cercle comme creusé ; il reprend la ferraille, et constate que la rotule est exactement à la dimension de la marque dans la pierre.
- Comme c’est curieux, cela s’ajuste parfaitement.
             A quelques mètres derrière, l’ami au petit voilier et son fils se sont arrêtés et observent silencieux. Ornicar jette une deuxième fois le morceau de métal et s’en va. Trois pas seulement, demi-tour et rapidement la pierre sortie du sol se retrouve dans sa main. Un petit coup d’essuyage sur le pantalon puis un souffle pour en éloigner la poussière…
             Les cheveux dressés sur la tête, tous les poils de son corps hérissés avec la chair de poule, Ornicar se met à pleurer comme une fontaine. Il veut parler mais ne peut pas, il veut se tourner vers ses amis mais ne peut pas, il est paralysé par l’incompréhension, sans cri pour la première fois de sa vie. Il veut marcher mais ne peut pas.
             Le petit garçon s’avance et demande gentiment.
- Ca ne va pas Ornicar ?
             L’homme répond avec une extrême difficulté.
- Est-ce que tu lis comme moi ce qui est écrit sur cette pierre ?
             L’enfant prend le petit triangle et murmure.
- Je lis ton nom, Ornicar.
             D’une forme bien précise, en petites lettres majuscules rouges dans le cercle d’environ deux centimètres de diamètre, sans qu’aucune lettre ne touche l’autre, le nom du navigateur est marqué… bien marqué.
- Impossible, c’est un cauchemar. Grand barbu auquel je ne crois pas, de tout là haut réveille-moi.
              Le papa du garçonnet répond à la place d’un Dieu qui probablement serait resté muet.
- Non tu ne dors pas mon ami, viens avec moi il faut que je te raconte.
              Le pierre chauffe la main, la pierre semble peser de plus en plus, la pierre fait vibrer Ornicar, elle lui envoie des ondes qui se répercutent dans tout le corps.
- Tu vois mon ami, il y a deux mille ans environ vivaient ici des Celtes. Dans la grotte que nous allons voir à cent mètre à peine, beaucoup d’entre eux furent massacrés par des troupes de la légion romaine. Tout près également, sur une esplanade au bord de l’apique qui domine le fleuve, les religieux célébraient leur cérémonial d’adoration du soleil à son levé. Viens mon ami, je vais te montrer encore beaucoup d’autres choses.
Dans la ferme que j’ai peu à peu retapée des gens sont venus de la France entière et de l’Europe pour des réunions de spiritisme, nous avons pris même des photos d’ectoplasmes. Tu as fais de la spéléo je crois, demain nous irons voir un puits qui va t’intéresser, j’ai un peu de matos.
             Les yeux enfin secs dans l’intimité de la belle maison, la tête débordante de points d’interrogations, Ornicar examine avec une loupe une toute simple pierre avec son nom.
- C’est de l’argile, déposé dans un fossile, une sorte d’escargot marin, il forme mon nom.
             Les armures présentes dans la pièce paraissent se pencher au dessus de la couche du marin perdu, dépaysé et pire, désorienté pour la toute première fois depuis le jour de sa naissance. En mer la superstition est reine, mais ces fadaises ne sont pas pour notre ex commando, enfin c’est lui qui le dit. Si au Sénégal de drôles de choses se sont déjà passées, nous l’avons vu, elles n’ont  pas encore ouvert son esprit au surnaturel, au spirituel et dans cette maison si particulaire après une journée si insolite,  la peur de nouveau s’empare de lui bien qu’il ne veuille pas l’avouer.
              La nuit est épouvantable, Ornicar ne peut trouver le sommeil que très tard et le cauchemar qui souvent l’assaillait dans son enfance revient. Il se réveille en hurlant. Il est neuf heures et demie du matin et une bonne odeur de café qui monte de la cuisine flotte dans l’air.
              Après le petit dèj, Ornicar et son ami s’en vont au puits. Dans une poche du premier, une pierre rayonne ; élément contribuant à la transformation d’une conjonction de coordination en un homme, elle donne à celui à qui rien dorénavant ne peut arriver, une incroyable assurance. Sa peur de la nuit dernière a disparue.
               En se penchant au dessus de la margelle le marin qui un jour auparavant ignorait tout de cet endroit, y compris le nom même du village lui était inconnu, s’entends bredouiller :
                            -Il n’a que huit mètres de profondeur, un grand mètre d’eau, et deux tunnels partent d’en bas, l’un file vers le sud et est effondré presque tout de suite, l’autre exactement à l’opposé s’éloigne au nord,  après deux courbes, à droite puis à gauche, il est lui aussi obstrué. Nous ne pourrons pas parcourir plus d’une quinzaine de mètres.
                              !!!!!!!!!
                 Trois baguettes d’encens sont brulées pour calmer des entités éventuellement réticentes à la visite et, en avant pour une courte descente en rappel. Ornicar ne s’est trompé que sur la profondeur de l’eau, à peine cinquante centimètres. De quoi remplir les bottes malgré tout. Le reste est exactement semblable à sa description…..
                 Quelques instants plus tard, ressorti du puits Ornicar interroge son ami :
                               -Que sont donc ces petits monticules bien alignés là tout près de la route ?
                               -Ce sont des tombes de Celtes, ils reposent les pieds à l’Est vers le soleil qui se lève. Le musée du village leurs est en partie dédié.
                Ornicar de nouveau blanchit, se met à pleurer et respire avec difficulté. L’affreux « crochemard » comme il disait à sa maman autrefois réveillée par ses cris, qu’il n’a jamais décrit à quiconque, curieusement  revenu cette nuit,  est un tunnel  passant sous un cimetière !.....
                            -C’est pas possible, je redeviens  fou.
                             -Non mon ami, tu as seulement vécu ici il y a deux mille ans.
                             -Je ne crois pas en ces conner…pardon sornettes.
                             -Tss…Tss…Tu m’as parlé récemment du verbe croire.
                

                De retour à son voilier, le vagabond des mers, la tête pleine d’une multitude de points d’interrogation, ne se résout pas à appareiller. Il sait que plus jamais il ne reviendra à Parlabas. Mais il manque quelque chose avant de partir définitivement.
                           -Ornicar, téléphone pour toi.
                  Les potes spéléos organisent une sortie au mont Pilat. En voilà une idée qu’elle est bonne ! Bon prétexte aussi pour retarder la levée des voiles. Et on remonte donc soixante kilomètres plus au nord cette fois.
                  Très près du sommet de la montagne, dans la belle forêt du Parc National, au dessus du fleuve qui poursuit son chemin imperturbable vers les Celtes du sud, alors que la bande de joyeux drilles s’amuse, Ornicar est soudain saisit de folie.
                  Le voila qui marche droit devant lui, ne se souciant pas des ronces qui lacèrent ses jambes dénudées car il ne sent rien.
                             -He Ornicar, qu’est ce que tu fous ?
                   Le marin zombi est maintenant en arrêt devant un tas de pierres noires de plus de trois mètres de diamètre en psalmodiaient la bave aux lèvres :
                             -Ceci est ma tombe, ceci est ma tombe, ceci….
                             - Ornicar, réveille-toi nom d’un chien !
                              -Qu’est ce que je fais là ? La vache, j’ai mal aux guiboles, vous avez vu, elles sont en sang ?
                               -Tu racontes que ce tas de pierres est ta tombe.
                               -Pas possible !
               Histoire interminable, re-retour sur le bateau qui lui attend tranquille ; il n’y a qu’une  bouée à larguer. La météo est favorable.
                                -Ornicar, message pour toi, rappelle ce numéro.
               Au téléphone celui qui sort avec la petite sœur, présent dernièrement à la sortie du Pilat.
                                 -Ecoute bien Ornicar et assois-toi sinon tu vas tomber sur le cul. Pour mon boulot il m’a fallu allez à la bibliothèque municipale. En passant au milieu de deux rayonnages  un petit livre était aparté sur une table basse, tout seul, tu m’écoutes Ornicar ?
                                -  Bien sur !
                                -Ecoute bien, titre du bouquin, Les civilisations Celtes dans le mont du Pilat ! A la page où je l’ouvre, sur la droite un croquis de la petite chapelle près du sommet. Tiens toi bien encore, sur la gauche un texte que je te rapporte le plus exactement possible :
                    Aux abords de cette très vielle chapelle, sont enterrés les chefs Celtes de la région d’il y a environ deux mille ans.  L’on creusait de vastes entonnoirs  et ils étaient ensevelis, enfourchant leur cheval favori, sous de grosses pierres !
            Badaboum, badaboum, Ornicar ne croit plus en la réincarnation : désormais il sait. Il commence réellement ce jour précis à comprendre qu’il lui reste beaucoup à apprendre. Il ne lui manque plus rien pour repartir. Plus jamais il ne se posera la question du pourquoi du comment. Tous ses points d’interrogation vont maintenant  trouver leurs respectables réponses, et les gens qu’il croisera sur son chemin toujours l’aideront pour ce faire.

                                        COURT CHAPITRE.     TOUT NU ET TOUT BRONZE.

 

                Les voiles sont hissées pour un nouveau vagabondage meditérranéesque ; ce sera le dernier et  en huit mois, sillonnant uniquement la partie occidentale de la Mare Nostrum, il aboutira au sud de la plus grande des iles espagnoles. Un couple d’amis y réside qui va aider Ornicar à enfin savoir pourquoi diantre il a eu la merveilleuse idée de venir au monde il y a désormais quarante six ans.
                 L’endroit est très touristique. Les aquarelles du barbu-du-bateau plaisent et elles vont bientôt se disperser aux quatre coins de la planète. Celui qui ne naviguera plus continue de vivre sur son voilier de trente et un pieds (9,30 m), étudie tranquillement pour enfin devenir autre chose qu’une simple conjonction de coordination, de subordination, d’incompréhension, de stupéfaction, d’interrogation, d’infinie rébellion et de toutes sortes d’autres ions indéterminés.
                 Les jours de tempête les passants incrédules contemplent du haut de la Cala le peintre-barbu-français faisant de dangereux exercices d’équilibre pour regagner le petit voilier toujours rouge au mouillage, un peu trop près de la falaise. Les amarres sont costaudes, la place est certes inconfortable mais assez sûre ; gros avantage, elle est aussi gratuite. Et surtout, les Allemandes jeunes et seules qui arrivent sur l’île par plein charter sont assoiffées de Sea Sex and Sun ; Ornicar tours prêt à aider sa prochaine, guide volontiers ces belles dans leurs recherches de la deuxième partie de cette trilogie intéressante.
                 Joignant l’utile à l’agréable, le  peintre-français-barbu-du-bateau  se perfectionne désormais dans la langue de Goethe qu’il avait trop négligée auparavant.
                 Chaque fois qu’une belle accepte une invitation à bord, il lui faut descendre une échelle métallique fixée sur la paroi verticale pour rejoindre le zodiac qui la  conduira au bateau-piège. Ornicar, en galant homme, précède ces demoiselles pour, levant la tête, jouir d’un premier spectacle, regardant des intimités qu’il va essayer de découvrir plus en profondeur.
                                 -Tiens, c’est une vrai blonde celle-ci ! 
                   Une fois de plus le prétexte de la visite est la petite chatte noire Kochka que l’on voit souvent courir sur le pont du voilier poursuivant vainement les oiseaux s’y posant. L’Allemande ne sera elle aussi probablement qu’une proie supplémentaire pour le collectionneur, et bien non : elle va compter dans la vie de Ornicar.
                   Pendant trois ans, ils vont se voir, se « dévoir » et se revoir. Se séparer en s’engueulant pour mieux se réconcilier ; le barbu ira même plusieurs fois tout là-haut dans le froid  pour tenter de vivre avec elle. Impossible amour pour un homme  qui jamais, au grand jamais, ne pourra comprendre que l’on ne puisse pas étendre du linge dans un jardin ensoleillé, sous prétexte que c’est dimanche, jour de repos, alors qu’il a plût  toute la semaine.
                   Ornicar s’efforce à la tolérance mais ne s’adapte pas au carré allemand, lui qui aime tant les belles rondeurs. Comme toujours, l’étincelle qui va faire déborder le vase est un quelconque bien piètre prétexte mais le barbu s’en retourne sur son voilier faisant grande peine à monsieur Einstein, lui prouvant que l’on pouvait aller plus vite que la vitesse de lumière.
                                    -Univers, toi qui m’as expédié jusqu’à ce point de ma vie, fais moi connaître quelque chose qui, je crois, me manque !
                     Toute nue et toute bronzée, assise face à un pan de falaise, la conjonction d’insatisfaction prétend par la pratique de la méditation s’éloigner du désir, des désirs. Sa pensée va pourtant de plus en plus souvent vers celle qui doit venir.


                                          DERNIER ET ULTIME CHAPITRE…


                     Il y a deux ans que  le Français de la Cala courre derrière une petit nana Argentine, malgré son expérience de Buenos-Aires ; elle est blonde elle aussi, fort séduisante, à peine la trente cinquaine, mais celle-ci se refuse encore et toujours. Elle n’accepte pas de descendre la fameuse échelle métallique. Ornicar, qui connaît son adresse au village, décide donc un jour, bénit soit-il, de relancer la réticente sur son propre terrain.
                     Pas de sonnette, la porte vitrée d’entrée ne  laisse entrevoir aucune présence. Après avoir, comme il se doit, toctoqué du majeur replié, le marin tout sourire franchît le seuil en demandant haut et clair :
                                     -Ya quelqu’un ?
                      Une forme féminine descend l’escalier dans la pénombre et s’arrête sans se dévoiler complètement. La voix paraît contrariée, comme sur la défensive, mais c’est certain, elle ne vient pas d’une Amérique du sud à l’accent caractéristique.
                                     -Que veux-tu ? (Le tutoiement  est de règle en Espagne)
                                      -Je cherche Suzy.
                                      -Elle se repose en haut dans sa chambre, elle ne va pas descendre tout de suite.
                                       -Ce n’est pas grave, dis lui que le Français est passé. Si elle veut, je l’attends au bar juste  au dessus de mon bateau, ce soir vers vingt heures.
                                        -D’accord.
                     A huit heurs du soir, Ornicar tout beau bien que toujours sans chaussure (il ne les enfile que pour aller à la grande ville), voit arriver avec surprise non pas une mais trois beautés. Bigre, à quatre sur le bateau ce sera un record ! Non non, ces belles partagent le même travail, cohabitent également sous le même toit et leur visite est  probablement peut-être un peu...disons intéressée. Elles viennent d’emménager et n’ont pas de frigo, pas d’antenne pour leur télévision, pas de machine à laver. Et acheter coute cher pour seulement deux ou trois mois de location.
                     Le barbu bricoleur promet tout ; dans les poubelles, il va récupérer, retaper et interchanger les pompes des machines, presque s’électrocuter sur un vieux frigo  mais tenir sa promesse en  lorgnant les mets savoureux qu’il sent à sa portée. Les demoiselles ravies vont inviter le pauvre marin solitaire (tu parles !) à déjeuner chez elles. Repas convivial, sous la table le pied de Ornicar cherche, trouve et caresse un autre pied. La belle est surprise, on ne lui avait jamais fait ce coup là ! C’est elle qui ne s’était pas dévoilé quelques jours auparavant dans la pénombre.
                     Ce soir là, ELLE descendra l’échelle métallique. ELLE est arrivée, franche, merveilleusement belle, sans aucune prétention, un cœur en or pur sous une magnifique poitrine. Le mat du petit voilier va se balancer toute la nuit et pourtant la mer est d’un calme…
                     ELLE  s’appelle du nom de la montagne sacrée des Catalans où l’on découvrit une statue de la Vierge Noire vénérée depuis. Du signe zodiacal taureau montagnard, ELLE n’a pas le pied marin et tout de suite Ornicar s’installe chez les trois belles où il est chouchouté comme un coc en pâte.
                      Au fait de quel signe du Zodiac est donc Ornicar ? Né en novembre, pour certains spécialistes sa nature coïnciderait avec celle d’un petit animal au redoutable piquant et c’est bien vrai qu’il aime à aiguillonner. Parce qu'on ne sait quel grand imbécile a cru voir dans le ciel une vague forme de scorpion d’un coté, de taureau  et de dix autres constellations, pour soi-disant classifier les humains, on les compare depuis à des étoiles qui sous un même nom n’ont en réalité rien avoir les unes avec les autres. Et qui vues d’un autre point de l’immensité de l’univers n’ont d’ailleurs pas les mêmes formes.
                     Arrêtez humains de croire (et oui encore ce beau verbe) en ces sornettes qui n’ont qu’un seul but réel, profiter de vos peurs.  
                     Si vous êtes né tel jour à tel endroit, vous êtes comme ça. Passez donc dix années entières de votre vie auprès de tous les  Horoscopistes du monde en répondant franchement à toutes leurs questions, aucun d’entre eux ne vous dira quand et où vous êtes  né. Pas  plus qu'en mille ans de discutions ! Il est très étonnant que des messieurs et des dames  fort savant-cosinus-astro-pas-logues-du-tout puissent vous dire combien font cinq plus quatre  mais soient incapables de l’opération inverse.
                   Quand à la numérologie charlatanesque basée sur une date de naissance totalement imaginative, elle même fixée sur le calendrier pour mieux cadrer avec une colossale affabulation  ou à la soit disant étude des lettres, que ces  deux prétendues sciences nous expliquent que dire donc d’un bébé dont on ne sait rien car il été recueilli. On lui donnerait donc une nouvelle personnalité en lui attribuant un nom et une date de naissance ???? Ornicar vous le dit et vous le redit vous êtes tous des exploitants des peurs que vous créez vous-même. Il vous pardonne car il sait qu’à force de vous l’auto- rabâcher vous le croyez (one more time!) sincèrement.
            
             
                   Ornicar n’hésite pas une fois de plus pour abandonner son voilier qui ne quitte désormais son mouillage que pour le grutage  destiné à lui refaire une petite beauté annuelle. Un ami de la Cala surveille les amarres au cas où et le zodiac est soigneusement éloigné des cailloux.
                    Fin septembre le couple s’installe dans la maison secondaire de papa maman entre Barcelone et Tarragone, une petite ville qui pour se faire connaître a eu la bonne idée de voir naître un fameux violoncelliste du  vingtième siècle. Les beaux parents sont un peu inquiets de voir leur fille avec un barbu, Français et presque de dix huit ans son ainé. Mais cet Ornicar ne peut être tout à fait mauvais, n’est-il pas né à Barcelone ? Pour des Catalanistes convaincus, il y a là un bon premier point.
                   Ornicar et la toute belle Montagne Sacrée se sont aimés pour la première fois un 13 juillet, elle est née un 13 mai, et quand très vite ils décident de tenter la merveilleuse idée d’avoir un enfant, le test positif de grossesse sera connu  un 13 novembre. Ne vous étonnez pas si l’année suivante, de nouveau sur la grande île où l’on exploite le pingouin germanique…
                     Le 13 juillet1996, Alicia (ce qui est vrai en Grec) vient au monde. A peine les yeux ouverts elle  adresse d’abord un grand sourire à son papa puis pousse aussitôt son premier hurlement d’incompréhension ; tiens, cela me rappelle quelque chose ! Pourquoi a-t-il fallu qu’elle quitte l’endroit aussi confortable où elle a vécu pendant neuf mois ?
                      Ornicar pourra, quand Alicia aura l’âge de raison, lui expliquer ce que lui-même a mis pratiquement cinquante ans à comprendre. Mais l’expérience de l’un ne fait pas celle de l’autre. Malheureusement elle passera peut-être toute sa vie sans pouvoir répondre comme quatre vingt dix pour cent des hommes à ce qu’immortalisa un certain Shakespeare avec son « To be or not to be ».
                   Le voilier va être mis à la vente et comme il faut bien vivre en attendant, peut-être aussi pour éviter la traditionnelle déprime post-accouchement la maman tout de suite retravaillera. Stupeur des pingouins allemands d’assister à la tétée d’un si jeune nourrisson.
                               -Il a quel âge votre bébé ?
                              -Quatre jours !
                              -Oh mon Dieu !
Il est à parier que là haut dans leur grand beau mais froid pays, ces dames nécessitent bien deux semaines pour récupérer. Y compris Ornicar est surpris et il en admire que plus sa bien aimée.
                                
                   Les neuf premiers mois de celle qui est vrai sont un enfer pour ses parents inexpérimentés, la terrible ne les laissera jamais dormir plus de deux heures consécutives. En faisant un beau jour du pied sous la table,  celui qui désormais mènera une vie terrestre « plus décente », a posé ses orteils dans une autre vie, dans celle de monsieur tout le monde. Pourtant le quinquagénaire se sent différent du commun du mortel, il a pris conscience, il sait. Mais cela ne résout pas tous les problèmes, Boudha avait il raison quand il affirmait que passer de l’inconscience à la conscience c’était passer d’une dualité à l’autre ? Cessera-t-il enfin d’être une conjonction interrogative ?
                  Pendant les douze années à suivre, Ornicar en fait n’aura guère le temps de poser des questions qu’il sait inutiles mais qui sans cesse le rattrapent. Achat d’un terrain, construction d’une petite maison puis ses agrandissements successifs ne laissent que peu de loisir pour la masturbation mentale. Pour gagner sa croute il pensait vendre les siennes …grossière erreur. Le personnage n’existe plus, la barbe est rasée, les chaussures cachent de nouveau ses pieds. Les Allemands ne sont plus là et comme nul n’est prophète en sa terre, ce sera sur ses propres murs que  le peintre désormais connu seulement dans sa rue, à son numéro, accrochera des tableaux qui feront exclusivement l’admiration de ses amis. Et tant pis pour les autres, na ! 
                  La conjonction de coordination comprend tardivement, qu’à chaque moment de la vie il faut savoir se subordonner au présent. Que finalement seulement ce dernier existe, le passé n’est plus et le futur nous conduit tous inévitablement à notre final.
                  Final…vous avez dit final ? Et alors, la tombe du Mont Pilat : on en fait quoi ? Aie aie aie, quelle manière de tourner en rond !
                   Sa mort, Ornicar, qui se dit devin au moins sur ce point là, la raconte volontiers. Il la décrit violente, à ses quarte vingt dix neuf ans, venue de la main d’un mari jaloux…Mais sans plaisanter, il lui a fallu longtemps pour ne plus avoir réellement peur. Son épouse, qui n’aime pas la question métaphysique shakespearienne lui donne tous les jours, sans s’en rendre compte  de bonnes leçon sur ce thème. La conjonction autrefois interrogative, ne cesse de recevoir ses réponses.
                   Il sait aujourd’hui pourquoi il a choisit ses parents pour cette réincarnation. Papa Ornicar pour ne s’être jamais posé aucune question par ignorance (ou par peur ?). Quant à maman aucune question non plus car d’instinct, elle a eu la grande sagesse de comprendre que cela ne servirait à rien.
                    Il sait aujourd’hui, malgré son nom, que toutes les conjonctions de l’existence sont en lui. Il est le bien et le mal, le Ying et le Yang et que cette conception de la vie lui a également enseigné que tous les hommes ont, comme lui, la possibilité infinie d’être des Dieux. 
                    Il sait aujourd’hui qu’il navigue en père peinard sur l’océan de la vie. Il n’a plus les yeux rougis de trop scruter au-delà de la proue de son bateau. Un excellent pilote automatique se charge de maintenir le bon cap vers le port d’arrivée. Un engin hyper sophistiqué qu’aucun mécanicien au monde n’est capable de bricoler, sa programmation  a été mise au point plus de neuf mois avant la naissance du navigateur, avant même sa conception.
                  
                    Ornicar sait aujourd’hui qu’il peut se confier en toute tranquillité au seul vrai guide qui peut avoir deux marques de fabrication différentes selon qu’il soit occidental ou oriental : le DESTIN ou le KARMA. Attention, la perfection n’est pas encore en lui, il y aura probablement quelques cris d’incompréhension avant d’arriver au but.

                                                      

                                                     xxxxxxxxxxxxx    Bien à vous    xxxxxxxxxxxx


         
 
                          


               


 

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