Autour des bananiers on peut  trouver une foule hétéroclite de "bichos"[1] à quatre, six,   huit voir beaucoup plus de pattes. Le nombre incalculable de scorpions, araignées, scolopendres et millepattes, mouches et  papillons a fourni grand nombre de dessins d'une précision d'horlogerie, dignes de paraître dans bien des revues spécialisées.

       Pépé a tout essayé pour ne pas fuir son île adorée, la pêche, l'agriculture sur ses trente millimètres carrés, l'esclavage dans les bananeraies des riches terraténientes[2] mais la misère a  finalement eu raison de lui. Le bateau l'a débarqué à Valence où il est tombé dans les bras avides des recruteurs. Les oranges ont besoins de gars courageux à la tâche. Bof, on reste dans les fruits!

       Dans la petite ville de Cullera, pépé est devenu un nouvel homme. Beau, il a de suite plu a une jeunette emballeuse, pas d'hommes…d'oranges!  Maman est arrivée bien en avance sur le calendrier, juste sept mois après un mariage précipité. La vie familiale n'a jamais empêché les planches d'insectes de s'accumuler. Sur celles qui sont parvenues jusqu'à moi, un magnifique spécimen s'y trouve.

          Ma petite mère a suivi l'exemple en se documentant sur les insectes indiquant leurs noms respectifs et coloriant parfois certains dessins

           La phonentria nigriventen, nettement  plus connue sous le pseudonyme d'araignée banane, possède un venin redoutable, capable d'expédier un homme très vite dans au-delà. La toxine injectée par la piqure est si puissante que l'asphyxie totale survient en moins d'une vingtaine de minutes. Curiosité, elle provoque aussi une forte et très douloureuse érection, à tel point que les chercheurs s'y intéressent pour des cas …particuliers.

          La boîte qui m'emploie, un importateur de fruits fort connu du marché gare possède donc un entrepôt murisserie de bananes en bord de Saône. Bernard y fait loi. Très dure mais juste. Ici il faut bosser sans compter ses efforts et pendant bien des heures. Au diable la réglementation du travail. De minuit à midi…tous les jours sauf les lundis!

          Il faut dire que le Bernard est un homme à part. Très exigeant mais bien que chef, il mouille sa chemise tout autant que les gars. Avec eux il décharge grande quantité de camions de bananes mais aussi d'oranges. Les deux associés  maillorquins qui dirigent ont vite compris l'utilité du personnage. Rapidité égale à rentabilité, de plus les clients sont toujours contents, vite et bien servis, des pourboires alimentent une caisse commune partagée en fin de mois.  Un des grands chefs a dit

                     -Bernard, tu marques le nombre d'heures que tu veux pour les hommes!

           Éreintant mais au moins la paye est bonne et tous économisent pour repartir là-bas en Espagne du côté de Cullera, et acheter…des orangers! Ici presque tout le personnel vient de ce grand bourg en bord de mer. Quelques autres arrivent de beaucoup plus  loin…trente kilomètre à l'intérieur des terres, autre pays d'orange, Alcira.

            Le Bernard a arrangé les papiers de tout ce monde venu avec de simples visas de tourisme. Ces gars qui souvent ne parlaient pas un mot de la langue de Voltaire, voir pour certains un Espagnol rudimentaire, maintenant baragouinent un curieux langage. Un Valencien un peu francisé qui deviendra peu à peu un Français style vache espagnole de Valence. Quand j'ai su que Paco allait venir,  j'ai médit de lui à Bernard. Un loustic comme ca n'a jamais été grand travailleur. Autre chose,  je lui en veux depuis longtemps, c'est qu'il m'a volé ma fiancée.

          Et quand je dis volé, c'est un mot très léger pour ce qu'il a fait. J'ai aussitôt pensé à ma vengeance  et je me suis dit, qu'après de nombreuses années notre rivalité serait oubliée.

         Elle me plaisait toujours la Maria  avec son ventre arrondi du viol de Paco. Et je crois bien que je l'aurai épousée quand même. Sauf qu'elle, elle n'a pas supporté. A cinq mois de grossesse, elle a voulu se baigner près des rochers du phare. Rien du tout quand la tempête d'est ne lève pas des vagues de deux mètres! Un miracle a fait retrouver son corps trois jours plus tard dans le filet d'un chalutier qui raclait son lot quotidien à quelques milles de la côte.

         Il est rare que nous recevions des bananes du Brésil, la plus part du temps elles nous viennent des pays africains.  Comme le Cameroun ou la Côte d'Ivoire. Mais aussi de l'Amérique centrale et du sud, Équateur Costa Rica ou Panama. Parfois d'Europe, ou presque si l'on considère que La Martinique et la Guadeloupe sont françaises et les îles Canaris espagnoles. La phonentria nigriventen était du voyage. Plaquée par un bourrelet de papier journal et coincée entre deux bananes d'une même main sur le régime, elle a du faire bien des efforts pour vainement se libérer.

         Paco discute, toujours à tchatcher mais en diminuant le rythme! Pas si bête il ne me regarde pas, il évite souvent de se tourner de mon côté.  Avec un morceau de journal déplié j'immobilise le sympathique animal puis le lance adroitement sur les bananes que Paco met en caisse.

          Deux secondes plus tard le cri est strident. La bestiole n'a pas le temps de s'enfuir, écrasée par un compagnon.  Bernard, mais qu'est ce que tu fais?

           Le voilà qui embarque un Paco déjà grogui, fonce avec sa voiture et l'insecte  piqueur vers l'hôpital de Grange Blanche. A grands coups de klaxon il grille plusieurs feux. Une voiture de police le stoppe  puis les deux agents comprenant la situation lui ouvrent un passage, toutes sirènes hurlantes.

           Merde! Les toubibs ont dit qu'heureusement ils avaient la bête assassine. Dix minutes de plus.et le Paco y passait. Pas même le temps de prévenir les pompiers. Bernard, pourquoi l'as-tu sauvé? Pourquoi?

           Ce n'est pas grave, j'arriverai bien à l'avoir un jour le Paco, ce salopard qui est mon frangin.

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