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Douce plume acariâtre

                                          L’ELEPHANT-PIVOINE.

                        

                                                   Chapitre 1   Le début de la fin

 

 

           Rich Paddy Vermont est vendeur de sornettes. Depuis toujours les Vermont ont été d’importants vendeurs de sornettes. Pas de détails, chez eux on ne fait que dans le gros. Ce fruit originalement informe, après maintes manipulations génétiques, est aujourd’hui cubique, du moins pour l’une de ses trois principales variétés. C’est également plus pratique pour son stockage, quant à sa manipulation, seuls d’éminents experts y sont autorisés.

          On trouve donc sous forme de dés, plus ou moins grands, la fameuse sornette-mensonge qui est de par le monde la plus vendue. Surtout la version bleue et la rose qui sont respectivement destinées aux petits garçons et aux petites filles. Dés l’âge de la puberté atteint, la grande majorité des brouteurs  bêêlants peuplant la planète, n’accepte plus ces deux couleurs par trop infantiles. A partir d’environ treize ans, l’on se doit donc de consommer une sornette plus grosse, plus en chair et moins juteuse. Les fruits jaunes ou rouges conviennent alors très bien. Plus tard dans la vie du ruminant, les dents devenant fragiles, la sornette mensonge se doit d’être plus molle avec une peau facile à éplucher, la mauve ou à la rigueur la cacadoise fera l’affaire.

             Enfin, sur le déclin du crépuscule, vers les derniers jours de la pôôvre bête, seules sont adaptées les sornettes mensonges noires ou blanches selon que l’animal vive au soleil ou à l’hombre. Il est à noter que la toute dernière sornette est un parallélépipède rectangle dans lequel les funestes pompons funèbres scelleront, pour son ultime voyage, le défunt brouteur. Certaines croyances racontent qu’après une vie de bons comportements, l’animal reviendra, se réincarnera comme il est écrit dans les textes sacrés. Il aura, en forme de récompense, droit à d’autres types de sornettes…mais cela reste à prouver.

             Cousines au premier degré Celsius de la sornette-mensonge, sont les sornettes-illusions. Celles-ci se vendent sous une présentation toute différente. Sous forme de gros globes ; difficilement contrôlable, cette variété nécessite deux accessoires pour pouvoir être gobée. Un gaz rare nommé blablabla pour la gonfler premièrement, puis une laisse en peau de zigoto plus ou moins longue. Cela dépend de la hauteur où va voler la sornette-illusion.

               Aux côtés des établissements Vermont, mademoiselle Pandaploum est la dernière descendante de nombreuses générations de fabricants et vendeurs de laisses à globes. Une filiale de la maison, l’usine Paroléparolé pourvoit à la quantité importante de gaz blablabla nécessaire au gonflage. Plus les temps se font durs, plus les manipulateurs de sornettes-illusions (souvent ce sont les mêmes qui se chargent de la variété mensonge) se font pressants, et plus la consommation est en hausse.

              La couleur de la laisse est au choix du ruminant, il faut bien lui consentir un peu de liberté ! Quant à la longueur, il est de bon ton de toucher les nuages…Il paraît qu’un certain Franklin a, autrefois, inventé le coup de foudre ; il serait tombé raide amoureux après avoir laissé sa fine bande de peau de zigoto filer beaucoup trop haut.

              Le plus grand consommateur de sornettes-mensonges s’appelle le Pékin-ordinaire ; mais, parfois, il lui arrive de se laisser lui aussi tenter… et de gober aussi la cousine au premier degré Celsius.

               La sornette-illusion pour sa part est surtout, voir presque exclusivement, consommée par le fameux éléphant-pivoine. Adepte du karaté do car sa défense personnelle a failli couter l’extinction de sa race. L’animal en question, barrit-soit qui mal y pense, vit caché dans des grottes lacustres. Les murs de ces curieux habitats sont richement décorés de multicolores gros pompons non funèbres cette fois, l’éclairage quant  à lui est assuré par des mini-pachydermes-vers-luisants

               La nuit, au clair de la lune, l’éléphant-pivoine sort, se met à l’aise et laisse filer sa laisse au bout de laquelle la belle bulle de la sornette illusion va s’élever. Avec de la chance, il renouvellera l’expérience de Franklin, recevra le fameux coup de foudre et méritera enfin son joli nom d’éléphant-pivoine, ayant comme la fleur revêtu la parure de la troisième couleur. Ce nom qui, à première vue et au fond de la dernière rue à droite paraît insolite autant qu’étrange, presque bizarre, est pour les non- initiés, totalement incompréhensible.

             Dans les immensités des établissements Vermont, sous les hangars les plus vétustes aux charpentes rouillées, aux innombrables gouttières, en plein courants d’airs d’accordéon, est stockée une troisième variété de sornette, petits cubes entassés en vrac, la Mange-pas-de-pain. Cette dernière est destinée aux plus défavorisés des brouteurs bêêlants. Généralement ces animaux de couleur jaunes, rouges, bistres et souvent noirs, (quelle horreur !), n’ont précisément pas un rond (monnaie brouteuse) pour acheter du pain. Ils ne vivent donc que de sornettes Mange-pas-de-pain, la variété mensonge s’étant révélée insuffisamment nutritive pour eux et la variété illusion ne peut à peine effleurer leurs esprits.

             Les mauvaises langues, elles sont si nombreuses, font courir au raz d’un sol pavé d’intentions douteuses, une sornette sauvage dont on ne se défait point, y compris avec les plus puissants pesticides. La redoutable sornette-rumeur distille  donc son doux venin en prétendant que….

              A la fraîcheur de la nuit,  les employés de mademoiselle Pandaploum, soi-disant, s’introduiraient subrepticement dans les entrepôts de la maison Vermont ! Oui, la sornette-rumeur le dit ! Monsieur Rich Paddy Vermont sait tout et laisse faire. Cela lui convient bien car c’est à la chasse aux rats que les visiteurs nocturnes et clandestins se livrent réellement. Ces méchants rongeurs pullulent dans la sornette mange-pas-de-pain et ôtent un peu du bon miam-miam des déshérités, peut-être aussi une petite partie du bénef de Rich Paddy.

               L’insolente rumeur précise également que Pandaploum utiliserait la peau de rat pour fabriquer les laisses à sornette-illusion. Motif : le cours de la peau de zigoto est au plus haut à la bourse de Bâb el Oued et seul un examen minutieux peut  faire découvrir la falsification. La grande fabricante de laisse à globes s’apprête,  en douce, à délocaliser une partie de sa production (et pourquoi pas toute) dans le pays de l’éléphant-pivoine. Pour mieux étirer ses peaux, elle pourra profiter de l’énergie du clair de la lune en les posant sur le sol au moment où passent les pesants pachydermes.

                Pas de petit bénéfice dans la maison Pandaploum ?

 

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                La manipulation des sornettes, de n’importe quelle classe, variété, forme ou couleur, est strictement réservée à certains élus. Quelques uns d’entres eux se sont d’ailleurs autoproclamés, d’autres plus rares de nos jours, se prétendent de descendance divine (mot bizarre dont on ne sait la provenance) et il en existe même qui héritent de leurs ancêtres le droit d’exercer les opérations compliquées de ce métier si particulier.

              Quoi qu’il en soit, pour être politicard, c’est le nom des manipulateurs de sornettes, pas besoin de longues études, pas d’examen difficile, aucune intelligence remarquable, rien de tout cela n’est vraiment  nécessaire. Seuls réquisits, beaucoup de ronds à investir, (heureusement très vite rentabilisés), une soif de pouvoir exacerbée, un culot monstre accompagné généralement d’un orgueil mal dissimulé et, condition absolument indispensable, un total manque de scrupule.

              La devise des manipulateurs de sornettes est  COCHON QUI S’EN DEDIT. Comme tous ces politicards ont investi dans l’achat du fabuleux appareil électronique Efface-Mémoire…ces gens là, très vite, ne sentent plus bon du tout, du tout.…

              Matuzzalaime, le plus vieux des éléphants pivoines, a été maintes fois coup de foudré. Il est devenu tellement rouge que la tribu entière l’a surnommé Grand Schtroumf, les albums du génial saint Peyo faisant référence dans la SCPP, la Société Culturelle Pachydermique Pivoine. Mademoiselle Pandaploum concocte depuis quelques lustres un plan pour implanter toutes ses usines dans le pays des éléphants-pivoines. La séduction de Matuzzalaime entre dans les détails compliqués de son élaboration.

                Le prénom de la fabricante vendeuse de laisses à bulles sornettes-illusions est Violette…Pivoine, Violette…intéressant pot-pourri ! Mademoiselle Pandaploum n’est pas encore une trop vieille fille mais sa Catherinette a déjà été célébrée depuis belle lurette.

                 Quelle mauvaise idée que de vouloir rendre visite à Matuzzalaime sans au préalable consulter les météorologues, les astrologues, les numérologues et autres charlatanologues ! La pleine lune tombe brutalement, sans avoir eu la décence d’aviser, sur le couple en balade. Le sympathique pachyderme, écoutant sa visiteuse distraitement de ses petites oreilles (car papa était asiatique), laisse trop filler sa laisse. Et rebelote, le coup de foudre du père Franklin se renouvelle une fois de plus.

                  En un éclair, les deux promeneurs presque nocturnes sont rayonnants d’amour l’un pour l’autre. Ils vont tous deux rejoindre une grotte lacustre, résidence secondaire voir trière du vieux Grand Schtroumf, cachée sous une banquise de caramel mou, celle utilisée pour les conquêtes passagères. Catastrophe annoncée dans le pays des éléphants-pivoines. Les espions royalement payés par les favorites du pachyderme toujours trop rouge, ceux bien rémunérés par les épouses officielles, rapportent l’escapade qui, précisent-ils, dure depuis toute la nuit !

                  Un comité clandestin des défenseurs des droits de l’éléphant-pivoine se réunit d’urgence ; thème des débats :

                              -Peut-on laisser risquer qu’une race inférieure, presque impure, débilite le noble sang pivoine qui coure dans nos veines ? Le métissage avec un  sous-bulbe est-il tolérable ?

                  Et les polémiques commencent, interminables, apparemment sans pouvoir apporter la moindre solution au tragique problème. Rien qui ne puisse satisfaire tout un chacun. Il est bientôt nécessaire d’insuffler  quantité de gaz rare blablabla tant la pollution verbale atteint des limites intolérables et pour que puissent reprendre de plus belle les discutions.

                  Un éléphant d’une étoile sur le guide bleu des Trois Gros, l’une des bibles pachydermiques, prend la parole et veut se montrer concilient (peut-être est-il amoureux de mademoiselle Violette Pandaploum ?).

                                  -Enfin messieurs et mesdames les déboutés, soyons tolérants. Va-t-on oublier qu’il y a en nous tous une part de violet ? N’est-ce pas là l’une des trois couleurs de notre belle fleur ?

                                   -Pachyderme de gauche ! S’exclame l’un de ses vis-à-vis. Vous osez risquer l’avenir de notre race ! Réfléchissez, petit d’une étoile seulement, supposez que cette aventure du Grand Schtroumf, pardon de Matuzzalaime, entraine la disparition de l’éléphant-pivoine blanc, la perle de nos congénères ? Avez-vous pensez au désastre impliqué ?

                                    -Pesant extrémiste de droite, vous avez surtout peur que des étrangers viennent prendre une minime part de vos sornettes-illusions, celle d’ailleurs que vous délaissée, voir que vous jetez dans nos poubelles. Celles qui ont volé beaucoup trop haut, celles dont le globe a éclaté ou celles encore, tellement grosses, que vous n’avez pas pu les gober..

                                    -Voyou ! Soixante-huitard !….

                     Et les noms d’oiseaux volent comme il se doit, se transformant  bientôt en insultes. Depuis que le monde est monde et que les pachydermes se réunissent pour discuter, c’est le même tôlé qui ne fait que rarement avancer le Schmilblick. Bof, c’est du pareil au même chez les Pékins-ordinaires et chez les mangeurs de Mange-pas-de-pain. Mais...Aïe… aïe.. aïe…

                     … Les  politicards, les seuls véritables manipulateurs de sornettes en tous genres, ont, eux aussi des espions… qui vont faire leurs rapports sur la réunion clandestine.

                       Qu’on se le dise ! Qu’on se le répète ! Ces opérations là nous sont strictement  réservées ! Ni le Pékin-ordinaire, ni l’éléphant-pivoine, encore moins l’innommable mangeur de sornettes Mange-pas-de-pain ne peuvent prétendre au droit à mener leurs propres destinés. Comment goberaient-ils alors toutes les belles sornettes à leur disposition ? A quoi donc serviraient les ronds investis pour les manipulations ? Attention danger ! La société, messieurs doit être défendue, frase des milliers de fois répétée au cours de l’Histoire. Forme de dire des politicards qu’il leur faut conserver le droit à la manipulation. Et les gobeurs de sornettes marchent  encore, quittes parfois  à laisser leur misérable peau dans l’aventure.

                  Plusieurs escadrons de CRSSS, les terribles Carrés Ronds du Saint Siège Sauveur, pourfendeurs de capotes anglaises, protecteurs des Grands Mazo (secte aux innombrables membres), défendeurs du droit à la vie de l’invivable dans certains états, tous de noir vêtus, armés de bidules sophistiqués car la parole est sournoise et dangereuse (rien à voir avec l’usine Paroléparolé),  et elle est bien évidemment difficile à combattre ; des milliers de CRSSS ont donc reçu l’ordre de se tenir  fin prêts. Ils masturbent longuement leurs matraques, pour qu’elles restent rigides et bien dures, disposées au rentre-dedans.

                 Matuzzalaime et Violette s’activent tant et si bien que la calotte de caramel mou qui cache la grotte de leurs amours scandaleuses, commence à fondre. Le niveau de l’amertume monte dans le pays de l’éléphant-pivoine. Les consommateurs de sornettes Mange-pas-de-pain, s’inquiètent. Comme d’habitude, ce sont eux les premiers pollués, ils vont rapidement avoir du caramel mou jusqu’aux genoux. Bof, ce n’est pas grave, décident les grands manipulateurs qui tous planent sur les hauteurs y compris quand quelques uns sont ridiculement petits (attention se sont souvent aussi les plus dangereux).

                  Rich Paddy Vermont ne sait que faire. Son approvisionnement en sornettes devient incertain. Sa voisine, demoiselle Pandaploum a disparu et la mauvaise herbe de l’infâme sornette-rumeur, parfois fondée, raconte qu’elle aurait succombé au charme d’un éléphant pivoine. Très gênante situation, sans sa présence les rats vont pulluler et son stock de sornettes Manges-pas-de-pain va disparaître. Pire si les affreux rongeurs s’attaquent aux sornettes-mensonges  bien en cubes, prêtes à l’expédition. Les principaux manipulateurs du système sidéral se fournissent dans sa maison renommée, il ne faut surtout pas les mécontenter.

                 Bof, jamais de toute manière, depuis que le monde est monde, turlututu chapeau pointu, les bêêlants le peuplant n’ont pu se passer de sornettes, et son avenir de vendeur, à long terme, lui paraît assuré. Le métier si beau qu’il pratique comble les cerveaux exigus de tous les brouteurs. En cas de baisse d’énergie, de dépression comme ils disent, voir parfois de crise, ils vont être gavés de sornettes en pastilles, en pilules, en gélules, en poudres et en liquides quelquefois  directement injectés.

                   Parfois remboursés par la Sécu, la sornette-médicament est manipulée par un groupe d’individus extrêmement restreint mais fort puissant. Rich, hélas n’a pas le droit d’en vendre. Il ne fait pas partie d’un des lobbys aux dents acérées qui manipulent premièrement tous les autres manipulateurs, afin de contrôler la Sornette Totale, celle qui englobe toutes les autres, la Mensonge, l’Illusion, la Mange-pas-de-pain, et la Rumeur.

                   Le niveau du caramel mou monte, monte encore, les politicards ont beau dire que patati patata, cela devient si évident que rien ne peut plus cacher l’affreuse vérité, la preuve : les CRSSS sont désormais prêt à intervenir embarqués sur des péniches de débarquement ! L’assaut sur le comité clandestin de défenseurs des droits de l’éléphant pivoine est imminent.

Précisément mademoiselle Pandaploum radieuse accompagnée d’un Matuzzalaime épanoui, choisit ce moment là pour sortir de la grotte de leurs amours.

                   Stupeur, le vieux pachyderme n’a plus rien de rouge…IL EST TOUT BLANC. Normal, Violette a feint la passion, elle s’est donnée de manière plus qu’intéressée, elle a roulé  le Grand Schtroumf dans la farine. Tout a été bien calculé, les fabriques de laisses à sornettes illusions seront bientôt délocalisées. Les épouses en titre et les maîtresses officielles ou le contraire si l’on veut bien, se chargeront rapidement  de faire oublier l’escapade délictueuse ; quant au caramel mou, les politicards trouveront évidement le moyen de faire croire que la pollution est profitable  autant aux pékins-ordinaires qu’à tous les autres bêêlants mangeurs de sornettes.   

                  

                 Il est fort  connu qu’en toute situation certains mauvais coucheurs ne sont jamais contents. Des ronchonneurs pratiquement professionnels, chercheurs de poux dans les têtes de chauves, empêcheurs de tourner en rond, faisant le bonheur des tribunaux car procéduriers à l’excès, existent hélas en tout lieu. Alors que l’on pensait la réunion presque secrète des défenseurs des droits de l’éléphant-pivoine terminée, l’un de ces rabat-joie prend la parole :

-                                             -Messieurs, Mesdames les déboutés, avez-vous vu le Grand  Schtroumf, pardon Matuzzalaime ? IL EST TOUT BLANC ! Chez nous les pivoines puristes, c’est intolérable ;  peut-on permettre que cela déteigne sur notre magnifique rouge ? Il faut agir, ne pas dissoudre le comité.

                                      -Vous avez encore peur, extrémiste de droite ?

                                     -Voyou, soixante-huitard !

                Rebelote et bientôt dix de der.

                Vite, vite, les terribles CRSSS sont réembarqués alors qu’ils s’apprêtaient à rejoindre leurs casernements-prisons (on doit les retirer, entre deux interventions, derrière de solides barreaux de peur qu’ils n’utilisent leurs redoutables matraques à titre personnel). Les péniches foncent de nouveau, navigant sur le caramel mou vers le lieu du possible conflit.

               

 

                                           Chapitre 2  La fin du début

 

 

                  Rich Paddy Vermont est jaloux soudainement. Pourquoi ne pourrait-il pas accéder lui aussi au statut privilégié de manipulateur de sornettes ? Rester simple vendeur ne le satisfait plus. Attention, le personnage ne veut pas des sornettes ordinaires existantes, quelque chose de plus grand, énorme, colossale, gigantesque. Dans un manuel d’histoire ou dans un livre de science, il ne s’en rappelle plus, Rich Paddy a lu, il y a fort longtemps, l’existence d’une incroyable sornette ayant déjà sévie.

                   Sur une sphère que ses habitants appelaient planète (faut-il être idiot !), la grande Sornette Suprême aurait été inventée avec succès. Le top du top, le nec le plus ultra, le nectar de la sornette, l’embobinage parfait de l’individu. Pourquoi ne pas remettre à jour cette pure merveille dont il serait le Maître, incontesté.

                    La mémoire de Vermont se creuse pour se souvenir du nom de cet ancien concept qui lui avait paru si ridicule à sa lecture. Mieux étudié, il permettra certainement de contrôler l’ensemble des bêêlants du système. Quel  était donc ce nom bizarre autant qu’étrange ?

                                     -Ah oui, j’y suis, RELIGION… un bidule qui va rouler une fois encore.

                                       Refaire le coup, inculquer cette chose abracadabrante aux Pékins-ordinaires, aux mangeurs de Mange-pas-de-pain, aux éléphants-pivoines et pourquoi pas à tous les manipulateurs également. Avec le tour pendable que la Pandaploum a du jouer au pitoyable Grand Schtroumf, ma voisine fabricante de laisse à sornettes-illusions, sera certainement une alliée de choix. Je vais l’inviter au café du coin.

                   Devant deux verres de caramel mou recyclés en bières brunes (une des solutions trouvées pour la dépollution) Rich Paddy développe le scénario d’une prochaine coopération destinée à dominer le système entier.

                                   -Que je vous explique, ma délicieuse Violette. Des archéologues de l’espace, dirigés par le célèbre docteur Indiona Jahns, ont découvert une minuscule sphère morte, près d’une étoile insignifiante en voie d’extinction. L’étude des restes a permis d’affirmer que des bêêlant dits « humains »l’auraient peuplée il y a plus de cinq cents millions d’années.

                   Mademoiselle Pandaploum baille à s’en décrocher la mandibule inférieure, elle pense sérieusement que ce crétin là s’y prend bien mal pour la draguer.

                                  -Une autre bière peut-être ?

                                  -Non merci, trop de gout à caramel, poursuivez je vous en prie.

                                  -L’équipe de l’éminent savant a prouvé que la fin de cette sphère est venue des religions, de très anciennes sornettes…tenez-vous bien, inconnues chez nous.

                     A ce mot magique qui fait rentrer beaucoup de ronds dans l’escarcelle de mademoiselle, celle-ci ouvre grand ses quinquets et ses pavillons amovibles de sonotone s’orientent vers son vis-à-vis qui poursuit.

                                   -les religions sont beaucoup plus puissantes que le plus redoutable des microbes, que le plus terrible des virus, la plus affolante des bactéries. Leurs manipulations relèvent d’une grande et cynique précision.

                                    -Vous voulez recréer cette bestialité chez nous ?

                                    -Nous serons les Maîtres du système !!

                                   -Comment allez-vous faire ?

                                   -Facile, il suffit de jouer sur la peur et sur l’orgueil des bêêlants. Ecoutez, précieuse Violette. Actuellement je vends sur le marché intersidéral des sornettes-mensonge classiques, des Manges-pas-de-pain à moitié bouffées par les rats (vous le savez très bien), des sornettes- illusions qui peuvent certes voler très haut, mais elles restent temporaires. Inventons donc la sornette éternelle. Du genre si vous croyez en moi, l’éternité vous appartient !

                                   -Aucun fou ne pourra jamais vous croire.

                                   -Mais si bien sûr, il faut en plus jouer sur l’orgueil. En leur disant par exemple : avec moi, vous serez les élus, tous les autres resteront des gougnafiers insignifiants. Ces cons vont se sentir supérieurs.

                                   -Vous m’intéressez cher futur associé ; mais, et la peur dans tout cela ?

                                   -Ruse ma toute belle, croyant en nous, les bêêlants seront heureux pour l’éternité : ceci constitue la carotte. S’ils ne veulent pas croire, viendra le bâton : ils rôtiront dans d’horribles souffrances, dans un enfer de flammes, hi hi hi, toujours pour l’éternité. Plan digne de la lignée de ma délicieuse méchante maman. Son nom de famille est Machiavel. C’est beau, n’est ce pas ?

                                    -Vous pensez vraiment que tous vont marcher ?

                                    -A part de rares réfractaires, je vous promets un franc succès. Y compris les politicards tomberont dans nos filets. Tenez-vous, très belle demoiselle, même les commandants des escadrons de CRSSS nous mangeront dans la main.

                                    -Peut-être n’aurais-je pas suffisamment de peau de zigoto pour voler aussi haut, largement au dessus des nuages ?

                                   -Ne vous inquiétez pas, dans les religions, les laisses sont extrêmement subtiles, invisibles ; tressées de fils incassables, elles sont bien plus résistantes que n’importe quel acier. Elles entourent les bêêlants d’une forme sournoise, les laissant libres à première vue, mais elles neutralisent petit à petit leurs capacités de réflexion cérébrale. L’arme parfaite en quelque sorte. Dans très peu de temps, personne ne pourra prendre la plus minime décision sans nous consulter. Hé…bien sûr, il faudra payer ! Tous seront à notre entière dévotion, nous en ferrons ce que nous voudrons.

                                   -Venez donc, mon amour de Rich Paddy Vermont machiavélique, prendre un dernier verre chez moi.

                                    -J’ai déjà pensé au nouveau nom que nous pourrions prendre. Que pensez-vous de Dieu pour moi et Déesse pour vous ?

                                    -Je te tutoie Rich Paddy, tu es G  E  N  I  A  L !!!

                  Bras-dessus bras-dessous, le couple s’en va vers de nouvelles amours, des idées de toutes grandeurs, de toutes puissances dans la tête. Attention Mademoiselle Pandaploum…et si monsieur Vermont t’avait servie l’une de tes propres sornettes-illusions, délicatement enrobée dans une sauce aux sornettes-mensonges ? Si tu avais étudié la base de tout ce micmac concocté par les « humains » quelques cinq cent millions d’années auparavant sur une ridicule boule prétendue planète, tu aurais pu voir le peu de considération apporté à l’élément féminin, à de très rares exceptions près.

 

                   Tout le beau monde des bêêlants va tomber dans le piège de la monstrueuse machination ourdie par le bon monsieur Vermont désormais aidé de la Pandaploum. Tout le beau monde….sauf  l’éléphant-pivoine. Matuzzalaime a perdu sa vilaine couleur blanc farine, il est bien redevenu d’un rouge de coup de foudre, additionné de celui de la fureur d’avoir été pratiquement ridiculisé.

                  C’est un tout autre venin que celui de la sornette-rumeur que vont distiller désormais de part le système les émissaires du nouveau couple Vermont-Pandaploum, allias Dieu-Déesse.

                  Partis pour prêcher la bonne nouvelle (enfin soi-disant bonne), tous ces braves et serviles intermédiaires, vont distribuer gratuitement des nouvelles formes de sornettes-mensonges-illusions-mange –pas-de-pain que les plus audacieux des politicards n’auraient jamais osé imaginer. Ces simples bêêlants, promus magiquement égaux des manipulateurs sans avoir eu un seul rond à invertir, en pètent de joie. Enfin ils n’auront pas à ruminer comme les Pékins-ordinaires, enfin ils disposeront d’un meilleur miam-miam que les mangeurs de Mange-pas-de-pain.

                  Comment diantre appeler ces nouveau individus qui eux aussi vont bientôt vivre aux crochets des bêêlants de base ? Ils n’auront pas d’autre nom que celui d’une fonction. « Sacerdoces », ca fait bien et si personne encore ne connaît le mot, leurs bienfaits, pardon faits, pardon méfaits parlerons pour eux. Attention, cette fameuse classe intermédiaire doit vivre mieux que la base mais…la récolte doit remonter le courant jusqu’au couple suprême !

                  Perchés sur leur petit nuage, Rich Paddy et Violette se frottent les mains. Tout là-bas, bien bas, encore plus bas, par obligation une nouvelle fonction est également crée, un loustic nécessairement inventé pour peaufiner la Divine Sornette Suprême. Quel nom lui donner ? Le Malin, Belzébuth, Diable, en tout cas un pseudo qui fasse horreur bien entendu.

                   En  réinventant la peur et le péché, le Maître de l’hombre devient à son tour indispensable. Pôôvres prédicateurs sacerdotaux qui ne savent pas encore qu’ils seront les premiers à rôtir dans les flammes infernales…pour l’éternité.

 

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         Les vieux pachydermes en fin de vie qui se dirigent vers le cimetière des éléphants, depuis la nuit des temps ignorent la peur. Ils savent très bien où ils vont et ce qui les attend.

 

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                  Il est beau, bien habillé, propre et reluisant. Ses yeux brillent car une foi récente allège son poids et aplanit le chemin que foulent ses pas. Une simple petite valise à la main,

il ne sent plus de joie. Il fait, depuis peu, partie intégrante d’une catégorie d’individus supérieurs, d’une caste haute, faite pour enseigner LA VERITE. C’est sur ses épaules que s’appuie l’honneur d’aller prêcher sur le territoire de l’éléphant-pivoine. Il a été lui-même converti par l’ami du voisin d’un lointain cousin du concierge d’une importante et puissante industrielle, spécialiste dans la fabrication des laisses à sornettes-illusions, une certaine Demoiselle Déesse. Celle dont la photo dédicacée, placée sur son cœur, lui procure (enfin presque) une permanente bandaison.

               Dans sa petite mallette tenue fermement et avec fierté, sont portées les écritures de la nouvelle bonne parole, juste compromis entre la carotte et le bâton. Cela fait fureur dans tout le système, la colossale sornette commence bien sa carrière. Les éléphants-pivoines, à leur tour doivent être démarchés et bien évidement convertis.

              Pôôvre démarcheur guilleret, convaincu du bien-fondé de son prêche. Le courant d’air qu’il déplace, tant il est gonflé d’orgueil, entraînera sa perte. Le premier éternuement d’un pachyderme venu ouvrir la porte sollicitée par une impétueuse sonnette, est fatal à l’émissaire Vermontique-Pandaploumique-Divin.

             Le coup de trompe est, c’est le cas de le dire, é l é p h a n t e s q u e. Le prédicateur, plaqué dos contre l’acacia d’en face, se plante sur de douloureuses épines et perd aussitôt sa belle contenance. On lui a précisé qu’il n’allait pas forcement être reçu toujours de belle manière, peut-être qu’il serait maltraité, mais à ce point là ! Ne se sentant aucun don pour le martyr, il se met à crier.

                                   -Pitié ! C’est pas ma faute !

                 Pitié, ce mot est inconnu de l’éléphant-pivoine simple brouteur mais les petites oreilles du vieux Matuzzalaime, toujours à l’affut, trainent dans le coin. Le Grand  Schtroumf curieux vient aux nouvelles et s’adresse directement au Pékin-ordinaire transformé en prédicateur. Il le décloue de sa piquante situation avec grande délicatesse pour un si puissant mastodonte.

                                   -Pitié ! C’est pas ma faute !

                                   -Qui t’envoie, minuscule Pékin-ordinaire ?

                                   -Dieu !

                                    -Allons bon, encore une nouvelle invention. Raconte un peu, quelle variété de salades indigestes veux-tu nous vendre ? Méfie-toi mon ami, les légumineuses font notre délice et nous ne tolérerons pas d’embrouille.

                                   -Dieu et sa belle assistante Déesse m’ont mandaté pour vous convertir.

                                   -Nous avons déjà suffisamment avec nos sornettes-illusions. Ne vois-tu pas notre belle couleur, nos laisses à globe montent si haut, si haut que nous sommes les champions du coup du père Franklin. As-tu une preuve de ce que tu avances ?

                  Le pôôvre prédicateur tremblant comme une feuille dans la tempête sort la photo (pour laquelle il ne bande plus) de la belle Déesse et la présente à Matuzzalaime en pensant l’amadouer.

                                    -Regardez, c’est Ma Déesse. Elle est magnifique, non ?

                   Un épouvantable barrissement poussé par le vieux, recloue le futur martyr sur le même acacia désespéré qui ne peut  encore  rien pour éviter, une fois de plus, cette dégoutante incrustation.

                                    -Mais c’est la Pandaploum ! Cette maudite qui voudrait délocaliser sa production de laisses à sornettes-illusions dans notre beau pays ! Qui m’a ridiculisé en me roulant dans la farine ! Toi, je ne te décloue plus, tu resteras ici, en exemple pour le cas où d’autres loustics comme toi oseraient s’aventurer par ici.

                                    Réunion immédiate du comité de défense des droits de l’Eléphant-pivoine, et cette fois ci, c’est moi qui préside les débats. Et au trot !

                  Le simple Pékin-ordinaire, déconfit et pleurant, comprend maintenant la signification d’un mot qu’il n’avait pas assimilé lors des cours rapides d’endoctrinement, juste avant son lancement sur orbite prédicamenteuse.

                                    -Je ne veux pas devenir un saint ! Je veux rester un abruti de gougnafier.

                  Le sol tremble. Matuzzalaime vient d’expliquer la situation aux pachydermes révoltés par l’odieuse machination ourdie par le bulbe haï de la Violette et son piètre imitateur de manipulateur. Ce Vermont que l’on devrait pendre haut et court. Les éléphants-pivoines en colère tapent du pied, tapent avec force et rage. Une onde sismique se propage et une faille s’ouvre dans la croûte sphérique.

                  Conséquence inattendue de ce cataclysme de forte magnitude, le caramel mou se précipite dans ce gouffre béant accidentellement provoqué, entrainant hélas d’innombrables mangeurs de mange-pas-de-pain dans des profondeurs abyssales et inconnues.

                  Le chef des éléphants-pivoines devient immédiatement reconsidéré dans le système entier. Grace à lui, un surplus de population vient d’être évacué, précisément de ceux qui ont le moins d’importance, souvent jaunes, rouges, bistres et, horreur, noirs aussi. Autre avantage de ce qui devient « une saine catastrophe » : la dépollution gratuite et le retour à une bière de bien meilleur goût dans tous les cafés du coin.

                 Matuzzalaime est le héros du système, sa réputation s’étend sur la galaxie et au-delà. Ses discours appréciés font tourner en jus de boudin la belle réinvention de Rich ¨Paddy Vermont. Il sera prouvé que celui-ci édictait déjà d’abominables textes anti féminin, d’autres dénonçant le dépucelage avant mariage et qu’il se préparait à répudier une Violette Pandaploum considérée comme plus tout à fait vierge.

                 Les manipulateurs de sornettes en tous genre comprennent combien ils ont failli se faire posséder et décident tous en cœur de fabriquer eux-mêmes mensonges, illusions, mauvais miam-miams et rumeurs. Toute vie reprend cours normal, pour le plus grand bien-mal, pour le plus grand mal-bien des Pékins-ordinaires, des mangeurs de mange-pas-de-pain, et la sagesse de l’éléphant-pivoine deviendra bientôt proverbiale.

                 

                  Hélas, trois fois hélas, personne ne va avoir la bonne idée d’effacer des connaissances de ce minuscule morceau  d’univers,  tout ce qui a trait au simple mot de…RELIGION

 

                    Allez, mieux vaut en rire! Ou sinon, lisez, relisez, achetez-vous un éléphant, peignez le de rouge pivoine et il vous donnera la force de ne pas être un gougnafier encore trop longtemps.

 

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