L'HERBE VERT ECARLATE POUR LA FUMETTE
Ma banane en folie danse sur mon front. Oubliée ce matin. Oublié son badigeonnage de résine de cétacé de l’Himalaya. Encore un moment sans intervenir et elle va rejoindre Popaul qui sans redresseur de tort monte sa tête encapuchonnée pour ne point prendre froid. Cette jonction imprévue risquerait, si je n’y prends garde, de provoquer un profond déséquilibre politique. Depuis fort longtemps, mon habitude de promenade matinalement dans les rues de Babaoli, en tenue plus que légère (soit carrément à plume), fait grincer les dents de tous les mâles de mon quartier.
-Cet individu-là devrait se couvrir ! Clament bien fort les braves gens offusqués ».
Les femelles quant à elles s’empressent de mettre leurs têtes aux fenêtres à guillotine et ainsi les perdent carrément. A peine écouté le claquement de ma porte (est-ce ma faute si les pets des incompétents au pouvoir provoquent de vigoureux courant d’air ?), les voilà qui se précipitent afin de voir passer mes plumes de drôle de Zoizeau. Quelle riche idée que d’avoir accroché des grelots à ma banane ! Ainsi, le jour où les politiconnards n’auront point de gaz intestinaux (cela peut-arriver), leurs dames seront quand même prévenues de mes déplacements.
Les rues à étages, les avenues à secrets, les boulevards en ascenseurs, les trottoirs à embuscades, les gratte-ciels à cachecache qui s’enroulent en se juxtaposant dans l’imposante ville de Babaoli n’ont plus de mystère pour moi. Non déséquilibré mentalement par le poids de mon cerveau où pend directement ma banane, non plus par celui de mon Popaul encore montant malgré mon grand âge, il ne m’est pas nécessaire de recourir aux peu gracieux déambulatoires fournis gratuitement par les services de la municipalité. Dernièrement, monsieur Demédeux, l’honorable maire ici nommé bourgmestre, enfin honorable… façon de dire car il est impliqué dans tellement d’affaires louches (qui ne lui font pas peur grâce au jeu infantile du je te tiens tu me tiens par la barbichette), s’est trouvé sur mon chemin. Par hasard ? Bof, cela n’a guère d’importance ; mais il m’a abordé gentiment avec une fausse sincérité qui m’a presque ému.
-M’enfin Zoizeau, en voilà des manières anticivilitaires et antibonnesmanièristes ! Vous savez pourtant fort bien que jamais un Babaolitien ne peut sortir sans son pare-brise ! Où donc nos braves fonctionnaires vont-ils coller les contredanses journalières zob-ligatoires ? Vous mériteriez que j’appelle un kopbab , pardon un agent de la force publique répressive de Babaoli !
Moi Zoizeau, me suis recroqueviller dans ma coquille et ai disparu des ékranplats de surveillance de la population. Pas question de risquer un coup de matraque, de plus on (qui n’est pas toujours un con) prétend que ces engins télescopiques sont parfois fourrés en des endroits pas possible. Tiens, cela me rappelle une chanson des temps pliés et passés : « C’est la matraque à Dudule, tu la prends, tu la… »… mon manque de mémoire persévère, la suite ne me revient pas. Tant pis, il me semble que le kopbab de l’époque avait écopé d’un vague blâme avec une augmentation substantielle de solde. De plus en le montant d’un grade il n’a pas eu par la suite besoin d’user de son noir engin (certainement à son grand regret). Il a sévi plus tard en déambulant en ville munie d’une mitraillette Tiredanltas chargée avec des balles gros calibre à têtes chercheuses. Cette histoire de coquille est une invention toute personnelle. Développée à partir d’un très vieux concept appelé « méditation », elle me déconnecte des cons. Et bigre, ils se pressent tellement souvent sur mon chemin. Votre pourvoyeur en textes zinzins, votre gentil Zoizeau, devient alors invisible, insensible au manque de pare-brise. Il s’élève au dessus de la mêlée avant que l’arbitre n’ordonne l’introduction de la balle.
Ce même Zoizeau, qui depuis une éternité un quart avait essayé d’enseigner aux Babaolitiens qu’ils pourraient devenir moins cons (monsieur le bourgmestre inclus), a finalement failli à la tâche qu’il s’était fixée. Rien à faire, ma banane, y compris quand elle était badigeonnée de résine de l’Himalaya, n’a pu convaincre ou vaincre les cons (au choix). En tout cas, ce fameux politiconnard de ville, monsieur Demédeux, est bien attrapé. Il me cherche maintenant en vociférant comme s’il avait affaire à un petit nenfant.
-Réapparais garnement ! Reviens pour recevoir ! J’en vais te coller un escadron de CRSSS aux fesses, AVEC des matraques, des grosses, des zénormes !
La rue étant en pente, ma minuscule maboule roulante dans la descente est déjà loin ! Ils peuvent tous crier, hurler au fou, même le feu rouge d’en- bas ne m’arrêtera pas. Monsieur Demédeux regarde son horloge nombrilesque puis part en courant dans le trottoir- corridor en tire-bouchon ; il a complètement oublié sa dernière inauguration à effectuer. Un nouveau lieu de stockage pour les taxis perdus de la ville. Le cent quatre-vingt-troisième il me semble. Les ékranplats en ont vaguement parlé hier soir. Il parait que les voitures y sont entassées, chauffeurs inclus et immédiatement compilées, compressées pour être transformées en herbe bleue. La seule autorisée sur les pâturages. Autrefois notre Terre nous donnait tous ce qui était nécessaire. De la surexploiter, elle est devenue infertile et seul le recyclage des tous et des riens permet désormais de rares récoltes. Dont celle de l’herbe bleue que certains individus indésirables ont rebaptisée « Avoine à bêlants ». Ventée par des blablateurs professionnels elle a finit par être acceptée puis un jour funeste appréciée, puis par fatalité personne n’a pu s’en passer.
Dans un recoin de tiroir de grenier en sous-sol, moi Zoizeau, ai réussi la prouesse de faire pousser, dans une chose désormais oubliées appelée terre, une herbe décemment fumable. Il m’arrive de la faire aussi macérer en un alcool, produit de ma propre distillation, aux fins un peu égoïstes de régaler uniquement mes amis. Ne me demandez pas de vendre cette divine merveille ! Jamais l’esprit lucratif du commerce ne m’a frappé au-delà de la seule nécessité de subvenir à mes simples besoins. Pas étonnant que bien des normaux me traitent d’imbécile, de hors-système voir de hors la loi pour les plus virulents.
Ma banane en folie danse sur mon front. Parfois la résine qui la plaquait m’a manquée, des punaises l’ont remplacée ; avec difficulté vue la dureté de ma caboche ! Ces petits piquants métalliques se sont refusé en effet bien des fois à percer ma peau. Cette carapace d’apparence fragile qui me protège des agressions de la nature, des microbes et des crobes entiers, du sel de la vie, mais laisse heureusement passer les caresses, les baffes et les vibrations du temps qui passe quand elle se flétrit. Oserais-je dire que la bêtise humaine ne m’atteint plus ? Hélas ce n’est pas encore tout à fait ca. Si autrefois elle me mettait en colère, aujourd’hui elle m’attriste. L’incapacité me faisait rager, désormais elle me fait rire. Il me suffit d’écouter les présentateurs àlatélélé pour rire des fautes de liaison à presque chaque mot, il me suffit de lire au-delà des lèvres des politicons pour entendre leurs mensonges. Il me suffit de voir des ahuris donner un peu de leurs faibles éconocroques en un télékhon pendant que les dirigeants gaspillent en armement. Les toubibs n’ont plus de fric suffisant pour les hôpitaux…les petits cons vont payer. Les moins cons déduiront des revenus et, en calculant bien leur coup, cela les ferra passer dans une tranche inférieure pour envoyer leurs impôts.
Ce sont tous des cons ou des salauds! Ceci n’est pas un jugement mais une simple constatation !
Ils passent leur temps misérable à se battre, enseignent à leurs rejetons qu’il faut sortir du lot, dominer, être le meilleur, que celui qui ne gagne pas de fric est un incapable. Et quand par chance, par calcul, par sournoiserie, par copinage, par coucherie, par poussette parentale dans de grrrrandes zécoles, et par tout ce que vous voulez ils arrivent au pouvoir…Alors c’est l’hallali sur les pôvres de la base. Ceux qui n’ont pas eu de chance, qui sont nul en calcul, simplets, sans potes, mauvais au pieu, ou ayant des parents non friqués ou qui n’ont pas ce qu’ils veulent, deviennent des esclaves, des moins que rien vivant dans la merde. Impossible de savoir dans quelle catégorie le gars Zoizeau, serviteur, peut être inscrit. Aucune désormais. Ses quinze années sur un voilier, ses pinceaux puis sa plume d’écrivaillon trempée dans le vitriol, ses profondes méditations lui ayant fait découvrir la vraie nature de l’Univers. Avec sa découverte de la vibration du temps… Il a compris l’inutilité de son retour après la mort.
Pour de nouveau expliquer aux cons qu’il y a d’autres chemins ? Combien ont eut la prétention d’avoir essayé ? Les cons adorent ceux qui parlèrent puis prétendent la surdité. Ils vénèrent ceux qui ont écrit et se torchent le fion avec leurs textes ! Marre, Zoizeau perd ses plumes, sa banane en folie sur son front attire l’attention pour mieux dissimuler l’anéantissement progressif d’un personnage encore capable de se mette en boule y compris devant le très respectable con de bourgmestre de Babaoli. Combien de temps encore avant de jeter l’éponge ?
Allez zen pet. Un tiroir secret, un de ceux qui s’ouvrent dans les greniers en sous-sol, m’attend. La toute dernière variété d’herbe vert écarlate, cultivée dans des lointaines oubliettes, va me plonger dans un autre genre de méditation.
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