Douce plume acariâtre

                     Il était une fois, il y a très, très longtemps de cela, le père du papa de l’arrière grand-père du pépé d’Enric, un jeune tout plein de ressources qui s’appelait lui aussi Enric.

Il était vraiment pauvre, ses seules possessions étaient une minuscule maison dans un village et un bel âne qui répondait au beau nom de Magik. Notre loustic était pauvre, d’accord, mais richement pourvu d’une imagination débordante. Comme tous les sujets du royaume, Enric connaissait la passion sans modération de son Roi pour un métal très précieux …l’or. Le puissant monarque avait les yeux qui brillaient dangereusement rien qu’a l’énoncé de ce petit mot de seulement deux lettres. Alors…basé sur la cupidité sans borne de son souverain, l’ami Enric échafauda un plan….

Au prêteur du village il s’en fut demander trois monnaies d’or. Le riche commerçant lui en laissa seulement deux, en exigeant le double d’ici deux semaines sinon il confisquerait la petite maison et l’âne d’Enric.

Le matin suivant vit notre héros, bien habillé, bien peigné, s’étant lavé le visage et les mains, la moustache bien cirée, tirant par une bride astiquée un âne pomponné et enguirlandé. Jamais Magik n’avait été aussi beau en se présentant avec son maitre à la porte du Palais.

-Oh là, manant ! Où vas-tu comme ça ? Demandèrent les gardes en croisant leurs lances.

- Vendre mon âne au Roi.

-Ah, ah ah, messire n’a que faire de ton bourricot. Seul l’or l’intéresse. Passe ton chemin.

-Mon âne s’appelle Magik et grâce à l’enchantement d’une fée, (à voix basse)… il cague des pièces d’or.

Les gardes ne voulant pas se faire disputer, laissèrent rentrer notre sympathique ami et un sergent l’escorta auprès d’un homme couvert de bijoux et très intéressé par la proposition d’Enric.

-Montre-moi ce prodige! Je te préviens que si tu as menti, demain tu connaîtras de près le bourreau !

Enric, avec son bâton, donna doucement trois petits coups sur l’échine de l’animal et celui-ci laissa échapper un pet sonore accompagné du tintement d’une pièce d’or tombant sur le beau carrelage.

-De l’OR, c’est de l’OR ! s’écria le Roi les yeux hors de la tête.

Avec son sceptre, il donna lui aussi trois petits coups et Magik cagua une belle crotte où brillait encore une monnaie.

- Combien veux-tu pour ton âne ?

- Trente monnaies d’or, ô grand Roi.

- Pourquoi ne pas attendre celles de ton animal ?

- -Illustrissime Majesté, Magik ne donne que deux monnaies par jour, rarement trois. Hélas je suis joueur et j’en ai perdu hier trente. Je dois payer ma dette ce soir même.

- Et si je te prends ton âne et je t’envoie directement en prison ?

-Alors l’enchantement de la fée sera tout de suite terminé.

Calculant qu’en deux semaines au plus tard il serait gagnant, le Roi fit apporter à Enric une bourse avec ses trente Ecus d’or…

Le lendemain, son emprunt remboursé, notre rusé compère se coupa les cheveux, talla sa belle moustache et vêtu de vieilles loques, attendit les soldats du Roi qui vinrent le chercher le soir même.

-Où est Enric hurla le sergent ?

- Hélas mon officier, mon frère s’est jeté dans la rivière, trop triste d’avoir vendu son âne au Roi. Je suis Patric son cadet et j’ai le ventre bien vide maintenant.

Le faux Patric (Enric méconnaissable) fut emmené au Palais.

-Ton frère m’a trompé, tu va payer pour lui. Le maudit bourricot n’a rien cagué d’autre que des crottes tout à fait normales !

- Grande et noble Majesté, dans sa hâte de payer sa dette mon regretté frère, qu’Allah ait son âme, a oublié de vous donner la potion qu’il faut administrer à l’animal tous les jours à la douzième heure précise.

-Quelle potion ?

- L’élixir du grand Merlik, le mage de la forêt. Après demain vous pourrez le trouvez vers la source du Gros Cailloux.

Le surlendemain donc le grand Monarque en personne se présenta à Merlik qui ramassait des herbes pour ses préparations.( Mais en fait ce n’était qu’une fois de plus le malin Enric si bien déguisé que sa propre maman ne l’aurait pas reconnu). Le faux mage vendit au Roi tout content, une petite fiole pour la somme raisonnable de trente monnaies d’argent.

-N’oubliez pas, ho Merveille des Merveilles, une seule goutte à midi juste…………

Plusieurs jours passerent...

-Charlatan ! Cria le Roi dans une colère noire. Ton élixir ne vaut rien. L’animal ne veut rien savoir, rien, pas la moindre petite pièce. -Illustrissime et toute puissante Majesté, vous avez dit vous-même dans votre très grande sagesse « cet animal ne veut rien savoir ». Ramenez l’âne chez le défunt Enric, donnez à son frère Patric trente monnaies de bronze pour lui acheter un picotin de bonne luzerne et de la bonne paille. Votre âne alors, ce noble animal qui vous appartient, remis en confiance, dans un cadre qu’il connaît bien…il caguera, je vous le prédis, trois pièces d’or tous les jours, trois beaux Ecus.

Et ainsi fut fait……. Le Magik retourna chez l’Enric qui à la faveur de la nuit, l’enfourcha et s’enfuit très très loin en riant.

Dans un coffret, vingt six Ecus d’or, trente pièces d’argent…et dans la bourse trente monnaies de bronze. Tout le pays rit encore aujourd’hui de ce Roi bien plus bête qu’un âne.

                                                                           ENRIC

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