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                                       DEUX  POINTURES EN DESSOUS

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                  Enfin Hervé Vallès est arrivé au summum de la gloire ; pas un Français, qu’il soit de la métropole ou des départements d’outre-mer, ne peut ignorer ni son nom ni son visage. Bien sûr que depuis longtemps déjà il a fait parler de lui. Jamais en bien d’ailleurs, et il en est fier. Mais aujourd’hui,  plus de dix minutes de chaque journal télévisé sur toutes les chaînes lui ont été réservées. Sa photo, avec tronche en grand format trône à la une de chaque canard de la presse écrite C’est la consécration. A seulement vingt six piges, il est devenu l’ennemi public numéro un et il a sur le râble toute la volaille de l’hexagone.

                   Interpol saisi depuis belle lurette à son sujet, va de nouveau être sollicité vainement. Mais il n’a pas du tout l’intention de prendre la poudre d’escampette, pas question de quitter la douce France.  Ce don inné pour le déguisement qui le fait changer d’aspect dés que cela sent le roussi, cette façon incroyable de modifier sa voix, la facilité aussi de se procurer constamment de nouveaux documents d’identité vont laisser ses poursuivants bredouilles pendant encore quelques lustres, du moins il en est persuadé. Pour preuve, il a regardé dernièrement les infos à la télé dans un bar grouillant de gens...dont certains le regardaient souvent sans faire le moindre rapprochement avec l’homme de l’écran. Y compris trois policiers municipaux en courte pause café n’ont pas remarqué la moindre ressemblance.

Le seul problème, c’est que dorénavant ses amitiés parmi la pègre deviendront plus dangereuses qu’utiles. Un gars qui a buté deux flics voit son entourage se ratatiner comme peau de chagrin, il devient réellement infréquentable et la pression mise sur les indicateurs de la police est une menace permanente. Dans ces cas-là, plus aucun pote n’est sûr à cent pour cent. Pour les femmes c’est du pareil au même, pas une des nombreuses qu’il a fréquentées ne doit pouvoir espérer une visite, ne fusse qu’un court instant. Heureusement qu’il n’a jamais aimé. D’ailleurs ce verbe est totalement inconnu de son vocabulaire et il ne souvient pas l’avoir utilisé une seule fois dans sa vie. Peut-être sur les bancs d’école de l’orphelinat pour une conjugaison du premier groupe, et encore.

 Ne pas se faire prendre, sinon il fera sa première et denière connaissance avec l’échafaud. Un tranchant de lame du docteur Guillotin qui sera difficile à éviter par l’une de ces incroyables pirouettes dont il a le secret. Se faire raccourcir ainsi, lui qui n’est déjà  pas très grand, serait fort déplaisant…

Deux flics tués sans qu’ils n’aient compris ni comment ni pourquoi ; les informations mensongères racontent le sang-froid de ce double assassinat. Sang-froid ? Personne n’aurait pu voir le bouillonnement de ses veines, personne n’aurait pu imaginer la fureur qui a soudainement guidé la main armée du vieux Luger car elle ne tremblait pas. Hervé pourrait hurler à tous les échos le pourquoi…pour quelques mots de trop, pour un seul mot de trop, le mot pointure.

                   -Ce gars là ne fait pas la pointure !

 S’ils avaient su ces deux connards, que l’l’homme dont ils parlaient n’était qu’à un pas, que celui-ci  écoutait la conversation avec cette délectation gourmande du chat tenant déjà la souris entre ses griffes. Et pourtant, le matou n’avait pas faim, il ne voulait que jouer. Ses précédents crimes n’ayant été commis que dans des situations de légitime défense, il n'avait jamais eu la véritable intention de tuer.

Mais les deux idiots ont prononcé le mot interdit, celui qui a fait mal jusqu’au plus profond des trippes. Et le fait qu’ils en ignoraient la signification pour le délinquant en fuite, n’a pas été une excuse. Le mot pointure le faisait presque défaillir et ramenait le simple achat d’une nouvelle paire de chaussures à une véritable corvée, un acte impossible à accomplir. Hervé aurait donné son âme pour revenir plusieurs siècles en arrière et vivre du temps où les vilains marchaient souvent pieds nus.

        Qui voudra un jour croire à son histoire, à part ceux ayant vécu le calvaire abominable du Clos Du Saint Fourbant, trop beau nom pour un enfer d’orphelinat carcéral. Qui un jour ne pourra jamais imaginer les tortures infligées par ces gentilles nonnes aux cornettes si blanches, aux sourires si avenants, aux yeux si féroces, aux paroles bénites de fiel. Et pourtant on n’était plus au dix-neuvième siècle ! Deux guerres meurtrières avaient secoué ce vingtième. La belle France libérée qui s’ouvrait à des nouveaux concepts de vie comme celui d’une sexualité qui se débridait de ses carcans. Celui d'une femme accédant lentement à l'indépendante et celui d'un masticage de chewing-gum. La belle nouvelle France victorieuse ne s'était pas encore penchée sur le sort pitoyable de ses orphelins, du moins ceux venant d'une modeste condition. Il est bien rare qu'un gosse de riche croupisse en des murs n'ayant rien à envier de ceux d'une prison. Pire, d'un pénitencier.

Car c'est vrai qu'il est criminel de n'avoir ni père ni mère, et l'éducation de ces pauvres petits depuis des lustres est confiée à ces braves femmes mariées à Dieu et à son fils. Leur manque physique dans un bas-ventre pourtant semblable à tout autre con féminin, les rend méchantes comme des teignes et leur cruauté devient sans borne…Surtout que personne ne peut les voir derrière leurs sourires avenents cachés par des murs bien hauts!

 L'inculture littéraire d'Hervé ne l'a pas empêché d'entendre parler de La religieuse, œuvre monumentale de monsieur Rousseau, celui qui fait tomber Gavroche le nez dans le ruisseau. Il a voulu lire, essayer de comprendre l'incompréhensible et au moment où la belle vendeuse en riant lui a tendu le volumineux bouquin…de Diderot, ses mains se sont misent à trembler si fort et il s'est mis à pleurer. Lui déjà petit caïd a failli tomber parterre, pas de la faute à Voltaire! Il hait les religieuses, les délicieuses pâtisseries portant ce nom le font vomir. Il ne supporte pas la vue des nones en cornettes et baisse les yeux quand cet accoutrement entre dans son champ de vision.

Sa première fugue, à l'âge de cinq ans, il s'en rappelait à peine. Les Fourniers étaient près à l'adopter et le petit garçon encore innocent devant une vie  déjà bien difficile n'avait pas compris le pourquoi du comment. Imaginons une grande famille avec neuf enfants et des allocations familiales qui grimpent considérablement avec un dixième! Mais madame n'en voulait plus, n'en pouvait plus, alors…l'adoption n'est pas faite pour les chiens. Le manque d'amour…il a vite compris et s'est barré. Aux gendarmes qui l'ont tout de suite rattrapé il a raconté un gros, un très gros mensonge. Il était battu avec application et il avait entendu Madame disant à Monsieur: laisse pas de trace, on va nous le reprendre!

Son méchant caractère s'est révélé petit à petit. A force de se voir traiter de bon à rien, de vaurien, de moins que rien Hervé s'est imprégné de sa première devise: De moi on ne tirera rien!  Et il a réussi. Jamais il n'a plié, jamais il n'a obéi. Un seul code, la loyauté à la parole donnée, bien plus tard a marqué de respect le monde des truands dans le quel, tout naturellement, il est tombé.

Combien d'autres fugues, combien d'autres petits délits avant d'arriver chez les abominables encornettées? Pfft, incalculable! Au Clos du Saint Fourbant, la spécialité était de rééduquer la vermine. Tache jamais accomplie tant les injections permanentes d'injustice y étaient puissantes. Aucun des gamins n'a pu sortir de cet enfer sans un profond traumatisme. D'autres, non comptabilisés, n'en sont jamais sortis.

A peine arrivé il fallait se vêtir d'un slip, d'une chemisette manche courte de coton puis un bel uniforme bleu. Chemise, pantalon court et veste dans le même épouvantable tissu rêche, véritable râpe à peau. Ce n'était qu'avec l'usure que l'on pouvait enfin le supporter. Mais le délice, le nectar, la perle de la couronne, la cerise sur le gâteau…c'étaient les chaussures.

Pour faire marcher droit ces canailles de sans famille, leurs gros godillots increvables et pouvant être ressemelés  à perpétuité étaient choisit soigneusement…une pointure en dessous de la taille du pied. Attention, comme tout le monde possède un pied plus fort que l'autre…adaptation faite, pas de jalousie possible entre le droit et le gauche.

Garnements qui ne peuvent échanger leurs chaussures bien marquées de leurs numéros au fer rougi. Cachot, pain sec et…deux pointures en dessous à la sortie pour ceux qui osaient.

      Il fallait marcher en chantant, une heure d'agonie le matin et une autre l'après-midi. Ne pas enlever ces infernaux sabots de la Question, même assis sur les bancs inconfortables devant les pupitres pendant les cours ! ! !

              "-Ce gars là ne fait pas la pointure?"

Sang froid? Neuf balles de 7 millimètres 65 pour deux connards irrespectueux, neuf prunes qui ne seront jamais oubliées de leurs petits copains. Ils vont tirer à vue messieurs les roycos.

       -Fasse que je puisse en emporter quelques uns dans la tombe avec moi, mais si ils me prennent vivant, je veux écrire une lettre au dernier juge auquel j'ai faussé compagnie.

      L'ennemi public numéro un abattu par la police ! !

      Demandez la dernière édition! !

      Hervé Valles abattu hier soir près de Puteaux ! !

      Demandez la dernière édition. La lettre d'un fou au juge ! !

      Demandez…

  Monsieur le juge faut pas vous moqué de moi.bien que la fin de sette lettre puisse prouvé le contraire je me sent saint de corps et desprit en écrivent

 Si par maleur la police me capture vivant, je  reffuserais pas de monté sur l'échafaut

 Depuis toujours je me sait destiner a la bascule a Charlot. Saché que mon dernier souait ne serat pas commun. Le bourreau  Deibler pourais faire de moi le plus heureus des hommes en me coupant aussi les pieds

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