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Douce plume acariâtre

La bibliothèque de la belle ville de Fréjus a lancé un concours de nouvelles.  Seulement 1000 mots ( plus au moins 10 %) sur le celèbre Proust et surtour sur sa fameuse madeleine., Le point final posé, mon compteur indiquait... 1000. Aucune illusion, jamais une litttérature aussi  spéciale ne sera primée. Afin de ne point faire rire les imbéciles  ce texte ne sera donc pas présenté.....Vous comprendrez pourquoi...

   Quelle  belle machine ! Une mécanique irréprochable qui, quand elle commencera à œuvrer, fera le bonheur de l’humanité toute entière. Elle  a été conçue par mon brillant cerveau aux connexions sarmenteuses qui a guidé ma main pour en dresser les plans. Mon ami Momo est le génie ayant assemblé les rouages, les poulies, les axes, les roues, les lattes de bois, et bien d’autres éléments ; le tout propulsé par un moteur de bonne marque et d’une fiabilité reconnue. L’ensemble est fort semblable à une moissonneuse-batteuse-lieuse des temps passés et il ne faut pas nier que cet engin-là aujourd’hui obsolète m’a fortement inspiré.

Sur  d’immenses plaines on pouvait voir, il y a déjà plus d’une dizaine de milliers d’années, des hommes se levant tôt pour  faucher les blés ou d’autres céréales. Venait la  farine puis le pain, les viennoiseries  et les gâteaux en tout genre pour le bonheur des petits comme des grands.

Bonheur ? Pas toujours ! Les hommes n’étaient pas heureux !

Pourtant un individu ayant pour lubie l’écriture, s’était évertué pour donner une recette efficace, capable de faire oublier les petits chagrins comme les grandes peines. Une recette tellement simple qui s’appelait madeleine. Rien sur l’élaboration de ce petit délice, mais tout sur sa texture, son gout délicat en se désagrégeant sur des papilles qui salivèrent instantanément.

 

Une des tantes du sieur Proust aux multiples prénoms – voyons sans en omettre un seul- Valentin Louis Georges Eugène Marcel, une des tantes donc lui proposa un jour béni du Dieu du moment, une madeleine et une infusion. Le mélange a marqué l’homme qui a voulu faire partager l’immense bonheur procuré. Depuis, le moment précis où les  bribes de madeleine imbibées de thé se désintégraient dans la bouche gourmande est devenu synonyme de la perfection. Un temps si exquis qu’une vie entière peut se dérouler pour pouvoir le rechercher quand on l’a perdu. Par extension, les philosophes ont qualifié de madeleine de Proust tout phénomène déclencheur d'une impression de réminiscence. Mais pardonnez-moi de ne point porter la philosophie en grande faveur dans mon cœur. Oubliant qu’elle n’est qu’humaine, elle a depuis fort longtemps outrepassé sa capacité. Jamais elle ne résoudra le moindre problème.

Entre parenthèse et en revenant à nos moutons, il paraît évident que la dite  tante  proustienne devait utiliser une farine de qualité supérieure, ne point grappiller sur la quantité de bon beurre, ni celle du sucre. Hélas hier comme aujourd’hui, ceci n’est pas à la portée de toutes les bourses.

A l’époque du fameux Proust, une minorité d’homme a compris que seul a compté la merveille du temps présent, et la madeleine fondante fut l’instrument de la découverte du miracle. Cela aurait pu être tout autre chose : un haricot coco, un ver luisant, un bilboquet, ou un schmilblick non encore trouvé. La majorité, quant à elle, s’est enthousiasmée par la forme de la révélation :

Mon Dieu que cela est bien écrit ! Quelle description minutieuse. Que de plaisir dans la lecture ! Quelle plume remarquablement maniée ! Et beaucoup d’autres expressions élevant le sieur Proust  en des sommets inatteignables pour le commun des mortels. A tel point que le péquin ordinaire ayant une culture restreinte, ou une capacité de lecture diminue, n’aurait jamais osé pouvoir jouir d’un pareil instant de bonheur « madeleinien ».

A mon humble avis, la chose était peut-être bien écrite, mais elle se fourvoyait dans l’objectivité. Elle n’a fait que conforter les hommes dans leur référence au temps passé. Elle les a embués dans des illusions subjectives, dans des possibilités de retour au passé. Comme si nos montres allaient soudainement tourner à l’envers et que nous allions revivre notre jeunesse. Et en fait certain, la madeleine est  dorénavant tout ce qui nous permet de rêver…en arrière !

Désolé de ne point pouvoir rajeunir ? Non, ravi plutôt de ne pas me lamenter dans mon passé. Ce dernier est une fois pour toute derrière moi, et le fait de me retourner n’y changera rien.  Mes études techniques m’ont fait éviter  la lecture de Proust, mais une infinie curiosité innée a rattrapé ce qui paraissait un lapsus… Il m’a été impossible de terminer « A la recherche du temps perdu ». Néanmoins,  pour le bien de l’humanité, ma machine a été conçue.

Depuis bien des siècles on ne cultive plus, on fabrique. Nos madeleines viennent automatiquement sur nos assiettes elles aussi mangeables, le déchet zéro total ! En usine ma machine donc coupera la madeleine de sa tige, l’emballera et la distribuera par voie électronique. Pourquoi laisser le bonheur à seulement quelques privilégiés pouvant cuisiner avec beurres de première qualité et sucres naturels. Les madeleines de ma fabrique auront le parfum que vous aurez choisi.  Haricot coco,  ver luisant,  bilboquet, ou  schmilblick non encore trouvé.

Ouverts à toutes les suggestions mes ingénieurs du bien vivre se feront un plaisir que d’accéder à tous les autres goûts possibles et inimaginables. Et si vous voulez revivre malgré tout l’expérience de Marcel, le fabuleux Proust, toutes sortes d’infusions restent encore à vos dispositions.

A soixante-dix printemps passés, une chance n’est donnée. Celle de  savoir éviter les impressions de réminiscence. Rien ne sert de chercher dans le temps passé. IL N’EXISTE PLUS ! La projection  dans un futur autant lointain qu’immédiat est elle aussi dérisoire. Demain n’est pas obligé de venir, même si comme les Incas nous faisions des sacrifices humains.

Nous sommes en l’An de Grâce  12 604 après le crucifié, nos dirigeants actuels, ceux du NOU, nouvel ordre universel, ont bien compris. Ils gèrent la condition humaine chère à un autre écrivain des temps passés, un certain André Malraux. Ils obéissent à une question  « Que faire d'une âme, s'il n'y a ni Dieu ni Christ ? » en détournant une  réponse à leur unique profit.

Les abominables politiciens ne savent pas que dans la madeleine de Proust obligatoire chaque matin pour tous les humains, j’ai introduit quelques molécules  particulières.

Le vent de la révolte a enfin sonné. Le temps présent sera le seul valable !

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